Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 21 janvier 2013.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, Victoria (CB).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
•Chef d’accusation 2 : Art. 114 LDN, a commis un vol, étant, par son emploi, chargée de la garde ou de la distribution de l’objet volé ou d’en avoir la responsabilité.

Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chef d’accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une rétrogradation au grade de lieutenant et un blâme.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Duncan, 2013 CM 2003

 

Date :  20130130

Dossier :  201257

 

Cour martiale générale

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

Victoria (Colombie-Britannique), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Capitaine M.R. Duncan, accusée 

 

 

En présence du capitaine de frégate P.J. Lamont, J.M.

 


                                    TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA DÉCISION CONCERNANT UNE DEMANDE FONDÉE SUR L’ABSENCE DE PREUVE PRIMA FACIE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Le capitaine Duncan fait face à deux chefs d’accusation. Le premier consiste en une accusation de désobéissance à un ordre légitime d’un supérieur en ce que [traduction] « le 22 septembre 2011, ou vers cette date, à la base de Forces canadiennes Esquimalt, en Colombie-Britannique, ou à proximité de cette base, l’accusée a retiré une avance en espèces d’un montant de quinze mille dollars dans le cadre du programme d’Échange interprovincial de cadets, contrairement à l’ordre que lui avait donné  le lieutenant de vaisseau Meeker, un officier de grade supérieur par les fonctions qu’elle remplissait. » 

 

[2]        Lors de son procès devant la Cour martiale générale, la Cour a entendu le témoignage du lieutenant de vaisseau Meeker, où elle a déclaré qu’en septembre 2011 elle occupait le poste d’officier d’état-major 3 « déplacements » au sein de l’unité régionale de soutien des cadets de la région du Pacifique, à la base des Forces canadiennes Esquimalt. À ce titre, elle vient en aide aux milliers de cadets en déplacement partout au pays dans le cadre du programme des cadets en prenant diverses dispositions logistiques, et en défrayant leurs coûts, notamment pour le transport, le logement et les repas des cadets. 

 

[3]        Le lieutenant de vaisseau Meeker supervisait directement l’accusée, le capitaine Duncan, ainsi que deux autres officiers, le capitaine Gee et le lieutenant Owen. Elle a déclaré que chacune accomplissait entre elles le travail des autres, mais qu’elle supervisait les autres officiers. Le lieutenant de vaisseau Meeker a affirmé que le capitaine Duncan assumait la responsabilité de deux domaines d’activités : les déplacements et le programme d’échange interprovincial de cadets, également appelé EIC. 

 

[4]        Afin de remplir leurs fonctions, les officiers de la section des déplacements obtiennent des avances en espèces provenant des fonds publics. L’argent est distribué aux instructeurs des cadets ayant engagé les dépenses, qui paient pour ces dépenses et retournent les reçus à la section des déplacements pour justifier une demande présentée par l’officier de la section des déplacements devant rendre compte de l’utilisation des fonds publics qui leur ont été avancés au départ.

 

[5]        En septembre 2011, le capitaine s’était absentée de son travail pour cause de maladie. Comme le lieutenant de vaisseau Meeker ignorait la date de son retour au travail et que la date des échanges dans le cadre du EIC approchait, elle a elle-même obtenu une avance pour le programme EIC et a fait disparaître les documents préparés à cet effet qu’elle avait trouvés sur le bureau du capitaine Duncan situé dans le local qu’elles partagent ensemble. Lorsque le capitaine Duncan est revenue au travail, une réunion a eu lieu autour du bureau du lieutenant de vaisseau Meeker, où cette dernière a dit au capitaine Duncan qu’elle avait elle-même retiré l’avance destinée à l’EIC et que le capitaine Duncan ne devait pas en retirer une autre pour l’EIC. La preuve démontre que le capitaine Duncan a effectivement retiré une avance pour le programme EIC quelque temps après les instructions données par le lieutenant de vaisseau Meeker à cette réunion. 

 

[6]        La pièce 3 est une ébauche de la description des fonctions pour le poste d’officier d’état-major 4-1 Déplacements occupé par le capitaine Duncan. Dans une annotation rédigée à la main, ce document donne à penser que le capitaine Duncan, en tant qu’officier d’état-major 4-1 Déplacements, rend compte à l’officier d’état-major 4 Déplacements, le lieutenant de vaisseau Meeker. 

 

[7]        Hier, lorsque le procureur de la poursuite a eu terminé la présentation de sa preuve et en l’absence du comité, j’ai soulevé avec les avocats la question de savoir s’il avait été démontré que le lieutenant de vaisseau Meeker était un supérieur par rapport au capitaine Duncan au moment de la réunion de bureau tenue en septembre 2011. Le paragraphe 112.05 (13) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadienne prévoit que :

 

Lorsque le procureur de la poursuite a terminé la présentation de sa preuve, le juge peut, d’office ou à la demande de l’accusé, entendre les plaidoiries sur la question de savoir si une preuve prima facie a été établie contre l’accusé et :

 

 

a.       si le juge décide qu’aucune preuve prima facie n’a pas été établie à l’égard d’un chef d’accusation, il déclare l’accusé non coupable sous ce chef d’accusation;  

 

b.       si le juge décide qu’une preuve prima facie a été établie à l’égard d’un chef d’accusation, il ordonne que le procès se poursuive sous ce chef d’accusation.  

 

La note (B) afférente à l’article 112.05 prévoit ce qui suit :

 

Une preuve prima facie est établie si la preuve, qu’on y ajoute foi ou non, suffit, en l’absence de toute autre preuve, à prouver tous les éléments essentiels de l’infraction de sorte que l’accusé pourrait raisonnablement être reconnu coupable à ce stade-ci du procès en l’absence de toute autre preuve. Il n’est tenu compte ni de la crédibilité des témoins, ni du poids accordé à la preuve pour établir une preuve prima facie. La doctrine du doute raisonnable ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de décider si une preuve prima facie est établie.

 

 

[8]        La note (B) traduit pour l’essentiel la règle que le juge applique au moment d’imposer un verdict de non-culpabilité lorsque le procureur de la poursuite a terminé la présentation de sa preuve. Dans R c Barros, 2011 CSC 51, au paragraphe 48, le juge Bennie, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, a confirmé cette règle en ces termes : 

 

Le juge ne peut imposer un verdict s’il existe un quelconque élément de preuve directe ou circonstancielle admissible qui, s’il était accepté par un jury correctement instruit agissant de manière raisonnable, justifierait une déclaration de culpabilité [jurisprudence citée]. La question de savoir si le critère juridique est satisfait eu égard aux faits est une question de droit qui ne commande pas, en appel, de déférence envers le juge du procès.

 

[9]        Le terme « supérieur » est défini à l’article 2 de la Loi sur la défense nationale dans l’optique d’une relation entre deux militaires des Forces canadiennes en ces termes :

 

« supérieur » Tout officier ou militaire du rang qui est autorisé par la présente loi, les règlements ou les traditions du service à donner légitimement un ordre à un autre officier ou à un autre militaire du rang.

 

Par conséquent, le lieutenant de vaisseau Meeker était un supérieur par rapport au capitaine Duncan si, et seulement si, elle était autorisée, à l’époque pertinente, à lui donner légitimement un ordre. Le procureur de la poursuite n’invoque aucune disposition de la Loi sur la défense nationale ou de la règlementation conférant au lieutenant de vaisseau Meeker le pouvoir de donner légitimement un ordre au capitaine Duncan. Il soutient cependant que le lieutenant de vaisseau Meeker est autorisée à exercer ce pouvoir en vertu des traditions du service.

 

[10]      Le dictionnaire Oxford définit le terme « tradition » comme [traduction] « une façon largement acceptée et transmise de génération en génération de se comporter ou de faire les choses qui est propre à une société, à une époque ou à un endroit précis. »  

 

[11]      La structure des grades des Forces canadiennes est décrite dans une annexe à la Loi sur la défense nationale et en fonction de cette annexe le grade de lieutenant dans la Marine détenu par le lieutenant de vaisseau Meeker est équivalent à celui de capitaine détenu par le capitaine Duncan [voir le paragraphe 3.01(2) des ORFC]. Dans les cas où l’ordre est donné par un officier de grade supérieur à une personne d’un grade inférieur, il est évident que l’officier de grade supérieur a le pouvoir de donner un ordre. Le respect des officiers d’un grade supérieur et l’obéissance à ces personnes sont inculqués aux recrues des Forces canadiennes, aux officiers comme aux militaires du rang, dès le début de leur entraînement, et ces valeurs sont encouragées durant leur période de service à travers des principes moraux et par voie d’exemples. Cette tradition se traduit par un comportement si fermement ancré au sein des militaires des Forces canadiennes, et le respect qu’on lui porte est à ce point reconnu, qu’il y a lieu d’affirmer sans l’ombre d’un doute que le pouvoir d’un officier d’un grade supérieur de donner un ordre à une personne d’un grade inférieur fait partie des traditions du service. En l’espèce, cependant, la Cour doit se prononcer sur un ordre dont on prétend qu’il a été donné à un autre militaire de grade équivalent.   

 

[12]      L’article 19.015 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes prévoit que :

 

Tout officier et militaire du rang doit obéir aux commandements et aux ordres légitimes d'un supérieur.

 

 

Donc, un militaire des Forces canadiennes n’a habituellement pas le pouvoir de donner un ordre à un autre militaire de même grade ou de grade supérieur. L’avocat de la poursuite soutient qu’à titre de superviseure du capitaine Duncan, le lieutenant de vaisseau Meeker avait le pouvoir de lui donner un ordre. La difficulté que soulève cet argument du procureur de la poursuite réside dans le fait qu’aucune preuve en l’espèce ne démontre l’existence de traditions du service qui conféreraient au lieutenant de vaisseau Meeker, ou tout autre superviseur d’un lieu de travail, le pouvoir de donner un ordre légitime à un officier de même grade. Le procureur de la poursuite invoque aussi la note (C) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes qui est ainsi rédigée : 

 

Quand une personne est accusée d'une infraction contre un supérieur de même grade, la preuve doit établir que ce dernier était par ailleurs son supérieur, par exemple, par les fonctions que le supérieur remplissait.

 

 

Il soutient donc qu’à titre de superviseure du capitaine Duncan, le lieutenant de vaisseau Meeker était « un officier de grade supérieur par les fonctions qu’elle remplissait » comme il est allégué dans le premier chef d’accusation, et que cette situation démontre, conformément aux traditions du service, qu’elle est un officier de grade supérieur  par rapport à l’accusée.

 

[13]      Je ne peux accepter cet argument. À mon avis, la référence aux fonctions visées par la note (C) est destinée à cerner la situation du caporal-chef dont le grade est le même qu’un caporal, mais qui est son supérieur en raison des fonctions qu’il remplit à titre de caporal-chef (voir l’article 3.08 des ORFC). La nomination de personnes à des fonctions représente sans doute une pratique généralisée au sein des Forces canadiennes, mais ces nominations ne prouvent pas l’existence de traditions du service conférant le pouvoir de donner un ordre à des subalternes dont le grade est équivalent ou même supérieur à la personne visée par la nomination. 

 

[14]      De toute façon, en vertu de l’article 1.095 des ORFC, des notes sont ajoutées aux ORFC pour la gouverne des militaires, mais elles ne doivent pas être interprétées comme si elles avaient force de loi. En conformité avec l’alinéa 16(2)a) des Règles militaires de la preuve, la Cour n’était pas non plus tenue de prendre judiciairement connaissance du lien existant entre un supérieur et un subalterne, lequel aurait conféré le pouvoir au premier de donner un ordre au second. 

 

[15]      En l’absence d’élément de preuve établissant l’existence de traditions du service qui auraient autorisé le lieutenant de vaisseau Meeker à donner un ordre au capitaine Duncan, j’ai examiné la question de savoir si je ne devrais tout de même pas laisser le soin au comité de présente Cour martiale générale de dégager sa propre compréhension du lien existant entre un superviseur au travail et un subalterne au sein des Forces canadiennes, pour ensuite l’appliquer aux faits de la présente affaire retenus par le comité à partir de la preuve présentée en l’espèce, mais j’ai conclu que le devoir qui m’incombe en vertu du paragraphe 112.05 (13), est clair. 

 

[16]      Appliquant la loi telle qu’établie dans R c Charemski, [1998] 1 R.C.S. 679 et dans R c Monteleone, [1987] 2 R.C.S. 154, je conclus que rien ne prouve dans la présente affaire qu’au moment où elle a été instruite le lieutenant de vaisseau Meeker était un supérieur par rapport au capitaine Duncan, et, par conséquent, il n’y a donc pas de preuve prima facie en ce qui concerne le premier chef d’accusation.

 


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette S. Torani, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Lieutenant de vaisseau N. Han, Juge-avocate générale et directrice juridique/Personnel militaire

Procureure adjointe de Sa Majesté la Reine

 

 

Lieutenant de vaisseau K.M. Aubrey-Horvath, Juge-avocate générale /Directrice juridique/Opérations

 Procureure adjointe de Sa Majesté la Reine

 

 

Major D. Berntsen, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de la capitaine M. R. Duncan

 

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