Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 18 mars 2008
Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, Petawawa (ON).
Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression infligeant des lésions corporelles (art. 267b) C. cr.).
•Chef d’accusation 2 : Art. 101.1 LDN, a omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3 de la Loi sur la défense nationale.
Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chef d’accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 500$
Contenu de la décision
Référence : R. c. Soldat H.A. Castle, 2008 CM 2006
Dossier : 200745
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ONTARIO
BASE DES FORCES CANADIENNES PETAWAWA
Date : le 19 mars 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
SOLDAT H.A. CASTLE
(Accusée)
VERDICT
(Rendu de vive voix)
[1] Soldat Castle, la cour vous déclare non coupable de la première accusation. Vous pouvez rompre et vous asseoir aux côtés de votre avocat.
[2] Le Soldat Castle est accusée de deux infractions : la première concerne des voies de fait commises à l’encontre de l’Ex-Soldat Belmonte et qui lui ont causé des blessures physiques; la deuxième concerne un défaut de se conformer à une condition de sa libération suivant laquelle elle devait s’abstenir de communiquer avec le Soldat Belmonte. Le Soldat Castle a plaidé coupable à la deuxième accusation et l’audience a été tenue à l’égard de la deuxième accusation.
[3] La preuve a révélé qu’aux petites heures du matin le samedi 21 octobre 2006, le Soldat Castle a frappé le Soldat Belmonte au nez avec une bouteille de bière pleine, lui fracturant ainsi le nez et lui causant une douleur intense et de graves contusions. En l’espèce, la question en litige consiste à déterminer si le poursuivant a prouvé hors de tout doute raisonnable que le coup porté au Soldat Belmonte constituait un acte intentionnel du Soldat Castle.
[4] Dans une poursuite devant la cour martiale, comme dans toute poursuite pénale devant un tribunal canadien, il incombe au poursuivant de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Dans un contexte juridique, il s’agit d’une expression ayant un sens consacré. Si la preuve ne permet pas de conclure à la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, celui-ci ne peut pas être déclaré coupable de l’infraction reprochée. Le fardeau de preuve incombe toujours au poursuivant, et il ne se déplace jamais. L’accusé n’a pas le fardeau de prouver son innocence. Au contraire, l’accusé est présumé innocent à toutes les étapes de la poursuite jusqu’à ce que le poursuivant prouve sa culpabilité hors de tout doute raisonnable au moyen d’une preuve acceptée par la cour.
[5] La preuve hors de tout doute raisonnable ne signifie pas qu’il doive y avoir certitude absolue, mais il n’est pas suffisant de prouver seulement une culpabilité probable. Si la cour est seulement convaincue que l’accusé est plus vraisemblablement coupable que non coupable, cela ne suffit pas pour le déclarer coupable hors de tout doute raisonnable, et l’accusé doit en conséquence être déclaré non coupable. En fait, la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable se rapproche bien plus de la certitude absolue que de la culpabilité probable.
[6] Cependant, le doute raisonnable n’est pas un doute futile ou imaginaire. Il ne se fonde pas sur la sympathie ou les préjugés. C’est un doute fondé sur la raison et le bon sens, qui découle de la preuve présentée ou de l’absence de preuve. La preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments de l’infraction reprochée. En d’autres termes, si la preuve ne permet pas de prouver chacun des éléments de l’infraction hors de tout doute raisonnable, l’accusé doit être déclaré non coupable.
[7] La règle du doute raisonnable s’applique à la crédibilité des témoins dans une affaire comme la présente où la preuve révèle différentes versions des faits essentiels qui ont une incidence directe sur les questions en litige. Parvenir à une conclusion sur les faits ne se résume pas à préférer la version d’un témoin à celle d’un autre. Le tribunal peut accepter la véracité de tout ce que dit un témoin, ou ne pas l’accepter du tout. Il peut aussi n’accepter la véracité et l’exactitude que d’une partie seulement du témoignage. Si le tribunal accepte le témoignage d’un accusé sur les aspects les plus essentiels d’une affaire, ce dernier ne peut être déclaré coupable de l’accusation qui pèse contre lui. Cependant, même si son témoignage n’est pas accepté, mais qu’il demeure toutefois un doute raisonnable, il doit être acquitté. Et même si la preuve de l’accusé ne soulève à son avis aucun doute raisonnable, le tribunal doit quand même examiner toute la preuve dont il admet la crédibilité et la fiabilité pour décider si la culpabilité de l’accusé est établie hors de tout doute raisonnable.
[8] En l’espèce, l’Ex-Soldat Belmonte a déclaré dans son témoignage qu’alors qu’elle fermait la porte de la résidence du Caporal Power de l’intérieur, la porte a été rabattue brutalement contre elle par le Soldat Castle, qui semblait furieuse contre Mme Belmonte. Cette dernière s’est excusée auprès du Soldat Castle pour avoir refermée la porte sur elle. Une fois à l’intérieur de la résidence, dans le petit couloir situé en avant, le Soldat Castle se trouvait en bas des escaliers, juste devant la porte, lorsqu’elle a levé une bouteille de bière au-dessus de sa tête et qu’elle a heurté le nez de Mme Belmonte avec celle-ci, lui causant ainsi la blessure en question. Le Soldat Castle a ensuite couru en haut des escaliers, en injuriant Mme Belmonte. Cette dernière saignait et était totalement désorientée en conséquence du coup. Le Caporal-chef Nadon tenait Mme Belmonte avec les deux bras lorsqu’elle a été frappée.
[9] Le Caporal-chef Nadon a également témoigné pour le compte de la poursuite. Il a déclaré qu’il était devant la porte d’entrée de la résidence du Caporal Power lorsque le Soldat Castle est entrée, en accusant Mme Belmonte d’avoir refermé la porte sur elle. Elles ont commencé à s’insulter et le Caporal-chef Nadon les a séparées physiquement. Les choses se sont calmées et il a pris une bière dans une caisse située sur le sol, quand il a entendu un coup et vu Mme Belmonte avec du sang sur le nez. C’est le bruit qui a attiré son attention. Il est ensuite resté aux côtés de Mme Belmonte.
[10] Le Soldat Castle a déclaré dans son témoignage que la porte d’entrée avait été refermée violemment sur elle alors qu’elle s’en approchait. Elle a heurté Mme Belmonte avec la bouteille de bière alors qu’elle levait les deux mains pour empêcher que la porte ne se referme sur elle. À ce moment-là, elle tenait la bouteille dans sa main droite. Elle a affirmé avoir frappé Mme Belmonte de manière accidentelle, apparemment en essayant d’empêcher la porte de se refermer .
[11] Le témoignage de l’accusée a été corroboré par le témoignage du Caporal Power. J’admets le témoignage du Caporal Power, étant donné qu’il avait une très bonne vue des événements survenus à la porte d’entrée à une distance qui semble ne pas dépasser un mètre ou deux. Même s’il avait bu de la bière toute la soirée, rien n’indique que sa consommation d’alcool ait réduit sa capacité à observer et à se remémorer. Je considère que le Caporal Power était un témoin indépendant qui n’avait aucune raison de fausser son témoignage en faveur de l’une ou l’autre des parties. Je rejette l’argument suivant lequel le Caporal Power était de connivence avec le Soldat Castle, comme étant dénué de fondement par rapport à la preuve.
[12] J’estime que les témoignages de Mme Belmonte et du Caporal-chef Nadon comportent des incohérences troublantes. En particulier, il déclare qu’il ne tenait pas Mme Belmonte quand elle a été frappée, alors que Mme Belmonte a soutenu que le Soldat Castle avait levé sa main droite au-dessus du bras du Caporal-chef Nadon qui était situé autour de son corps, afin d’asséner le coup. Il se peut que les facultés d’observation et de remémoration du Caporal-chef Nadon aient été affaiblies par la consommation d’alcool. Naturellement, il laisse entendre dans son témoignage que son appréciation et sa compréhension des événements en question ont été diminuées par les effets de la consommation d’alcool. Il est clair que les versions des circonstances entourant le coup sont très différentes, mais en tenant compte de l’ensemble de la preuve, je ne suis pas convaincu que celui-ci ait été porté de la manière qu’a décrite Mme Belmonte dans son témoignage.
[13] L’intention d’employer la force est un élément de l’infraction de voies de fait. Elle renvoie, bien entendu, à l’état d’esprit du Soldat Castle lorsque le coup a été donné. Il n’existe aucune preuve directe de l’état d’esprit du Soldat Castle au moment en question, mis à part une mention ponctuelle en contre-interrogatoire du fait que le coup était accidentel. Je dois cependant tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce afin de déterminer s’il est possible de déduire qu’elle avait l’intention de frapper Mme Belmonte. D’après l’ensemble de la preuve, je ne suis pas convaincu hors de tout doute raisonnable que le Soldat Castle ait eu l’intention d’employer la force à l’encontre de Mme Belmonte. Par conséquent, elle n’est pas coupable de voies de fait.
CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.
Avocats :
Major B.J.A. McMahon, Procureur militaire régional, région du Centre
Procureur de Sa Majesté la Reine
Lieutenant de vaisseau B. Walden, Direction juridique, rémunération et avantages sociaux
Procureur de Sa Majesté la Reine
Capitaine de corvette J.A. McMunagle, Direction du service d'avocats de la défense
Avocat du Soldat Castle