Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 19 avril 2006.
Endroit : BFC Greenwood, mess Annapolis, Greenwood (NÉ).
Chefs d’accusation:
• Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 9, 10, 15 : Art. 117f) LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
• Chefs d’accusation 7, 11, 13 : Art. 130 LDN, faux (art. 367 C. cr.).
• Chefs d’accusation 8, 12, 14 : Art. 130 LDN, emploi d’un document contrefait (art. 368 C. cr.).
• Chef d’accusation 16 : Art. 130 LDN, obtenir par faux semblant (art. 362(1)a) C. cr.).
Résultats:
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 : Retirés. Chef d’accusation 16 : Coupable.
• SENTENCE : Une rétrogradation au grade de soldat, un blâme et une amende au montant de 1800$.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Caporal-chef R.K. Noseworthy, 2006 CM 09

 

Dossier : S200609

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

GREENWOOD (NOUVELLE-ÉCOSSE)

14e ESCADRE GREENWOOD           

 

Date : 20 avril 2006

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

CAPORAL-CHEF R.K. NOSEWORTHY

(Contrevenante)

 

SENTENCE

(Prononcée de vive voix)

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

                                                                      

[1]                    Caporal-chef Noseworthy, la cour ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité au seizième chef daccusation, savoir lobtention dargent par de faux-semblants, elle vous trouve coupable de ce seizième chef daccusation.

 

[2]                    Il incombe maintenant à la cour de prononcer votre sentence. Pour ce faire, elle a tenu compte des principes de la détermination de la peine quappliquent les cours ordinaires de juridiction criminelle du Canada ainsi que les cours martiales. Elle a également tenu compte des faits de lespèce tels quils se dégagent du sommaire des circonstances (pièce 9), des témoignages entendus pendant la phase préliminaire ainsi que des plaidoiries du poursuivant et de lavocat de la défense.

 


[3]                    Les principes de la détermination de la peine servent à guider la cour dans lexercice de son pouvoir discrétionnaire de décider dune peine adéquate et adaptée à chaque cas. En règle générale, la peine doit correspondre à la gravité de linfraction, au degré de responsabilité de son auteur et au caractère de celui‑ci. Dans cet exercice, la cour se fonde également sur les peines prononcées par les autres tribunaux dans des affaires similaires, non parce quelle respecte aveuglément les précédents, mais parce que son sens commun de la justice veut quelle juge de façon similaire les affaires similaires. Néanmoins, lorsquelle détermine la peine, la cour tient compte des nombreux facteurs qui distinguent chaque affaire dont elle est saisie, aussi bien des circonstances aggravantes susceptibles de justifier une peine plus lourde que des circonstances atténuantes susceptibles den diminuer la sévérité.

 

[4]                    Les buts et les objectifs recherchés lorsque lon détermine la peine ont été exposés de diverses manières dans de nombreuses affaires antérieures. En général, ils visent à protéger la société, y compris bien entendu les Forces canadiennes, en favorisant le développement et le maintien, au sein de cette société, dun climat de justice, de paix, de sécurité et de respect des lois. Fait important dans le contexte des Forces canadiennes, ces objectifs incluent le maintien de la discipline, cette habitude dobéir si nécessaire à lefficacité dune force armée. Ces buts et objectifs comprennent aussi un volet dissuasion individuelle, pour éviter toute récidive du contrevenant, et un volet dissuasion générale, pour éviter que dautres ne soient tentés de suivre son exemple. La peine a aussi pour objet dassurer la réinsertion du contrevenant, de promouvoir son sens des responsabilités et de dénoncer les comportements illégaux.

 

[5]                    Il est normal quau cours du processus permettant darriver à une peine juste et adaptée à chaque cas, certains de ces buts et objectifs lemportent sur dautres. Toutefois, il incombe à la cour chargée de déterminer la peine de les prendre tous en compte; une peine juste et adaptée est une sage combinaison de ces buts, adaptée aux circonstances particulières de lespèce.

 

[6]                    Comme je vous lai expliqué lorsque vous avez plaidé coupable, larticle 139 de la Loi sur la défense nationale prévoit les différentes peines quune cour martiale peut infliger. Ces peines sont limitées par la disposition de la Loi qui crée linfraction et qui prévoit une peine maximale et aussi par la compétence que peut exercer la présente cour.

 

[7]                    Un contrevenant reçoit une seule sentence, quil ait été ou non déclaré coupable de plusieurs infractions, mais cette sentence peut prévoir plusieurs peines. Un principe important veut que la cour inflige la peine la moins sévère permettant de maintenir la discipline. Pour déterminer la peine, dans la présente affaire, la cour a tenu compte des conséquences directes et indirectes quauront la déclaration de culpabilité et la peine quelle sapprête à infliger.

 


[8]                    Les faits de lespèce se trouvent exposés dans le sommaire des circonstances (pièce 9). Pour résumer, pendant la période indiquée dans lacte daccusation, la contrevenante travaillait comme commis à lUnité maritime dessais et d’évaluation à la Base des Forces canadiennes Greenwood. Elle avait comme fonction, entre autres, de traiter les demandes des autres membres qui réclamaient des avances comptables de fonds publics et le remboursement de frais de voyage. Au cours de la période comprise entre le 18 juin et le 27 juillet 2004, la contrevenante a présenté trois demandes davances de fonds publics, pour un montant de 1 000 $US chacune, au nom de trois officiers, en imitant leur signature, et a alors perçu le montant des avances en espèces directement auprès du caissier de la base.

 

[9]                    Au cours de la période du 24 février au 9 août 2004, elle a présenté neuf différentes demandes falsifiées pour se faire rembourser des frais concernant des voyages quelle navait pas effectués. Dans chaque cas, elle a obtenu des avances de voyage et a ensuite produit des réclamations pour des frais de transport, de logement, de repas et de faux frais, qui dépassaient le montant des avances reçues. Elle a déposé chaque chèque de remboursement dans son compte bancaire personnel. Dans la déclaration quelle a remise aux enquêteurs de la police, elle a dit s’être procurée ces sommes pour continuer à financer sa passion du jeu.

 

[10]                  Invoquant larticle 194 de la Loi sur la défense nationale, la contrevenante demande à la cour de tenir compte dune autre infraction pour les fins de la détermination de la peine. Cette infraction porte sur lutilisation du magasin de fourniment de lunité dont elle administrait les comptes de fonds non publics. Dans deux transactions faites au cours du mois davril 2004, elle a présenté des demandes de chèques pour se faire payer à elle-même des dépenses quelle navait pas engagées au nom du magasin de fourniment. Lorsque les circonstances de ces infractions ont été découvertes, elle a présenté des factures frauduleuses, cherchant de toute évidence à éviter d’être repérée.

 

[11]                  La cour en profite pour ouvrir une parenthèse et faire remarquer que la pratique suivie par lavocat en lespèce, et qui consiste à obtenir auprès de la contrevenante une demande écrite et signée, conformément à larticle 194, avec les détails de linfraction qui devraient être pris en considération, y compris les faits à la base de linfraction, en est une qui devrait être suivie dans dautres affaires similaires en cour martiale.

 

 [12]                Le montant total de toutes ces fraudes sélève à 11 928,52 $ dont rien, selon les indications dont dispose la cour, na été recouvré.

 

[13]                  Les avocats de la poursuite et de la défense conviennent quun blâme et une très forte amende simposent dans les circonstances. De plus, la poursuite demande à la cour denvisager la rétrogradation de la contrevenante.

 


[14]                  La poursuite a fait état de plusieurs circonstances aggravantes en lespèce, notamment limportance des montants dargent en cause et le poste de confiance quoccupait la contrevenante au moment de ces infractions et qui lui a facilité la perpétration des infractions. Un certain nombre de transactions ont eu lieu pendant une période assez longue, s’étendant sur plusieurs mois, et différents procédés ont été utilisés de façon répétée pour obtenir des sommes dargent. Il existe certains éléments de raffinement dans la création de faux documents, notamment la contrefaçon de signature des autres membres des Forces canadiennes. Les procédés utilisés par la contrevenante ont apparemment suffi à éviter quelle soit découverte au cours dune vérification initiale.

 

[15]                  La cour estime quil sagit justement du genre daffaire quévoquait le juge Létourneau dans la décision R. c. St Jean citée par la poursuite, lorsquil sexprimait dans les termes suivants au paragraphe 22 au nom de la Cour dappel de la cour martiale :

 

[[...] Dans un organisme public aussi grand et complexe que les Forces armées canadiennes, qui possède un budget considérable, qui gère une quantité énorme déquipement et de biens de lÉtat et qui met en application une multitude de programmes divers, la direction doit inévitablement pouvoir compter sur le concours et lintégrité de ses employés. Aucune méthode de contrôle, si efficace quelle puisse être, ne peut remplacer lintégrité du personnel auquel la direction accorde toute sa confiance. Un abus de confiance telle la fraude est souvent très difficile à découvrir et les enquêtes qui y ont trait sont dispendieuses. Les abus de confiance minent le respect du public envers linstitution et ont pour résultat la perte de fonds publics. Les membres des Forces armées qui sont déclarés coupables de fraude, et les autres membres du personnel militaire qui pourraient être tentés de les imiter, devraient savoir quils sexposent à des sanctions qui dénonceront de façon non équivoque leur comportement et leur abus de la confiance que leur témoignaient leur employeur de même que le public et les dissuaderont de se lancer dans ce genre dactivités. [TRADUCTION] Pour dissuader, dans de tels cas, il nest pas impératif que soit infligée une peine demprisonnement, mais cette possibilité nest pas écartée en soi, même pour une première infraction. Il ny a pas à notre Cour de règle stricte selon laquelle une fraude commise par un membre des Forces armées contre son employeur commande obligatoirement limposition dune peine demprisonnement ou ne peut automatiquement donner lieu à un emprisonnement. Chaque affaire dépend des faits et des circonstances qui lui sont propres. 

 

 

 

[16]                  Les deux avocats ont fait état de plusieurs circonstances atténuantes qui sont présentes en lespèce. La contrevenante, après une certaine hésitation au début, semble avoir collaboré à lenquête de police; elle a plaidé coupable à linfraction et a présenté des excuses publiques pour son comportement. Elle a 17 ans de carrière dans les Forces canadiennes et il sagit de sa première infraction disciplinaire. Mariée à un membre des Forces canadiennes, elle a un fils à sa charge qui est âgé de 15 ans. Il a fallu un certain temps pour que laccusation fasse lobjet dune instruction, et lattente a sans aucun doute été difficile pour la contrevenante.

 


[17]                  La cour a pu vérifier que la contrevenante a été reconnue comme une joueuse pathologique après avoir été évaluée par le conseiller en dépendance, M.  Rutherford, en mars 2005. Elle a suivi avec succès une cure interne de six semaines en Colombie-Britannique à la fin juin en 2005. La cour est également convaincue que  la contrevenante a été raisonnablement diligente dans son suivi avec M. Rutherford depuis la fin de son traitement.

 

[18]                  La cour accepte que ses actes frauduleux étaient motivés par un besoin dargent pour pouvoir jouer, mais elle ne peux toutefois pas conclure, daprès la preuve entendue, que les symptômes de sa dépendance au jeu aient été suffisamment graves pour la priver de toute maîtrise delle-même.

 

[19]                  La contrevenante na pas remboursé largent quelle doit aux Forces canadiennes, bien quelle ait signé deux billets à ordre en faveur de la Couronne. Elle a récemment déclaré faillite.

 

[20]                  La défense prétend quil y a toutes les raisons de croire que les Forces canadiennes recouvreront largent qui leur est dû. Malgré tout, labsence de toute restitution aux Forces canadiennes pendant la longue période qui sest écoulée depuis le dépôt des accusations amène la cour à conclure que ses préoccupations en matière de dissuasion spécifique et de réinsertion demeurent des considérations importantes.

 

[21]                La cour estime que les circonstances de ces infractions, et plus particulièrement le lien étroit entre le grade et les fonctions de la contrevenante, de même que la situation générale de la contrevenante militent en faveur dune peine de rétrogradation. Comme la cour la déclaré dans laffaire du Caporal Haché :

 

[TRADUCTION]

Le grade est un signe visible pour les autres membres des responsabilités dune personne dans les Forces canadiennes. Il témoigne également du degré de confiance que les Forces ont dans sa capacité de sen acquitter. [...]

 

[22]                  De la même façon quil est possible de perdre la confiance de quelquun et de la recouvrer au fil du temps, vous aurez, vous aussi, Caporal-chef Noseworthy, la possibilité de récupérer votre grade actuel lorsque vous aurez à nouveau démontré que vous le méritez.

 

[23]                  La cour a décidé que lamende qui aurait pu autrement être indiquée en lespèce devrait être considérablement réduite en raison des conséquences financières quaura pour la contrevenante la peine de rétrogradation dont lamende est assortie. Levez-vous, Caporal-chef Noseworthy!

 


[24]                  Vous êtes condamnée à être rétrogradée au rang de simple soldat, à un blâme et à une amende de 1 800 $. Lamende doit être acquittée par versements mensuels de 100 $ chacun, à compter du 15 mai 2006, et ce, pendant les 17 mois suivants. Advenant votre libération des Forces canadiennes, pour quelque motif que ce soit, avant davoir acquitté le plein montant de lamende, le montant alors en souffrance devra être soldé la veille de votre congé. Vous pouvez disposer, Soldat Noseworthy.

 

 

                       CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.

 

 

Avocats :

 

Le Capitaine de corvette R. Fetterly, Direction des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

Le Major C.E. Thomas, Direction du service davocats de la défense

Avocat du Caporal-chef R.K. Noseworthy

 

 

 

 

 

                                                                     

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