Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 4 avril 2006.
Endroit : USS London, aile Est, bloc A, 750 rue Elizabeth, London (ON).
Chefs d’accusation :
• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, extorsion (art. 346(1.1)b) C. cr.).
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son emploi lui était subordonnée.
• Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
• Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son emploi lui était subordonnée.
Résultats:
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4 : Non coupable.

Contenu de la décision

Citation : R. c. Caporal-chef D. Carr,2006 CM 06

 

Dossier : V200606

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

ONTARIO

1ST HUSSARS LONDON

 

Date : 5 avril 2006

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE  P.J.  LAMONT, JM

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

CAPORAL-CHEF D. CARR

(Accusé)

 

VERDICT

(Oralement)

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

[1]                                         Caporal-chef Carr, la cour vous déclare non coupable du premier, du deuxième, du troisième et du quatrième chefs daccusation. Vous pouvez rompre et aller rejoindre votre avocat.

 

[2]                                         Le Caporal-chef Carr est inculpé de quatre chefs daccusation, soit une accusation dextorsion, en violation du paragraphe 346(1.1) du Code criminel, en ce quil a menacé la plaignante pour linciter à lui accorder des faveurs sexuelles, ou, subsidiairement, une accusation pour lavoir maltraitée en tant que subalterne en lui faisant des menaces; une troisième accusation dagression, en violation de larticle 266 du Code criminel et enfin, une accusation pour avoir maltraité une subalterne en lui touchant le genou avec la main.

 

[3]                                         Les événements qui ont donné lieu aux accusations en cause se sont déroulés dans un taxi sur le trajet de retour vers le Camp Borden après une fête marquant la fin dun cours en août 2004.  La plaignante était accompagnée de son ami, M. Bellman, qui était alors soldat.  Laccusé sest joint à eux sur la banquette arrière du taxi.

 


[4]                                         Dans une poursuite devant une cour martiale, il incombe à la poursuite de prouver la culpabilité de laccusé hors de tout doute raisonnable. Dans un contexte juridique, il sagit dun terme technique ayant une signification consacrée. Si la preuve ne permet pas détablir la culpabilité de laccusé hors de tout doute raisonnable, celui-ci ne doit pas être déclaré coupable de linfraction. Le fardeau de la preuve incombe toujours à la poursuite et laccusé na jamais le fardeau de prouver son innocence. En fait, laccusé est présumé innocent à toutes les étapes de la procédure, jusquà ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable, compte tenu de la preuve admissible.

 

[5]                                         Le doute raisonnable ne signifie pas une certitude absolue : il nest pas suffisant de prouver seulement une culpabilité probable. Si la cour est plutôt convaincue que laccusé est plus probablement coupable que non coupable, cela ne suffit pas pour le déclarer coupable hors de tout doute raisonnable; dans ce cas, laccusé doit être acquitté. De fait, la norme hors de tout doute raisonnable est beaucoup plus proche de la certitude absolue que de la culpabilité probable .

 

[6]                                         Cependant, le doute raisonnable nest pas un doute futile ou imaginaire. Il ne se fonde pas sur la sympathie ou les préjugés. Cest un doute fondé sur la raison et le bon sens, qui découle de la preuve présentée ou de labsence de preuve.  La preuve hors de tout doute raisonnable sapplique à chacun des éléments de linfraction reprochée. En dautres termes, si la preuve ne permet pas de prouver chacun des éléments de linfraction hors de tout doute raisonnable, laccusé doit être acquitté.

 

[7]                                         Le principe du doute raisonnable sapplique également à la crédibilité des témoins dans une affaire comme la présente alors que la preuve révèle différentes versions des faits importants ayant une incidence directe sur les questions. La démarche permettant darriver à établir ce qui sest passé na rien à voir avec la préférence pour lune des versions données par un témoin. La Cour peut considérer quun témoin dit la vérité ou quil nen est rien. Mais la Cour peut conclure aussi que seules certaines parties du témoignage sont véridiques et exactes.

 

[8]                                         Pour plusieurs raisons, jai de la difficulté à accepter certaines parties du témoignage de la plaignante.  Elle a déclaré en interrogatoire principal que laccusé lavait touchée de façon inadéquate durant le trajet de retour en taxi vers Borden; elle aurait dit au moins une centaine de fois à laccusé de ne pas la toucher.  En contre-interrogatoire, elle a témoigné que lorsque laccusé la touchait de façon inadéquate, elle lui enlevait la main et cela se serait produit de deux à trois cent fois.  Les deux procureurs ont convenu que cette version des faits doit être considérée comme étant exagérée. Je suis daccord, mais dans mon esprit cela indique une certaine insouciance à légard de la vérité qui mine la crédibilité de la plaignante et la confiance que la cour peut manifester à légard de la fiabilité de son témoignage.

 


[9]                                         La plaignante a livré des versions incompatibles sur ce qui sest produit dans le taxi, tant à ses compagnons de classe quaux enquêteurs de la police.  Elle a reconnu volontiers avoir fait ce quelle prétend être des erreurs de fait dans le cadre de ses déclarations aux enquêteurs.  Elle a parfois fait fi de la vérité lorsquelle répondait aux questions des enquêteurs.  La plaignante sest dite daccord avec lénoncé fait en contre-interrogatoire selon lequel laccusé était un bon commandant de section et un bon instructeur des techniques de conduite pour le cours dispensé, et quelle et laccusé avaient de bonnes relations.  Cependant, jaccepte le témoignage du caporal Robinson voulant que la plaignante lui aurait dit quelle naimait pas laccusé au motif quil lui aurait causé certains problèmes durant les inspections.

 

[10]                                     Jestime que la plaignante nourrissait une certaine animosité envers laccusé avant les événements visés par les actes daccusations, et que cette animosité a déformé sa perception de certains faits. Toutefois, je ne retiens pas largument de la défense selon lequel la plaignante et M. Bellman ont tous deux conspiré en vue de porter de fausses accusations à légard du Caporal-chef Carr.  À mon avis, la théorie selon laquelle le caporal-chef Carr est parti seul dOwen Sound pour retourner au camp Borden, laquelle se fonde en grande partie, pour ainsi dire, sur les dates et les heures fournies par différents témoins quant aux événements qui se sont produits dans la nuit du 17 au 18 août 2004, est purement spéculative.  Jaccepte le témoignage de la plaignante et de M. Bellman selon lequel laccusé les a en réalité accompagnés à Borden à bord du taxi.

 

[11]                                     Je retiens le témoignage du caporal Wilkinson et celui du caporal Witoslawski qui ont tous deux contredit le témoignage de la plaignante voulant quelle se soit laissée aller avec laccusé sur le canapé du Smugglers Bar.  Soit que la plaignante ait eu une fausse perception des faits, soit quelle ait induit en erreur les enquêteurs en en faisant la description. Lune ou lautre de ces conclusions peut avoir une incidence sur la valeur probante et la fiabilité que la cour peut accorder à son témoignage.

 

[12]                                     Jaccepte le témoignage du caporal Witoslawski selon lequel la plaignante nétait pas préoccupée par lattention quelle recevait de la part de laccusé.  Je conclus en outre que la plaignante a eu une mauvaise perception de la réaction du caporal Witoslawski lorsquelle a prétendu vouloir porter des accusations contre laccusé en raison de la façon dont laccusé traitait les femmes en règle générale ou pouvait les traiter à lavenir.

 


[13]                                     Quant à laccusation dagression, la poursuite sappuie sur le témoignage de la plaignante selon lequel laccusé se serait livré à des attouchements répétés sur les jambes de la plaignante durant le trajet en taxi.  Il ne fait aucun doute que sil y a eu attouchements, ils ont été faits sans le consentement de la plaignante, et par conséquent, pouvaient constituer une agression.  Toutefois, je ne suis pas convaincu hors de tout doute raisonnable que lattouchement, tel quil a été allégué, sest réellement produit.  M. Bellman na rien vu qui peut correspondre à un attouchement non consenti par le caporal-chef sur la plaignante, en dépit du fait quil était assis tout juste à côté delle, mais il se rappelle que le caporal-chef avait étendu son bras gauche le long du dossier de la banquette arrière du véhicule.  M. Bellman aurait été par conséquent bien placé pour être témoin dun attouchement non consenti à lendroit de la plaignante, le cas échéant.  Je déclare laccusé non coupable relativement au troisième chef daccusation.

 

[14]                                     La poursuite convient que le mauvais traitement visé au quatrième chef daccusation est le comportement marqué par des voies de fait allégué dans le troisième chef daccusation.  Compte tenu que jai déclaré laccusé non coupable dagression, il sensuit quil est également non coupable du mauvais traitement dune subalterne reproché au quatrième chef daccusation.

 

[15]                                     Quant à laccusation dextorsion visée au premier chef daccusation, elle réunit les éléments suivants :

 

1)                le fait par laccusé dinduire la plaignante à accomplir quelque chose;

 

2)                le recours à la menace comme moyen dincitation;

 

3)                lintention de la part de laccusé dobtenir quelque chose par la menace; 

 

4)                   labsence dune justification ou dune excuse raisonnable pour la conduite de laccusé.

 

[16]                                     Il nest pas nécessaire pour la victime dextorsion daccéder aux désirs de lextorqueur afin que soit commise une infraction dextorsion. Mais il est évident que si la victime se rend, on peut déduire de manière raisonnable quelle a été incitée à agir de cette façon sous la menace de laccusé, et que laccusé avait lintention davoir recours à la menace en vue dinfluer sur le comportement de la plaignante.  Une menace est tout simplement la communication dune intention de faire du mal.  En droit, pour quil y ait menace, il doit y avoir une intention de la part du communicateur que sa menace soit prise au sérieux. Je suis daccord avec les arguments du procureur que le recours à la menace pour induire un plaignant à consentir à une activité sexuelle constitue une infraction dextorsion.  En lespèce, la plaignante ne sest pas livrée à des activités sexuelles avec laccusé, mais, comme je lai indiqué, il nest pas nécessaire pour que linfraction soit consommée que la menace soit réelle ou quelle ait leffet désiré par lextorqueur. 

 

 


[17]                                     Dans la présente cause, la plaignante et M. Bellman ont témoigné quant aux paroles dites par laccusé à la plaignante durant le trajet de retour en taxi vers Borden qui pourraient constituer une menace.  M. Bellman a déclaré que laccusé avait dit à la plaignante quil pouvait lui rendre la vie difficile si elle refusait davoir des relations sexuelles avec lui.  Il a ajouté quil pouvait lui causer des problèmes en portant contre elle une accusation inventée de toute pièce en vertu du droit militaire.  La plaignante a témoigné que laccusé a dit que si elle refusait de coucher avec lui, il pouvait lui causer des ennuis parce quil était commandant de section.  Il pouvait lui faire échouer son cours en lui donnant de mauvaises notes et pourrait lui faire beaucoup de tort durant les inspections.

 

[18]                                     Je considère que lune ou lautre de ces déclarations, considérées dans leur contexte, pourrait correspondre à une menace en droit, mais je ne peux accepter le témoignage de la plaignante, ni celui de M. Bellman quant à la teneur des menaces alléguées.  Ces deux témoins semblent donner des versions très divergentes du même événement.  M. Bellman a témoigné quant à des menaces qui nont rien à voir avec les chances de la plaignante de compléter le cours avec succès, tandis que le témoignage de la plaignante quant aux menaces ne mapparaît pas relié à la menace des fausses accusations auxquelles M. Bellman faisait référence.  Les menaces à légard desquelles la plaignante a témoigné sont liées aux fonctions occupées respectivement par laccusé et la plaignante dans la hiérarchie militaire; cependant, les menaces telles quelles ont été alléguées par M. Bellman ne sont pas de cette même nature.

 

[19]                                     Je nai pas uniquement tenu compte des paroles attribuées à laccusé en elles-mêmes. Je les ai considérées dans le contexte des relations entre les deux témoins et laccusé, et en tenant compte des circonstances dans lesquelles elles ont été prononcées.  Ces circonstances comprennent le fait que laccusé était dans un état débriété avancée au moment où il a fait les déclarations qui lui ont été attribuées.  Daprès lensemble de la preuve, je ne suis pas convaincu quune menace a été établie hors de tout doute raisonnable et, par conséquent, je déclare laccusé non coupable de linfraction dextorsion.

 

[20]                                     Quant au deuxième chef daccusation, soit une accusation davoir maltraité une subalterne, le procureur a précisé dans le cadre de sa plaidoirie que laccusation de mauvais traitement constituait, telle quelle avait été décrite, la menace alléguée.  Comme je ne suis pas convaincu que lélément de menace a été établi hors de tout doute raisonnable, je déclare laccusé non coupable du deuxième chef daccusation.

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                     CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, JM

 


 

 

Avocats :

 

Le Major A.M. Tamborro, Directeur des poursuites militaires, région du Centre

Procureur de Sa Majesté la Reine

Le Major J-B. Cloutier, Directeur des poursuites militaires

Procureur adjoint de Sa Majesté la Reine

Le Major C.E. Thomas, Direction du service davocats de la défense

Avocat du Caporal-chef Carr

 

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