Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 24 octobre 2012.

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC).

Chef d’accusation

•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de six mois et une rétrogradation au grade de sous-lieutenant.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Thibeault, 2012 CM 1015

 

Date : 20121024

Dossier : 201250

 

Cour martiale permanente

 

Salle de cour du Centre Asticou

Gatineau (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Capitaine J.R.N.J. Thibeault, contrevenant

 

 

Devant : Colonel M. Dutil, J.M.C.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante.

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Le capitaine Thibeault a été déclaré coupable d'agression sexuelle, le 19 octobre 2012 à l'issue d'un procès devant la cour martiale permanente, contrairement à l'article 271 du Code criminel, une infraction punissable aux termes de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale. Cette cour doit déterminer la sentence juste et appropriée dans les circonstances. Les procureurs en présence ont fait une suggestion commune et ils recommandent l'imposition d'une peine d'emprisonnement de 6 mois et de prononcer la rétrogradation du capitaine Thibeault au grade de sous-lieutenant.

 

[2]               Les faits pertinents dans cette affaire remontent vers 3 heures du matin le 4 février 2012 lorsque la victime, G.R., envoie des messages textes au contrevenant l'invitant à visionner un film en sa compagnie plus tard durant la soirée. Elle y ajoute : « Mon lit est plus confortable et j'ai le vertige après trop de "cider", you should come up here ». Pour elle, cela signifiait écouter un film ensemble dans sa chambre sur son lit. La victime n'y voyait là aucune invitation de nature sexuelle, même si elle se doutait qu'il pourrait s'y passer quelque chose en raison de leur relation antérieure. D'ailleurs, ils avaient eu une conversation récente où elle lui avait fait part de son inconfort de continuer à avoir divers échanges intimes entre eux parce qu'ils avaient chacun quelqu'un d'autre dans leur vie. Malgré tout, le capitaine Thibeault ne lui était pas indifférent et la cour croit qu'elle avait plus que de l'affection pour lui, même si elle disait vouloir que leur relation devienne seulement amicale. D'un côté, la victime ne voulait plus d'aventures avec le capitaine Thibeault et de l'autre, elle recherchait sa présence, et ce jusqu'à l'inviter à écouter un film dans son lit. D'ailleurs, elle a affirmé que le capitaine Thibeault était l'un de ses seuls amis durant le cours.

 

[3]               Vers 17 heures le 4 février 2012, la victime est allée prendre le repas, comme à son habitude, au mess des officiers. À son retour à sa chambre, elle s'endort dans son lit. Entre 20 heures et 21 heures, le capitaine Thibeault cogne à sa porte, DVD en main, lui demandant si elle voulait écouter un film avec lui. Elle est vêtue d'un pantalon d'exercice et d'un T-shirt, alors que le capitaine Thibeault portait une veste, un chandail, un T-shirt et des pantalons. Elle l'invita à entrer dans sa chambre et, une fois le DVD inséré dans le téléviseur, ils s'installent sur le lit en position semi-assise, environ un pied l'un de l'autre. Environ trente minutes après le début du film, le capitaine Thibeault s'approcha d'elle et il caresse de sa main les parties vaginales de la victime, mais par-dessus son pantalon. Elle y prend plaisir et cela l'excite sexuellement. Au bout de quelques minutes, la victime lui demande de cesser ses caresses parce que la situation la rend inconfortable et qu'ils ne devraient faire cela. Elle dit alors : « It is not a good idea, we should not do this, it is not right ». Prononçant ces  paroles, elle se retourne sur le ventre de gauche à droite en s'éloignant de lui, le visage en direction de la tête du lit, alors que ses pieds pointaient vers le téléviseur. Le capitaine Thibeault se déplace alors en se mettant sur elle les genoux de chaque côté de son torse et il commença à l'embrasser dans le cou et au visage. Elle sent une pression sur son dos et il lui met sa main derrière la nuque en appliquant une certaine pression. La victime lui dit encore qu'ils ne devraient pas faire ça, mais le capitaine Thibeault continue d'essayer de l'embrasser, elle retourne son visage. Selon G.R., elle continue de lui dire qu'ils ne devraient pas faire ça, qu'elle ne peut pas faire ça. Le capitaine Thibeault ne réagit pas, il continue. Il place alors l'une de ses mains dans la partie inférieure de son cou et il lui enfonce la tête dans l'oreiller et il lui baisse son pantalon et sa culotte jusqu'à la mi-cuisse, en bas des fesses. La victime réagit lentement et elle ne réalise pas ce qui lui arrive jusqu'au moment où le capitaine Thibeault lui introduit un doigt dans l'anus. G.R. lui dit non de manière répétée. D'abord d'un ton faible à 2 ou 3 reprises, mais suffisamment fort pour qu'il entende malgré le niveau de bruit ambiant dans la chambre. Il continue. Le capitaine Thibeault lui applique une pression sur la nuque et sa bouche est en contact avec l'oreiller. Elle continue de lui dire non, mais en haussant le ton, entre 7 et 10 fois. Elle pleure. Selon G.R., quiconque présent dans la chambre aurait entendu lorsqu'elle lui disait « non ». Cela dure environ une minute. Le corps de la victime ne réagit pas vraiment jusqu'au moment où le capitaine Thibeault retire son doigt pour y introduire son pénis et la sodomiser. C'est alors qu'elle se tortille pour s'échapper de cette position. Il continue, même si elle tente de s'en défaire. Elle continue de dire non. Selon la victime, elle croit que le capitaine Thibeault la sodomise durant quelques minutes, malgré le fait qu'elle continue de lui dire non. Elle ressent à ce moment de la douleur au fur et à mesure où le pénis du capitaine Thibeault pénètre plus profondément dans son anus et il y va d'un mouvement de va-et-vient à plus de 5 reprises. Soudain, elle lui crie :  « Get off of me », toujours en se tortillant pour se défaire de lui. La victime sent alors la pression relâchée et elle se glisse vers sa gauche hors du lit, toujours en position sur le ventre, jusqu'à ce que ses genoux tombent au sol. Elle s'enfuit dans la salle de bain pour y retrouver ses sens. La victime en ressort quelques minutes plus tard furieuse et profondément attristée. La victime quitte sa chambre avec le contrevenant pour aller fumer une cigarette à l'extérieur de l'édifice, pour lui laisser la chance de s'expliquer. Insatisfaite des excuses et de l'explication fournie par le capitaine Thibeault, elle retourne à sa chambre et elle pleure. Environ une heure plus tard, elle se confiera à un ami proche qui demeure dans les environs. Ils passeront le reste de la soirée ensemble.

 

[4]               La victime a témoigné durant le procès et lors de l'audition portant sur la détermination de la sentence. Il ressort de son témoignage que durant les mois qui ont suivi l'agression sexuelle dont elle a été victime, elle a essayé de faire comme si rien de tout cela n'était arrivé. D'ailleurs, elle a continué à envoyer des messages textes au capitaine Thibeault et elle s'est retrouvée en sa compagnie à maintes reprises, parfois de sa propre initiative, parfois de manière fortuite. La victime ne faisait rien pour éviter la présence du capitaine Thibeault. D'une part, G.R. cherchait à oublier le bris de confiance dont elle avait été victime, alors que d'autre part, elle ne voulait pas à avoir à expliquer aux autres membres de son groupe pourquoi elle aurait soudainement décidé d'éviter d'être en présence de celui qui avait été jusque-là son ami. De son propre aveu, il lui aura fallu du temps avant de réaliser qu'elle n'avait pas à se culpabiliser pour ce qui lui était arrivé. Les contrecoups de cette agression pour la victime sont importants. Elle a témoigné des difficultés qu'elle a vécues suite aux rencontres qu'elle a eues avec les autorités militaires et policières en rapport avec les évènements entourant l'agression dont elle fut victime. Le stress engendré par ces rencontres a perturbé son sommeil et sa concentration quotidienne. G.R. a expliqué comment cette situation a contribué à sa performance académique, y compris l'incident de plagiat qui s'est soldé par son retrait du cours AOBC 1201 et un reclassement professionnel qui a définitivement ralenti son parcours au sein des Forces canadiennes. Encore aujourd'hui, elle a de la difficulté à faire confiance aux hommes. Il lui arrive de faire des cauchemars. G.R. a affirmé qu'elle n'a aucun contact avec le contrevenant aujourd'hui et qu'elle n'a aucune intention de rétablir les ponts avec lui

 

[5]               Les conséquences du verdict et de la sentence sont importantes pour le capitaine Thibeault. D'entrée de jeu, son commandant recommandera sa libération des Forces canadiennes aux termes de la politique des Forces canadiennes en matière d'inconduite sexuelle et troubles sexuels, et ce, malgré ses excellentes performances jusqu'à aujourd'hui. Selon la preuve déposée par la défense, le contrevenant devra aussi vraisemblablement informer l'Ordre des ingénieurs du Québec de cette condamnation s'il veut intégrer cet ordre professionnel, lui qui détient un baccalauréat en génie mécanique depuis 2009. Son avenir professionnel à moyen terme est, au mieux, incertain.

 

[6]               Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un contrevenant pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains objectifs sont visés à la lumière des principes applicables qui varient légèrement d'un cas à l'autre. Le prononcé de la sentence lors d'une cour martiale a pour objectif essentiel de contribuer au maintien de la discipline militaire et au respect de la loi et par l'infliction de peines justes visant entre autres un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  dénoncer le comportement illégal;

 

b)                  dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c)                  isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d)                  favoriser la réinsertion du  contrevenant dans son environnement au sein des Forces canadiennes ou dans la vie civile; et

 

e)                  susciter la conscience de leurs responsabilités chez les contrevenants militaires.

 

[7]               La sentence doit également prendre en compte les principes suivants. Elle doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction, les antécédents du contrevenant, ainsi que son degré de responsabilité, c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. La cour a l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Finalement, la sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du contrevenant et prendre en compte toute conséquence indirecte du verdict et de la sentence sur le contrevenant.

 

[8]               La suggestion commune des procureurs doit respecter les objectifs et les principes précédemment mentionnés qui sont applicables en l'espèce, sinon la cour n'a d'autre choix que de la refuser. Dans cette affaire, il importe de mettre l'emphase sur les objectifs de dissuasion générale et de dénonciation. Comme le soulignait la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt R c L. (J.J.) [1998] R.J. Q.971, 126 CCC (3d) 235; autorisation d’appel refusée, par la Cour suprême du Canada, [1998] 2 RCS viii, il existe plusieurs facteurs qui doivent être considérés pour mesurer la responsabilité pénale d’un accusé, dans le cadre du processus de détermination de la peine concernant des infractions d’ordre sexuel:

 

a)                  La nature et la gravité intrinsèques des infractions (usage de menaces, violence, contraintes psychologiques, manipulation);

 

b)                  La fréquence des infractions et l’espace temporel qui les contient;

 

c)                  L’abus de confiance et l’abus d’autorité du délinquant avec la victime;

 

d)                  Les désordres sous-jacents à la commission des infractions (détresse psychologique du délinquant, pathologie et déviance, intoxication, etc.);

 

e)                  Les condamnations antérieures du délinquant : proximité temporelle avec l’infraction reprochée et nature des condamnations antérieures;

 

f)                    Le comportement du délinquant après la commission des infractions : aveu, collaboration à l’enquête, implication immédiate dans un programme de traitement, potentiel de réadaptation, assistance financière s’il y a lieu, compassion et empathie à l’endroit des victimes (remords, regrets, etc.);

 

g)                  Le délai entre la commission des infractions et la déclaration de culpabilité comme facteur d’atténuation selon le comportement du délinquant (âge du délinquant, intégration sociale et professionnelle, commission d’autres infractions, etc.); et

 

h)                  La victime : gravité des atteintes à l’intégrité physique et psychologique se traduisant, notamment, par l’âge, la nature et l’ampleur de l’agression, la fréquence et la durée, le caractère de la victime, sa vulnérabilité (déficience mentale ou physique), l’abus de confiance ou d’autorité, les séquelles traumatiques, etc.).

 

Cette affaire est l'illustration de la maxime « Non veut dire non ».

 

[9]               Dans cette affaire, la cour considère comme aggravantes:

 

a)                  les circonstances entourant le bris du lien de confiance qui existait entre le capitaine Thibeault et G.R. avant l'agression. Au-delà du lien de confiance qui doit exister entre les militaires du rang et les officiers au sein des Forces canadiennes, ces deux jeunes adultes entretenaient une relation privilégiée;

 

b)                  la cour considère très sérieux le fait que le capitaine Thibeault ait profité de sa présence dans la chambre de sa victime pour profiter d'elle, alors que celle-ci l'y avait invité; et

 

c)                  les conséquences néfastes que les gestes du capitaine Thibeault ont entraînées chez la victime et qui continuent d'exister aujourd'hui telles qu'elles ont été précédemment exprimées.

 

[10]           Toutefois, la cour ne peut passer sous silence le fait que l'accusé est un jeune officier apprécié de ses pairs et de ses supérieurs. La preuve déposée devant la cour démontre que le capitaine Thibeault est un officier très motivé, professionnel et compétent. Malgré cela, son avenir professionnel à court et moyen terme est sombre. J'y référais un peu plus tôt. Finalement, il compte environ cinq ans de service au sein des Forces canadiennes et il n'a aucun antécédent criminel ou disciplinaire.

 

[11]           Les parties ont soumis à la cour des décisions antérieures tant militaires que civiles au soutien de leur suggestion commune. Dans le contexte de cette affaire où les personnes impliquées entretenaient une relation privilégiée avant la commission de l'infraction, la jurisprudence soumise ce matin par les procureurs est particulièrement pertinente lorsqu'elle traite d'agression sexuelle commise par une connaissance de la victime, notamment R v Gormley, 2011 PESC 7 and R v R.J.J. 2010 ONSC 4494. Il appert que les sentences varient d'une courte période d'emprisonnement jusqu'à quelques années lorsque les faits ne démontrent pas d'extrêmes violences à l'endroit de la victime ou lorsqu'il ne s'agit pas d'agressions répétées. La cour est satisfaite que la recommandation des procureurs est conforme au principe d'harmonisation des peines dans le contexte du régime des peines applicables en vertu de la Loi sur la défense nationale également. La cour entérine la suggestion commune des procureurs et la cour les remercie également des informations supplémentaires qui ont été fournies ce matin.

 

POUR CES RAISONS, LA COUR :

 

[12]           CONDAMNE le contrevenant, le capitaine Thibeault, à l'emprisonnement pour une période de 6 mois.

 

[13]           PRONONCE sa rétrogradation au grade de sous-lieutenant.

 

[14]           REND l'ordonnance prévue à l'article 196.14 de la Loi sur la défense nationale pour le prélèvement de substance corporelles à des fins d'analyse génétique.

 

[15]           REND l'ordonnance prévue à l'article 227.01 de la Loi sur la défense nationale assujettissant le contrevenant à la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels pendant une période de 20 ans.

 

ET

 

[16]           NE REND PAS l'ordonnance prévue à l'article 147.1 de la Loi sur la défense nationale conformément au souhait exprimé par le Directeur des poursuites militaires qui n'en fait pas la demande.


 

Avocats :

 

Major E. Carrier, Service canadien des Poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Capitaine de corvette P.D. Desbiens, Service des avocats de la défense

Avocat pour le capitaine J.R.N.J. Thibeault

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