Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 21 mai 2008
Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, pièce 506, Halifax (NÉ).
Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 114 LDN, a commis un vol, étant, par son emploi, chargé de la garde ou de la distribution de l'objet volé ou d'en avoir la responsabilité.
•Chef d'accusation 2 : Art. 116 LDN, a perdu par négligence un bien non public.
Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Retiré. Chef d'accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1500$.
Cour martiale disciplinaire (CMD) (est composée d’un juge militaire et d’un comité)
Contenu de la décision
Référence : R. c. ex-Maître de 1re classe R.L. Gero, 2008 CM 4006
Dossier : 200774
COUR MARTIALE DISCIPLINAIRE
CANADA
NOUVELLE-ÉCOSSE
BASE DES FORCES CANADIENNES HALIFAX
Date : le 21 mai 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J-G. PERRON, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
EX‑MAÎTRE DE 1RE CLASSE R.L. GERO
(Contrevenant)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
[1] Ex-Maître de 1re classe Gero, veuillez vous lever. Ex-Maître de 1re classe Gero, la cour ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité au deuxième chef d’accusation, elle vous en déclare maintenant coupable. Vous avez plaidé coupable à une accusation déposée aux termes de l’article 116 de la Loi sur la défense nationale. Vous pouvez vous asseoir.
[2] Le sommaire des circonstances, dont vous avez officiellement reconnu les faits en tant que preuve concluante de votre culpabilité, éclaire la cour quant au contexte dans lequel vous avez commis l’infraction.
[3] Au moment de l’infraction, vous étiez employé en qualité de second maître régulateur au sein de l’Installation de maintenance de la Flotte Cape Scott. À titre de tâche secondaire, vous aviez la garde et la direction du fonds de participation de l’unité. Vous avez commencé à occuper cette fonction à la mi-juin 2005, jusqu’à ce que vous ayez été muté à l’étranger en novembre 2006. Dès lors que les fonds vous ont été transférés, vous avez été formé sur la façon d’exécuter cette seconde mission. Ce fonds de participation ne constitue pas des fonds publics et est prévu pour le bénéfice des membres de l’unité. Ce fonds est utilisé pour des événements tels que les départs à la retraite, la célébration des avancements, les fêtes de fin d’année. Le premier objectif de ce fonds est de promouvoir les activités socio-récréatives au sein des membres de l’unité.
[4] Le ou vers le 10 novembre 2006, vous avez remis le fonds de participation au premier maître de 1re classe Fisher. Bien que le premier maître de 1re classe Fisher ait insisté pour que vous procédiez à une vérification des comptes avant d’accepter la responsabilité du fonds, aucune vérification n’a eu lieu parce que vous avez ramené au premier maître de 1re classe Fisher l’argent qui restait du fonds ainsi que les reçus de l’argent dépensé, lors de votre dernier matin au Cape Scott, et vous n’avez pas repris contact avec le bureau du premier maître de 1re classe Fisher après votre déjeuner d’adieu pour réaliser cette vérification.
[5] Le premier maître de 1re classe Fisher a réalisé une vérification en la présence du maître de 2e classe Miller et a découvert qu’il manquait la somme de 1 484,19 $ dans le fonds. Ce montant représentait approximativement 50 p. 100 de l’actif du fonds pour l’exercice fiscal 2006-2007. Le premier maître de 1re classe Fisher a informé la police militaire de la situation. Lorsque votre superviseur vous a demandé où se trouvait l’argent manquant et que vous avez été interrogé par la police militaire sur ce point, vous avez répondu qu’il se trouvait dans un coffre à la Banque Toronto-Dominion. Ces réponses étaient fausses. Vous n’aviez pas de coffre dans cette banque.
[6] Au Canada, les principes de détermination de la peine, qui sont d’ailleurs les mêmes devant une cour martiale et devant un tribunal civil de juridiction criminelle, ont été énoncés de différentes manières. En général, ils s’appuient sur le besoin de protéger le public, ce qui, bien sûr, comprend en l’espèce les Forces canadiennes. Les principes fondamentaux sont la dissuasion, qui comprend aussi bien l’effet dissuasif produit sur la personne visée, que l’effet dissuasif général, produit sur toute personne qui pourrait être tentée de commettre une infraction du même genre. Ces principes comprennent également le principe de la dénonciation du comportement illégal, et, le dernier mais non le moindre, le principe de l’amendement et de la réinsertion sociale du délinquant. Il revient au tribunal de déterminer si la protection de la collectivité serait mieux servie par la dissuasion, par la réinsertion sociale, par la dénonciation ou par une combinaison de ces principes.
[7] Le tribunal a également tenu compte des directives énoncées par les articles 718 à 718.2 du Code criminel du Canada. Aux termes de l’article 718, l’objet essentiel de la détermination de la peine consiste à contribuer au respect de la loi et à la préservation d’une société juste et paisible, par l’imposition de sanctions justes qui servent un ou plusieurs des objectifs suivants : dénoncer le comportement illégal; dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions; isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société; favoriser la réinsertion sociale des délinquants; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; et susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
[8] Lorsqu’elle prononce une peine, la cour doit également suivre les directives de l’article 112.48 des Ordonnances et règlements royaux qui lui impose de tenir compte de toutes les conséquences indirectes de sa décision ou de la peine qu’il prononce, et d’infliger au contrevenant une peine proportionnée à la gravité de son infraction et à ses antécédents. D’ordinaire, la cour doit également tenir compte du principe voulant que les peines infligées aux contrevenants qui commettent des infractions similaires dans des circonstances comparables ne soient pas disproportionnées. Je n’ai pas été en mesure de procéder à cet exercice de comparaison, puisqu’aucun des avocats ne m’a soumis de décision dont les faits soient similaires à ceux de la présente affaire.
[9] Même si j’ai examiné les principes et les objectifs énoncés aux articles 718 à 718.2 du Code criminel du Canada et que j’en ai tenu compte en étudiant la recommandation conjointe relative à la peine, je suis conscient que le but ultime de la peine est le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans les rangs des Forces armées. Le tribunal a également le devoir d’infliger la peine la plus clémente compatible avec le maintien de la discipline dans les rangs.
[10] La poursuite et votre avocat ont tous les deux proposé que vous soyez condamné à un blâme et à une amende de 1 500 $. Ils ont également recommandé que l’amende soit payée à un taux de 200 $ par mois. La Cour d’appel de la cour martiale a clairement précisé que le juge appelé à prononcer une sentence ne peut rejeter la recommandation conjointe des avocats à moins que la peine proposée ne soit de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle ne soit pas dans l’intérêt général.
[11] Je commencerai tout d’abord par aborder les circonstances aggravantes de cette affaire. Le montant qui a été perdu en raison de votre négligence est important. Il est important car il représente une partie considérable du montant global alloué à l’unité. Je comprends que la somme totale du fonds de participation de l’unité équivaudrait à environ 3 300 $. Vous aviez alors 49 ans et bénéficiez d’environ 29 années de service au moment de l’infraction. Vous étiez maître de 1re classe. Vous étiez membre des Forces canadiennes depuis assez longtemps, et vous disposiez de toute l’expérience nécessaire pour connaître l’importance de ce fonds de participation. Vous bénéficiiez aussi de l’expérience suffisante pour comprendre l’importance de réaliser cette tâche secondaire aux mieux de vos capacités. Bien qu’il ressorte de la déclaration des circonstances contenue à l’annexe 6 que la perte est plutôt due à une négligence systématique qu’à un écart temporaire, elle n’apporte aucune autre preuve ou description de cette négligence systématique .
[12] La peine maximale pour cette infraction est une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans. Lorsque l’on examine les infractions d’ordre militaire en vertu des articles 73 à 129 de la Loi sur la défense nationale, on se rend compte que sur les 58 infractions d’ordre militaire, 25 d’entre elles sont sanctionnées par une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans. Il s’agit là de la peine la moins sévère des peines maximales qui figurent aux articles 73 à 129. J’en conclus que ces 25 infractions, qui comprennent l’article 116, sont objectivement moins graves que les 33 autres infractions d’ordre militaire qui figurent aux articles 73 à 129.
[13] Malgré le commentaire que j’ai formulé quant à la gravité objective de cette infraction, j’estime que la gravité subjective de cette infraction pourrait aussi avoir son importance, d’après la preuve présentée lors du procès. Vos supérieurs, et surtout vos camarades d’unité, vous ont fait confiance pour gérer ce fonds de manière efficace afin de permettre à l’unité de tirer l’entier bénéfice du fonds.
[14] Bien que l’énoncé des circonstances indique que la perte de cet argent attribuable à votre négligence a eu des répercussions négatives sur le moral des membres de l’Installation de maintenance de la Flotte Cape Scott, et que cela a aussi affecté la confiance des civils et des militaires du rang dans la chaîne de commandement, je n’ai pas reçu de preuve particulière propre à démontrer les conséquences négatives de cette perte, et je ne peux donc y accorder que peu de poids. Il est possible d’inférer avec certitude l’existence de conséquences négatives pour l’unité à la suite d’une telle perte d’argent, mais je ne peux accorder autant de poids à ces circonstances aggravantes que j’aurais pu le faire en présence d’une preuve beaucoup plus exhaustive.
[15] Vous avez menti à votre superviseur ainsi qu’à la police lorsqu’ils vous ont interrogé et qu’il vous ont demandé où se trouvait l’argent qui manquait. Il est possible, tel que cela a été allégué par la poursuite, que vous ayez menti dans le but de tenter de cacher le fait que vous aviez perdu cet argent. Dans la mesure où je n’ai reçu aucune explication de votre part quant à la raison pour laquelle vous avez raconté ce mensonge, et comme je n’ai pas de boule de cristal et que je n’essaierai pas de deviner le motif qui vous a poussé à mentir, je demeure avec l’impression que vous avez à l’origine essayé de cacher cette perte.
[16] J’en arrive à présent à la preuve sur l’atténuation de la peine. Vous n’avez pas de fiche de conduite et il s’agit de votre première infraction. Vous avez restitué l’intégralité de la somme perdue d’un montant de 1 484,19 $. J’ai également examiné la pièce 7 relative au calcul de la rente, et la pièce 8, l’exposé conjoint des faits, pour déterminer quelle est la peine équitable en l’espèce. Il ressort que vous avez fait part dès le début de votre souhait de plaider coupable lors de votre procès. Dans la jurisprudence canadienne, le fait de plaider coupable dès le début est généralement considéré comme un signe tangible que le contrevenant éprouve du remords à cause de ses actes et qu’il assume la responsabilité de ses actes illicites et du préjudice qui en a découlé. Par conséquent, le fait de plaider coupable dès le début est habituellement considéré comme une circonstance atténuante.
[17] Cette approche n’est généralement pas considérée comme étant contradictoire avec le droit au silence et le droit d’exiger du ministère public qu’il prouve hors de tout doute raisonnable les chefs d’accusation qui pèsent contre l’accusé. On y voit plutôt un moyen pour les tribunaux d’imposer une peine moins sévère en tenant compte du fait que le plaidoyer de culpabilité signifie généralement que l’accusé est disposé à assumer la responsabilité de ses actes illicites. En outre, les témoins n’auront pas à témoigner et le fait de plaider coupable dès le début réduit largement les frais liés à la procédure judiciaire.
[18] Vous avez servi dans les Forces canadiennes pendant 30 ans. Vous avez été décoré de la médaille à barrette de l’ex-Yougoslavie, de la médaille de la Force opérationnelle interarmées en Asie du Sud-Ouest. Vous avez également été honoré de la médaille des noces d’or de la reine, ainsi que de la décoration des Forces canadiennes et de la médaille canadienne du maintien de la paix. Il semblerait que jusqu’à ce jour vous ayez eu un dossier sans tâche.
[19] J’ai examiné attentivement le rapport d’appréciation du rendement contenu à l’annexe 9 ainsi que le rapport de notation du personnel qui figure à l’annexe 10. Ils décrivent les qualités et les traits de caractère que nous souhaiterions voir chez un sous-officier. Ils décrivent un marin compétent qui place les intérêts de l’organisation avant les siens. Ils décrivent aussi un marin qui prend soin de ses subordonnés. Le RAR comme l’ERP sont exceptionnels. Ils décrivent un administrateur méticuleux et hors pair ainsi qu’un planificateur plein de ressources. Les descriptions de vos aptitudes à la gestion, ainsi que vos qualités personnelles, ne concordent pas du tout avec la nature de l’infraction que vous avez commise.
[20] La négligence (neglect) est définie dans le Concise Oxford English Dictionary comme le fait de ne pas [Traduction] « faire preuve du soin ou de l’attention requis » et d’« omettre de faire quelque chose ». La perte de l’argent du fonds de participation de l’unité attribuable à votre négligence contraste par rapport aux annexes 9, 10, 11 et 12. Votre avocat a déclaré que cette affaire était le fruit d’une erreur dans votre carrière. Il doit en être ainsi, mais aucune explication ne m’a été fournie pour pleinement comprendre pourquoi cette erreur est survenue.
[21] Ex-Maître de 1re classe Gero, veuillez vous lever. Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve et les plaidoiries du poursuivant et de votre avocat, j’en suis venu à la conclusion que la recommandation conjointe sur la peine n’est pas de nature à déconsidérer l’administration de la justice et que la peine proposée sert l’intérêt général. Par conséquent, j’accepte la recommandation conjointe du poursuivant et de votre avocat. Le principe de la dissuasion générale est clairement le principe primordial à appliquer en l’espèce. Cette peine doit envoyer un message clair du fait que la perte de fonds non publics résultant de la négligence de la personne à qui ces fonds ont été confiés sera sanctionnée. Cette peine doit également tenir compte de la gravité de l’infraction et des antécédents du contrevenant. À la lumière des circonstances de l’espèce, je parviens donc à la conclusion que la peine proposée est la peine la plus clémente qui soit de nature à assurer le maintien de la discipline.
[22] Ex-Maître de 1re classe Gero, je vous condamne à un blâme et à une amende de 1 500 $. Cette amende sera payable par mensualités de 200 $ chacune, à compter du 1er juin 2008. Vous pouvez vous asseoir.
[23] L’instance de la Cour martiale disciplinaire concernant l’ex-Maître de 1reclasse Gero est à présent terminée.
LIEUTENANT-COLONEL J-G. PERRON, J.M.
AVOCATS :
Le Major J.J. Samson, Poursuites militaires régionales, région de l’Atlantique
Procureur de Sa Majesté la Reine
Le Lieutenant de vaisseau P.D. Desbiens, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat de l’ex-Maître de 1re classe R.L. Gero