Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 13 novembre 2012.

Endroit : Manège militaire Mewata, 801 – 11e rue S.O., Calgary (AB).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, homicide involontaire (art. 236a) C. cr.).
•Chefs d’accusation 2, 3 : Art. 130 LDN, manque de précautions (art. 80 C. cr.).
•Chef d’accusation 4 : Art. 130 LDN, a illégalement causé des lésions corporelles (art. 269 C. cr.).
•Chefs d’accusation 5, 6 : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Non coupable. Chefs d’accusation 4, 5, 6 : Coupable.
•SENTENCE : Une rétrogradation au grade de lieutenant et un blâme.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Watts, 2013 CM 2006

 

Date : 20130220

Dossier : 201207

 

Cour martiale générale

 

Manège militaire Mewata

Calgary (Alberta), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Major D.W. Watts, contrevenant

 

 

Devant : Capitaine de frégate P.J. Lamont, J.M.

 


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Major Watts, conformément aux verdicts qu’a rendus le comité de la Cour martiale générale, vous avez été déclaré coupable, contrairement à vos plaidoyers, à l’égard de trois chefs d’accusation, soit une accusation d’avoir illégalement causé des lésions corporelles et deux accusations d’avoir exécuté avec négligence une tâche militaire.

 

[2]        II m’incombe maintenant de déterminer et de prononcer votre sentence. Pour ce faire, j’ai pris en compte les principes de détermination de la peine appliqués par les cours ordinaires de juridiction criminelle du Canada et par les cours martiales. J’ai également examiné les faits de l’espèce révélés par les témoignages entendus pendant le procès et les autres éléments de preuve et documents déposés au cours de l’audience relative à la détermination de la peine, ainsi que les observations des avocats de la poursuite et de la défense.

 

[3]        Les principes de détermination de la peine guident la cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour qu’elle inflige une peine juste et adaptée à chaque cas. La peine doit être généralement proportionnelle à la gravité de l’infraction, à la culpabilité ou au degré de responsabilité du contrevenant et au caractère de celui-ci. La cour se fonde sur les peines infligées par les autres cours dans des affaires antérieures semblables, non par respect servile des précédents, mais parce que notre sens commun de la justice veut que les affaires semblables soient traitées d’une manière semblable. Néanmoins, lorsqu’elle inflige une peine, la cour tient compte des nombreux facteurs qui caractérisent l’affaire particulière dont elle est saisie, qu’il s’agisse des circonstances aggravantes pouvant justifier une peine plus sévère ou des circonstances atténuantes permettant de réduire la peine.

 

[4]        Les buts et les objectifs de la détermination de la peine ont été formulés de différentes façons dans de nombreuses affaires antérieures. En règle générale, ils ont trait à la protection de la société, qui comprend, bien sûr, les Forces canadiennes, en favorisant le développement et le maintien d’une collectivité juste, paisible, sûre et respectueuse des lois. Fait important, dans le contexte des Forces canadiennes, ces objectifs comprennent le maintien de la discipline, cette habitude d’obéissance si nécessaire à l’efficacité d’une force armée.

 

[5]        Les buts et les objectifs de la détermination de la peine comprennent aussi la dissuasion individuelle, de manière à éviter toute récidive du contrevenant, et la dissuasion générale, de manière à éviter que d’autres ne soient tentés de suivre son exemple. La peine vise également à assurer la réadaptation du contrevenant, à l’amener à développer son sens des responsabilités et à dénoncer les comportements illégaux. II est normal qu’au cours du processus permettant d’arriver à une peine juste et adaptée à chaque cas, certains de ces buts et objectifs l’emportent sur d’autres, mais il importe de les prendre tous en compte; une peine juste et adaptée est une combinaison judicieuse de ces buts, adaptée aux circonstances particulières de l’espèce.

 

[6]        L’article 139 de la Loi sur la défense nationale prévoit les différentes peines que peuvent infliger les cours martiales. Ces peines sont limitées par la disposition législative qui crée l’infraction et prescrit une peine maximale. Une seule sentence peut être prononcée contre le contrevenant, qu’il soit déclaré coupable d’une ou de plusieurs infractions, mais la sentence peut comporter plus d’une peine. Un principe important veut que la cour inflige la peine la moins sévère permettant de maintenir la discipline.

 

[7]        Pour déterminer la peine applicable en l’espèce, j’ai tenu compte des conséquences directes et indirectes que les verdicts de culpabilité et la sentence que je m’apprête à prononcer auront sur le contrevenant.

 

[8]        Le comité de la Cour martiale générale a conclu à la culpabilité du Major Watts relativement aux trois chefs d’accusation suivants :

 

            a)         il a illégalement causé des lésions corporelles, contrairement à l’article 269 du Code criminel, en ce que le 12 février 2010 ou vers cette date, à Kan Kala, ou à proximité de Kan Kala, en Afghanistan, alors qu’il dirigeait le 2e peloton de la compagnie de stabilisation A, il a illégalement causé des lésions corporelles au Sergent Mark McKay, au Caporal-chef William Pylypow, au Caporal Wolfgang Brettner et au Bombardier Daniel Scott;

 

            b)         il a exécuté avec négligence une tâche militaire (deux chefs d’accusation) en ce que, à la même date, alors qu’il était présent à un exercice de tir tenu par ses subalternes, il a omis d’ordonner l’arrêt de de la mise à feu réelle de l’arme défensive C19 à détonation télécommandée, comme il devait le faire, jusqu’à ce que tous ses subalternes soient à l’abri ou hors de la zone dangereuse;

 

            c)         en deuxième lieu, il a permis à ses subalternes de s’exercer au maniement de l’arme défensive C19 à détonation télécommandée dans des conditions de tir réel sans d’abord s’assurer, comme il devait le faire, qu’une formation appropriée à l’aide de systèmes d’armes inertes ou d’armes de pratique avait d’abord été suivie avec succès.

 

[9]        Le comité a conclu à la non-culpabilité du contrevenant quant à trois chefs d’accusation, soit une accusation d’homicide involontaire coupable à l’égard du décès du Caporal Joshua Baker et deux accusations de manquement à une obligation relativement aux explosifs, contrairement à l’article 80 du Code criminel. Je mentionne ce fait parce que, selon l’article 112.54 des Ordonnances et règlements royaux, je dois, pour déterminer la peine à infliger, considérer comme prouvés tous les faits, exprès ou implicites, essentiels aux verdicts de culpabilité que les membres du comité ont rendus et accepter comme prouvés les autres faits pertinents qui ont été révélés lors du procès et qui vont de pair avec les verdicts du comité.

 

[10]      La plupart des faits de la présente affaire ont été expressément admis par les parties ou n’ont pas vraiment été contestés et les questions que le comité devait trancher se résumaient essentiellement à celle de savoir si, d’après les faits considérés comme prouvés, le major Watts avait fait montre de négligence à un degré justifiant des verdicts de culpabilité.

 

[11]      Les faits sont les suivants : le 12 février 2010, le Major Watts, qui détenait alors le grade de capitaine, était le commandant du 2e peloton de la compagnie de stabilisation A (Stab A). Il était sous les ordres du Major Lunney, qui était le commandant de Stab A. L’Adjudant Ravensdale était le commandant adjoint du peloton que dirigeait le Capitaine Watts. À cette date, le 2e peloton a tenu un exercice de tir à Kan Kala, en Afghanistan, en utilisant quelques armes d’infanterie. Une de ces armes était l’arme défensive C19 à détonation télécommandée, mine antipersonnel directionnelle connue chez les soldats sous l’appellation « mine Claymore ». Les mines C19 ont été placées dans le sol, à une distance de 25 à 31 mètres des pas de tir, soit l’emplacement du soldat qui déclenche l’explosion. Des fragments d’une mine C19 qu’a fait exploser le Caporal Brettner ont atteint mortellement le Caporal Joshua Baker et sérieusement blessé quatre autres membres qui se trouvaient au champ de tir, dont le Caporal Brettner. Bien que tous les membres de la Stab A se soient conformés à l’ensemble des normes individuelles d’aptitude au combat avant d’être affectés en Afghanistan, l’utilisation du système d’arme C19 ne faisait pas partie de la formation préalable au déploiement.

 

[12]      Quelques courts vidéos filmés par des soldats qui se trouvaient au champ de tir ce jour-là ont été présentés en preuve. Les vidéos montrent que le champ de tir lui‑même se trouvait dans le désert et était délimité par une montagne au nord et d’autres collines au loin. Le champ de tir était divisé en quatre zones distinctes correspondant à différentes armes et différents systèmes d’arme le long d’une ligne qui faisait face à la montagne. Les véhicules blindés légers (VBL) du peloton étaient disposés vers le centre de la ligne et faisaient également face au nord, afin que les membres puissent s’exercer à utiliser les armes des VBL au champ de tir.

 

[13]      L’exercice relatif à l’explosion des mines C19 devait avoir lieu à la fin des pratiques relatives aux autres armes. L’Adjudant Ravensdale a donné de l’information à quelques-uns des soldats afin de les préparer en vue de l’explosion des mines C19. Les mines ont explosé en séries de deux détonations chacune. Le Caporal Brettner a fait feu en deuxième position lors de la troisième série. Les vidéos permettent de voir quelques-unes des explosions en question ainsi que l’emplacement de certains des soldats par rapport à celles-ci. Bien que quelques soldats se soient mis à l’abri derrière les VBL peu avant le début des explosions, il est évident que plusieurs ne l’ont pas fait, et non seulement ceux qui ont été atteints. Bon nombre des soldats se trouvaient à l’intérieur de la zone de risque décrite dans le manuel intitulé « Entraînement opérationnel – Sécurité à l’entraînement », soit à moins de 100 mètres derrière le pas de tir.

 

[14]      Le Major Watts (qui était capitaine lors des événements en question) a témoigné. Je reconnais qu’il a dit la vérité sur les faits importants. Il a été formé et nommé à titre d’officier blindé de reconnaissance dans la Force de réserve du King’s Own Regiment à Calgary. Il s’est porté volontaire pour être affecté en Afghanistan et a joint la Force opérationnelle 3-09 en février 2009 à titre de commandant du 2e peloton afin de participer à un exercice préparatoire avant son déploiement. Tout au long de sa carrière et lors de son déploiement, il a reçu une formation au sujet du maniement d’un certain nombre d’armes, dont le système d’armes télécommandées des VBL, mais il n’avait reçu aucune formation relativement au système d’arme C19. Il n’était pas qualifié en matière de tir de campagne.

 

[15]      Au cours du déploiement, son peloton a participé de près à des patrouilles régulières dans la ville de Kandahar. Dans le cadre de ses fonctions, il a compris qu’il devait former ses soldats régulièrement au champ de tir, sur les ordres du Major Lunney.

 

[16]      Quelques jours avant le 12 février, lors de rencontres de cadres supérieurs à Stab A, y compris le Capitaine Watts, l’adjudant Ravensdale a proposé que l’on forme les membres du peloton relativement au maniement du système d’arme C19 afin de mieux préparer les soldats à patrouiller une zone dangereuse de la ville de Kandahar. L’Adjudant Ravensdale s’était récemment joint au peloton après que celui-ci eut subi plusieurs pertes. Le Major Lunney a approuvé l’idée, même si le capitaine Watts lui a dit qu’il n’était pas qualifié relativement à l’utilisation du système d’arme C19. Le Capitaine Watts se fondait sur l’Adjudant Ravensdale pour que celui-ci dirige l’exercice relatif à l’explosion des mines C19, parce qu’il avait compris que l’adjudant était très compétent en la matière à titre de « pionnier - niveau avancé », et il a semblé au Capitaine Watts que le Major Lunney faisait confiance à l’Adjudant Ravensdale.

 

[17]      Au champ de tir, le Capitaine Watts était responsable de la mise à feu depuis les VBL. Il ne s’est jamais fait dire qu’il avait des responsabilités liées à la sécurité de l’ensemble du champ de tir. Une nuit ou deux avant l’exercice en question, il a fait des recherches au sujet du système d’arme C19 et a trouvé le renvoi au modèle à la page 2AK-1 de la pièce 17, le manuel de sécurité susmentionné. Le modèle comporte des diagrammes de la configuration du système d’arme C19 et illustre la direction du tir, la « zone de danger », la « zone létale » et la « zone interdite », toutes par rapport au pas de tir. Le contrevenant n’a pas vu la pièce 42, la brochure concernant le système d’arme C19 et comportant une description assez détaillée des possibilités et de la configuration de l’arme ainsi que de la procédure de mise à feu connexe.

 

[18]      Le 12 février, il a donné des ordres de patrouille au 2e peloton relativement au déplacement par voie terrestre vers Kan Kala et a commandé la patrouille de son peloton à l’extérieur du champ de tir, vérifié les activités normales dans la zone ciblée et obtenu une restriction applicable à l’espace aérien. Il a obtenu l’autorisation de passer aux conditions de tir réel et a transmis cette autorisation à ses subalternes. L’Adjudant Ravensdale a donné des renseignements détaillés sur le champ de tir. Au cours de l’exercice de tir, le Capitaine Watts s’est occupé de la surveillance immédiate de l’équipage des VBL sous son commandement et a pris part au tir à l’aide de ces systèmes d’arme. Lorsque le Caporal Brettner a fait exploser sa mine C19, le Capitaine Watts avait terminé les tirs effectués à l’aide des armes des VBL et recevait des instructions de l’un de ses soldats au sujet du système d’arme C19. Il a cru qu’à titre de soldats de l’infanterie, ses soldats et les militaires du rang plus anciens de son peloton avaient reçu une formation concernant le système d’arme C19 et connaissaient bien celui-ci et personne ne semblait avoir de préoccupations au sujet de la sécurité.

 

[19]      La poursuite soutient qu’il convient en l’espèce d’infliger au contrevenant une peine de 18 mois d’emprisonnement, assortie de la destitution des Forces canadiennes. De plus, la poursuite demande à la cour d’interdire au contrevenant d’avoir des armes en sa possession pendant une période de cinq ans. Elle affirme que les faits de la présente affaire montrent que le contrevenant a fait preuve d’irresponsabilité en ce qui a trait à la sécurité des soldats sous son commandement, ce qui a causé directement les blessures très graves subies par quatre d’entre eux ainsi que le décès d’un autre. Elle reproche au contrevenant d’avoir négligé de se familiariser avec l’arme afin d’être conscient des risques liés à l’utilisation de celle-ci pour ses soldats, même s’il avait immédiatement accès à des ressources, notamment la compétence spécialisée de son commandant adjoint, l’Adjudant Ravensdale, et les publications écrites portant sur le système d’arme C19. Même si le contrevenant avait vu le modèle de ce système d’arme dans le manuel de sécurité susmentionné, il ne s’est pas assuré que ses soldats se trouvaient à l’extérieur de la zone de danger ou qu’ils étaient à l’abri, ni qu’ils avaient reçu une formation pratique liée au maniement de cette arme avant de passer aux conditions de tir réel, contrairement aux exigences énoncées dans le manuel en question.

 

[20]      On dit fréquemment, et plus souvent qu’autrement à mots couverts, que la tâche du juge chargé d’infliger une peine au contrevenant est difficile. Elle n’est pas plus facile dans un cas semblable à la présente affaire, qui concerne des infractions de négligence pénale dont les conséquences terribles peuvent, de l’avis de certains, sembler démesurées par rapport au degré de faute. Il est facile de comprendre la relation entre le fait de brandir consciemment et volontairement une arme tranchante en direction de l’adversaire, par exemple, et la blessure grave, voire le décès, qui découle de ce geste, et d’évaluer en conséquence le caractère répréhensible de celui-ci dans l’ensemble des circonstances. Cependant, cette tâche devient beaucoup plus ardue lorsqu’il s’agit, comme c’est le cas en l’espèce, d’évaluer ce que le contrevenant aurait dû faire, mais n’a pas fait.

 

[21]      J’en suis arrivé à la conclusion que la peine recommandée par la poursuite est trop sévère, pour deux grandes raisons. D’abord, les décisions que le procureur de la poursuite a citées n’appuient pas l’imposition d’une peine d’emprisonnement dans des circonstances semblables. Dans l’affaire R c Major Paik, une rétrogradation au grade de lieutenant et un blâme ont été infligés au contrevenant, qui avait été accusé de négligence dans l’exécution d’une tâche militaire par suite du décès par électrocution d’un soldat pendant la construction d’un hangar en Bosnie. Le contrevenant avait commis plusieurs erreurs de jugement qui avaient exposé le soldat à ce qui a été décrit comme un danger évident. Son subalterne, le Capitaine Ives, a plaidé coupable à une accusation de négligence dans l’exécution d’une tâche militaire par suite du même incident. Sa conduite a été décrite comme un facteur ayant contribué au décès de la victime, sans toutefois constituer la seule cause du drame, et le degré de négligence dont il avait fait preuve ne pouvait être considéré comme minime ou limite. Il a été condamné à une rétrogradation au grade de lieutenant, à un blâme et à une amende de 3 000 $.

 

[22]      Dans l’affaire du Major Hirter, le contrevenant a été déclaré coupable de trois infractions de négligence dans l’exécution d’une tâche militaire et d’une infraction de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline par suite d’un exercice dans des conditions de tir réel qui s’est mal déroulé et qui a entraîné la mort d’un soldat. Le major Hirter a été condamné à une rétrogradation au grade de capitaine et à un blâme et, en appel devant la Cour d’appel de la Cour martiale, la peine a été confirmée. Bien que d’autres décisions de tribunaux civils portant sur la détermination de la peine à l’égard de différents types d’infractions de négligence aient également été invoquées, ces décisions ne m’apparaissent pas particulièrement utiles pour la détermination de la peine à infliger en l’espèce.  

 

[23]      J’ai également examiné deux décisions de la Cour d’appel de la Cour martiale qu’aucun des deux avocats n’a mentionnées. Les deux décisions découlaient de la torture et du décès d’un civil somalien détenu par des soldats canadiens en mars 1993 au cours de l’opération Delivrance. Le Sergent Boland était le commandant de section et n’a rien fait pour empêcher les soldats sous ses ordres de maltraiter le prisonnier en sa présence. Il a plaidé coupable à une infraction de négligence dans l’exécution d’une tâche militaire et la peine de 90 jours d’emprisonnement que lui avait infligée une cour martiale générale a été portée à une peine de douze mois d’emprisonnement en appel devant la Cour d’appel de la Cour martiale (CMAC-374, décision rendue le 16 mai 1995).

 

[24]      Dans une affaire connexe, le Major Seward a permis par ordre que des prisonniers soient maltraités, ce qui a entraîné une perte totale de discipline qui s’est traduite par des actes de torture ayant entraîné la mort. Après avoir reçu un blâme à l’issue de son procès pour négligence dans l’exécution d’une tâche militaire, le contrevenant a été condamné à une peine de trois mois d’emprisonnement par la Cour d’appel de la Cour martiale et a été destitué des Forces canadiennes (CMAC-376, décision rendue le 27 mai 1996).

 

[25]      En second lieu, j’estime que la peine que recommande la poursuite est incompatible avec celle qu’elle a proposée dans le cas du Major Lunney, qui a plaidé coupable devant moi à une accusation de négligence dans l’exécution d’une tâche militaire. Les faits admis aux fins de la détermination de la peine ont révélé que le Major Lunney avait omis de s’assurer que son subalterne, le Capitaine Watts, possédait les compétences voulues pour le maniement du système d’arme C19, grâce à une formation ou à de l’expérience en la matière, avant d’être nommé officier responsable d’un exercice de tir. Selon le manuel intitulé « Entraînement opérationnel Sécurité à l’entraînement », qui a été cité à la cour, « les armes et systèmes d’arme ne doivent jamais être assignés à la charge de quiconque n’est pas qualifié sur l’arme ou le système d’arme autre que pour la sauvegarde, le transport ou l’entreposage ». Dans le cas du Major Lunney, le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont recommandé conjointement une rétrogradation au grade de capitaine et un blâme et, le 13 septembre 2012, à Asticou, j’ai accepté la proposition conjointe et imposé la peine recommandée.

 

[26]      J’ai déjà mentionné le principe de la parité, qui s’applique à la détermination de la peine. Il est énoncé en ces termes à l’alinéa 718.2b) du Code criminel :

 

Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :

b) l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables.

 

[27]      Le principe codifié aujourd’hui à l’alinéa 718.2b) était déjà appliqué depuis longtemps avant d’être ajouté au Code criminel. Ainsi, dans R c Chisholm (1985), 18 C.C.C. (3d) 518 (à la page 529), la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a formulé les remarques suivantes :

 

[TRADUCTION]

Bien entendu, la détermination de la peine est une science inexacte nécessitant l’application d’une combinaison de nombreux facteurs dont les buts sont souvent contradictoires et dont il n’est pas toujours facile de concilier les intérêts. Cependant, en général, la cour devrait tenter d’infliger une peine allant de pair avec celle qui a été infligée à un coaccusé à l’égard de la même infraction. Il ne s’agit pas ici simplement d’assurer un traitement égal. L’infliction de peines similaires dans ces circonstances permet d’éviter le ressentiment et l’amertume que pourrait ressentir autrement la personne qui reçoit une peine plus sévère, ce qui risque d’amoindrir ses chances de réadaptation. Les peines infligées au coaccusé qui semblent totalement inadéquates ou excessives devraient être ignorées. En termes simples, si toutes les circonstances sont semblables, la peine infligée à l’accusé et à son coaccusé devrait être la même.

 

[28]      Plus récemment, le 10 mai 2010, le juge McPherson, de la Cour d’appel de l’Ontario, s’est exprimé comme suit au paragraphe 17 du jugement rendu dans R c Mann :

 

[TRADUCTION]

Bien que la parité soit un principe directeur en matière de détermination de la peine, il ne doit pas être appliqué de manière inconditionnelle, comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a souligné dans R c Miller (J.) (2002), 163 O.A.C. 63, au paragraphe 9 : « la parité n’est que l’un de plusieurs principes à prendre en compte pour déterminer la peine qui convient et elle ne peut dicter en soi le résultat dans tous les cas qui concernent des contrevenants similaires ayant commis des crimes semblables ». Dans R c L.M., [2008] 2 R.C.S. 163, au paragraphe 36, la Cour suprême du Canada a exprimé une opinion semblable : « Des peines prononcées à l’égard des mêmes catégories d’infraction ne seront pas toujours parfaitement semblables, en raison de la nature même d’un processus de détermination de la peine axé sur l’individu. En effet, le principe de la parité n’interdit pas la disparité si les circonstances le justifient, en raison de l’existence de la règle de la proportionnalité (souligné dans l’original; voir également R c Ipeelee, 2012 CSC 13, par le juge LeBel, au paragraphe 79).                                           

 

[29]      Étant donné que les infractions commises par le Major Lunney et le Major Watts découlent des mêmes faits, elles comportent évidemment certaines similitudes. Les deux officiers sont coupables d’infractions de négligence commises dans le cadre d’un entraînement au maniement d’armes dans un contexte opérationnel dont les conséquences ont été tragiques. Cependant, il existe également des différences importantes entre le cas du Major Lunney et celui du Major Watts. Le Major Lunney a plaidé coupable à une seule accusation, tandis que le Major Watts a été déclaré coupable après avoir subi son procès relativement à deux infractions de négligence et à une accusation d’infliction illégale de blessures corporelles à quatre soldats par suite de sa négligence. Les deux officiers étaient sur les lieux lors de l’exercice de tir, bien que pour des raisons différentes. Le Major Lunney se trouvait là pour faire pratiquer les membres de son personnel et, même s’il occupait un grade supérieur, il a demandé à juste titre l’autorisation d’un militaire du rang plus ancien avant de passer aux conditions de tir réel. Pour sa part, le Major Watts était directement responsable de la sécurité de tous les soldats de son peloton, que le Major Lunney ait été présent ou non. Néanmoins, je ne suis pas convaincu que les différences entre le cas du Major Lunney et celui du Major Watts appuient un si grand écart entre les peines à infliger à chacun d’eux et justifieraient l’incarcération dans le cas du Major Watts.

 

[30]      L’avocat de la défense soutient qu’une réprimande constituerait une sanction appropriée. Il affirme que la conduite du contrevenant s’inscrit dans le contexte d’une série d’actes et d’omissions caractéristiques d’un comportement négligent. Le contrevenant a bien agi en informant son supérieur de son manque d’expérience et de compétence relativement au maniement de l’arme et en demandant à son commandant adjoint, qui était raisonnablement perçu à l’époque comme une personne compétente en la matière, de diriger en bonne et due forme l’exercice de tir. La preuve présentée ne permet pas de comprendre pourquoi cette mine a explosé vers l’arrière, en direction des soldats, plutôt qu’à l’endroit de la cible présumée. En ce qui a trait à l’infliction de blessures corporelles, l’acte illégal invoqué par la poursuite résidait dans la négligence découlant de l’omission de retirer les soldats ou de s’assurer qu’ils étaient à l’abri. Selon l’avocat de la défense, ce type de négligence figure parmi les moins graves des infractions allant à l’encontre de l’article 269 du Code criminel car, dans la plupart de ces cas, l’acte illégal ayant causé les blessures corporelles est un acte intentionnel et, par conséquent, plus répréhensible.

 

[31]      Bien que les arguments formulés pour le compte du Major Watts soient valables jusqu’à un certain point, j’estime qu’une simple réprimande est tout à fait insuffisante en l’espèce, eu égard au degré de responsabilité du contrevenant relativement aux événements tragiques survenus le 12 février 2010. En ce qui concerne la nature répréhensible d’un acte de négligence pénale, je me suis fondé en partie sur les remarques suivantes que Madame la juge McLaughlin a formulées pour son compte et pour celui de trois autres juges de la Cour suprême du Canada dans R c Creighton, [1993] 3 RCS 3 :

 

La question de la mens rea se posera seulement s’il a été démontré que la conduite de l’accusé (l’actus reus) constitue un acte dangereux et illégal (comme l’homicide involontaire coupable résultant d’un acte illégal) ou un écart marqué par rapport à la norme de diligence d’une personne raisonnablement prudente (comme l’homicide involontaire coupable résultant d’une négligence criminelle ou les infractions de négligence pénale). Cela dit, il n’y aura que de rares cas d’incompatibilité avec l’interdiction de punir les personnes moralement innocentes. En ce qui concerne les activités non réglementées, le gros bon sens suffit normalement pour qu’une personne qui s’interroge sur le risque de danger inhérent à une activité puisse apprécier ce risque et agir en conséquence, que l’acte en question consiste à lancer une bouteille (comme dans l’affaire R. c. De Sousa) ou à prendre part à une bagarre dans un débit de boissons. Pour bon nombre d’activités, comme la conduite d’un véhicule automobile, nécessitant l’obtention d’un permis, on doit posséder des connaissances et une expérience minimales avant de se voir accorder l’autorisation de s’y livrer (voir l’arrêt R. c. Hundal). Dans le cas où une personne entreprend une activité pour laquelle elle n’a pas suffisamment de connaissances, d’expérience ou d’adresse physique, elle peut à bon droit être jugée fautive, non pas tant en raison de son incapacité à bien exécuter l’acte, mais à cause de sa décision de le tenter sans avoir pris en compte ses déficiences personnelles. Du point de vue juridique, on s’attend que quiconque se lance dans une activité dangereuse pose des questions ou demande de l’aide avant de s’engager trop avant. Aussi, même le défendeur le plus inexpérimenté peut à juste titre être jugé moralement coupable du fait d’avoir entrepris un projet dangereux sans s’être donné la peine de bien se renseigner. Le droit criminel prescrit une unique norme minimale que doivent observer tous ceux qui se livrent à l’activité en question, pourvu qu’ils jouissent de la capacité requise pour se rendre compte du danger, cette norme devant être évaluée en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire, y compris les événements imprévus et les renseignements erronés auxquels le destinataire a raisonnablement ajouté foi. En l’absence d’une norme minimale constante, l’obligation juridique se trouverait être minée et la sanction pénale banalisée.

 

[32]      Quel est donc le degré de faute morale en l’espèce? Dans la présente affaire, le contrevenant ne s’est pas suffisamment familiarisé avec les dangers inhérents à l’arme C19 et il n’a pas pris non plus les simples mesures de précaution qui auraient empêché un décès et des blessures et qu’il aurait fort bien pu prendre à mon avis s’il s’était suffisamment informé des risques. Il aurait dû savoir, à la lumière de sa propre formation, que la compétence dans le maniement des armes s’acquiert progressivement, bien avant les tirs réels au champ de tir.

 

[33]      Je ne puis accepter l’excuse que le contrevenant a fréquemment invoquée au cours de son témoignage au procès et selon laquelle il avait confié la direction de l’exercice relatif au maniement du système d’arme C19 à son commandant adjoint. Comme le procureur de la poursuite l’a souligné à juste titre, un officier peut déléguer des tâches, mais non des responsabilités. Cette observation succincte est davantage qu’une simple platitude. Elle fait ressortir un aspect important de la nature du commandement dans les Forces canadiennes qui rend unique la relation entre un officier et ses subalternes, laquelle relation est bien différente de celle qui existe entre le superviseur et l’employé et que la plupart d’entre nous, que nous soyons civils ou militaires, connaissons peut-être mieux.

 

[34]      Eu égard aux normes relatives à la sécurité au champ de tir, qui sont clairement énoncées dans la publication relative à la sécurité à l’entraînement, il incombait au Major Watts, à titre d’officier qui commandait sur place les soldats de son peloton, de se familiariser avec le système d’arme C19 et de veiller à ce que les normes de sécurité prescrites soient respectées au cours de l’exercice de tir auquel ses soldats participaient. De toute évidence, il était insuffisant pour lui de présumer simplement que son subalterne, l’Adjudant Ravensdale, savait ce qu’il faisait sans prendre de mesures pour s’assurer que tel était effectivement le cas afin de pouvoir corriger toute lacune qu’il aurait pu observer ou qui aurait pu être portée à son attention au cours de l’exercice. La suggestion selon laquelle d’autres personnes qui étaient présentes étaient aussi bien placées que le contrevenant pour sonner l’alarme si la sécurité était compromise ne me semble tout simplement pas pertinente.

 

[35]      Le Major Watts s’est joint au King’s Own Calgary Regiment (Corps blindé royal canadien) à titre de soldat en 1986 et a été commissionné en 1989. Libéré en 1993, il a joint à nouveau le régiment en 2003, après s’être marié et avoir fondé une famille. Il a toujours servi dans la Force de réserve, où il s’est distingué par son dévouement pour son travail et ses soldats. Il appert des lettres de témoignage que son avocat a présentées en preuve qu’il est très estimé de ses collègues et des militaires du rang. Deux des soldats qui ont été gravement blessés le 12 février ont fait l’éloge du Major Watts comme officier et leader.

 

[36]      Il m’apparaît indéniable que le contrevenant est un membre très apprécié de son unité et qu’il avait de très bonnes chances d’obtenir des promotions et de se voir confier de plus grandes responsabilités. En plus d’exercer des fonctions au sein de la Force de réserve, il participe à la vie communautaire, notamment en occupant un poste de pompier à temps plein et en faisant du bénévolat dans ses temps libres pour venir en aide aux autres. De nombreux témoins ont affirmé au cours du procès et après le prononcé des verdicts qu’il avait un bon caractère, qu’il se préoccupait des soldats sous son commandement, à la fois sur les plans professionnel et personnel, et qu’il avait le souci du détail.

 

[37]      Compte tenu de l’ensemble des circonstances concernant tant les infractions que le contrevenant, je ne crois pas que la destitution des Forces canadiennes convienne en l’espèce, principalement pour les raisons susmentionnées pour lesquelles je ne crois pas que l’emprisonnement soit approprié, mais aussi parce que je pense que le contrevenant peut continuer à apporter une contribution importante comme membre des Forces canadiennes. Je suis enclin à croire que le contrevenant comprendra avec le temps les responsabilités dont il a omis de s’acquitter à cette occasion et qu’il peut demeurer un officier très efficace au sein des Forces canadiennes.

 

[38]      À mon avis, la rétrogradation permet d’atteindre convenablement les objectifs de la dissuasion et de la réadaptation. Cet exemple rappellera aux autres l’importance à accorder à la sécurité des soldats canadiens, même, et peut-être surtout, dans un théâtre de guerre. Toutefois, comme je l’ai souligné dans d’autres affaires, un grade perdu peut être recouvré. En conséquence, la peine fait également ressortir un élément important de dissuasion.

 

[39]      Je me suis demandé s’il y avait lieu en l’espèce de rendre une ordonnance interdisant la possession d’armes aux termes de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale. Bien que les infractions concernent l’utilisation d’un explosif, je ne suis pas convaincu qu’il est souhaitable, pour la sécurité du contrevenant ou pour celle d’autrui, de rendre une ordonnance de cette nature et je refuse de le faire. Major Watts, veuillez vous lever.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[40]      CONDAMNE le contrevenant, le Major Watts, à la rétrogradation au grade de lieutenant ainsi qu’à un blâme.


 

Avocats :

 

Major A.M. Tamburro, Service canadien des poursuites militaires

Co-procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major R.D. Kerr, Service canadien des poursuites militaires

Co-procureur de Sa Majesté la Reine

 

Me B. Der, DerBurgis Criminal Lawyers, 2410-645 7 Avenue South West, Calgary (Alberta)

Avocat du Major D.W. Watts

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