Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 13 février 2013.

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC) et BFC Petawawa, édifice L-106, Petawawa (ON).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, fraude (art. 380(1) C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire aux chefs d’accusation 3, 4) : Art. 130 LDN, un faux (art. 367 C. cr.).
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel établit par lui.
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel établit par lui.
•Chef d’accusation 5 (subsidiaire aux chefs d’accusation 6, 7) : Art. 130 LDN, un faux (art. 367 C. cr.).
•Chef d’accusation 6 (subsidiaire au chef d’accusation 5) : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel établit par lui.
•Chef d’accusation 7 (subsidiaire au chef d’accusation 5) : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel établit par lui.

Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 3, 4, 5, 6, 7 : Retirés.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 30 jours.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Edmunds, 2013 CM 4015

 

Date : 20130719

Dossier : 201272

 

Cour martiale permanente

 

Centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -   

 

Ex-caporal en chef N.S. Edmunds, requérant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J. G. Perron, juge militaire

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

DÉCISION RELATIVE À L’ARTICLE 112.03 : CHOIX DU TYPE DE TRIBUNAL

 

(PAR ÉCRIT)

 

[1]        L’ex-caporal en chef Edmunds est accusé de fraude, en contravention avec le paragraphe 380(1) du Code criminel, de fabrication de faux documents, en contravention de l’article 367 du Code criminel, et d’avoir fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel, en contravention de l’alinéa 125a) de la Loi sur la défense nationale (LDN). L’accusé a demandé, aux termes de l’article 187 de la LDN et de l’article 112.03 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, une ordonnance déclarant qu’il a le droit de choisir un nouveau type de cour martiale. La poursuite s’oppose à cette demande. La demande a été entendue le 17 juin 2013, et le conseil de l’ex-caporal en chef Edmunds a accepté que la décision soit rendue par écrit, sans qu’il y ait besoin de convoquer de nouveau le tribunal.

 

[2]        La preuve comprend un exposé conjoint des faits accompagné de trois pièces de même que le témoignage du caporal Partridge et celui du caporal en chef Reesor. Le tribunal a pris judiciairement connaissance des faits exposés dans les règlements militaires de la preuve (RMP) n15.

 

[3]        Je vais pour commencer examiner les faits en l’espèce. L’ex-caporal en chef Edmunds a été accusé le 18 juin 2012. L’acte d’accusation faisant état de sept infractions présumées a été signé le 9 novembre 2012, et la mise en accusation a été prononcée le 15 novembre. Le demandeur a été informé le 21 novembre 2012 du fait qu’il disposait de 14 jours pour signifier son choix. Comme le demandeur n’a soumis aucun document indiquant qu’il avait choisi une cour martiale permanente (CMP), on a considéré qu’il avait choisi une cour martiale générale (CMG) aux termes du paragraphe 165.193(3). La poursuite a demandé que la police militaire mène une enquête plus poussée en novembre et décembre 2012.

 

[4]        Un accord de plaidoyer a été conclu le 9 janvier 2013, et le choix d’une CMP a été accepté par la poursuite le 11 janvier 2013. L’audience de la CMP prévue pour le 13 février 2013 a eu lieu le 17 janvier 2013.

 

[5]        Le 8 février, la poursuite a avisé le conseil de la défense du fait qu’il avait reçu de nouvelles informations; il a proposé de les envoyer dans un courriel crypté le jour même. Les renseignements ont été transmis en personne le 12 février, car le conseil de la défense n’avait pas accès à un ordinateur relié au RED. Le 12 février, la poursuite a indiqué qu’à environ 13 h 30, l’accusé pouvait changer son plaidoyer et que, à 20 h 00 environ, il changerait son plaidoyer pour plaider non coupable. La poursuite a été informée le 13 février du fait que l’accusé pouvait demander à être jugé devant une CMG.

 

[6]        Le 13 février, le procès ne s’est pas tenu, et la procédure de la cour martiale a été reportée au 2 avril, ce qui permettait de fixer la date d’un nouveau procès et de déterminer à quel moment l’enquête supplémentaire serait terminée. Le 11 mars, la poursuite a envoyé un courriel au conseil de la défense pour l’aviser du fait qu’elle n’avait aucune objection à ce que l’accusé choisisse un procès devant une CMG, mais qu’elle désirait une confirmation finale avant de lui faire part de sa décision.

 

[7]        Après avoir examiné les faits principaux de la demande, je vais maintenant me pencher sur les questions en litige. Pour commencer, le demandeur voudrait une ordonnance déclarant qu’il a le droit de choisir un autre type de tribunal, aux termes de l’article 165.193, étant donné que les nouvelles allégations et les informations fournies par la poursuite le 13 février 2013 modifient considérablement les accusations portées.

 

[8]        Voici le texte de l’article 165.193 :

165.193 (1) La personne accusée peut choisir d’être jugée par une cour martiale générale ou une cour martiale permanente si la mise en accusation est prononcée et les articles 165.191 et 165.192 ne s’appliquent pas.

 (2) L’administrateur de la cour martiale fait informer l’accusé par écrit qu’il peut faire le choix prévu au paragraphe (1).

 (3) Si l’accusé n’avise pas par écrit l’administrateur de la cour martiale de son choix dans les quatorze jours suivant le jour où il est informé au titre du paragraphe (2), il est réputé avoir choisi d’être jugé par une cour martiale générale.

 (4) L’accusé peut de droit, au plus tard trente jours avant la date fixée pour l’ouverture de son procès, faire une seule fois un nouveau choix, auquel cas il en avise par écrit l’administrateur de la cour martiale.

 (5) Il peut aussi, avec le consentement écrit du directeur des poursuites militaires, faire un nouveau choix à tout moment, auquel cas il en avise par écrit l’administrateur de la cour martiale.

 (6) Dans le cas où des accusations sont prononcées conjointement, si tous les accusés ne choisissent pas — ou ne sont pas réputés avoir choisi — d’être jugés par la même cour martiale, ils sont jugés par une cour martiale générale.

 (7) L’administrateur de la cour martiale convoque une cour martiale générale ou une cour martiale permanente conformément au présent article.

 

[9]        Une cour martiale permanente a été convoquée, et le demandeur désire maintenant être jugé par une cour martiale générale. La procédure que doit suivre un tribunal criminel canadien, lorsqu’un accusé désire changer son choix ou son choix présumé quant au type de tribunal, est décrite à l’article 561 du Code criminel. Un accusé qui a choisi ou qui est réputé avoir choisi d’être jugé par un tribunal supérieur et qui désire n’être jugé que devant un juge plutôt que devant un jury, ou vice-versa, a le droit de le faire et dispose pour cela d’un délai pouvant aller jusqu’à 14 jours après la conclusion de l’enquête préliminaire (alinéa(1)b)). Après ce délai, le consentement de la poursuite est nécessaire (alinéa(1)c)).

 

[10]      Un accusé qui a choisi d’être jugé devant un juge de la cour provinciale ou qui n’a pas demandé d’enquête préliminaire dispose de 14 jours pour faire un autre choix avant que la date de la première audience devant le tribunal ne soit fixée. Après le délai de 14 jours, le consentement écrit de la poursuite est nécessaire (paragraphe 561(2)).

 

[11]      Les paragraphes 165.193(3) et 165.193(4) de la Loi sur la défense nationale sont des dispositions relatives au changement du choix du type de tribunal, et ressemblent aux dispositions des paragraphes 561(1) et 561(2) du Code criminel. Tandis que le Code criminel prévoit un délai de 14 jours après l’enquête préliminaire ou avant la date où la première audience du tribunal est fixée, la LDN prévoit un délai de 30 jours avant la date fixée du début du procès. Dans les deux cas, les dispositions prévoient le droit de modifier un choix pendant un délai donné puis de le modifier avec le consentement de la poursuite.

 

[12]      Le conseil de l’intimé appuie sa défense en grande partie sur la décision R. v. Ruston, (1991) 63 C.C.C. (3d) 419 de la Cour d’appel du Manitoba. Bien que l’intimé ait remis en question la constitutionnalité des alinéas 561(1)b) et 561(1)c), le tribunal avait déterminé que la question ne touchait pas tant la validité de la loi que son interprétation correcte à la lumière des droits conférés par l’alinéa 11f) de la Charte (paragraphe 13). L’alinéa 11f) de la Charte prévoit qu’un inculpé a le droit, sauf s’il s’agit d’une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d’un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l’infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave.

 

[13]      Un accusé ne peut abandonner le bénéfice d’un procès avec jury, qui lui est garanti, que s’il l’abandonne de manière éclairée (voir le paragraphe 14 de Ruston, où il est question de l’arrêt R. c. Turpin, [1989] 1 RCS 1296, page 1316, et Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 RCS 41, page 49). Après avoir cité le paragraphe 561(1), le tribunal a fait la déclaration suivante touchant l’importance d’une enquête préliminaire :

 

 

[Traduction]

[16] L’importance de l’enquête préliminaire, qui marquerait le début du délai fixé pour faire un nouveau choix, est liée au fait que c’est dans le cadre de cette enquête que l’accusé sera mis au courant des accusations qui sont portées contre lui.  Ce n’est qu’à partir du moment où il aura obtenu cette information qu’on pourra dire qu’il lui est possible de prendre de manière éclairée la décision de ne pas demander le bénéfice d’un procès avec jury.

 

[17] Si on interprète littéralement le paragraphe 561(1), la Couronne pourrait présenter pendant l’enquête le minimum de preuve requis pour obtenir un renvoi, puis donner avis à l’accusé, des semaines plus tard, de son intention de présenter au moment du procès des éléments de preuve supplémentaires qui modifient la nature des accusations.

Un accusé qui aurait décidé de ne pas modifier son choix, en se fondant sur la preuve présentée à l’enquête, ne pourrait plus modifier son choix malgré que la Couronne ait présenté une tout autre preuve.

 

[18] Ce résultat, à notre avis, peut équivaloir au refus d’accorder à un accusé le bénéfice d’un procès avec jury, droit que la Charte lui reconnaît. Cela dépend de la nature de la preuve qui sera déposée. Dans les circonstances en l’espèce, la présentation possible de preuves de faits similaires change de manière importante la preuve présentée par la Couronne. Et cela a une grande incidence sur le mode de procès choisi.

 

 

[14]      Le tribunal a ensuite fait un survol de l’histoire récente du processus de détermination d’un nouveau choix, au Canada, dans les paragraphes 30 et 31 :

 

[Traduction]

[30]         Avant 1985, il était possible de faire un nouveau choix jusqu’à quatorze jours avant le début du procès. Cela créait inévitablement des problèmes administratifs pour les tribunaux, qui devaient remettre les procédures lorsqu’un nouveau choix était fait à la dernière minute. Ces problèmes étaient le plus évidents lorsqu’un procès devant juge seul devait céder la place à un procès avec jury. Nous sommes d’avis que c’est pour remédier à ces problèmes que le paragraphe 561(1) a été adopté dans sa forme actuelle (article 110 de la Loi de 1985 modifiant le droit pénal, L. C. 1985, ch. 19).

 

[31]         Lorsqu’il a mis en œuvre la disposition modifiée, le Parlement devait savoir que la Charte reconnaissait à un accusé le droit de faire de manière éclairée le choix de son mode de procès. Le Parlement devait également savoir que, pour que ce choix soit éclairé, l’accusé doit connaître la teneur de la preuve déposée contre lui. C’est sans aucun doute pour cette raison que le Parlement accorde à un accusé quatorze jours pour faire son choix après qu’il a pu obtenir les informations sur lesquelles il fondera son choix. Et puisque ces renseignements sont habituellement communiqués à un accusé dans le cadre de l’enquête préliminaire, il nous semble que c’est la possibilité d’y recevoir ces renseignements plutôt que l’enquête elle-même qui, selon l’intention du Parlement, marque le début du délai fixé pour faire un nouveau choix. 

 

 

[15]      La décision Ruston a, depuis ce temps, aidé bon nombre de tribunaux à interpréter et à appliquer l’article 561. Selon cette interprétation, l’article en question donne à un intimé le droit de choisir un autre type de procès dans un délai de 14 jours après avoir été mis au courant d’un changement important de la preuve présentée par la Couronne, même si ce nouveau choix est fait au-delà du délai de 14 jours qui suit la fin de l’enquête préliminaire.

 

[16]      L’alinéa 561(1)c) a également été déclaré valide sur le plan constitutionnel par la Cour d’appel du Québec, dans R c. Savage, QC C.A., 1990, no 500‑10‑000378‑883, de même que par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, dans R v K.J.F., (1993) 123  N.S.R. (2d) 142 (N.S.C.A.). La Cour d’appel du Québec a cité le passage suivant de la décision de la Cour de district de l’Ontario dans Her Majesty The Queen and Charles H.L., en 1988, pour étayer sa propre décision :

 

[Traduction]

Il semblerait au contraire que l’objectif de cette disposition soit de garantir que l’administration de la justice ne soit pas ralentie par un changement tardif et peu à propos du choix par l’accusé du mode de procès qu’il désire. Si un accusé avait le droit inconditionnel de changer d’idée à tout moment quant au mode de son procès, ce serait le chaos dans le système judiciaire, et cela aurait des conséquences désastreuses sur l’administration de la justice et sur la société en général. L’incertitude, les retards et les frais que les caprices d’un accusé pourraient imposer au système judiciaire, en l’absence de telles limites, entraîneraient un déni de justice total.

 

En conséquence, je ne suis pas d’accord pour dire que l’objectif de cette loi est futile ni qu’il vise à éviter un désagrément administratif mineur; j’estime au contraire que cet objectif est d’une importance suffisante pour répondre au premier des critères énoncés dans Oakes.

 

[17]      Le système de justice militaire ne prévoit pas la tenue d’une enquête préliminaire. Un accusé est mis au courant de la teneur de l’accusation portée contre lui par le truchement des documents que lui remet la poursuite et des résumés de témoignages anticipés des témoins de la poursuite, aux termes de l’article 111.11 des Ordonnances et règlements royaux. Selon le système de justice militaire, un accusé ne dispose que de 30 jours avant la date prévue du début de son procès pour modifier son choix. Le droit de modifier son choix est semblable au droit prévu au paragraphe 561(2).

 

[18]      Tout comme dans Ruston, la Cour, dans R v. Bennet (1993) 83 C.C.C.(3d) 50 (Ont.Prov.Ct.), a refusé de déclarer le paragraphe 561(2) invalide et a préféré atténuer ces dispositions pour donner à l’accusé le droit de faire un nouveau choix. Tout comme dans Ruston, cette permission a été accordée en fonction des faits particuliers de l’espèce. La Cour suprême de la Colombie-Britannique (R v Taj Ishmail, 6 W.C.B. 148 1981 CLB 2434 BCSC) et la Cour du Québec (R c Savoie, 2012 QCCQ 3864) ont toutes deux conclu que l’article 561 du Code criminel ne donne à un accusé le droit de modifier son choix qu’une seule fois.

 

[19]      On peut dégager de toutes ces affaires un thème commun, le fait que l’accusé avait le droit de modifier son choix sans le consentement de la poursuite s’il était établi que, compte tenu des faits particuliers de l’espèce, l’accusé n’avait pas été informé de tous ses droits ni de toutes les questions lorsqu’il a fait son premier choix.

 

[20]      La Cour d’appel de la cour martiale a également abordé la question du consentement nécessaire de la poursuite lorsqu’un accusé réclame le droit de faire un nouveau choix, dans le paragraphe 31 de R. c. MacLellan, 2011, CACM 5.

 

                [31]         Le consentement de la poursuite à un deuxième choix de la part de l'accusé est un moyen de faire obstacle à la recherche de juges accommodants et aux nouveaux choix abusifs, il contribue à l'administration méthodique et efficiente du système de justice criminelle, sert l'intérêt global de la justice tout en permettant en tout temps d'user de souplesse dans les cas appropriés et méritants ou dans les situations inattendues. Dans la décision R. c. Ng (2003), 18 Alta. L.R. (4th) 77, le juge en chef de la Cour d'appel d'Alberta écrivait, aux paragraphes 121 et 122 :

 

[traduction

121. Cette analyse historique rend compte des efforts du législateur pour mettre e en balance des intérêts concurrents - les intérêts de l'accusé d'une part et ceux de la société, notamment des victimes et des témoins, d'autre part - afin de préserver un système de justice criminelle juste et impartial. En ce qui concerne les infractions visées à l'article 469, le législateur a déterminé que l'intérêt public au regard de tels crimes ne justifiait pas que la décision ayant trait au mode de procès soit laissée dans les seules mains de l'accusé, exclusivement sur la base de ce que ce dernier aura estimé dans son intérêt. Comme l'expliquait la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Turpin, précité, à 1309‑1310 :

 

Le jury joue un rôle collectif ou social en plus d'assurer la protection des individus. Le jury remplit ce rôle social premièrement en servant de moyen d'éducation du public et en incorporant les normes de la société aux verdicts des procès [.] Aussi bien dans son document de travail intitulé Le jury en droit pénal (1980), aux pp. 5 à 17, que dans son rapport au Parlement intitulé Le jury (1982), à la p. 5, la Commission de réforme du droit du Canada a reconnu que le jury joue un rôle tant à l'égard de la protection de l'accusé qu'à titre d'institution publique dont la société profite à cause de ses fonctions d'éducation et de légitimation.

 

122. Cependant, le législateur reconnaît également que, sous réserve du droit du procureur général d'exiger un procès par jury en application de l'article 568, il convient de permettre à l'accusé de choisir seul le mode de procès pour les infractions donnant droit à un tel choix. Cela dit, le législateur lui impose de respecter certains délais pour pouvoir, de droit, faire un choix ou un nouveau choix, et ce, afin d'éviter qu'il ne serve de prétexte pour chercher un juge accommodant, et d'assurer une certitude procédurale dans la mise au rôle des affaires criminelles. Voir sur ce dernier point la décision R. c. Jerome, [1997] N.W.T.J. no 40 (C.S.T.N.‑O.).

 

[21]      La Cour fait les déclarations suivantes aux paragraphes 39 et 40 :

 

[39]           La question d'un nouveau choix ne se posait pas dans l'arrêt Trépanier, la Cour ne s'est donc pas prononcée là-dessus. Elle n'a pas non plus remis en doute ou en question le droit du Parlement de réglementer, dans les limites imposées par la Charte et dans l'intérêt des parties au litige et de la justice, les conditions régissant l'exercice du droit de faire un choix ou un nouveau choix : voir R. v. Ng, précitée, aux paragraphes 108 à 135. L'arrêt Trépanier n'appuie pas la proposition selon laquelle l'accusé a le droit de choisir un nouveau mode de procès sans le consentement de la poursuite, une fois son procès commencé.

 

 

[40]           Pour résumer, les faits de l'espèce sont régis par l'article 165.193, et en particulier par le paragraphe (5). Aucun nouveau choix ne doit être autorisé sans le consentement du directeur des poursuites militaires. J'aborderai maintenant l'allégation de l'intimé selon laquelle la poursuite a consenti au nouveau choix et que le principe de la préclusion l'empêche de poursuivre son appel.

 

[22]      La CACM, dans MacLellan, était saisie d’une affaire dont les faits étaient différents des faits en l’espèce. Le capitaine MacLellan devait être jugé par une CMG et voulait changer son choix pour être jugé devant une CMP, mais la poursuite avait refusé de consentir à ce changement. Les membres du tribunal étaient déjà sur les lieux, mais ne siégeaient pas encore. L’accusé avait fait part de son intention de modifier son choix lorsqu’il a présenté sa requête préliminaire pendant la procédure. L’ex-caporal en chef Edmunds désire modifier son choix et être jugé par une CMG, et il soutient qu’il y a eu des changements substantiels de la preuve en raison de renseignements reçus le jour précédant le début de son procès devant une CMP. C’est pourquoi je conclus que la décision MacLellan n’appuie pas la proposition selon laquelle, aux termes du paragraphe 165.193(5), aucun nouveau choix ne doit être autorisé sans le consentement du directeur des poursuites militaires, puisque cette décision portait sur une situation précise.

 

[23]      En appliquant la jurisprudence criminelle canadienne au système de justice militaire, on pourrait interpréter de la façon suivante le paragraphe 165.193(5) : une cour martiale peut accorder à un accusé le droit de modifier son choix une seconde fois au plus tard 30 jours après la date fixée pour l’ouverture de son procès si, selon les circonstances propres à l’affaire, l’accusé n’avait pas été informé de ses droits et de toutes les questions lorsqu’il s’est prévalu de son droit de faire un nouveau choix aux termes du paragraphe 165.193(4).

 

[24]      Le requérant a choisi de demander d’être jugé devant une CMP après l’entente relative au plaidoyer et après avoir obtenu le consentement écrit de la poursuite. Le conseil de la défense a déclaré, pendant l’audience, qu’il était habituel de choisir une CMP après avoir conclu une entente relative au plaidoyer. Le demandeur aurait plaidé coupable, devant une CMG, et il n’aurait pas été nécessaire de convoquer le tribunal de la cour martiale (voir l’article 191.1 de la LDN). La sentence est toujours prononcée par un juge militaire, qu’il s’agisse d’une CMG ou d’une CMP. Aux termes de l’article 191.1, un plaidoyer de culpabilité aurait débouché sur la même procédure que si le plaidoyer avait été enregistré devant une CMP. Même s’il est évident que l’accusé a choisi un nouveau mode de procès après avoir conclu avec la poursuite une entente relative au plaidoyer, rien, dans la preuve, n’indique que ce nouveau choix faisait partie de l’entente. Il est tout aussi clair que le conseil de la défense était au courant de la procédure prévue à l’article 191.1, puisqu’il avait déjà représenté en 2012 un accusé qui avait plaidé coupable devant une CMG après avoir conclu une entente relative au plaidoyer.

 

[25]      Le juge Lamer dans Korponay, aux pages 49 et 50, donne l’orientation suivante aux tribunaux de première instance qui doivent déterminer si oui ou non un accusé a pris une décision éclairée au moment de renoncer à l’avantage d’un procès avec jury :

 

Les devoirs du juge en matière de renonciation ne sont pas différents de ceux qui lui incombent dans le cas d'un aveu de culpabilité.  Les facteurs dont il tiendra compte pour décider si l'accusé a de façon claire et non équivoque pris une décision éclairée de renoncer à ses droits varieront en fonction de la nature de la règle de procédure en cause et de l'importance du droit qu'elle vise à protéger.  Cependant, sont toujours pertinentes la représentation ou la non‑représentation de l'accusé par un avocat, l'expérience de l'avocat et, ce que j'estime être un facteur très important dans un pays qui comporte autant de diversité que le nôtre, la pratique particulière qui s'est établie dans le ressort où les événements se déroulent. 

 

[26]      Le demandeur soutient que les chèques qui constituent la pièce M2-1, dont la valeur est de près de 29 000 $, entraînent un changement important en l’espèce et pourraient avoir une incidence sur sa défense. Il cite l’article 138 de la LDN à titre d’exemple de l’incidence que ces chèques peuvent avoir sur la cause dont est saisie la cour martiale. Voici l’article 138 de la LDN :

138. Le tribunal militaire peut prononcer, au lieu de l’acquittement, un verdict annoté de culpabilité lorsqu’il conclut que :

*       a) d’une part, les faits prouvés relativement à l’infraction jugée, tout en différant substantiellement des faits allégués dans l’exposé du cas, suffisent à en établir la perpétration;

*       b) d’autre part, cette différence n’a pas porté préjudice à l’accusé dans sa défense.

Le cas échéant, le tribunal expose la différence en question.

 

[27]      Aucun élément de preuve ne montre que les chèques qui constituent la pièce M2-1 aient quelque incidence que ce soit sur les infractions mentionnées sur l’acte d’accusation. L’ex-caporal en chef Edmunds doit être jugé pour des transactions frauduleuses présumées totalisant 8 515 $ qui auraient été faites entre le 4 avril et le 5 mai 2011. Les dates inscrites sur les chèques qui constituent la pièce M2-1 sont antérieures ou ultérieures aux dates mentionnées sur l’acte d’accusation présenté au tribunal. La poursuite a également déclaré devant le tribunal qu’elle n’utiliserait pas ces éléments de preuve pendant le procès. Il ne semble donc pas, si on se fie aux éléments de preuve, que cette information soit pertinente pour les accusations soumises au tribunal. Cet élément de preuve n’est pas non plus pertinent pour une déclaration de culpabilité aux termes de l’article 138.

 

[28]      Les procédures devant la cour martiale n’ont pas encore commencé, et personne n’a demandé à l’accusé quel plaidoyer de culpabilité il voulait enregistrer. Il semble que cette nouvelle information ait eu une incidence sur l’accusé puisqu’il a fait savoir, par le truchement de son conseil, qu’il désirait plaider non coupable. La nouvelle information peut signifier qu’un plaidoyer de culpabilité n’est pas pour lui la meilleure solution. L’accusé est représenté par un avocat d’expérience. Le tribunal n’a pas été informé des détails de l’accord relatif au plaidoyer. En me fondant sur les éléments de preuve, je conclus que la présentation des chèques ne change pas substantiellement la preuve portée contre l’accusé. Je conclus également qu’on ne m’a pas présenté d’éléments de preuve selon lesquels l’accusé n’a pas été informé comme il se doit des conséquences de sa décision de choisir d’être jugé par une cour martiale permanente.

 

[29]      Le requérant désire également, par ailleurs, que je prenne une ordonnance pour déclarer que l’article 165.193 viole son droit de présenter une défense pleine et entière, conformément à l’article 7, et son droit à un tribunal équitable, aux termes de l’alinéa 11d) de la Charte des droits et libertés. Il a également demandé, en s’appuyant sur l’article 24 de la Charte, que le paragraphe 165.193(1) soit appliqué de façon libérale de façon à ce qu’il puisse faire un nouveau choix, étant donné les circonstances en l’espèce.

 

[30]      Voici le libellé de l’alinéa 11f) :

 

                        Tout inculpé a le droit :

 

...

 

d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;

 

[31]      Le requérant a cité R. v. McGregor, (1992) 14 C.R.R. (2d) 155 (Ont Gen Div), pour étayer son argumentation. L’affaire avait été portée devant la Cour d’appel de l’Ontario en 1999 (voir 134 CCC (3d) 570). Le tribunal avait jugé que la décision du juge de première instance de renverser la décision de la Couronne de ne pas permettre le nouveau choix d’un procès devant juge seul était correcte dans les circonstances particulières de l’espèce :

 

[Traduction]

[2]           Le requérant a subi son procès pour meurtre au premier degré devant la juge Charron, sans jury. Cette affaire avait attiré beaucoup d’attention à Ottawa, où le meurtre avait eu lieu, et dans le reste du pays. Le requérant et son conseil se demandaient si le requérant aurait un procès juste, à Ottawa. Au procès, cependant, le requérant s’est dit d’avis qu’un changement de lieu n’était pas une solution raisonnable, et n’a pas utilisé ce recours. Les raisons pour lesquelles il n’a pas demandé de changer de lieu n’ont pas à être exposées. Il suffit de dire que, selon les éléments de preuve qui lui avaient été soumis, la juge du procès pouvait conclure que, dans les circonstances, qui étaient inhabituelles, un changement de lieu porterait atteinte au droit du requérant à une défense pleine et entière. Au procès, le requérant a donc demandé comme correctif à être jugé devant un juge sans jury. La juge Charron a accueilli sa demande. Le requérant soutient, contrairement à l’avis de son conseil pendant le procès, que la juge du procès aurait dû proposer elle-même un changement de lieu malgré les objections de la poursuite et de la défense. Le requérant soutient aujourd’hui que la juge a fait une erreur lorsqu’elle lui a accordé le correctif qu’il demandait et qu’elle n’avait pas la compétence voulue pour le juger sans jury.

 

[3]           Le problème s’est posé parce que, malgré les éléments de preuve démontrant que le requérant ne pouvait pas obtenir un procès juste devant un jury impartial, la Couronne a refusé de lui accorder, comme l’exige l’article 473 du Code criminel, un procès devant un juge seul. La juge du procès a déterminé que, même si, selon la Couronne, un jury impartial pouvait être constitué grâce aux procédures traditionnelles du Code criminel, une personne éclairée qui envisagerait la question de façon réaliste et pratique pourrait conclure que la Couronne cherchait à constituer un jury favorable plutôt qu’un jury simplement impartial. La juge a également déterminé, en se fondant sur les éléments de preuve qui lui avaient été présentés, que le fait que la Couronne ait exercé son pouvoir discrétionnaire pour refuser un procès devant un juge seul constitue une atteinte au droit du requérant à un procès devant un tribunal indépendant et impartial, droit garanti par l’alinéa 11d) et l’article 7 de la Charte des droits et libertés. À la lumière de cette constatation, la juge du procès a maintenu que le requérant avait le droit d’exercer le recours prévu au paragraphe 24(1) de la Charte. Ce recours lui permettait d’agir sans le consentement de la Couronne, aux termes de l’article 473.

 

[4]           Nous n’avons pas été convaincus que, dans les circonstances inhabituelles de l’espèce, la juge du procès avait erré. Il existait des éléments de preuve sur lesquels elle a pu s’appuyer au moment de déterminer que la conduite de la Couronne porterait atteinte aux droits de l’appelant. Elle pouvait accorder le recours demandé. Dans R. v. E. (L.) 1994 CanLII 1785 (ON CA), (1994), 94 C.C.C. (3d) 228 (Ont. C.A.), le tribunal avait maintenu que, dans des circonstances limitées, lorsque la conduite de la Couronne menace de priver un accusé de son droit à un procès juste, comme la Charte le lui garantit, le juge du procès a le droit de déroger à la décision de la Couronne de refuser une demande de procès devant un juge seul. À la page 241 de sa décision écrite, le juge d’appel Finlayson maintient, au nom du tribunal, ce qui suit :

 

                Même si je ne crois pas que la Couronne a le droit absolu de refuser une demande de nouveau choix, aux termes de l’alinéa 561(1)c), le tribunal ne peut pas se pencher sur l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ayant trait au mode de procès, sauf s’il a été démontré, au dossier, qu’il y a eu abus de procédure de la part du tribunal et utilisation oppressante des procédures par la Couronne. J’aurais cru que le juge du procès aurait pu voir que la Couronne avait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière arbitraire ou déraisonnable ou pour un motif indu, ce qui aurait justifié un examen visant à savoir s’il y avait eu abus de la procédure aux termes de l’article 7 de la Charte.

 

Il poursuit à la page 243 :

 

                Je reconnais qu’un juge du procès doit avoir une certaine marge de manœuvre afin de s’assurer que la poursuite ne va pas trop loin lorsqu’elle fait valoir les prérogatives de la Couronne. À mon avis, et je m’appuie sur Turpin, supra, un juge du procès doit nécessairement faire abstraction de la langue claire du Code lorsque des considérations constitutionnelles sont en cause. En l’espèce, le niveau d’intervention exigeait que le juge détermine que la conduite de la Couronne équivalait à un abus des procédures. [C’est moi qui souligne.]

 

[5]           Quant aux conclusions de la juge du procès, pour lesquelles elle s’est appuyée sur les éléments de preuve soumis, des considérations constitutionnelles sont en cause. En conséquence, le tribunal était bien constitué.

 

[32]      J’estime que cette affaire n’est pas pertinente en l’espèce, puisque les faits sont trop différents des faits présentés à notre tribunal. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve selon lequel une CMP n’est pas un tribunal indépendant et impartial. Il n’a présenté aucun élément de preuve selon lequel il ne serait pas présumé innocent tant que sa culpabilité ne serait pas établie conformément à la loi. Il n’a pas non plus présenté d’éléments de preuve selon lesquels il n’aurait pas droit à une audience juste et publique si son procès devait se dérouler devant une CMP. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve selon lequel son droit à un procès juste devant un tribunal impartial est d’une manière ou d’une autre menacé.

 

[33]      En dernier lieu, le requérant voudrait, à défaut, qu’on prenne une ordonnance pour déclarer que le refus de la poursuite de donner son consentement aux termes du paragraphe 165.193(5) était arbitraire et déraisonnable et qu’il découlait d’un motif indu, ce qui équivaut à un abus de la procédure du tribunal, violant ainsi les droits conférés à l’accusé par l’article 7 de la Charte. Le demandeur demande réparation aux termes de l’article 24 de la Charte et voudrait une ordonnance qui aurait préséance sur le refus de la poursuite de consentir à un nouveau choix, aux termes du paragraphe 165.193(5).

 

[34]      La Cour d’appel de l’Alberta, dans R v Ng, (2003) 173 CCC (3d) 349, devait déterminer si le fait que la Couronne n’ait fourni aucun motif pour refuser de consentir à un nouveau choix équivalait à un abus de procédure. Après avoir examiné les nouveaux choix successifs, le concept de pouvoir discrétionnaire du ministère public et la justification de l’examen de l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le ministère public, le juge d’appel Wittmann s’est penché sur le fardeau de la preuve et la norme de preuve dans de telles situations :

 

[traduction]

[34]         L’accusé qui fait cette allégation a le fardeau de prouver que la façon dont la Couronne a exercé son pouvoir discrétionnaire équivaut à un abus de procédure, ou aurait pu équivaloir à cela, sans l’intervention du juge du procès. La norme de preuve est la prépondérance des probabilités : voir Cook, paragraphe 60.

 

[35]         Dans R. v. E.(L.), supra, le juge d’appel Finlayson déclare ceci, à la page 241‑3 : « Il faudrait que le juge du procès ait en main des éléments de preuve selon lesquels la Couronne a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière arbitraire ou déraisonnable ou pour un motif indu. » Il faut pour cela déterminer que la conduite de la Couronne équivalait à un abus de procédure. Le juge souligne également que la norme relative à une détermination d’abus de procédure est très élevée.

 

[36]         La jurisprudence permet de confirmer qu’un juge du procès peut se pencher sur la décision discrétionnaire de la poursuite lorsque l’accusé a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la poursuite a exercé ce pouvoir discrétionnaire de manière abusive et déraisonnable ou pour un motif indu, de façon que le tribunal peut chercher à déterminer s’il n’y a pas abus de procédure. Le tribunal peut intervenir s’il le juge nécessaire pour empêcher que la conduite de la poursuite n’entraîne une procédure oppressante ou vexatoire, violant ainsi les principes fondamentaux de la justice sur lesquels reposent les valeurs sociales d’équité et de convenance.

 

[35]      Il a conclu que le juge du procès avait fait une erreur lorsqu’il avait déterminé que la poursuite devait dans cette affaire présenter ses motifs. Il expose les motifs de sa décision de la manière suivante :

 

[traduction]

[67]         En l’espèce, il n’a pas été démontré que le ministère public avait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière arbitraire ou déraisonnable ou qu’il était motivé par des considérations indues. Ce n’est pas l’absence de raison qui pourrait l’établir. Je m’appuie sur le raisonnement de Tonner (No. 1) et sur les décisions susmentionnées de la Cour d’appel de l’Ontario pour déterminer qu’elles représentent la loi en Alberta. Je ne suis pas d’accord avec les cas de jurisprudence choisis par le juge du procès. Lorsqu’un tribunal examine l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la poursuite, c’est parce qu’il lui faut déterminer s’il y a eu abus de la procédure. La norme, dans ce cas, est très élevée, et le tribunal ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour redresser un abus que lorsque le cas est des plus clairs. Il n’est pas possible, étant donné cette norme très élevée, de permettre à un tribunal de conclure qu’il y a eu abus de procédure lorsque la poursuite refuse de donner les motifs pour lesquels elle exerce son pouvoir discrétionnaire, particulièrement, en l’espèce, puisque le Code criminel, au sujet de l’exigence relative au consentement de la Couronne, indique qu’il n’est pas obligatoire de fournir ses motifs.

 

[36]      Le juge en chef, l’honorable juge Fraser, appuie cette décision et ajoute à l’analyse sur le pouvoir discrétionnaire du ministère public en ces termes :

 

[Traduction]

[133]      Troisièmement, bien que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministère public puisse faire l’objet d’un examen, le critère reconnu reste celui de savoir si l’exercice de ce pouvoir équivaut, ou pourrait équivaloir, à un abus de procédure : R. v. E.(L.) 1994 CanLII 1785 (ON CA), (1994) 94 C.C.C. (3d) 228 (Ont. C.A.); R. c. O'Connor, 1995 CanLII 51 (SCC)  [1995] 4 RCS 411; R. c. Regan, 2002 CSC 12,(CanLII), (2002) 161 C.C.C. (3d) 97 (S.C.C.); R. c. Cook 1997 1997 CanLII 392 (CSC), [1997] 1 RCS 1113; R. c. Power, 1994 CanLII 126 (CSC), [1994] 1 RCS 601; R. c. Conway 1989 CanLII 66 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1659. Un abus de procédure, dans un tel contexte, ne concerne pas seulement une conduite privant un accusé des droits que lui confère la Charte. Il concerne également une conduite qui contrevient aux principes fondamentaux de la justice et, en conséquence, à l’intégrité du processus judiciaire : R. c. O’Connor, supra; R. c. Regan, supra. C’est pourquoi, lorsque le fait que la Couronne refuse de consentir à la tenue d’un procès devant un juge seul pourrait donner lieu à un procès injuste devant un jury ou porter atteinte de toute autre manière que ce soit aux droits conférés par la Charte à l’accusé, la cour aurait le pouvoir d’ordonner la tenue d’un procès devant un juge seul : R. v. E.(L.), supra; R. v. McGregor 1999 CanLII 2553 (ON CA), (1999) 134 C.C.C. (3d) 570 (Ont. C.A.). En conséquence, si les circonstances font que l’on pourrait soutenir qu’un procès devant un jury serait injuste, la défense est autorisée à présenter des éléments de preuve en ce sens à l’appui des ses allégations touchant un abus de la procédure.

 

 

[134]      Ce qu’il convient de souligner, cependant c’est que c’est à l’accusé qu’il revient de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a abus de la procédure : R. c. O’Connor, supra; R. c. Cook, supra; R. c. Regan, supra. Ce serait tout autre chose si c’était la cour qui se demandait si la Couronne avait de bonnes raisons de refuser la tenue d’un procès devant un juge seul et qui ensuite examinait et analysait les raisons invoquées. Il ne s’agirait plus, alors, de déterminer si la défense peut prouver que les raisons ne sont pas bonnes, mais de déterminer si la Couronne peut prouver que ses raisons sont bonnes – c’est-à-dire qu’elles sont suffisantes. Ce n’est pas sur ces critères que l’on se fonde au moment d’effectuer un examen judiciaire de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministère public, et pour cause : R. c. T.(V.) 1992 CanLII 88 (CSC), [1992] 1 RCS 749; Kreiger v. Law Society of Alberta 2002 CSC 65 (CanLII), (2002) 168 C.C.C. (3d) 97 (CSC); R. c. Power, supra; R. c. Smythe 1970 CanLII 29 (CSC), [1971] RCS 680.

 

[37]      Le requérant soutient que la poursuite n’a pas accompli son devoir aux termes des Directives du directeur des poursuites militaires 008/99 et 010/00 parce qu’elle aurait conclu l’entente relative au plaidoyer sans informer son conseil du fait qu’elle avait demandé aux enquêteurs de la police militaire de poursuivre l’enquête concernant l’ex-caporal en chef N.S. Edmunds. Il soutient que la poursuite a manqué de transparence et que l’entente relative au plaidoyer n’avait pas été conclue de manière éclairée.

 

[38]      La poursuite n’a pas à justifier sa décision de refuser de consentir à un nouveau choix. Je n’ai pas reçu d’information touchant la négociation du plaidoyer et l’entente relative au plaidoyer. Le fait que des renseignements aient été communiqués en retard n’a pas d’incidence sur les accusations dont est saisie la cour martiale. Je constate que le requérant n’a pas présenté de preuve selon laquelle un examen de la conduite de la poursuite serait, en l’espèce, justifié (voir les articles 60 à 62 de R.c. Nixon, 2011 CSC 34). 

 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

[39]      Rejette la demande.

 

[40]      Aux termes de l’article 187 de la LDN et de l’article 112.03 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, l’affaire est classée.

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                        

                                                                                    J-G Perron, lieutenant-colonel

                                                                                         (juge militaire président)

 


 

Conseils :

 

Capitaine K. Lacharité, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major D. Berntsen, Direction du service d’avocats de la défense

Conseil de l’ex-caporal en chef N.S. Edmunds

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