Cour martiale
Informations sur la décision
CACM 513 - Appel rejeté
Date de l’ouverture du procès : 15 avril 2008.
Endroit : CFC Toronto, réfectoire DeWolf, 3e étage, 215 boulevard Yonge, North York (ON).
Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression infligeant des lésions corporelles (art. 267b) C. cr.).
Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait (art. 266 C. cr.).
•SENTENCE : Une amende au montant de 1800$.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Lieutenant-colonel G.C. Szczerbaniwicz, 2008 CM 2008
Dossier : 200807
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ONTARIO
COLLÈGE DES FORCES CANADIENNES TORONTO
Date : le 17 avril 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU COMMANDANT P.J. LAMONT, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
LIEUTENANT-COLONEL G.C. SZCZERBANIWICZ
(accusé)
VERDICT
(prononcé de vive voix)
[1] Lieutenant-colonel Szczerbaniwicz, la cour vous déclare non coupable de l’infraction dont vous êtes accusé, mais coupable de l’infraction connexe moins grave de voies de fait simples qui est prévue à l’article 266 du Code criminel. Vous pouvez vous asseoir à côté de votre avocat.
[2] Le lieutenant-colonel Szczerbaniwicz est accusé d’une infraction sous le régime de la Loi sur la défense nationale, soit de voies de fait causant des lésions corporelles, laquelle infraction va à l’encontre du Code criminel. L’infraction aurait été commise lors d’une altercation entre l’accusé et son épouse âgée d’environ 30 ans, Wanda. L’accusé ne conteste pas qu’à la date en cause, soit le 16 août 2006, il a intentionnellement eu recours à la force à l’endroit de Mme Szczerbaniwicz sans le consentement de celle-ci et savait qu’elle ne consentait pas à ce recours à la force. Les questions à trancher sont les suivantes : d’abord, la question de savoir si le comportement violent était justifié au titre du paragraphe 39(1) du Code criminel en raison de la défense relative à la possession d’un bien meuble et, deuxièmement, la question de savoir si les lésions corporelles ont été causées à la plaignante par le comportement violent de l’accusé.
[3] Dans une poursuite devant une cour martiale comme dans toute autre poursuite en matière criminelle, il incombe au poursuivant de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. En droit, cette expression a un sens précis. Lorsque la preuve ne permet pas d’établir la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, celui-ci doit être déclaré non coupable de l’infraction dont il est accusé. En tout temps, le fardeau de la preuve repose sur les épaules du poursuivant. L’accusé n’a pas à démontrer son innocence. L’accusé jouit en fait d’une présomption d’innocence à toutes les étapes de la poursuite, jusqu’à ce que le poursuivant ait établi, à l’aide d’une preuve que la cour accepte, la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable.
[4] Doute raisonnable n’est pas certitude absolue, mais il ne suffit pas seulement que la preuve établisse une probabilité de culpabilité. Si la cour est seulement convaincue que l’accusé est plus raisonnablement coupable que non coupable, il y a place au doute raisonnable et l’accusé doit être déclaré non coupable. En fait, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable se rapproche bien plus de la certitude absolue que de la norme de la culpabilité probable.
[5] Cependant, le doute raisonnable n’est pas un doute futile ou imaginaire. Il ne se fonde pas sur la sympathie ou les préjugés. C’est un doute fondé sur la raison et le bon sens, qui découle de la preuve présentée ou de l’absence de preuve. La preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments de l’infraction reprochée. En d’autres termes, si la preuve ne permet pas de prouver chacun des éléments de l’infraction hors de tout doute raisonnable, l’accusé devra être déclaré non coupable.
[6] La règle du doute raisonnable s’applique à la crédibilité des témoins dans une situation semblable à celle de la présente affaire, où la preuve révèle différentes versions des faits importants qui ont une incidence directe sur les questions en litige. Parvenir à une conclusion sur les faits ne se résume pas à préférer la version d’un témoin à celle d’un autre. Le tribunal peut accepter la véracité de tout ce que dit un témoin, ou ne pas l’accepter du tout. Il peut aussi accepter la véracité et l’exactitude d’une partie seulement du témoignage.
[7] Mme Szczerbaniwicz a déclaré au cours de son témoignage qu’elle vivait séparément de son époux, qui était affecté à l’OTAN, à Bruxelles, où le couple avait une maison. Elle a quitté le Canada pour retourner en Belgique avec leur fille le soir du 15 août 2006. Le lendemain matin, elle s’est réveillée et parlait au téléphone avec une personne du Canada lorsque l’accusé s’est réveillé à son tour. Ils ont eu une conversation au sujet du déménagement d’effets personnels entreposés à Winnipeg à leur maison située en Colombie-Britannique, que Mme Szczerbaniwicz occupait alors avec leur fils. Apparemment, le ton a monté, du moins dans le cas de Mme Szczerbaniwicz, relativement à la question de savoir qui emballerait les effets de celle-ci.
[8] Elle a monté l’escalier de la résidence derrière lui. Elle a ensuite pris un diplôme qui était accroché au mur de l’escalier et l’a lancé au sol. À ce moment, l’accusé a levé le poing vers elle et lui a dit en criant qu’il l’attraperait. Il a descendu les marches de l’escalier, l’a forcée à se retourner et l’a poussée ou bousculée. Elle est alors tombée à la renverse et a atterri au sol, sur le coude. En état de choc, elle s’est dirigée vers la chambre d’invité et a fermé la porte. Après être entré et avoir claqué la porte, l’accusé a proféré des propos injurieux à son endroit et lui a demandé de quitter la maison le jour même.
[9] Après avoir fait une courte sieste, Mme Szczerbaniwicz a ressenti de la douleur au doigt et, lorsqu’elle a cru que l’accusé avait quitté la maison pour aller travailler, elle s’est levée et a mis de la glace sur son doigt. L’accusé est allé travailler; elle est alors retournée dormir quelque temps et est finalement allée chez un ami pour le repas du midi. Le lendemain, son ami l’a amenée dans un centre médical, où Mme Szczerbaniwicz s’est fait dire qu’elle avait une fracture au doigt. On lui a donc mis un plâtre au bras pour une semaine; de plus, Mme Szczerbaniwicz a souffert d’ecchymoses au dos, aux jambes et au coude. Elle a pris des médicaments pour soulager la douleur.
[10] La poursuite a présenté en preuve une déclaration enregistrée sur bande vidéo que l’accusé avait faite le 4 septembre 2006 aux enquêteurs du Service national des enquêtes. L’accusé a également témoigné et a répété essentiellement ce qu’il avait dit lors de la déclaration. Il a mentionné que, alors qu’il montait l’escalier pour aller se raser et prendre sa douche, il a entendu Mme Szczerbaniwicz qui criait après lui. Lorsqu’il s’est retourné pour parler du haut de l’escalier, elle a décroché le diplôme du mur, l’a lancé au sol et s’est mise à sauter sur le cadre lorsqu’elle a constaté qu’il n’était pas encore cassé. Il a descendu les marches, l’a saisie par l’encolure et l’a forcée à se retourner pour lui enlever le diplôme des mains. Elle a lancé le diplôme en bas de l’escalier et, en allant le chercher, il a été frappé à la tête par un autre cadre qui était accroché au mur et qu’elle a lancé vers lui. Il l’a forcée à monter l’escalier et à entrer dans une chambre tout en criant après elle et il a tenté de fermer la porte malgré la résistance qu’elle lui opposait. Il nie lui avoir montré le poing ou l’avoir saisie, sauf par l’encolure, et il nie aussi l’avoir fait tomber en la forçant à se retourner.
[11] Il est évident que les versions des faits données par Mme Szczerbaniwicz et le lieutenant-colonel Szczerbaniwicz comportent de nombreuses incohérences. Cependant, je suis d’avis qu’aucun d’eux n’a modifié de façon importante son témoignage par suite de son contre-interrogatoire. J’ai été impressionné par la façon dont Mme Szczerbaniwicz a témoigné, mais je suis conscient de l’importance restreinte pouvant habituellement être accordée à l’attitude d’un témoin. Cependant, Mme Szczerbaniwicz a témoigné de façon remarquablement franche, sans faire montre de malveillance à l’endroit de son époux et sans exagérer ou modifier les choses à son avantage. Elle a admis sans difficulté certains faits qui pourraient donner une mauvaise impression au sujet de sa propre conduite.
[12] Dans l’ensemble, je suis d’avis que les deux témoins ont tenté de présenter au tribunal le meilleur souvenir qu’ils avaient des événements. La plupart des écarts entre les versions qu’ils ont données sont probablement attribuables quant à moi à la grande émotion qu’ils ressentaient tous les deux le matin du 16 août.
[13] Comme je l’ai souligné, la défense admet que le lieutenant-colonel Szczerbaniwicz a eu intentionnellement recours à la force à l’endroit de Mme Szczerbaniwicz sans le consentement de celle-ci et qu’il savait qu’elle ne consentait pas à ce recours à la force. La défense me demande de conclure que les événements se sont passés de la façon que le lieutenant-colonel Szczerbaniwicz a décrite au cours de son témoignage et aux enquêteurs de police. Cependant, il est indéniable que, même si j’accepte son témoignage en entier, les éléments de l’infraction de voies de fait sont établis en l’espèce.
[14] La défense soutient que le comportement violent de l’accusé, que celui‑ci a décrit décrit au cours de son témoignage, est justifié par la défense relative à la protection d’un bien meuble, en l’occurrence, le diplôme qui était accroché au mur de la cage d’escalier. Le paragraphe 39(1) du Code criminel est ainsi libellé :
39. (1) Quiconque est en possession paisible d’un bien meuble en vertu d’un droit invoqué, de même que celui qui agit sous son autorité, est à l’abri de toute responsabilité pénale en défendant cette possession, même contre une personne qui légalement a droit à la possession du bien en question, s’il n’emploie que la force nécessaire.
[15] J’accepte l’argument de la défense selon lequel, compte tenu du jugement R. c. Little, rendu par la Cour d’appel de l’Ontario, une preuve existe au sujet de chacun des éléments de cette défense en l’espèce, de sorte que celle-ci est en jeu. La cour doit soupeser cette preuve en se rappelant qu’il appartient à la poursuite d’établir hors de tout doute raisonnable que la défense ne justifie pas la conduite de l’accusé. Je suis d’avis que l’accusé était en possession paisible du diplôme et que l’agression qu’il a commise à l’endroit de son épouse était motivée par le désir qu’il avait de protéger son bien personnel. À mon avis, la véritable question qui se pose est de savoir si, en agissant de la sorte, l’accusé a eu recours à une force supérieure à la force nécessaire pour protéger son bien.
[16] À cet égard, j’ai examiné plusieurs facteurs, y compris la nature du bien en question, sa valeur, notamment sa valeur sentimentale aux yeux de l’accusé, le risque de dommage auquel le bien a été exposé par la conduite de la plaignante, les solutions de rechange qui s’offraient à l’accusé à l’époque et les conséquences de la conduite de l’accusé pour la plaignante. En ce qui a trait à la conduite de l’accusé, j’accepte le témoignage non contredit de la plaignante au sujet des ecchymoses qu’elle a subies au dos, aux jambes et au coude. En conséquence, j’en arrive à la conclusion qu’elle est effectivement tombée par suite du fait que l’accusé l’a poussée ou l’a bousculée de la façon qu’elle a décrite au cours de son témoignage. Je n’accepte pas la partie du témoignage de l’accusé au cours de laquelle celui-ci a nié que la plaignante soit tombée. La version que l’accusé donne des événements ne comporte pas la moindre explication quant à la façon dont les ecchymoses ont été causées. Le fait que des ecchymoses ont été causées va de pair avec le témoignage de la plaignante sur ce point et est incompatible avec la version des événements qu’a donnée le lieutenant-colonel Szczerbaniwicz.
[17] Par ailleurs, j’accepte le témoignage du lieutenant-colonel Szczerbaniwicz selon lequel le diplôme était très important pour lui, parce qu’il signifiait un accomplissement majeur dans son cheminement professionnel. Cependant, je n’ai été saisi d’aucun élément de preuve montrant que le diplôme a été endommagé de façon importante par suite du fait que la plaignante l’a lancé au sol et a peut‑être sauté sur le cadre en question. Cependant, même si des dommages ont effectivement été causés, l’objet en question est un document qui pourrait être remplacé, au besoin. Lorsque les enquêteurs ont demandé à l’accusé s’il était allé un peu trop loin, il a répondu ce qui suit au sujet du diplôme : [traduction] « c’est difficile à dire. Lorsque j’y pense aujourd’hui, ce n’est qu’un bout de papier, mais il signifiait beaucoup pour moi. J’ai agi ainsi sous l’impulsion de la colère. Si j’avais été un peu - j’aurais dû dire simplement, je peux remplacer ça, si elle le brise. Mais je ne l’ai pas dit. C’est une réaction après coup ».
[18] L’avocat me demande de considérer cette déclaration comme une simple expression de regret et non comme une admission du fait que l’accusé a eu recours à une force excessive. Cependant, à mon avis, compte tenu de l’ensemble de la preuve, cette déclaration permet de conclure que, en raison de la colère qu’il ressentait, le lieutenant-colonel Szczerbaniwicz a perdu la maîtrise de lui-même pendant un court laps de temps et il a alors physiquement maltraité son épouse au point de la faire tomber, ce qui a provoqué les ecchymoses que j’ai décrites.
[19] Eu égard à l’ensemble des circonstances, je suis convaincu que l’accusé a eu recours à une force excessive contre la plaignante pour défendre la possession de son bien personnel, c’est-à-dire qu’il a eu recours à une force supérieure à celle qui était nécessaire; par conséquent, la défense prévue au paragraphe 39(1) ne peut justifier sa conduite.
[20] La deuxième question à trancher est de savoir si l’agression injustifiée commise par l’accusé sur la personne de son épouse a causé des lésions corporelles à celle‑ci. Cette expression est définie comme suit à l’article 2 du Code criminel :
... Blessure qui nuit à la santé ou au bien-être d’une personne et qui n’est pas de nature passagère ou sans importance.
À cet égard, la poursuite invoque le témoignage de la plaignante qui a dit qu’elle avait eu une fracture au doigt et l’avant-bras dans un plâtre pendant une semaine. La poursuite ne demande pas à la cour de conclure, simplement en se fondant sur la preuve relative aux ecchymoses et aux douleurs, que la conduite de l’accusé a causé des lésions corporelles. Il est évident que le doigt de Mme Szczerbaniwicz était relativement en bon état immédiatement avant l’altercation qu’elle a eue avec l’accusé. Elle a commencé à éprouver de la douleur au doigt peu de temps après l’agression et a décidé de faire examiner son doigt par un médecin le lendemain.
[21] Même s’il m’apparaît probable que la blessure au doigt a été causée lors de la chute dont la plaignante a été victime après avoir été poussée par l’accusé, je ne suis pas convaincu hors de tout doute raisonnable en ce qui a trait à cet élément de l’infraction reprochée à l’accusé. En conséquence, le lieutenant-colonel Szczerbaniwicz est coupable de voies de fait simples, soit l’infraction moindre incluse.
COMMANDANT P.J. LAMONT, J.M.
Avocats :
Le major J.J.L.J. Caron, Poursuites militaires régionales (Est)
Procureur de Sa Majesté La Reine
Le lieutenant-colonel D. Couture, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat du lieutenant-colonel Szczerbaniwicz