Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 10 septembre 2013.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, Petawawa (ON).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, a causé illégalement des lésions corporelles (art. 269 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.

Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Retiré. Chef d’accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Détention pour une période de 10 jours et une amende au montant de 5000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Matte, 2013 CM 4019

 

Date : 20130910

Dossier : 201348

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

 

- et -

 

Sergent S. Matte, contrevenant

 

 

En présence du lieutenant-colonel J.-G. Perron, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Sergent Matte, après avoir accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité à l’égard du deuxième chef d’accusation, la Cour vous déclare maintenant coupable à l’égard de cette accusation déposée en vertu de l’article 124 de la Loi sur la défense nationale. La Cour doit maintenant déterminer une peine juste et appropriée en l’espèce.

 

[2]               Le sommaire des circonstances, à l’égard duquel vous avez formellement admis que les faits y énoncés constituent une preuve concluante de votre culpabilité, fournit à la Cour les circonstances entourant la perpétration de cette infraction. Au moment de l’infraction, vous étiez membre du 2e Régiment du génie de combat. Le 3 octobre 2012, vous avez participé à un exercice de tir et de mouvement de troupes. Vous agissiez comme commandant de section et vous exerciez également les fonctions d’officier de sécurité adjoint du champ de tir (O Sécur Tir adjoint).

 

[3]               L’exercice de tir réel se déroulait sur deux champs de tir, soit un champ de tir réel et une zone destinée à des exercices de pratique de tir à blanc (le champ de tir à blanc). Chaque champ de tir avait son propre point de munitions. Toutes les munitions réelles étaient conservées sur le champ de tir réel; toutes les munitions à blanc étaient conservées sur le champ de tir à blanc.

 

[4]               Le 3 octobre, tous les membres du personnel ont reçu un ensemble complet de consignes de sécurité de l’officier responsable (O Resp) et de l’officier de sécurité du tir (O Sécur Tir). Tous ont été avisés que tous les membres du personnel qui allaient d’un champ de tir à l’autre devaient passer par le point de munitions du champ de tir où ils se trouvaient afin de remettre toute munition inutilisée et de faire vérifier leurs armes.

 

[5]               Au début de l’exercice, le personnel des champs de tir – soit l’O Resp, l’O Sécur Tir et huit O Sécur Tir adjoints ont parcouru les champs de tir à titre de participants afin de s’assurer de la conformité aux normes d’entraînement et de sécurité avant que les sections soient soumises à l’entraînement. Sur le champ de tir réel, vous avez reçu trois magasins de munitions 5,56 millimètres puisque vous étiez un des O Sécur Tir adjoints qui parcouraient le champ de tir réel aux fins des vérifications préalables par le personnel des champs de tir.

 

[6]               À la suite de cet exercice, vous avez mis votre équipement et votre fusil C8 de côté puisque vous alliez travailler comme O Sécur Tir adjoint. Vous n’êtes pas allé à la table de munitions réelles pour rendre vos munitions réelles inutilisées. Vous aviez encore un magasin contenant 30 munitions réelles 5,56 millimètres. Un peu plus tard, après que quelques sections eurent parcouru les champs de tir, ce fut au tour de votre section de parcourir d’abord le champ de tir à blanc.

 

[7]               Vous avez pris votre équipement personnel, dont les munitions réelles, et vous vous êtes dirigé vers le champ de tir à blanc. Vous n’êtes pas passé à la table de munitions réelles afin de rendre toutes vos munitions réelles inutilisées et de faire vérifier votre arme.

 

[8]               Au champ de tir à blanc, vous avez reçu un magasin de munitions à blanc 5,56 millimètres. Chaque participant au champ de tir à blanc devait employer un dispositif de tir à blanc (DTB). Le DTB doit être utilisé uniquement avec des munitions à blanc. Lorsque des munitions réelles sont employées alors qu’un DTB est fixé à une arme, le projectile arrache et détruit le DTB.

 

[9]               Lorsque votre section s’est engagée sur le champ de tir à blanc, elle est entrée en contact avec des ennemis (dont le sapeur Cyr). Votre section a réagi en tirant des balles à blanc en direction de l’ennemi. Vous avez d’abord tiré deux coups en succession rapide (un doublé) en direction de l’ennemi. Vous aviez un magasin de munitions réelles fixé à votre fusil. Le premier coup a arraché le DTB du fusil.

 

[10]           Vous avez remarqué le problème, et vous avez tout de suite remplacé le magasin par un magasin de munitions à blanc, mais vous n’avez pas déchargé correctement votre arme. Vous n’avez pas vidé la chambre de l’arme, et une balle réelle est demeurée dans la chambre. Vous avez tiré un troisième coup avec une balle réelle.

 

[11]           Une des balles réelles tirées a atteint le  sapeur Cyr au fémur gauche. Vous êtes accouru auprès du sapeur Cyr et, avec d’autres, vous avez commencé à lui administrer les premiers soins. Vous avez tout de suite dit que vous aviez tiré sur le sapeur Cyr. Un autre membre de la force ennemie a rapidement donné le signal d’interruption de l’exercice, et l’exercice a été interrompu et le sapeur Cyr a rapidement été évacué.

 

[12]           Vous avez collaboré avec la chaîne de commandement du 2e Régiment du génie de combat, et vous avez notamment avisé l’officier responsable de l’exercice et le sergent-major régimentaire de l’unité que vous aviez tiré sur le sapeur Cyr et que vous aviez commis une erreur. Le 16 octobre 2012, vous êtes allé au détachement de la police militaire de la BFC Petawawa où, après avoir reçu la mise en garde de circonstance, vous avez remis une  déclaration dactylographiée relative aux événements. Vous avez également répondu à toutes les questions de l’enquêteur.

 

[13]            Après avoir examiné les principaux faits de l’espèce, je déterminerai maintenant la peine. Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la cour martiale, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé, qui survient après que le juge du procès a eu l’avantage de voir et d’entendre tous les témoins, et c’est l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doive remplir.

 

[14]           La Cour d’appel de la cour martiale a clairement affirmé que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine figurant au Code criminel s’appliquent dans le contexte du système de justice militaire et que le juge militaire doit en tenir compte au moment de déterminer une peine. L’objectif fondamental de la détermination de la peine est de favoriser le respect de la loi et la protection de la société, ce qui comprend les Forces canadiennes, par l’infliction de sanctions justes qui visent au moins un des objectifs suivants :

 

(a)                dénoncer le comportement illégal;

 

(b)               dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

(c)                isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

(d)               favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

(e)                assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

(f)                susciter la conscience de leur responsabilité chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[15]           La cour doit décider si la protection du public serait mieux assurée par la dissuasion, la réinsertion sociale ou la dénonciation, ou une combinaison de ces facteurs.

 

[16]           Les dispositions du Code criminel en matière de détermination de la peine, soit les articles 718 à 718.2, établissent un processus individualisé au cours duquel la cour doit tenir compte, en plus des circonstances de l’infraction, de la situation particulière du contrevenant. La peine doit également être semblable aux autres peines appliquées en de semblables circonstances. Le principe de la proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine. Le principe de proportionnalité exige que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié, compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction.

 

[17]           La cour doit également infliger une peine qui soit la sanction minimale nécessaire pour maintenir la discipline. La peine vise essentiellement à rétablir la discipline chez le délinquant et dans la collectivité militaire, car la discipline est une condition fondamentale de l’efficacité opérationnelle de toute force armée.

 

[18]           Le poursuivant et votre avocat ont proposé conjointement une peine composée d’une période de détention de 10 jours et d’une amende de 5000 $ payable par versements mensuels de 250 $. La Cour d’appel de la cour martiale a clairement affirmé que le juge responsable de la détermination de la peine ne devait pas rejeter la recommandation conjointe des avocats à moins que la peine proposée déconsidère l’administration de la justice ou qu’elle ne soit pas par ailleurs dans l’intérêt public.

 

[19]           J’énoncerai maintenant les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes dont j’ai tenu compte pour déterminer la peine appropriée en l’espèce. Je considère que les circonstances suivantes sont aggravantes :

 

(a)                l’infraction en l’espèce est subjectivement très grave puisqu’un autre soldat a été gravement blessé durant un exercice d’entraînement à cause de votre insouciance. Le sapeur Cyr a été hospitalisé pendant une semaine, puis il a été en congé pour des raisons médicales pendant plus d’un mois. La balle a brisé le fémur gauche du sapeur Cyr, et il devra vivre jusqu’à la fin de ses jours avec une plaque de métal attachée au fémur. Il est retourné au travail auprès du 2e Régiment du génie de combat avec certaines restrictions vers la fin de l’automne 2012. Il suit des séances de physiothérapie de réadaptation depuis l’incident. Il devrait guérir presque complètement. Le sapeur Cyr suivra un cours professionnel de sapeur de combat (QL5) d’une durée de trois mois à l’automne 2013 à Gagetown. Vous pouvez vous compter chanceux qu’il n’ait pas été tué ni plus gravement blessé;

 

(b)               vous étiez âgé de 33 ans au moment de l’infraction, et vous étiez alors membre de la Force régulière depuis 13 ans. Vous avez été promu au  rang de sergent en 2008. Vous aviez assez d’expérience pour connaître l’importance de prendre des mesures de sécurité appropriées sur un champ de tir réel. Vous avez omis de décharger votre arme et de rendre vous munitions réelles avant de vous joindre à votre section sur le champ de tir à blanc. Vous avez de nouveau omis de décharger votre arme correctement  après avoir tiré les deux premiers coups. En tant que leader, il était de votre devoir de veiller à la sécurité de vos subalternes et de toute autre personne présente sur le champ de tir. Vous aviez assez d’expérience pour savoir que vous auriez dû agir autrement;

 

(c)                votre fiche de conduite comporte une mention élogieuse et deux accusations. J’examinerai seulement les accusations à ce stade-ci. Vous avez été absent sans permission pendant une heure et quarante minutes (1 h 40) en 2007. Vous avez également été déclaré coupable de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline à Kandahar en 2009. Vous aviez laissé une grenade à fragmentation non sécurisée dans un endroit accessible au personnel engagé localement;

 

(d)               bien que je trouve la première infraction moins pertinente que la deuxième au regard de la présente affaire, ces deux infractions et l’accusation d’aujourd’hui sont toutes reliées à un manque d’autodiscipline de votre part. L’infraction à Kandahar dénote un manque de respect des règles relatives à la sécurité des armes, et cela est pertinent au regard de la présente affaire;

 

[20]           Pour ce qui concerne les circonstances atténuantes, je note ce qui suit :

 

(a)                Vous avez immédiatement admis votre erreur à vos camarades soldats et à votre chaîne de commandement. Vous avez collaboré pleinement avec la police militaire, et vous avez produit une déclaration écrite complète à la première occasion. Vous avez inscrit un plaidoyer de culpabilité. Un plaidoyer de culpabilité est habituellement considéré comme un facteur atténuant. Cette façon de procéder n’est généralement pas considérée comme étant en contradiction avec le droit au silence et le droit d’attendre que la poursuite prouve hors de tout doute raisonnable les infractions reprochées à l’accusé mais est considérée comme un moyen pour les tribunaux d’imposer une peine plus clémente parce qu’un plaidoyer de culpabilité signifie habituellement que les témoins n’auront pas besoin de témoigner et les coûts liés à une instance judiciaire seront considérablement réduits. De plus, un plaidoyer de culpabilité est habituellement interprété comme signifiant que l’accusé veut assumer la responsabilité de ses actes illicites et des torts causés par suite de ces actes;

 

(b)               vous avez également souffert de cet incident. Vous avez affirmé dans votre témoignage que vous étiez traité par les services de santé mentale depuis l’incident. Vous aviez initialement deux rencontres par semaine, et vous voyez maintenant un travailleur social une fois par mois;

 

(c)                vous avez fait ce que peu de contrevenants font : vous avez pris la parole à l’audience et vous avez exprimé vos remords. Vous avez fait preuve du courage que nous aimons voir chez nos leaders en affirmant publiquement, devant des membres de votre unité, que vous aviez commis une erreur et que vous le regrettiez. Vous m’avez paru sincère lorsque vous avez dit que vous regrettiez véritablement ce que vous aviez fait;

 

(d)               j’ai examiné la pièce 8, qui comporte deux rapports d’appréciation du rendement (RAR). Pour la période 2011-2012, votre rendement a été qualifié de « maîtrisé » et votre potentiel pour une promotion a été qualifié d’exceptionnel. Votre commandant avait recommandé votre promotion immédiate au rang d’adjudant. Votre RAR pour la période 2012-2013 qualifie votre rendement de supérieur à la norme et votre potentiel de normal. Il s’agit là d’un recul appréciable par rapport à l’année précédente. Cela tient probablement à l’incident survenu en octobre 2012 et aux répercussions qu’il a eues sur vous;

 

(e)                Le major Harwick commande le 28e Escadron depuis juillet de cette année. Elle a affirmé dans son témoignage qu’elle avait fait de vous son bras droit parce qu’elle vous considère comme un sous-officier très compétent qui a toujours répondu à ses attentes. Le major Harwick vous emploie actuellement comme quartier-maître d’escadron, un poste qui est normalement doté par un adjudant. Elle continuera de vous employer comme quartier-maître d’escadron après que vous aurez purgé votre peine;

 

(f)                ces éléments de preuve semblent démontrer que l’incident dont il est ici question est une erreur qui ne cadre pas avec votre personne et qui, espérons-le, ne se reproduira plus;

 

(g)               vous avez fait cinq tours opérationnels, dont quatre en Afghanistan. Vous avez reçu une mention élogieuse du commandant du CEFCOM en 2007 à la suite de deux événements distincts survenus durant votre deuxième tour en Afghanistan. Vos compétences et votre diligence vous ont permis de découvrir un engin explosif improvisé (EEI) non explosé et une cache d’armes au cours d’une  patrouille, et lors du deuxième événement, grâce à votre courage et à votre détermination, vous avez réussi à évacuer rapidement un soldat Canadien grièvement blessé à la suite de l’explosion d’un EEI;

 

(h)               vous supérieurs vous connaissent bien mieux que moi. II appert du témoignage du major Harwick, de vos RAR et de votre mention élogieuse que vous êtes un très bon soldat qui peut devenir un leader encore meilleur.

 

[21]           Le droit au Canada est assez clair au sujet des propositions conjointes. Le juge responsable de la détermination de la peine a très peu de marge de manœuvre dans le cas d’un plaidoyer de culpabilité. Cela tient au fait que la cour ne dispose pas de tous les renseignements qui ont mené à la proposition conjointe. La cour doit respecter l’entente entre les deux parties à moins que cette entente ne soit clairement pas dans l’intérêt public ou que la peine proposée déconsidère l’administration de la justice.

 

[22]           J’ai conclu que la dénonciation et la dissuasion générale étaient les deux principaux objectifs de détermination de la peine qui devaient être réalisés en l’espèce. Il s’agit d’une infraction grave, mais votre conduite depuis l’incident et votre témoignage démontrent clairement que vous avez tiré des leçons de ce fâcheux incident. Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, de la jurisprudence et des observations formulées par le poursuivant et par l’avocat de la défense, j’en suis venu à la conclusion que la peine proposée ne déconsidérerait pas l’administration de la justice et qu’elle est dans l’intérêt public. Par conséquent, je suis d’accord avec la proposition conjointe du poursuivant et de votre avocat.

 

[23]           La Cour doit imposer la peine minimale qui, d’une part, puisse vous faire bien comprendre ainsi qu’à autrui que ce type de conduite est inacceptable, et d’autre part, vous aide à vous réadapter.

 

POUR CES  MOTIFS, LA COUR

 

[24]           vous DÉCLARE coupable, sous le deuxième chef d’accusation, d’une infraction visée à l’article 124 de la Loi sur la défense nationale.

 

[25]           vous CONDAMNE à une période de détention de 10 jours et à une amende de 5000 $. L’amende sera payée par versements mensuels de 250 $ à compter du 15 octobre 2013.

[25]

 

Avocats :

 

Major J.E. Carrier

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major C.E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense

Procureur du sergent S. Matte

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