Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 10 juin 2013.

Endroit : BFC Gagetown, édifice F-1, Oromocto (NB).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel établit par elle.
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 130 LDN, emploi d’un document contrefait (art. 368(1) C. cr.).
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 117f) LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 4 : Une suspension d’instance. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 300$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Keenan, 2013 CM 4010

 

Date : 20130613

Dossier : 201337

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Gagetown

Gagetown (Nouveau‑Brunswick)

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporale N.L.M. Keenan, accusée

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.

 


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

INTRODUCTION

 

[1]               La caporale Keenan est accusée d’avoir fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel établi de sa main, d’avoir employé un document contrefait, d’avoir commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale et d’avoir eu une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Tous ces chefs d’accusation concernent une feuille d’itinéraire et de demande de remboursement préparée et soumise par la caporale Keenan.

 

LE DROIT APPLICABLE

 

[2]               Avant que la cour ne procède à l’analyse de la preuve et des accusations, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. Ces principes sont bien connus des avocats, mais peut-être pas des autres personnes présentes dans la salle d’audience.

 

[3]               Il est juste de dire que la présomption d’innocence est sans aucun doute le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable en est un élément essentiel. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal canadien, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. L’accusé n’a pas à prouver son innocence. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction. L’accusé est présumé innocent tout au long de son procès, jusqu’à ce que le juge des faits rende un verdict.

 

[4]               La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité de l’accusé. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé, mais jamais à l’accusé de prouver son innocence.

 

[5]               Si, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la cour a un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé, elle doit le déclarer non coupable. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques.

 

[6]               Dans l’arrêt R c Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un cadre d’analyse en matière de doute raisonnable. Les principes établis dans cet arrêt ont été maintes fois appliqués par la Cour suprême et les cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas reposer sur la sympathie ou sur un préjugé, mais sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne a été accusée n’indique absolument pas qu’elle est coupable.

 

[7]               Au paragraphe 242 de l’arrêt R c Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême du Canada a statué que :

 

[…] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n’est pas tenue de le faire. La certitude absolue n’est pas une norme de preuve en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé, en l’occurrence la caporale Keenan, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[8]               La preuve peut comprendre des affirmations solennelles ou des témoignages sous serment faits devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut être constituée de documents, de photographies, de cartes ou d’autres éléments présentés par les témoins, de témoignages d’experts, d’aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense ou d’éléments dont la cour prend judiciairement connaissance.

 

[9]               Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés au tribunal soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents des faits. La cour doit déterminer quels éléments de preuve elle estime crédibles.

 

[10]           La crédibilité n’est pas synonyme de véracité et l’absence de crédibilité ne signifie pas mensonge. La cour doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d’un témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer ou les raisons d’un témoin de se souvenir. Quelque chose en particulier a-t-il aidé le témoin à se souvenir des détails de l’événement qu’il a décrit? Les événements étaient-ils remarquables, inhabituels et frappants ou plutôt relativement anodins et, par conséquent, naturellement plus faciles à oublier? Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[11]           L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur pouvant servir à évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il sans cesse? Enfin, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contestés?

 

[12]           De légères divergences, qui peuvent survenir et qui surviennent en toute innocence, ne signifient pas nécessairement qu’il y a lieu d’écarter un témoignage. Par contre, il en va tout autrement d’un mensonge délibéré. Un tel mensonge est toujours grave et pourrait bien entacher l’ensemble du témoignage.

 

[13]           La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins qu’il ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[14]           La cour doit porter son attention sur le critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c W. (D), [1991] 1 R.C.S. 742. Ce critère est formulé comme suit :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

 

Troisièmement, même si n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé..

 

Dans R. c. J.H.S., 2008 CSC 30, au paragraphe 12, la Cour suprême du Canada a cité, en l’approuvant, le passage suivant de l’arrêt R. c. H (C.W.) (1991), 68 C.C.C. (3d) 146, où le juge Wood, de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, a formulé une directive supplémentaire :

 

[traduction] Dans ces cas, j’ajouterais la directive supplémentaire suivante qui, logiquement, devrait être la deuxième : « Si, après un examen minutieux de tous les éléments de preuve, vous êtes incapables de décider qui croire, vous devez prononcer l’acquittement. »

 

[15]           Ayant procédé à cet exposé sur le fardeau de la preuve et sur la norme de preuve, j’examinerai maintenant les questions en litige. La preuve soumise à la cour martiale est formée essentiellement d’éléments du domaine de la connaissance judiciaire, de témoignages, d’aveux et de pièces. La cour a pris connaissance judiciaire des éléments mentionnés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve. La poursuite a produit en preuve deux pièces. Les aveux figurent à la pièce 3. La poursuite a présenté six témoins, à savoir Mme Roy, le caporal Munroe, le caporal Duval, le soldat Labbe, le sergent Cummins et le sergent Penney. La caporale Keenan a également témoigné.

 

[16]           Un groupe de coureurs de la Base des Forces canadiennes Gagetown a participé à la Course de l’Armée 2012 à Ottawa et a été transporté à Ottawa par autobus le vendredi 21 septembre. La course a eu lieu le dimanche 23 septembre, et le groupe est rentré à Gagetown par autobus le lundi 24 septembre. Le groupe était hébergé à l’hôtel Marriott. Des chambres particulières étaient attribuées aux coureurs, et chaque chambre était occupée par deux d’entre eux. La caporale Keenan a conduit un autobus dans le cadre de la formation qu’elle suivait pour apprendre à conduire ce genre de véhicule, un autocar. À son retour à Gagetown, elle a rempli et soumis une feuille d’itinéraire et de demande de remboursement à son répartiteur.

 

[17]           Les accusations 1 et 2 ont été portées à titre subsidiaire. Le premier chef d’accusation précise ce qui suit :

 

[traduction] Le 25 septembre 2012, ou vers cette date, à la Base des Forces canadiennes Gagetown, au Nouveau‑Brunswick, ou à proximité de cette base, l’accusée a rempli une feuille d’itinéraire et de demande de remboursement en indiquant que la chambre pour deux personnes avait été changée pour une chambre individuelle parce que sa chambre avait été annulée, ou en utilisant un libellé en ce sens, sachant que c’était faux.

 

La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de cette infraction :

 

a)         l’identité de l’accusée à titre de contrevenante ainsi que les date et lieu allégués dans l’acte de l’accusation;

 

b)                  le fait que la caporale Keenan a rempli une feuille d’itinéraire et de demande de remboursement;

 

c)                  le fait que la caporale Keenan a inscrit que la chambre pour deux personnes avait été changée pour une chambre individuelle parce que sa chambre avait été annulée;

 

d)                 le fait que l’inscription était fausse;

 

e)                  le fait que la caporale Keenan savait que l’inscription était fausse;

 

f)                   le fait que la caporale Keenan a sciemment fait l’inscription sur la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement;

 

g)                  le fait que la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement était exigée à une fin militaire officielle.

 

[18]           L’avocat de la défense ne conteste pas l’identité de la contrevenante ni la date et le lieu de chaque infraction. La preuve présentée à la cour établit hors de tout doute raisonnable ces éléments des quatre infractions. La caporale Keenan a témoigné qu’elle avait sciemment rempli une feuille d’itinéraire et de demande de remboursement et inscrit que la chambre pour deux personnes avait été changée pour une chambre individuelle parce que sa chambre avait été annulée. Le témoignage de la caporale Keenan et de chaque témoin indique nettement que la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement est un document exigé à une fin militaire officielle.

 

[19]           La question de savoir si l’inscription était fausse et si la caporale Keenan savait que l’inscription était fausse touche au cœur de l’infraction en cause. L’avocat de la défense soutient que la caporale Keenan croyait l’inscription véridique, ayant d’abord été avisée par Mme Hood qu’elle occuperait une chambre individuelle, puis informée toujours par cette dernière qu’une chambre pour deux personnes lui avait été attribuée parce qu’elle avait été retirée de la liste des conducteurs. La chambre annulée mentionnée dans la section des commentaires de la feuille était cette chambre individuelle, et non la chambre qu’elle était censée partager avec le soldat Labbe. Bien qu’il se soit abstenu de parler de la crédibilité et de la fiabilité de la caporale Keenan, le procureur a qualifié d’absurde le témoignage de la contrevenante sur sa chambre d’hôtel.

 

[20]           La caporale Keenan a témoigné avoir reçu un courriel dans lequel Mme Jessica Hood l’informait qu’elle occuperait une chambre individuelle à Ottawa à titre de conductrice. Elle a cependant appris qu’elle partagerait une chambre lorsqu’elle a reçu le courriel du 12 septembre de l’adjudant Stillwell. Elle a ensuite parlé à Mme Hood et lui a également transmis par courriel une demande de chambre individuelle. Mme Hood lui a dit qu’elle examinerait la question. Mme Hood a par la suite informé la caporale Keenan que le major Meaney lui avait dit que la chaîne de commandement avait retiré le nom de la caporale Keenan de la liste des conducteurs. La caporale Keenan a dit à Mme Hood qu’elle avait besoin d’une chambre individuelle à titre de conductrice. Selon le témoignage de la caporale Keenan, Mme Hood lui a dit d’essayer d’obtenir une chambre individuelle à titre de conductrice lorsqu’elle arriverait à l’hôtel, parce qu’au moment où elles se parlaient, aucune chambre n’était libre. La caporale Keenan a témoigné qu’elle croyait pouvoir occuper une chambre individuelle parce que la politique énonçait qu’un conducteur devait dormir huit heures et obtenir une chambre individuelle. Elle savait qu’elle pouvait demander un remboursement de 119 $ seulement pour la chambre, les repas et les frais accessoires parce que Mme Roy le lui avait dit à la réception de la demande de remboursement et parce que cette information se trouvait aussi dans le courriel figurant à la pièce 4. La caporale Keenan a déclaré que Mme Roy avait reçu ce courriel et le lui avait envoyé, à elle et aux autres ([traduction] « nous », selon le témoignage de la caporale Keenan). Personne ne lui a dit, a-t‑elle affirmé, qu’elle ne pouvait avoir de chambre individuelle.

 

[21]           La caporale Keenan a conduit l’autobus d’Edmundston à Ottawa, et d’Ottawa à Gagetown. Elle a demandé une chambre individuelle à son arrivée à l’hôtel. Le personnel lui a dit que l’hôtel était en surréservation et a mis environ 40 minutes pour lui trouver une chambre. Il s’agissait d’une chambre individuelle à 159 $ la nuit, frais et taxes applicables en sus. Selon la description faite par la caporale Keenan, la chambre était très sale, et des carreaux étaient cassés. Bien qu’elle ne l’ait pas mentionné au personnel de l’hôtel, elle a témoigné en avoir parlé aux caporaux Munroe et Dugal au souper.

 

[22]           La caporale Keenan a témoigné que l’inscription selon laquelle [traduction] « la chambre avait été annulée » sur la feuille concernait la première chambre individuelle qui avait été réservée pour elle selon ce que lui avait dit Mme Hood, et non à la chambre qu’elle était censée partager avec le soldat Labbe. Elle a expliqué avoir fait l’inscription [traduction] « Aucune chambre libre au tarif original pour le 3 GSS » dans la section des commentaires parce qu’elle savait qu’elle aurait à expliquer pourquoi elle avait payé 159 $, et non 119 $. Elle a également affirmé avoir inscrit 539 01 $ pour le coût de la chambre parce que c’était le montant indiqué sur la note d’hôtel.

 

[23]           Elle a affirmé qu’elle n’entendait pas demander le plein remboursement du coût de la chambre et avait pour cette raison inscrit des commentaires sur le formulaire. Elle croyait avoir droit à 119 $ seulement, étant donné qu’il s’agissait du seul montant autorisé. Elle a ajouté ne pas avoir inscrit le montant de 119 $ dans la section des commentaires parce que Mme Roy était au courant et qu’il ne lui revenait pas de dire à Mme Roy comment faire son travail. Elle a tenu pour acquis que Mme Roy s’occuperait de la demande.

 

[24]           Durant son contre‑interrogatoire, la caporale Keenan a témoigné qu’elle avait rempli de nombreuses demandes de remboursement auparavant et souvent fourni des renseignements additionnels, et qu’elle savait que les Forces canadiennes avaient besoin de ces renseignements pour traiter les demandes. Elle a reconnu qu’elle n’avait pas le pouvoir de régler ni de finaliser sa demande. Le répartiteur affecte habituellement les conducteurs, mais dans ce cas‑ci, c’est l’adjudant Langley qui avait attribué la tâche à la caporale Keenan en sa qualité de conductrice à l’entraînement. Elle a reconnu que Mme Hood, une civile, ne faisait pas partie de la chaîne de commandement et n’avait aucune autorité militaire.

 

[25]           Elle a témoigné avoir parlé à l’adjudant Stillwell après avoir vu le courriel figurant à la pièce 4, lequel lui aurait dit de communiquer avec Mme Hood. L’adjudant Stillwell n’a rien autorisé et n’a rien interdit. Même si elle savait que le sergent Cummins, un autre conducteur MMS d’une compagnie de transport, faisait partie du groupe se rendant à Ottawa, elle n’a pas tenté de lui parler de sa situation.

 

[26]           L’adjudant Stillwell était commis-chef au quartier général des Services techniques du 3 GSS Gagetown (voir le courriel figurant à la pièce 4). Le 12 septembre, il a envoyé un courriel à 19 destinataires pour action, dont 18 des Services techniques du GSS et un de l’EGMFC. Ce courriel donnait les détails nécessaires à ceux qui participaient à la Course de l’Armée. La caporale Keenan faisait partie des destinataires et a appris, dans ce courriel, qu’une chambre pour deux personnes lui avait été attribuée.

 

[27]           Mme Hood aurait dit à la caporale Keenan qu’une chambre pour deux personnes lui avait été attribuée parce que la chaîne de commandement avait retiré son nom de la liste des conducteurs. Comme bon nombre d’aspects du présent procès, la preuve sur ce point est nébuleuse, car aucune explication n’a été donnée ni demandée sur les raisons de cette suppression. Mme Hood aurait ensuite dit à la caporale Keenan d’essayer d’obtenir une chambre individuelle lorsqu’elle arriverait à l’hôtel. La caporale Keenan a donc expliqué ses actes et les commentaires inscrits sur la feuille en se reportant aux discussions qu’elle avait eues avec Mme Hood. Ces éléments de preuve ne sont pas acceptés pour leur véracité, mais seulement pour aider à expliquer les actes de la caporale Keenan.

 

[28]           Le témoignage du sergent Penney, commis‑chef de la compagnie de transport, confirme qu’une personne pouvait réserver une chambre individuelle si elle le souhaitait, mais qu’elle devait payer la différence si cette chambre coûtait plus cher que le tarif autorisé. Le sergent Penney et Mme Roy ont également affirmé que les Forces canadiennes rembourseraient le conducteur s’il n’était pas responsable des frais supplémentaires payés pour la chambre.

 

[29]           La caporale Keenan savait que sa chaîne de commandement l’avait retirée de la liste des conducteurs. Elle en a parlé à l’adjudant Stillwell, qui l’a dirigée vers Mme Hood. Plutôt que de parler à quelqu’un de sa chaîne de commandement au sein de la compagnie de transport, elle a parlé à Mme Hood et décidé, à la suite de cette conversation, de changer de chambre à son arrivée à l’hôtel. Elle n’explique pas pourquoi elle n’a pas parlé à quelqu’un de sa chaîne de commandement, mais elle justifie son besoin d’avoir sa propre chambre simplement en se référant aux règles qu’elle avait apprises pendant son cours à Borden. Elle a déclaré que les autres conducteurs avaient leur propre chambre et qu’elle avait droit à sa propre chambre parce qu’elle était conductrice. Elle a également affirmé qu’elle aurait dû payer la différence si sa demande n’avait pas été approuvée. Selon ses dires, [traduction] « c’est à ça qu’on s’expose ».

 

[30]           En contre‑interrogatoire, elle a déclaré que [traduction] « l’Armée est imprévisible, elle agit comme elle l’entend » quand vient le temps de rembourser quelque chose et que [traduction] « le commis‑chef décide si vous pouvez demander le remboursement du plein montant ». La cour estime que la caporale Keenan fait également ce qui lui convient. Elle apprend que sa chaîne de commandement l’a retirée de la liste des conducteurs et qu’elle doit être traitée comme une simple participante par les organisateurs de l’activité. Pourtant, elle plaide sa cause auprès d’une employée civile ou discute brièvement avec le commis‑chef des Services techniques au lieu d’en parler avec l’adjudant Langley ou avec quelqu’un d’autre de sa chaîne de commandement. Durant son témoignage, afin de justifier ses actes, elle a insisté sur le besoin des conducteurs de se reposer convenablement, mais n’en a pas glissé mot à ses supérieurs avant de partir effectuer sa tâche ou pendant qu’elle l’effectuait.

 

[31]           Elle a témoigné qu’elle était habillée en civil durant le voyage à Ottawa, tandis que les autres conducteurs étaient en tenue DCamC. Il semble qu’elle ait choisi de s’habiller en participante (voir la pièce 4) plutôt qu’en conductrice. Bien qu’aucune explication n’ait été donnée à la cour, il semble une fois encore qu’elle ait agi comme bon lui semblait.

 

[32]           Une chambre individuelle peut bien avoir été réservée puis annulée. Si c’était le cas, il semble que c’était à la suite d’une décision prise par la chaîne de commandement de la caporale Keenan. La caporale Keenan le savait. La caporale Keenan a décidé de réserver une chambre individuelle.

 

[33]           La cour trouve assez confuses les explications données par la caporale Keenan sur sa compréhension des montants dont elle pouvait demander le remboursement pour ce service temporaire particulier et des droits qu’elle avait à titre de conductrice, et sur la façon dont les demandes de remboursement était traitées, selon elle, dans sa compagnie. Elle affirme avoir droit à une chambre individuelle à titre de conductrice, mais devoir payer la différence si la chambre coûte plus cher. Elle ne semble pas tellement faire confiance au processus de traitement des demandes de remboursement dans son unité. Afin d’expliquer pourquoi elle n’avait pas indiqué précisément le montant dont elle demandait le remboursement, elle déclare simplement que Mme Roy connaissait le montant pouvant être demandé et qu’il ne lui revenait pas de dire à Mme Roy comment faire son travail.

 

[34]           La caporale Keenan a écrit [traduction] « la chambre pour deux personnes a été changée pour une chambre individuelle parce que ma chambre a été annulée » dans la section des commentaires de la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement. Dans son témoignage, elle a dit ce qu’elle entendait par ces mots. L’avocat de la défense a soutenu qu’elle n’avait pas à indiquer le montant exact du remboursement demandé. La preuve indique clairement que les personnes doivent remplir le formulaire correctement. Comment les commis pourraient-ils autrement mettre la dernière main aux formulaires et voir à ce que les bons montants soient remboursés par les Forces canadiennes?

 

[35]           La caporale Keenan a inscrit 539,01 $ comme montant payé pour la chambre d’hôtel. Il s’agit du même montant que celui qui figure sur la note d’hôtel et qui a été payé par la caporale Keenan. Rien dans la feuille n’indique au lecteur qu’elle demande le remboursement de seulement 119 $ la nuit pour les frais d’hébergement plutôt que le montant de 159 $ inscrit sur la note d’hôtel. Au contraire, les inscriptions faites dans la section des commentaires indiquent les raisons du changement de chambre et les raisons du coût additionnel.

 

[36]           La cour ne croit pas le témoignage de la caporale Keenan en ce qui concerne ses explications sur les inscriptions faites dans la section des commentaires et l’indication du montant pour la chambre d’hôtel. La chambre individuelle réservée au départ aurait été annulée par Mme Hood d’après une directive reçue de la chaîne de commandement de la caporale Keenan. La décision de changer la chambre pour deux personnes pour une chambre individuelle a été prise par la caporale Keenan. La caporale Keenan savait qui avait annulé sa chambre individuelle. Elle savait qu’elle était censée partager une chambre. Elle a décidé d’obtenir une chambre individuelle.

 

[37]           L’avocat de la défense a fait certains commentaires sur l’annulation de la chambre par la chaîne de commandement de la caporale Keenan et aurait aimé pouvoir questionner les personnes concernées. Leurs témoignages auraient pu être pertinents et utiles pour la cour ou ne pas l’être. Les avocats présentent le dossier à la cour; la cour entend et tranche l’affaire en s’appuyant sur la preuve qui lui est présentée. La cour ne peut tirer aucune conclusion sur cette question particulière puisqu’aucun élément de preuve ne lui a été présenté à cet égard.

 

[38]           La cour ne croit pas que la caporale Keenan, assez avisée pour indiquer qu’il n’y avait pas de chambres libres au tarif original pour le 3 SGG, n’ait pas pensé à indiquer clairement qu’elle demandait le remboursement de seulement 119 $ la nuit. Cette inscription est fausse, parce que la chambre avait été annulée à la suite d’une décision prise par la chaîne de commandement de la caporale Keenan et des arrangements dont il est fait état dans le courriel de l’adjudant Stillwell, de sorte que la caporale Keenan était censée occuper une chambre pour deux personnes, et que la chambre n’avait pas simplement été annulée. Dans les circonstances, la preuve présentée à la cour indique que la caporale Keenan n’avait pas le pouvoir de changer de type de chambre pour une fin militaire officielle. En termes simples, elle n’a pas eu à changer la chambre pour deux personnes pour une chambre individuelle parce que la chambre individuelle réservée au départ avait été annulée, elle a changé de chambre parce qu’elle voulait avoir une chambre individuelle.

 

[39]           L’inscription est fausse parce qu’elle ne représente pas la vérité comme la connaissait la caporale Keenan; elle est vague et trompeuse. Toute personne qui rédige un document sait s’il correspond ou non à la réalité (voir R c Couture (1991) 64 C.C.C. 3(d) 277 QCCA, à la page 230). La cour conclut que l’inscription était fausse et que la caporale Keenan savait qu’elle l’était. La cour conclut en outre que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable chaque élément essentiel de cette infraction.

 

[40]           Le deuxième chef d’accusation précise ce qui suit :

 

[traduction] Le 25 septembre 2012, ou vers cette date, à la Base des Forces canadiennes Gagetown, au Nouveau‑Brunswick, ou à proximité de cette base, l’accusée a sciemment tenté de faire en sorte que Mme Lucie Roy agisse sur la foi d’un document contrefait, à savoir une feuille d’itinéraire et de demande de remboursement, comme si le document était authentique.

 

La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de cette infraction :

 

a)                  l’identité de l’accusée à titre de contrevenante ainsi que les date et lieu allégués dans l’acte de l’accusation;

 

b)                  le fait que la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement était contrefaite;

 

c)                  le fait que la caporale Keenan savait que la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement était contrefaite;

 

d)                 le fait que la caporale Keenan a traité la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement;

 

e)                  le fait que la caporale Keenan a présenté la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement comme un document authentique.

 

[41]           La feuille d’itinéraire et de demande de remboursement était-elle contrefaite? Un document contrefait est un faux document fait par quiconque le sachant faux avec l’intention qu’il y soit donné suite comme s’il était authentique, au préjudice de quelqu’un d’autre. L’endroit où le document a été contrefait et son auteur n’ont pas d’importance.

 

[42]           Pour les motifs énoncés relativement au chef d’accusation no 1, la cour conclut que la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement était un faux document fait par la caporale Keenan. La cour conclut également que la caporale Keenan savait que le document était faux. La caporale Keenan a transmis la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement à sa chaîne de commandement pour qu’elle soit traitée comme toute autre demande de remboursement. La demande de remboursement est finalement parvenue à Mme Roy. La preuve établit hors de tout doute raisonnable que la caporale Keenan avait l’intention de faire traiter son document comme s’il était authentique. Il aurait été employé au préjudice des Forces canadiennes, puisqu’il aurait amené les Forces canadiennes à rembourser à la caporale Keenan un montant auquel elle n’avait pas droit. La cour conclut que la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement était contrefaite.

 

[43]           La caporale Keenan savait-elle que la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement était contrefaite? Cet élément concerne l’état d’esprit de la caporale Keenan, et plus particulièrement sa connaissance du fait que la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement était contrefaite quand elle l’a traitée. Une façon de prouver que la caporale Keenan savait que la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement était contrefaite quand elle l’a traitée consiste à établir que la caporale Keenan savait réellement ou était au courant que le document était contrefait lorsqu’elle l’avait en main. La caporale Keenan n’a pas à savoir ce qui constitue en droit un « document contrefait », mais elle doit connaître les circonstances pertinentes qui font qu’un document est contrefait.

 

[44]           La caporale Keenan a rédigé des commentaires dans la section à cet effet et a inscrit le montant de 539,01 $. Pour les motifs énoncés relativement au chef d’accusation no 1, la cour conclut que la caporale Keenan savait réellement que le document était contrefait quand elle l’avait en main.

 

[45]           La caporale Keenan a‑t‑elle traité la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement? La caporale Keenan a traité la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement en la transmettant à son unité lorsqu’elle tentait de finaliser sa demande.

 

[46]           La caporale Keenan a‑t‑elle présenté la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement comme un document authentique? Présenter un document comme étant authentique signifie le décrire ou le soumettre comme un document authentique, vrai, comme ce qu’il semble être plutôt que comme ce qu’il est réellement et comme ce que la caporale Keenan sait qu’il est. Cet élément suppose l’intention de la caporale Keenan de tromper, par ses paroles ou son comportement, toute personne à qui elle a présenté la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement comme un document authentique. La caporale Keenan a transmis la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement à son unité lorsqu’elle tentait de finaliser sa demande. Elle l’a présentée pour justifier les dépenses dont elle demandait le remboursement. La cour conclut que la caporale Keenan a présenté la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement comme un document authentique. La cour conclut en outre que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable chaque élément essentiel de cette infraction.

 

[47]           Les accusations 3 et 4 ont été portées à titre subsidiaire. Le troisième chef d’accusation précise ce qui suit :

 

Le 25 septembre 2012, ou vers cette date, à la Base des Forces canadiennes Gagetown, au Nouveau‑Brunswick, ou à proximité de cette base, l’accusée a soumis, avec l’intention de frauder, une demande de remboursement de dépenses d’hébergement sachant qu’elle n’y avait pas droit.

 

La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants de cette infraction :

 

a)                  l’identité de l’accusée à titre de contrevenante ainsi que les date et lieu allégués dans l’acte de l’accusation;

 

b)                  le fait que la caporale Keenan a soumis une demande de remboursement de dépenses d’hébergement;

 

c)                  le fait que la caporale Keenan n’avait pas droit à ces dépenses d’hébergement;

 

d)                 la supercherie, en ce sens que la caporale Keenan savait qu’elle n’avait pas droit à ces dépenses d’hébergement;

 

e)                  le fait d’avoir privé autrui d’un droit ou d’un bien par la supercherie, le mensonge ou quelque autre acte malhonnête;

 

f)                   le fait que la caporale Keenan a sciemment fourni ces faux renseignements dans l’intention de frauder les Forces canadiennes.

 

[48]           Il est indubitable que la caporale Keenan a soumis une demande de remboursement de dépenses d’hébergement. La caporale Keenan avait‑elle droit à ces dépenses? La caporale Keenan a demandé un remboursement de 539,01 $ pour sa chambre. Elle était autorisée à demander un remboursement maximal de 403,41 $ pour ces dépenses (voir les pièces 3 et 4). Elle a donc demandé le remboursement d’un montant qui dépassait de 135,60 $ les dépenses autorisées. Pour les motifs énoncés relativement au chef d’accusation no 1, la cour conclut que la caporale Keenan n’avait pas droit à ce montant.

 

[49]           La caporale Keenan savait‑elle qu’elle n’avait pas droit à ces dépenses d’hébergement? Pour les motifs énoncés relativement au chef d’accusation no 1, la cour conclut que la caporale Keenan savait qu’elle n’avait pas droit à ces dépenses.

 

[50]           La caporale Keenan a-t‑elle causé une privation aux Forces canadiennes par la supercherie, le mensonge ou quelque autre acte malhonnête? Le seul fait d’exposer les Forces canadiennes à un risque de privation suffit à prouver la conséquence prohibée visée. Il semblerait que la caporale Keenan ait en définitive reçu un remboursement de 403,41 $ quand sa demande a été finalisée. Pour les motifs exposés relativement au chef d’accusation n1, la cour conclut que la caporale Keenan a, par la supercherie et le mensonge, privé les Forces canadiennes d’un montant de 135,60 $. La privation est en fait un risque de privation puisque le montant n’a pas été remboursé à la caporale Keenan.

 

[51]           La caporale Keenan a‑t‑elle sciemment fourni ces faux renseignements dans l’intention de frauder les Forces canadiennes? Pour les motifs exposés relativement au chef d’accusation n1, la cour conclut que la caporale Keenan a sciemment fourni ces faux renseignements dans l’intention de frauder les Forces canadiennes. La cour conclut en outre que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable chaque élément essentiel de cette infraction.

 

[52]           Le quatrième chef d’accusation précise ce qui suit :

 

Le 25 septembre 2012, ou vers cette date, à la Base des Forces canadiennes Gagetown, au Nouveau‑Brunswick, ou à proximité de cette base, l’accusée a tenté de commettre un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale en soumettant une demande de remboursement de dépenses d’hébergement sachant qu’elle n’y avait pas droit.

 

La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de cette infraction :

 

a)                  l’identité de l’accusée à titre de contrevenante ainsi que les date et lieu allégués dans l’acte de l’accusation;

 

b)                  le fait que la caporale Keenan a soumis une demande de remboursement de dépenses d’hébergement;

 

c)                  le fait que la caporale Keenan savait qu’elle n’avait pas droit à ces dépenses d’hébergement;

 

d)                 le fait que la caporale Keenan a tenté de commettre un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.

 

[53]           La cour a déjà conclu que la poursuite avait prouvé hors de tout doute raisonnable que la caporale Keenan avait commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale, soit une infraction prévue à l’article 117 de la Loi sur la défense nationale.

 

[54]           Le paragraphe 3 de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale énonce clairement que la tentative de commettre l’une des infractions prévues aux articles 73 à 178 de cette même loi est réputée être un acte, un comportement ou une négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline. La poursuite doit seulement prouver qu’il y a eu tentative de commettre l’infraction prévue à l’article 117 pour établir le préjudice au bon ordre et à la discipline.

 

[55]           La tentative de commettre une infraction est une infraction qui requiert l’intention de commettre l’infraction substantielle, en l’occurrence un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale, et un acte ou une omission en vue de réaliser l’intention qui va plus loin que la simple préparation à la perpétration de l’infraction substantielle. Le principal aspect de cette infraction est l’intention coupable (voir R c Cline (1956) 115 C.C.C. 18 CAON).

 

[56]           L’article 24 du Code criminel du Canada codifie l’infraction de tentative. En voici le libellé :

 

                Quiconque, ayant l’intention de commettre une infraction, fait ou omet de faire quelque chose pour arriver à son but est coupable d’une tentative de commettre l’infraction, qu’il fût possible ou non, dans les circonstances, de la commettre.

 

Le paragraphe 2 va comme suit :

 

                Est une question de droit la question de savoir si un acte ou une omission par une personne qui a l’intention de commettre une infraction est ou n’est pas une simple préparation à la perpétration de l’infraction, et trop lointaine pour constituer une tentative de commettre l’infraction.

 

L’infraction de tentative est une infraction exigeant une intention spécifique, en ce sens que la preuve doit établir que l’accusé avait l’intention de commettre l’infraction, en l’espèce l’infraction prévue à l’article 117 (voir R c Ancio, [1984] 1 RCS 225, et R c Lavoie, [1993] RJQ 88).

 

[57]           L’infraction prévue à l’article 117 de la Loi sur la défense nationale est essentiellement la fraude. L’acte de fraude prohibé est la supercherie, le mensonge ou quelque autre acte malhonnête, tandis que la conséquence prohibée est le fait de priver autrui d’un bien ou de simplement exposer autrui au risque d’être privé d’un bien (voir R c Theroux, [1993] 2 RCS, à la page 19).

 

[58]           La cour conclut que la preuve établit hors de tout doute raisonnable que les actes de la caporale Keenan, lorsqu’elle a rempli la feuille d’itinéraire et de demande de remboursement comme elle l’a fait pour ensuite la soumettre à sa chaîne de commandement, constituaient plus qu’une simple préparation à la perpétration de l’infraction. La cour a déterminé que la caporale Keenan avait sciemment fourni ces faux renseignements dans l’intention de frauder les Forces canadiennes. La preuve acceptée par la cour établit hors de tout doute raisonnable que la caporale Keenan avait l’intention de demander frauduleusement le remboursement du montant de 539,01 $ lorsqu’elle a soumis sa feuille remplie. La cour conclut que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable chaque élément essentiel de cette infraction.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[59]           ORDONNE l’arrêt des procédures à l’égard du chef d’accusation no 1.

 

[60]           DÉCLARE la caporale Keenan coupable du chef d’accusation no 2.

 

[61]           DÉCLARE la caporale Keenan coupable du chef d’accusation no 3.

 

[62]           ORDONNE l’arrêt des procédures à l’égard du chef d’accusation no 4.

 


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette D.T. Reeves, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette P.D. Desbiens, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du caporal Keenan

 

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