Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 14 novembre 2012.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, Victoria (CB).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chefs d’accusation 2, 5 : Art. 101 LDN, a omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3.
•Chefs d’accusation 3, 6 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.
•Chef d’accusation 4 : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 14 jours et destitution. L’exécution de la peine d’emprisonnement a été suspendue.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c O’Toole, 2012 CM 1018

 

Date : 20121115

Dossier : 201270

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

Victoria (Colombie-Britannique) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Matelot de 3e classe K.G. O’Toole, contrevenant

 

 

En présence du : Colonel M. Dutil, J.C.M.


TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

[1]               Le matelot de 3e classe O’Toole a plaidé coupable à six accusations d’infractions à la Loi sur la défense nationale : deux chefs d’accusation fondés sur l’article 129 de la Loi pour comportement et négligence préjudiciables au bon ordre et à la discipline, deux chefs d’accusation fondés sur l’article 90 de la Loi pour absence sans permission et deux chefs d’accusation fondés sur l’article 101.1 de la Loi pour non-respect de conditions imposées sous le régime de la section 3.

[2]               Les avocats ont conjointement recommandé que la Cour condamne le matelot de 3e classe O’Toole à la destitution. La Cour leur a fait part de ses préoccupations quant à l’opportunité d’une telle sentence dans les circonstances de la présente affaire. Les avocats de la poursuite et de la défense ont réitéré leur observation conjointe, estimant que leur recommandation remplirait les objectifs essentiels de dissuasion générale et de dénonciation. Ils attirent l’attention sur les infractions d’absence sans permission et leur durée pour faire valoir que leur proposition est appropriée et située dans l’éventail des sentences imposées en pareils cas; ils rappellent que le matelot de 3e classe O’Toole s’est livré aux autorités. Il se peut fort bien que leur proposition s’inscrive dans la gamme des peines mais, pour les raisons qui suivent, la Cour estime respectueusement que cette sentence ne serait pas opportune et qu’elle irait à l’encontre de l’intérêt public : la peine proposée ne répond pas adéquatement en l’occurrence à un autre objectif important et fondamental de détermination de la peine, à savoir la dissuasion spécifique. Cet élément est particulièrement crucial lorsqu’on sait que le matelot de 3e classe O’Toole, qui poursuivra sa vie dans la collectivité civile, a violé plusieurs fois les conditions de sa mise en liberté sous caution imposées par un fonctionnaire judiciaire.

[3]               Au moment des infractions, le matelot de 3e classe O’Toole était affecté au service d’alimentation de la Base des Forces canadiennes Esquimalt comme cuisinier. Au petit matin du 29 septembre 2012, il y a eu du tapage dans sa chambrée de la caserne Bernays, ici sur la base. Arrivée sur les lieux pour évaluer la situation, la police militaire a trouvé un civil, Eric Knoblauch, dans la chambrée. Cet homme venait de débarquer en Colombie-Britannique du Manitoba, et prévoyait s’installer avec le matelot de 3e classe O’Toole dans un logement civil. Entre-temps, et depuis environ une semaine à cette date, M. Knoblauch vivait avec le contrevenant dans son logement pour célibataires, en violation des Règlements concernant les logements pour célibataires de la Base des Forces canadiennes Esquimalt qui interdisent la présence d’invités en dehors des heures de visite et ne permettent qu’au personnel autorisé par l’officier du logement de la base à y habiter ou y passer la nuit. Les invités n’y sont pas admis après 23 h. M. Knoblauch n’avait pas reçu l’autorisation de coucher là, et le matelot de 3e classe O’Toole le savait. Ce dernier a été arrêté par la police militaire à cause du tapage dans son logement. Plus tard ce matin-là, il a été remis en liberté par un officier réviseur de son unité, sous réserve de certaines conditions; il devait notamment [traduction] « se présenter devant le premier maître de 1re classe Ferguson à la caserne Nelles, salle 146, le lundi 1er octobre 2012 à 8 h. » À la date dite, sans excuse légitime, le matelot de 3e classe O’Toole a omis de se présenter devant le premier maître Ferguson comme il s’y était engagé conformément aux conditions de sa remise en liberté, le 29 septembre 2012.

[4]               Le 1er octobre 2012, le matelot de 3e classe O’Toole était de service dans la cantine Nelles de la BFC Esquimalt pour le quart d’après-midi, de 10 h 30 à 19 h. Il savait qu’il était de service, l’horaire de tous les cuisiniers ayant été affiché depuis la mi-septembre dans la cantine Nelles, comme le veut la pratique en vigueur. Il avait effectué la veille, le 30 septembre 2012, son quart de travail prévu à la cantine; cependant le matelot de 3e classe O’Toole ne s’est pas présenté pour son service à la cantine Nelles le 1er octobre 2012 à 10 h 30, comme il était tenu de le faire.

[5]               Le matelot de 3e classe O’Toole ne s’étant pas présenté devant le premier maître de 1re classe Ferguson, ni ensuite pour son service, son unité a appliqué la procédure de localisation des absents, en le cherchant notamment dans sa chambre, mais sans succès. Les membres de son unité ont fouillé le parc de stationnement adjacent, vérifié le cahier de rendez-vous, et contacté les cliniques médicale et dentaire de la base, les hôpitaux voisins, et d’autres sections du service d’alimentation de la base pour le retrouver. Toutes ces démarches sont restées infructueuses.

[6]               À 11 h 20 le 1er octobre 2012, le matelot-chef Auer s’est rendu dans le logement pour célibataires du matelot de 3e classe O’Toole en compagnie du responsable de caserne, qui a frappé à sa porte à grands coups sans recevoir de réponse. Par mesure de sécurité et pour s’assurer que le contrevenant allait bien, le responsable de caserne a ouvert la porte du logement et s’est annoncé. Ne recevant aucune réponse, ils sont entrés dans l’habitation et ont constaté que le matelot de 3e classe O’Toole ne s’y trouvait pas; ils ont noté cependant que le désordre régnait et que la chambre et les meubles avaient subi des dommages importants. Le matelot-chef Auer a remarqué que le casier et le lit étaient brisés, qu’il y avait du sang sur le mur et que des vêtements jonchaient le lit et le sol. Le gérant de caserne a vu qu’il y avait des trous et des marques de rayures sur tous les murs et sur les portes du placard, dont le coin était endommagé et taché de sang. Il a également noté une [traduction] « odeur nauséabonde de linge sale et d’alcool dans toute la pièce ». Dans le casier de rangement, le matelot-chef Auer a trouvé deux grands sacs-poubelle remplis de canettes d’alcool vides dont il a qualifié l’odeur d’épouvantable. Le matelot de 3e classe O’Toole a déclaré durant son témoignage qu’il avait ramassé ces bouteilles vides pour obtenir l’argent de la consigne au magasin d’alcool. Une chaise avait été irréparablement tailladée avec un objet pointu et il y avait un trou dans le tapis. Les coûts estimés de la réparation ou du remplacement des objets endommagés dans le logement s’élèvent à environ 2 000 $. Des mesures administratives ont été intentées pour que le matelot de 3e classe O’Toole rembourse cette somme.

[7]               Les Règlements concernant les logements pour célibataires de la Base des Forces canadiennes Esquimalt prévoient que l’ordre et la propreté doivent être maintenus en tout temps dans les logements et que cette responsabilité revient aux occupants. Cela comprend les lits non occupés. Le balai ou l’aspirateur doit être passé dans tous les logements, les meubles doivent être époussetés, les lits faits et tout l’équipement non rangé doit l’être avant de quitter la chambre. Bien entendu, l’état dans lequel se trouvait le logement du matelot de 3e classe O’Toole le 1er octobre 2012 n’était pas conforme aux exigences d’ordre et de propreté prévues par le Règlement.

[8]               Le 2 octobre 2012, à 12 h 57, le matelot de 3e classe O’Toole s’est livré à l’unité de police militaire d’Esquimalt, et il a été arrêté pour violation d’une condition de sa remise en liberté et pour absence sans permission. À 16 h 30 le même jour, il a été remis en liberté par un officier réviseur de son unité, sous réserve notamment des conditions suivantes  : demeurer sous l’autorité militaire; résider dans la chambre 407 de la caserne Bernays, 124, Ontario Drive, BFC Esquimalt; se présenter devant l’officier de service de la base à 7 h, à 18 h et à 21 h 30 tous les jours, à compter du 3 octobre 2012; se présenter à tous les rendez-vous prévus avec les professionnels de la santé des Forces canadiennes ou civils; et arriver à l’heure à ses quarts de travail prévus à la cantine de la caserne Nelles.

[9]               Le 3 octobre 2012, il a reçu un congé de maladie de sept jours, du 3 au 9 octobre inclusivement. D’après une note qui accompagnait le formulaire de contraintes à l’emploi pour raisons médicales justifiant cette absence, même s’il devait éviter de manipuler ou préparer de la nourriture, et minimiser les contacts, il pouvait continuer à honorer les autres conditions de sa remise en liberté. Le 4 octobre 2012, il ne s’est pas présenté devant l’officier de service à 7 h comme il y était tenu. Plus tard ce matin-là, à 10 h 10, le premier maître de 2e classe Rogerson a appelé l’hôtel où le matelot de 3e classe O’Toole avait déjà séjourné. Il s’y trouvait et le premier maître Rogerson lui a parlé. Le matelot de 3e classe O’Toole a déclaré qu’il avait voulu se présenter ce matin-là, mais que l’officier de service était absent à son arrivée. Il a ajouté qu’il retournerait à la base à cet instant et qu’il se présenterait devant le premier maître de 2e classe Rogerson. Cependant, il n’en a rien fait mais s’est arrangé pour que le premier maître de 2e classe Rogerson aille le chercher plus tard au centre-ville de Victoria à 15 h. Cet après-midi-là, l’officier réviseur et le premier maître de 1re classe Ferguson lui ont relu ses conditions de remise en liberté. Le matelot de 3e classe O’Toole s’était trouvé un logement à l’extérieur de la base avant qu’on l’y assigne à résidence; il l’avait conservé et y passait du temps lorsqu’il était libre.

[10]           Le matin du 8 octobre 2012, sans excuse légitime, le matelot de 3e classe O’Toole a omis de se présenter devant l’officier de service comme il était tenu de le faire. Son unité en a été avisée et a appliqué les procédures de localisation des absents. On l’a cherché dans sa chambre à 7 h 50, à 9 h 30, à 12 h et à 18 h 45, soit en frappant à la porte, soit, dans le cas de la vérification de 9 h 30, en entrant dans son logement. Le même jour, sans excuse légitime, il a également négligé de se présenter devant l’officier de service à 18 h. À la quatrième tentative de localisation, à 18 h 45, le matelot de 3e classe O’Toole a été retrouvé dans son logement par l’officier de service de la base et l’officier marinier de la journée. Il a déclaré à l’officier de service qu’il était allé à l’hôpital le matin, mais qu’il avait regagné son logement et qu’il dormait depuis 10 h 30. Une enquête a révélé ultérieurement qu’à 10 h 30 ce jour-là, il était à un rendez-vous chez le médecin à Victoria. Dans le cours de cette journée du 8 octobre, l’unité du contrevenant a entrepris de réclamer un mandat d’arrestation; lorsqu’il a été retracé dans son logement, son commandant était en route pour la base pour examiner la question et lancer ledit mandat, s’il y avait lieu. Comme il a été retrouvé dans sa chambre à ce moment-là, il n’a pas été arrêté pour avoir contrevenu aux conditions de sa mise en liberté imposées le 2 octobre précédent; on les lui a simplement rappelées une fois de plus.

[11]           Le lendemain, son congé de maladie a été prolongé de cinq jours. Le médecin l’ayant autorisé a confirmé que le matelot de 3e classe O’Toole était médicalement apte à se conformer aux conditions de sa remise en liberté. À sa demande, un officier réviseur a modifié ces conditions le 12 octobre, et une nouvelle ordonnance de libération acceptée par le matelot de 3e classe O’Toole a été émise. Le principal changement par rapport aux conditions du 2 octobre était que le matelot de 3e classe O’Toole n’était maintenant tenu que de se présenter devant l’officier de service de la base une fois par jour, à 7 h, de manière à lui permettre d’assister à des réunions en soirée des Alcooliques anonymes. Une autre condition a été ajoutée : le matelot de 3e classe O’Toole devait s’abstenir de consommer de l’alcool et n’utiliser que les médicaments prescrits par un médecin.

[12]           Malgré ces changements, le matelot de 3e classe O’Toole ne s’est pas présenté devant l’officier de service de la base à 7 h le 14 octobre 2012, comme il y était tenu. Il a contacté le poste de service à 6 h 58 et a chargé un membre du personnel d’informer l’officier de service de la base qu’il ne pouvait être là à 7 h comme prévu parce qu’il avait une réunion des Alcooliques anonymes ce matin-là.

[13]           Le 17 octobre 2012 à 5 h, il ne s’est pas présenté pour son service à la cantine Nelles de la BFC Esquimalt bien qu’il connût son horaire, les quarts de service de tous les cuisiniers ayant été affichés dans la cantine suivant la pratique habituelle de l’unité. Il ne s’est pas présenté non plus devant l’officier de service de la base comme l’exigeait une des conditions de sa remise en liberté. Son unité a appliqué encore une fois les procédures de localisation des absents et l’a cherché dans son logement pour célibataires, a tenté de le joindre par téléphone, a contacté la clinique de la base et les hôpitaux voisins, ses fournisseurs de soins de santé connus, la police militaire et l’hôtel où le matelot O’Toole avait déjà séjourné. Toutes ces mesures ont été infructueuses. Comme il avait violé les conditions de sa remise en liberté et qu’il était absent sans permission, son commandant a lancé un mandat d’arrestation contre lui le 17 octobre 2012.

[14]           Le lendemain, soit le 18 octobre 2012 à 17 h 40, le matelot de 3e classe O’Toole s’est livré à la police militaire et a été arrêté. L’officier de la police militaire ayant procédé à son arrestation a déterminé qu’il devait rester en détention et a préparé un rapport à l’intention de l’officier réviseur. Le 19 octobre 2012, le matelot de 3e classe O’Toole a été accusé d’un certain nombre d’infractions relativement aux événements survenus entre le 29 septembre et le 18 octobre 2012. Le même jour, l’officier réviseur a estimé qu’il devait rester en détention et a demandé que des dispositions soient prises pour qu’il comparaisse devant un juge militaire pour une audience en révision du maintien sous garde. Celle-ci a eu lieu les 25 et 26 octobre 2012, et le juge militaire qui présidait a ordonné que le matelot de 3e classe O’Toole reste en détention. Le 6 octobre 2012, le juge en chef de la Cour d’appel de la Cour martiale a rejeté, pour les motifs qui suivent, la requête que le contrevenant avait présentée la veille en vue du contrôle judiciaire de cette ordonnance.

[15]           Les parties ont également reconnu que la série de faits décrits en pièce 8 étaient pertinents aux fins de détermination de la peine. Ces faits indiquent que le matelot de 3e classe O’Toole est en détention depuis le 18 octobre 2012, qu’il a été détenu deux jours de plus avant cette période, et qu’il est maintenant sous garde relativement à cette affaire depuis 30 jours. Le contrevenant a 25 ans, il s’est enrôlé dans les Forces canadiennes le 15 septembre 2009 et a servi dans l’armée pendant près de trois ans. Il vient de Winnipeg où il vivait avec sa mère. À 15 ans, il s’est installé à Sidney (Colombie‑Britannique) avec son père, il est resté avec lui jusqu’à l’obtention de son diplôme d’études secondaires en 2005. Ensuite, il est retourné à Winnipeg où il a rejoint les Forces canadiennes. Son père, Gerald O’Toole, vit encore dans la région du grand Victoria. Le matelot de 3e classe O’Toole entretient de bonnes relations avec ses deux parents. Il a une jeune sœur qui est restée chez sa mère lorsqu’il a déménagé à Sidney. Il a fréquenté l’école secondaire et obtenu un diplôme de 12e année de la Parklands High School de Sidney. Le matelot de 3e classe a une formation NQ4 de cuisinier, transférable au système civil de qualification à condition de passer un test. Lorsqu’il sera libéré des Forces canadiennes, le matelot de 3e classe O’Toole prévoit travailler comme cuisinier dans un restaurant local dont il connaît le personnel. D’après son témoignage, le propriétaire de ce restaurant lui a assuré un emploi. Il a l’intention de poursuivre sa formation de cuisinier après sa libération.

[16]           On a fait valoir que le matelot de 3e classe O’Toole n’a jamais eu de problèmes d’alcool avant de rejoindre les rangs des Forces canadiennes, et que sa consommation n’est devenue préoccupante que récemment. Il a fréquenté l’établissement de traitement Edgewood et a su rester sobre pendant un certain temps. Il a l’intention de continuer à limiter sa consommation et à aller dans les groupes de soutien auxquels il participe depuis la fin de son traitement à l’établissement Edgewood. Il continuera aussi à voir son parrain des Alcooliques anonymes, et à assister régulièrement aux réunions de cet organisme.

[17]           Les parties ont informé la Cour que la peine de destitution empêchera le matelot de 3e classe O’Toole de réclamer certaines prestations liées à la libération, comme les frais de déménagement de retour au lieu d’enrôlement et son indemnité de départ, qui aurait avoisiné les 3 000 $. Le matelot de 3e classe O’Toole a demandé une libération volontaire des Forces canadiennes. En même temps, son unité a entamé un processus d’examen administratif en recommandant qu’il soit libéré en vertu de l’alinéa 5f) du tableau ajouté à l’article 15.01 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Une libération au titre de cet alinéa lui permettrait d’être « libéré honorablement ». La demande d’examen administratif a été envoyée au directeur – Administration (Carrières militaires) le 16 octobre 2012. Cependant, si la Cour accepte la recommandation des avocats et condamne le matelot de 3e classe O’Toole à la destitution, il sera libéré des Forces canadiennes au titre de l’alinéa 1a), et son état de service portera la mention « Destitué pour inconduite ».

[18]           Le 10 septembre 2012, le matelot de 3e classe O’Toole a été déclaré coupable par une cour martiale permanente de désobéissance à un ordre légitime au titre de l’article 83 de la Loi sur la défense nationale, de vol au titre de l’article 114, et de violation des conditions imposées sous le régime de la section 3 au titre de l’article 101.1 de la Loi. La Cour a accepté la recommandation conjointe des avocats et l’a condamné à une réprimande et à une amende de 1 200 $. J’ai présidé ce procès. Ces infractions ont été commises en avril 2012 alors que le matelot de 3e classe O’Toole était aux prises avec un problème d’abus de substances. Peu après les événements ayant donné lieu aux accusations, il a été admis à Edgewood pour y suivre un programme de 55 jours destiné à traiter sa dépendance. Il a complété le programme avec succès et repris ses activités régulières au sein de son unité avant d’être traduit devant la Cour martiale. Au début de septembre 2012, la Cour martiale a été informée qu’il allait très bien. Notant que la fiche de conduite du matelot de 3e classe O’Toole faisait déjà état d’épisodes d’absences sans permission et d’ivresse survenus à la mi-novembre 2010, la Cour a imposé ce qu’elle a estimé la peine minimale requise dans les circonstances pour remplir les objectifs de dissuasion générale et spécifique, de dénonciation et de réadaptation.

[19]           Durant son témoignage devant cette Cour martiale, le matelot de 3e classe O’Toole a admis sans peine qu’il avait fait une rechute, mais a ajouté qu’il n’avait pas consommé d’alcool depuis le 1er octobre 2012. Il a déclaré qu’il ne sera pas livré à lui‑même pour faire face à son alcoolisme après sa libération des Forces canadiennes, qui pourrait devenir effective avant la fin de ce mois-ci si sa destitution était prononcée, si l’on en croit la poursuite. Il explique qu’Edgewood offre un programme efficace de suivi en ligne et de soutien téléphonique, accessible 24 heures sur 24, sept jours sur sept, ainsi que des groupes de support. Il continue de participer aux réunions des Alcooliques anonymes et il est en contact avec un parrain. Le matelot de 3e classe O’Toole a également confirmé que sa famille lui a apporté son soutien et qu’elle l’aidera à réintégrer la collectivité civile. Il avoue qu’il a eu du mal à gérer le stress lié à ses fonctions de cuisinier dans un cadre militaire imposant, et assure que de travailler dans un nouvel environnement professionnel comme un petit restaurant privé, l’aidera grandement à résoudre ses problèmes. Le père du matelot de 3e classe O’Toole a également témoigné. Son intervention a convaincu la Cour que son fils pourra compter sur un groupe de soutien solide et sur sa famille une fois libéré des Forces canadiennes.

[20]           Il reste que l’objectif fondamental de l’imposition d’une sentence en cour martiale est de contribuer au respect de la loi et au maintien de la discipline militaire en infligeant des peines qui satisfont à un ou plusieurs des objectifs suivants :

a)                  la protection du public, y compris celle des Forces canadiennes;

b)                  la dénonciation de la conduite illicite;

c)                  l’effet dissuasif de la peine, non seulement pour le contrevenant, mais aussi pour les autres personnes qui pourraient être tentées de commettre de semblables infractions;

d)                  enfin, l’amendement et la réadaptation du contrevenant.

[21]           Toute peine doit tenir compte des principes suivants : elle doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction, aux antécédents du contrevenant et à son degré de responsabilité; la peine doit être analogue à celles qui sont infligées à des contrevenants ayant commis de semblables infractions dans de semblables circonstances; le contrevenant ne doit pas être privé de sa liberté si une peine moins contraignante peut se justifier dans les circonstances; et finalement, la peine doit être ajustée en fonction des circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du contrevenant. Comme il a déjà été souvent répété, la Cour doit toujours faire preuve de retenue au moment de déterminer la peine, de façon à ce que la ou les sanctions imposées correspondent au minimum requis pour le maintien de la discipline.

[22]           Les facteurs aggravants dans la présente affaire sont les suivants :

a)                  la gravité objective d’une infraction au titre de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, punissable de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. Une déclaration de culpabilité au titre de l’article 101.1 ou de l’article 90 de la Loi emporte une peine d’emprisonnement maximale de deux ans;

b)                  deuxièmement, la gravité subjective des infractions décrites dans le sommaire des circonstances. Comme au moment de sa comparution devant la Cour martiale il y a moins de deux mois, le matelot de 3e classe O’Toole a persisté à se conduire au mépris total des principes élémentaires de la discipline militaire et de la règle de droit. Que son comportement ait été exacerbé par sa dépendance à l’alcool et son incapacité à faire face aux facteurs de stress inhérents à la vie militaire de cuisinier ne diminue en rien sa responsabilité compte tenu de sa conduite inappropriée et de son engagement à respecter les conditions dont sa mise en liberté sous caution a été assortie à plusieurs occasions;

c)                  troisièmement, le matelot de 3e classe O’Toole a de lourds antécédents de condamnations par l’armée pour des incidents d’absences sans permission, de violations des conditions de mise en liberté sous caution, de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline et d’ivresse. Toutes ces condamnations se rapportent à des infractions commises entre novembre 2010 et octobre 2012. Manifestement, sa comparution récente devant la Cour martiale et les peines qui lui ont été imposées n’ont pas eu l’effet de dissuasion spécifique recherché. Il faut souligner que le matelot de 3e classe O’Toole s’est enrôlé dans les Forces canadiennes en septembre 2009.

[23]           Il y a néanmoins plusieurs circonstances atténuantes dans la présente affaire :

a)                  le matelot de 3e classe O’Toole a plaidé coupable à tous les chefs d’accusation devant la Cour. Il assume l’entière responsabilité de sa conduite. Il a exprimé ses regrets pour les problèmes qu’il a causés aux Forces canadiennes, à son unité et à ses pairs;

b)                  il a passé un mois sous garde avant la tenue de son procès jusqu’au prononcé de cette peine;

c)                  le contrevenant a 25 ans, il est encore relativement jeune. Il va poursuivre sa vie en tant que civil dans cette collectivité locale. La Cour pense, comme son père, que le matelot de 3e classe O’Toole peut devenir un atout précieux pour la société. C’est peut-être la fin d’une très brève carrière militaire, qui à l’évidence n’était pas faite pour lui, mais son parcours n’est pas terminé. Le matelot de 3e classe O’Toole est à la croisée des chemins. La preuve dont dispose la Cour est assez encourageante pour conclure qu’il bénéficiera du soutien nécessaire pour l’aider à guérir de son alcoolisme; cependant, il doit s’engager à devenir un citoyen fiable et responsable. Pour ce faire, il s’assurera de créer autour de lui un environnement favorable s’il veut y parvenir.

[24]           Durant ses observations, l’avocat de la poursuite a fourni à la Cour une série de décisions récentes et pertinentes de la Cour martiale à l’appui de la recommandation conjointe sur la peine, pour lui donner une idée de l’éventail des peines applicables, y compris R c Nicholson, 2009 CM 1015, R c Billingsley, 2009 CM 2016; R c Tupper, 2007 CM 2016 et 2009 CACM 5; R c Labrie, 2008 CM 1013; R c Dupuis, 2010 CM 3005; et R c Zammitti, 2010 CM 3024. L’avocat de la défense a fait valoir que toutes ces décisions étaient pertinentes et qu’elles présentaient plus de facteurs aggravants que le cas d’espèce. Je ne suis pas d’accord. Certaines circonstances sont ici plus aggravantes, et d’autres moins. Je conviens toutefois avec les avocats que ces décisions donnent une idée juste de l’éventail des peines. Il ne fait aucun doute que la peine imposée en l’espèce doit promouvoir les objectifs de dissuasion générale, de dénonciation et de sanction du comportement contesté. Compte tenu du comportement répétitif du matelot de 3e classe O’Toole, et en particulier de la violation de ses conditions de mise en liberté sous caution, la peine doit également avoir un effet dissuasif spécifique maintenant qu’il poursuivra sa vie en tant que civil. La sentence doit le dissuader de contrevenir à la règle de droit et au processus de justice. La recommandation conjointe ne contribue pas adéquatement à la poursuite de cet objectif essentiel. Enfin, je conviens avec les avocats que la peine ne doit pas compromettre sa réadaptation.

[25]           Après avoir pondéré tous ces objectifs et principes et les avoir appliqués aux circonstances propres à ces infractions et à ce contrevenant, je conclus que toute peine doit inclure une certaine privation de liberté sous la forme de l’emprisonnement. La peine de destitution, seule ou combinée à d’autres sanctions que l’emprisonnement, ne suffira pas à mon avis à remplir l’objectif de dissuasion générale et spécifique, ou celui de punition et de dénonciation du contrevenant. Quant à l’importance à accorder à la peine purgée en détention avant la tenue du procès, cette question est laissée à la discrétion du juge présidant. La Loi sur la défense nationale ne contient aucune disposition comparable à celles du Code criminel qui permettent de calculer la période passée sous garde avant la tenue du procès aux fins de détermination de la peine. Rien ne prouve en l’espèce que les conditions de détention avant la tenue du procès étaient pénibles au point de devoir créditer le temps perdu à raison de plus d’un jour pour chaque jour passé sous garde avant la détermination de la peine.

[26]           Le matelot de 3e classe O’Toole a largement démontré qu’il n’était pas fait pour prolonger son service militaire, mais il a aussi prouvé de manière éloquente par son comportement qu’il ne respectait pas la règle de droit. Dans les circonstances, la peine minimale doit inclure une peine d’emprisonnement de 45 jours et la destitution. Comme il a passé 31 jours sous garde avant la tenue de son procès, la Cour estime qu’une peine de 14 jours est justifiée, accompagnée de la peine de destitution. La poursuite s’est dite d’avis que la preuve présentée à la Cour est sans doute insuffisante pour établir des circonstances exceptionnelles justifiant la suspension de la peine d’emprisonnement. Je suis respectueusement en désaccord. D’avoir à purger une peine d’emprisonnement aussi courte dans une caserne disciplinaire des Forces canadiennes à Edmonton (Alberta) privera inutilement le matelot de 3e classe O’Toole de son groupe de soutien, et il est improbable que les autorités militaires puissent lui proposer une solution de rechange adéquate durant cette brève période. Il est dans l’intérêt de la justice que le matelot de 3e classe O’Toole entame sa nouvelle vie en sachant clairement que le mépris des processus judiciaires de ce pays emporte de graves conséquences, notamment la privation de liberté. La Cour est convaincue que la situation personnelle du matelot de 3e classe O’Toole est suffisamment impérieuse pour suspendre la mise en application de la peine d’emprisonnement.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[27]           Vous DÉCLARE coupable de toutes les accusations, à savoir deux chefs d’accusation au titre de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, pour comportement et négligence préjudiciables au bon ordre et à la discipline; deux chefs d’accusation au titre de l’article 90 de la Loi pour des absences sans permission; et deux chefs d’accusation pour violation de conditions imposées sous le régime de la section 3 au titre de l’article 101.1 de la Loi.

[28]           Vous CONDAMNE à une peine d’emprisonnement de 14 jours et à une peine de destitution.

[29]           SUSPEND l’exécution de la peine d’emprisonnement.


Avocats :

Lieutenant-Colonel S.D. Richards, Services canadiens des poursuites militaires

Avocat de Sa Majesté la Reine

 

Major D. Berntsen, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du matelot de 3e classe K.G. O’Toole

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