Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 4 mars 2008
Endroit : BFC Borden, édifice E-51, Borden (ON).
Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, possession de pornographie (art. 163.1(4) C. cr.).
Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 14 jours.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Ex-Soldat J. Chiasson, 2008 CM 4002
Dossier : 200753
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ONTARIO
BASE DES FORCES CANADIENNES BORDEN
Date : le 4 mars 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
EX-SOLDAT J. CHIASSON
(Délinquant)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
[1] Ex-Soldat Chiasson, levez-vous. Ex-Soldat Chiasson, après avoir accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité pour la première accusation, la cour vous déclare maintenant coupable de celle-ci. Plus particulièrement, vous avez plaidé coupable à une accusation de possession de pornographie juvénile. Vous pouvez vous asseoir.
[2] Les principes de détermination de la peine, qui sont les mêmes devant une cour martiale et devant un tribunal civil de compétence criminelle au Canada, ont été énoncés de différentes manières. En général, ces principes s’appuient sur le besoin de protéger le public, lequel comprend, bien entendu, les Forces canadiennes. Le principe fondamental est celui de la dissuasion, qui comprend la dissuasion particulière, à savoir l’effet dissuasif produit sur une personne en particulier, ainsi que la dissuasion générale, à savoir l’effet dissuasif produit sur toute personne qui pourrait être tentée de commettre des infractions du même genre. Ces principes comprennent également le principe de la dénonciation du comportement illégal et, enfin et surtout, celui de l’amendement et de la réadaptation du contrevenant.
[3] Il revient à la cour de déterminer ce qui protégera au mieux le public : la dissuasion, la réadaptation, la dénonciation ou une combinaison de ces principes. Elle a également tenu compte des orientations énoncées aux articles 718 à 718.2 du Code criminel du Canada. Ces articles énoncent les objectifs suivants : dénoncer le comportement illégal; dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions; isoler, au besoin, le délinquant du reste de la société; aider les délinquants et les réadapter; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; et susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants et la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
[4] Lorsqu’elle inflige une peine, la cour doit d’autre part suivre les directives de l'alinéa 112.48(2) des Ordonnances et règlements royaux, qui lui impose de tenir compte de toute conséquence indirecte du verdict ou de la sentence et de prononcer une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant.
[5] La cour doit également tenir compte du fait que les peines infligées aux délinquants qui commettent des infractions similaires dans des circonstances comparables ne doivent pas différer de manière disproportionnée. La cour est également tenue de prononcer la peine la plus clémente qui soit compatible avec le maintien de la discipline dans les rangs. L’objectif fondamental de la peine est le rétablissement de la discipline chez le délinquant et dans les rangs des Forces armées. Dans l’arrêt R. c. Paquette, (1998) C.M.A.C. 418, la Cour d’appel de la cour martiale a clairement énoncé le principe suivant lequel le juge qui prononce la peine ne doit pas s’écarter de la recommandation conjointe, à moins que la peine proposée n’ait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle ne soit contraire à l’intérêt public.
[6] Le procureur de la poursuite et votre avocat m'ont présenté une proposition commune en me recommandent d'imposer une peine d’incarcération de 14 jours. Le procureur de la poursuite et votre avocat m'ont présenté cinq décisions au soutien de leur position. Le sommaire des circonstances, dont vous avez officiellement reconnu les faits en tant que preuve concluante de votre culpabilité, éclairent la cour quant au contexte dans lequel l’infraction en cause a été commise.
[7] Vous partagiez une chambre dans l’édifice A149 avec un autre soldat. Vous partagiez également une connexion à Internet avec cette personne. Le 10 septembre 2006, votre camarade de chambre a ouvert par inadvertance un fichier partagé sur son ordinateur qui n’était pas à lui, mais à vous. Il a découvert de la pornographie juvénile sur ce fichier partagé. Votre camarade de chambre a rapporté cet incident à ses supérieurs. Un mandat de perquisition a été délivré concernant votre chambre et a été exécuté par un membre du Service national des enquêtes des Forces canadiennes le 14 septembre 2006. Votre ordinateur portable personnel, ainsi que 17 DVD et deux CD ont été saisis. Le Groupe intégré de la criminalité technologique du Service national des enquêtes des Forces canadiennes a procédé à une analyse de ces objets.
[8] Cette analyse a révélé une image contenant de la pornographie juvénile et 40 titres de vidéo qui donnaient à penser qu’il s’agissait de pornographie juvénile. Ces 40 fichiers vidéo ont été créés entre le 20 juin 2006 et le 11 septembre 2006. Seuls 14 de ces 40 fichiers vidéo ont été récupérés, les 26 autres étant soit écrasés par le système d’exploitation Windows, soit corrompus ou incomplets. Les 14 fichiers vidéo récupérés montrent des garçons et des filles pubères et pré-pubères, s’adonnant à la fellation, à la pénétration et à la masturbation solitaire ou mutuelle, et autres actes à caractère sexuel. Au moins deux fichiers vidéo montrent un homme qui se livre à des attouchements sexuels, mais non à des rapports sexuels, avec des enfants.
[9] Vous avez été interrogé par le Service national des enquêtes des Forces canadiennes le 6 février 2007. Vous avez admis avoir recherché activement de la pornographie juvénile sur Internet. Vous avez reconnu que les images de pornographie juvénile vous excitaient. Vous avez indiqué que vous saviez que vos actes étaient illicites et que vous aviez honte de vos agissements.
[10] Je traiterai tout d’abord des circonstances atténuantes que révèle la preuve. Je considère que le fait que vous ayez plaidé coupable dès le début constitue une preuve tangible des remords que vous éprouvez à l’égard de vos actes. Vous avez pleinement et immédiatement coopéré au cours de l’enquête de police sur ces infractions. Dans la jurisprudence canadienne, le fait de plaider coupable dès le début et de collaborer avec la police est généralement considéré comme un signe tangible que le contrevenant éprouve du remords à cause de ses actes et qu’il assume la responsabilité de ses actes illicites et du préjudice qui en a découlé. Par conséquent, la collaboration avec la police et le fait de plaider coupable dès le début sont habituellement considérés comme des circonstances atténuantes. En règle générale, on considère que cette approche n’est pas contradictoire avec le droit au silence et le droit d’exiger du ministère public qu’il prouve hors de tout doute raisonnable les chefs d’accusation qui pèsent contre l’accusé. On y voit plutôt un moyen pour les tribunaux d’imposer une peine moins sévère en tenant compte du fait que le plaidoyer de culpabilité signifie généralement que les témoins n’auront pas à témoigner et que les frais liés à une procédure judiciaire seront largement réduits. On interprète également souvent ce fait comme un signe de la volonté de l’accusé d’assumer la responsabilité de ses actes illicites.
[11] À votre crédit, l’Adjudant-maître Izzard vous a décrit comme un soldat moyen. Le Caporal-chef Cobb vous a décrit comme un bon soldat, et il s’est dit disposé à travailler avec vous à l’avenir s’il en avait la possibilité. Le Caporal-chef Cobb a déclaré que vous aviez toujours fait preuve d’un rendement satisfaisant, que votre tenue et votre conduite n’avaient jamais posé problème, et que vous aviez toujours montré une bonne attitude, y compris à la suite du dépôt des accusations. Il s’agit de votre première infraction et vous aviez 25 ans au moment de l’infraction. Il semble que vous ayez accepté le fait que vous aviez un problème, et que vous vous efforcez de traiter votre dysfonction sexuelle.
[12] Je vais à présent aborder les circonstances aggravantes de cette affaire. La possession de pornographie juvénile est une infraction grave du Code criminel du Canada, ce dont conviennent les deux avocats. Il s’agit d’une infraction mixte. Cela signifie que les poursuivants civils peuvent choisir de poursuivre l’infraction comme une infraction criminelle et qu’un verdict de culpabilité expose l’accusé à l’emprisonnement pour une période maximale de cinq ans, avec une peine minimale de 45 jours d’emprisonnement. Ils peuvent également choisir de procéder par voie sommaire, la peine maximale étant alors de 18 mois d’emprisonnement, et la peine minimale une peine de 14 jours d’emprisonnement. Le Code criminel du Canada ne contient que peu d’infractions assorties d’une peine minimale. Il ressort clairement du mécanisme de détermination de la peine que le Parlement considère la possession de pornographie juvénile comme une infraction grave, qu’il souhaite sanctionner les contrevenants en conséquence et qu’il entend dissuader les individus de commettre une telle infraction.
[13] Les fichiers vidéo montraient des scènes explicites à caractère sexuel entre des garçons et des filles pubères et pré-pubères. Vous avez eu accès à ce type de pornographie au cours d’une période de quelque trois mois. Même si vous avez consulté de la pornographie juvénile alors que vous résidiez dans une caserne militaire, vous n’avez cependant pas utilisé un ordinateur des Forces canadiennes.
[14] Ex-Soldat Chiasson, levez-vous. J’espère que vous comprenez véritablement que vous devez régler votre problème. La pornographie juvénile est un crime insidieux et méprisant. Ses victimes sont des enfants qui méritent l’entière protection de la société. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, au paragraphe 28, et je cite :
… [L]a possession de pornographie juvénile contribue au marché de cette forme de pornographie, lequel marché stimule à son tour la production qui implique l’exploitation d’enfants. La possession de pornographie juvénile peut faciliter la séduction et l’initiation des victimes, vaincre leurs inhibitions et inciter à la perpétration éventuelle d’infractions…
[15] Votre mère a témoigné devant la cour, et vous avez le soutien de votre famille. Je vous encourage fortement à continuer à mériter ce soutien en concentrant vos efforts pour vaincre votre attirance à l’égard de la pornographie juvénile. Les conséquences d’un échec, ou pire d’une décision délibérée de poursuivre de telles activités illicites ne pourront qu’être catastrophiques pour vous, votre famille et les victimes de ces agissements dégradants. Il n’appartient qu’à vous de prendre ces décisions. Prendre la bonne décision vous permettra de mener une vie enrichissante, prendre la mauvaise vous conduira au désespoir.
[16] J’ai attentivement examiné la jurisprudence qui m’a été présentée par les deux avocats. Ces décisions m’ont été utiles pour déterminer la peine indiquée en l’espèce. La cour croit que la présente sentence doit surtout mettre l’accent sur la dissuasion générale et la dénonciation. En tenant compte des faits de l’espèce, des circonstances aggravantes et atténuantes, et de la nécessité d’une parité entre les peines prononcées à l’encontre des contrevenants qui commettent des infractions similaires dans des circonstances comparables, et tout en gardant à l’esprit les orientations données par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt R. c. Paquette, j’accepte la recommandation conjointe suivant laquelle la peine minimale nécessaire au maintien de la discipline en l’espèce est une peine d’emprisonnement de 14 jours. Ex-Soldat Chiasson, je vous condamne à une peine d’emprisonnement de 14 jours. Vous pouvez vous asseoir.
[17] La sentence a été prononcée le 4 mars 2008 à 15 heures 34. Conformément à l’article 196.14 de la Loi sur la défense nationale, je rends une ordonnance autorisant le prélèvement d’échantillons d’ADN sur le contrevenant.
LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
AVOCATS
Capitaine T.D. Bussey, Procureur militaire régional, région de l’Ouest
Procureur de Sa Majesté la Reine
Major L. D'Urbanno, Direction du service d'avocats de la défense
Avocat de l’Ex-Soldat J. Chiasson