Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 25 juin 2013.

Endroit : BFC Petawawa, édifice P-115, 144 terrain d'entraînement Simonds, Petawawa (ON).

Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
•Chef d’accusation 3 : Art. 88 LDN, a déserté.
•Chef d’accusation 4 : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 5 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 6 : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.
•Chefs d’accusation 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.
•Chef d’accusation 21 : Art. 97 LDN, ivresse.
•Chefs d’accusation 22, 23 : Art. 101.1 LDN, a omis de se conformer à une condition d’une promesse remise sous le régime de la section 3.
•Chef d’accusation 24 : Art. 87 LDN, s’est évadé d’une caserne.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 14, 17, 18, 19, 21, 24 : Non coupable. Chef d’accusation 3 : Coupable de l’infraction moindre mais incluse de s’être absenté sans permission. Chefs d’accusation 11, 13, 15, 16, 20, 22, 23 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 60 jours (un crédit de 25 jours pour la période de sous-garde avant procès accordé) et un blâme.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Grenier, 2013 CM 4014

 

Date : 20130627

Dossier : 201350

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Ontario, Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

L’artilleur J.D.M. Grenier, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J-G Perron, JM

 


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

[MOTIFS DE LA SENTENCE]

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Artilleur Grenier, après avoir accepté et inscrit votre aveu de culpabilité concernant les chefs d’accusation 3, 11, 13, 15, 16, 20, 22 et 23, la cour vous déclare coupable des infractions visées par ces chefs. Les chefs d’accusation 11, 13, 15, 16 et 20, absences sans permission, ont été portés en vertu de l’article 90 de la Loi sur la défense nationale. Le chef d’accusation 3, désertion, a été porté en vertu de l’article 88 de la Loi sur la défense nationale, mais vous avez plaidé coupable à une infraction moindre et incluse d’absence sans permission. Les chefs d’accusation 22 et 23, défaut de se conformer à une condition d’une promesse, ont été portés en vertu de l’article 101.1 de la Loi sur la défense nationale. La cour doit maintenant déterminer la peine juste et appropriée à infliger en l’espèce.

 

[2]               Le sommaire des circonstances, dont vous avez formellement reconnu les faits comme preuve concluante de votre culpabilité, renseigne la cour sur les circonstances dans lesquelles les infractions ont été commises. Le 27 novembre 2012, à 9 h 30, l’artilleur Grenier était absent sans autorisation du bâtiment Z-120; il a été trouvé chez lui par des membres de son unité, à 10 h 40 le même jour. Le 13 février 2013, l’artilleur Grenier ne s’est pas présenté à l’entraînement physique qui avait lieu à 7 h 30 dans les secteurs de l’unité du 2e Bataillon de la Royal Canadian Horse Artillery (2 RCHA). Vers neuf heures et quart, l’artilleur Grenier a téléphoné pour dire qu’il ne s’était pas réveillé à temps. Il a d’abord reçu l’ordre de rester chez lui, mais il a plus tard été sommé de se présenter à son unité. L’artilleur Grenier s’est présenté à son unité vers dix heures moins quart, et il a reçu l’ordre d’aller travailler au deuxième étage du bâtiment P-115. Environ une heure plus tard, la police militaire l’a arrêté pour avoir été absent sans permission à l’entraînement physique qui avait eu lieu plus tôt ce jour‑là. La police militaire l’a mis en détention, puis il a été libéré par l’officier réviseur à la fin de la journée, à condition qu’il demeure sous autorité militaire et à ce qu’il se présente devant le sergent de service militaire à 7 h 20 et à 16 h 10.

 

[3]               À 13 h, le 20 février 2013, et à 11 h, le 26 février 2013, l’artilleur Grenier ne s’est pas présenté aux rencontres d’une heure prévues à la 2e unité de prestation de soins de santé de la BFC Petawawa. Le mardi 23 avril 2013, l’artilleur Grenier ne s’est pas présenté pour travailler dans les secteurs de l’unité du 2 RCHA. Le même jour, le commandant du 2 RCHA a lancé un mandat d’arrestation contre l’artilleur Grenier. À 7 h 30, le 24 avril 2013, l’artilleur Grenier s’est rendu à la police militaire de Petawawa, qui a procédé à son arrestation. L’officier réviseur n’a pas libéré l’artilleur Grenier.

 

[4]               Une audience de révision du placement sous garde a eu lieu le 29 avril 2013. Le juge militaire a ordonné la mise en liberté de l’artilleur Grenier, sous réserve qu’il se présente du lundi au vendredi, à 7 h 20 et à 16 h 10, au centre régimentaire du personnel en devoir du 2 RCHA, sauf en cas d’absence avec permission, ou d’autorisation donnée par le commandant du 2 RCHA ou en son nom.

 

[5]               Le vendredi 3 mai 2013, à 16 h 10, l’artilleur Grenier ne s’est pas présenté au centre régimentaire du personnel en devoir du 2 RCHA, dérogeant ainsi à une condition de la promesse donnée le 29 avril. Le 3 mai 2013, le commandant du 2 RCHA a lancé un mandat d’arrestation contre l’artilleur Grenier. Le 6 mai 2013, à 7 h 20 environ, l’artilleur Grenier s’est présenté au centre régimentaire du personnel en devoir du 2 RCHA, où il a été arrêté. Le même jour, il a été accusé, en vertu de l’article 101.1 de la Loi sur la défense nationale, d’avoir omis de se conformer à une condition et, en vertu de l’article 90 de cette même loi, de s’être absenté sans permission. L’officier réviseur n’a pas libéré l’artilleur Grenier.

 

[6]               Une audience de révision du placement sous garde a eu lieu le 7 mai 2013. Le juge militaire a ordonné la mise en liberté de l’artilleur Grenier, sous réserve qu’il se présente du lundi au vendredi, à 7 h 20 et à 16 h 10, au centre régimentaire du personnel en devoir du 2 RCHA, sauf en cas d’absence avec permission, ou aux autres moments autorisés par le commandant du 2 RCHA ou en son nom.

 

[7]               Le 16 mai 2013, vers vingt-trois heures, l’artilleur Grenier a quitté le baraquement, alors qu’il avait été consigné aux quartiers au terme d’un procès sommaire. Le bombardier‑chef Millar, qui était en service à l’unité, a tenté d’appeler l’artilleur Grenier pour tenter de savoir ce qui se passait. L’artilleur Grenier a dit au bombardier‑chef Millar qu’il partait à la pêche pour la fin de semaine et qu’il se présenterait à son retour.

 

Entre le vendredi 17 mai 2013 et le lundi 10 juin 2013, l’artilleur Grenier ne s’est pas présenté en personne au centre régimentaire du personnel en devoir, enfreignant une condition de la promesse donnée le 7 mai 2013. Entre le 17 mai 2013 et le 10 juin 2013, l’artilleur Grenier ne s’est jamais présenté à son unité. Le 17 mai 2013, le Cmdt du 2 RCHA a lancé un mandat d’arrestation contre lui.

 

[8]               L’artilleur Grenier a été arrêté par le capitaine Smith du 2 RCHA le 11 juin 2013 au palais de justice de Pembroke, après une comparution liée à une autre accusation.  Comme l’artilleur Grenier avait été inculpé d’infractions désignées en vertu de la Loi sur la défense nationale, l’officier réviseur n’avait pas le pouvoir de libérer l’artilleur Grenier, de sorte que ce dernier est demeuré détenu. À l’audience de révision du placement sous garde, l’artilleur Grenier ne s’est pas opposé au maintien de la détention, et le juge militaire a ordonné le maintien du placement sous garde. L’artilleur Grenier est détenu depuis son arrestation, le 11 juin 2013.

 

[9]               Comme l’a signalé la Cour d’appel de la cour martiale, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé au cours duquel le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins, et c’est l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir. 

 

[10]           La Cour d’appel de la cour martiale a clairement dit que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine figurant au Code criminel du Canada s’appliquaient dans le contexte du système de justice militaire et que le juge militaire devait en tenir compte au moment de fixer une peine. L’objectif fondamental de la détermination de la peine est de favoriser le respect de la loi et la protection de la société, ce qui comprend les Forces canadiennes, par l’application de sanctions justes qui visent au moins un des objectifs suivants :

 

            a)         dénoncer le comportement illégal;

 

            b)         dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

            c)         isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

            d)         favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

            e)         assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

            f)         susciter la conscience de leur responsabilité chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[11]           La Cour doit décider si la protection du public serait mieux assurée par la dissuasion, la réinsertion sociale ou la dénonciation, ou une combinaison de ces facteurs. Les dispositions relatives à la détermination de la peine qui sont énoncées aux articles 718 à 718.2 du Code criminel prévoient également un processus individualisé de détermination de la peine suivant lequel la cour doit prendre en considération non seulement les circonstances de l’infraction, mais aussi la situation particulière du délinquant. La peine doit également être semblable aux autres peines infligées dans des circonstances semblables. Le principe de la proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine. Ce principe requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction.

 

[12]           La cour doit infliger une peine correspondant à la sanction minimale nécessaire pour maintenir la discipline. Le but ultime de la détermination de la peine réside dans le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et au sein de la collectivité militaire. La discipline constitue un préalable fondamental à l’efficacité opérationnelle de toute force armée. 

 

[13]           La poursuite fait valoir que les principes de détermination de la peine suivants s’appliquent dans la présente affaire : la dénonciation, la dissuasion générale, l’amendement et la dissuasion particulière. La poursuite a invoqué six décisions pour appuyer l’argument selon lequel la peine minimale à infliger en l’espèce est un emprisonnement de 60 jours et un blâme. L’avocate de la défense fait valoir que la période de détention ayant précédé le procès constituerait une peine juste en l’espèce. Elle affirme en outre que, si la cour devait rejeter sa suggestion, alors une peine correspondant à la période de détention passée et un blâme serait appropriée. Dans l’éventualité où la cour déterminerait que la période de détention passée est insuffisante, alors une peine d’emprisonnement avec sursis pourrait être juste en l’espèce.

 

[14]           L’artilleur Grenier a témoigné au stade de la détermination de la peine. Bien qu’il dise assumer la responsabilité des infractions dont il s’est reconnu coupable devant la cour, son témoignage donne une tout autre impression à la cour. Il a d’abord dit à l’avocate de la poursuite qu’il ne se souvenait pas que son unité lui ait offert de l’aide, puis il s’est ravisé quand elle lui a rappelé le témoignage du capitaine Brunelle. Au cours du contre‑interrogatoire, il a expliqué qu’il n’avait pas accepté l’aide offerte par son unité, parce qu’il ne voulait pas être un fardeau supplémentaire pour l’unité et qu’il ne voulait pas que ses camarades qui ne l’aimaient pas aient à venir le réveiller. Il a dit avoir demandé à des amis affectés ailleurs de venir le réveiller le matin, mais il n’a pas fourni de nom ni d’autres détails à cet égard.

 

[15]           De plus, lorsque l’avocate de la poursuite l’a interrogé concernant l’incidence qu’avait ses absences sans permission sur les autres soldats de son unité, il a établi un parallèle entre sa difficulté à se réveiller le matin à celle qu’éprouverait un soldat portant une attelle de genou. Or, ce n’est pas tant son problème de santé, mais plutôt son attitude en général, qui est au cœur de ces infractions. On ne saurait comparer ce problème à une incapacité physique. 

 

[16]           L’artilleur Grenier a déclaré qu’il tentait également de s’aider lui‑même, et qu’il n’était pas en mesure d’expliquer pourquoi il avait raté deux rendez‑vous médicaux prévus les 20 et 26 février à la clinique médicale de la base. Il s’est contenté de dire qu’il avait trop de choses en tête et qu’il avait oublié les rendez‑vous, mais qu’il s’était présenté au rendez‑vous du 21 février à la clinique du sommeil. En mars, il a également omis de se présenter à un rendez‑vous avec le docteur Keays. Cette dernière affirme qu’il n’a pas rappelé pour fixer un autre rendez‑vous, et qu’elle est sans nouvelle de lui depuis le 21 février 2013. L’artilleur Grenier a déclaré qu’il devait voir le docteur Keays avant la fin du mois de juillet afin de conserver son permis de conduire. Lorsqu’il tentait d’expliquer en quoi un emprisonnement lui serait néfaste, il a lourdement insisté sur le fait qu’il devait obtenir ce rendez‑vous pour conserver son permis de conduire. Cela dit, il a choisi de ne pas communiquer avec le docteur Keays depuis février. Le 18 juin, le docteur Keays a eu un entretien téléphonique avec l’artilleur Grenier afin de réévaluer son état et de rédiger un rapport qui a été présenté à l’avocate de la défense et qui figure à la pièce 12. Il semble que l’artilleur Grenier n’ait pas mentionné l’important rendez‑vous du mois de juillet au docteur Keays. 

 

[17]           Expliquant pourquoi il s’était présenté pour comparaître au palais de justice de Pembroke le 11 juin, sachant que la police militaire serait présente pour l’arrêter, il a dit qu’il en avait assez de s’enfoncer toujours plus. Il a raison de dire qu’en omettant de comparaître devant un tribunal pénal, il se serait probablement attiré d’autres ennuis. Il ne fait nul doute qu’il était dans son intérêt supérieur de se présenter devant le tribunal, même si cela impliquait qu’il serait arrêté par la police militaire. Le 16 mai, l’artilleur Grenier a informé son unité qu’il partait pêcher pour la fin de semaine et qu’il se présenterait à son retour. L’artilleur Grenier ne s’est jamais présenté à son unité avant son arrestation, le 11 juin 2013. S’il a affirmé que l’unité ne lui a jamais offert la possibilité de faire des siestes le jour, il a également dit ignorer si ces siestes auraient pu changer quoi que ce soit. Il a affirmé qu’il s’était lui‑même laissé tomber et qu’il avait laissé tomber sa famille. Durant son témoignage, il a davantage mis l’accent sur sa personne que sur son unité ou sur ses pairs. Le thème « moi contre les autres » ressort de son témoignage.  

 

[18]           L’avocate de la défense a interrogé les témoins de la poursuite concernant l’arrestation de l’artilleur Grenier le 13 février, et l’artilleur Grenier a également témoigné à ce sujet. Il semble que la police militaire ait procédé à l’arrestation à la demande de l’unité, mais qu’aucun mandat d’arrestation n’avait été signé par le commandant. L’artilleur Grenier a également dit être d’avis que l’officier président n’avait pas tenu compte de sa demande d’autorisation de présenter une preuve médicale pendant le procès sommaire qui a eu lieu le 15 mai et qui concernait une absence sans permission de 19 minutes le 14 mai, au terme duquel il a été condamné à verser une amende de 1 000 $ et à être consigné aux quartiers pour une période de 12 jours. La cour n’est pas en mesure au vu du dossier de tirer quelque conclusion que ce soit à cet égard, et elle ne peut en tenir compte pour déterminer la peine en l’espèce.

 

[19]           Le témoignage de l’artilleur Grenier suscite d’importants doutes dans l’esprit de la cour. Ce dernier dit vouloir régler son problème de narcolepsie, mais ne s’est pas présenté à trois rendez‑vous médicaux, soit deux à la clinique de la base et un avec le docteur Keays. Il n’a pas retourné les appels de la clinique du sommeil depuis mars 2013. Il semble plus enclin à chercher des excuses à son comportement qu’à chercher des solutions. Il n’accepte pas véritablement les conséquences de ses décisions. 

 

[20]           Il convient maintenant d’exposer les circonstances atténuantes et les circonstances aggravantes dont j’ai tenu compte pour déterminer la peine appropriée en l’espèce.

 

[21]           Selon moi, les circonstances suivantes sont atténuantes. Vous avez plaidé coupable à huit des vingt‑quatre chefs d’accusation mentionnés dans l’acte d’accusation. Un aveu de culpabilité est généralement considéré comme une circonstance atténuante. Cette approche n’est généralement pas perçue comme allant à l’encontre des droits de l’accusé de garder le silence et de s’attendre à ce que le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable l’accusation portée contre lui. Elle est plutôt perçue comme un moyen pour les tribunaux d’infliger des peines moins sévères, car l’aveu de culpabilité signifie habituellement que les témoins n’auront pas à témoigner, ce qui réduit grandement les coûts associés à la procédure judiciaire. L’aveu de culpabilité est aussi généralement interprété comme signifiant que l’accusé veut assumer la responsabilité de ses actes illégaux et du préjudice en découlant.

 

[22]           Le 13 février, vous avez été arrêté puis détenu pendant environ six heures par la police militaire de Petawawa, avant d’être mis en liberté par un officier réviseur. Je considérerai que cette période de détention équivaut à une journée. Vous avez été arrêté le 24 avril, après quoi vous avez été détenu pendant six jours avant d’être mis en liberté par un juge militaire, au terme d’une audience de révision du placement sous garde. Vous avez été arrêté à nouveau le 6 mai, après quoi vous avez été détenu deux jours avant d’être mis en liberté par un juge militaire, au terme d’une audience de révision du placement sous garde. Vous avez été arrêté une dernière fois le 11 juin, après quoi vous avez été détenu pendant 16 jours. Vous avez été détenu pendant 25 jours entre le 13 février et le 27 juin 2013.  

 

[23]           Vous avez longuement témoigné au sujet de vos conditions de détention difficile à Petawawa. Vous avez affirmé que vous ne vous étiez pas opposé à la détention lors de la dernière audience de révision du placement sous garde qui a eu lieu devant un juge militaire, parce que vous vouliez purger votre peine. Or, vous avez également mentionné que votre avocate avait cherché à expliquer par un élément de preuve ou à autrement justifier pourquoi vous n’avez pas tenté de vous soustraire à vos conditions de détention difficiles à Petawawa.

 

[24]           Votre avocate a fait valoir que 1,5 jour devrait vous être accordé pour chaque journée de placement sous garde ayant précédé le procès. J’ai examiné les paragraphes 719(3) et (3.1) ainsi que les paragraphes 515(9) et 524(4) et (8) du Code criminel. Exclusion faite de la première arrestation du 13 février, toutes les arrestations ont eu lieu après une mise en liberté sous condition par un officier réviseur, et par un juge militaire la troisième et la quatrième fois. Vous avez décrit les conditions dans lesquelles vous viviez quand vous étiez détenu. Ces conditions sont semblables à celles d’un isolement cellulaire, en ce sens que vous pouvez sortir de votre cellule pour environ une heure chaque jour, et que vous n’avez presque aucun contact avec qui que ce soit, sauf les gardiens, avec qui vous interagissez minimalement. Vous avez également dit avoir demandé à voir un dentiste en raison d’un mal de dents qui persiste depuis une semaine, mais que vous n’avez pas été conduit à la clinique dentaire de la base.

 

[25]           J’ai déjà mentionné que j’avais de sérieux doutes concernant votre témoignage, et les réponses que vous avez données lors du contre‑interrogatoire en ce qui concerne les conditions dans lesquelles vous viviez n’ont pas atténué ces doutes. De plus, aucun élément de preuve établissant que les conditions de vie étaient inacceptables comparativement aux conditions de détention à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes ne m’a été présenté. Par conséquent, je ne vous accorderai pas 1,5 jour pour chaque journée de détention ayant précédé le procès, mais plutôt un jour.

 

[26]           Vous vous êtes effectivement présenté à votre unité après vous être absenté sans permission le 13 février, le 24 avril et le 6 mai. Je ne considère pas que votre comparution au palais de justice de Pembrooke le 11 juin revenait à vous présenter à votre unité. Certes, l’avocate militaire de la défense vous avait informé du fait que la police militaire serait présente au palais de justice, mais il n’en demeure pas moins que votre présence au palais de justice de Pembrook n’avait rien à voir avec les infractions en cause devant moi. Vous ne vous êtes pas présenté à votre unité après votre séjour de pêche, contrairement à ce que vous aviez annoncé au bombardier‑chef Millar.

 

[27]           Aux termes du paragraphe 2 de l’article 112.48 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, la cour doit tenir compte de toute conséquence indirecte du verdict ou de la sentence. Conformément au point numéro 2a), conduite non satisfaisante, du tableau figurant à l’article 15.01 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, vous serez libéré des Forces canadiennes à court terme, vraisemblablement d’ici une semaine, selon le sommaire des circonstances. Il s’agit d’une mesure administrative prise par votre unité. Cette mesure découle directement de votre conduite non satisfaisante avant le mois de novembre 2012, et elle est en partie liée à certains des chefs d’accusation mentionnés dans l’acte d’accusation dont a été saisie la présente cour martiale. Ainsi, il ne s’agit pas d’une conséquence indirecte du verdict ou de la sentence. Je considérerai qu’il s’agit d’une circonstance atténuante, mais je n’y accorderai pas autant de poids que ce que propose votre avocate.

 

[28]           La pièce 11 est une lettre de deux phrases datée du 21 juin 2013, dans laquelle une entreprise de toiture affirme qu’elle vous offre un emploi à compter du 2 juillet 2013, mais que cette offre ne tiendra plus si vous ne vous présentez pas avant le 8 juillet 2013. Vous avez affirmé avoir déjà travaillé comme couvreur pour cette entreprise et que vous êtes censé travailler comme couvreur, et non seulement comme manœuvre; votre salaire serait donc beaucoup plus élevé. Aucun élément de preuve n’a été présenté à la cour concernant la durée de l’emploi, les conditions d’emploi ou le salaire exact. Il semble donc que toute peine d’emprisonnement prenant fin au‑delà du 8 juillet vous empêcherait de saisir cette occasion d’emploi. La cour en tiendra compte parmi les circonstances atténuantes au moment de déterminer la peine juste en l’espèce, bien que la preuve présentée ne convainque pas la cour que toute sentence qui vous empêcherait d’occuper cet emploi avant le 8 juillet constituerait un obstacle majeur à votre réinsertion sociale.

 

[29]           Voici mes observations concernant les circonstances aggravantes. Objectivement, les infractions visées aux articles 90 et 101.1 de la Loi sur la défense nationale ne sont pas aussi graves que certaines autres infractions visées par la Loi sur la défense nationale, étant donné que la peine prévue est un emprisonnement de moins de deux ans ou une peine moindre dans la fourchette des peines. Cela dit, subjectivement, ces infractions sont très graves. En gros, vous avez décidé de faire comme bon vous semblait. Bien que je sois prêt à admettre que votre problème de santé, la narcolepsie, puisse contribuer au fait que vous avez du mal à vous lever le matin, l’attitude générale dont vous faites preuve pour tenter de vous en sortir n’a pas de quoi impressionner. Vous pouvez imaginer toutes les raisons du monde pour justifier le fait que vous n’avez pas accepté l’aide offerte par votre unité, mais vous n’êtes pas en mesure de faire part à la cour des mesures concrètes et réalistes que vous avez prises pour régler vos problèmes. Par conséquent, votre état de santé ne peut être considéré comme une circonstance atténuante qu’à l’égard d’un chef d’accusation, soit le chef d’accusation 13.  

 

[30]           Vous avez pris la décision de vous enrôler dans les Forces canadiennes, et vous savez toute l’importance que nous accordons à la ponctualité et au respect des ordres. Le lieutenant‑colonel Ivey, le capitaine Brunelle et l’adjudant Power ont témoigné au sujet de l’importance de la confiance au sein d’une unité d’armes de combat. Les soldats doivent pouvoir faire confiance en tout temps à leurs camarades et à leurs supérieurs. Il s’agit d’une condition essentielle à la survie sur les champs de bataille et au succès des missions. Le sentiment de confiance naît en cours de formation et se développe grâce au comportement quotidien de chaque membre de l’unité.

 

[31]           L’adjudant Power a déclaré que votre comportement avait eu un effet corrosif sur le moral de la batterie et que certains soldats refusaient de travailler avec vous. De plus, la batterie est petite et ses tâches sont nombreuses. Les efforts qui ont dû vous être consacrés ont ajouté au fardeau des autres militaires de la batterie. L’adjudant a insisté sur le fait qu’il était essentiel que la confiance règne parmi les artilleurs de la section Op comptant six militaires. Il a également affirmé que vos problèmes de comportement ne sont pas apparus après la perte tragique de votre cousin, à la fin de 2011, mais qu’ils s’étaient accentués après cet événement. Les raisons ayant mené à votre libération administrative et le témoignage de l’adjudant permettent à la cour d’inférer que les problèmes que vous avez connus au cours de votre expérience militaire ne résultent pas uniquement de la perte tragique de votre cousin ni des effets de votre narcolepsie. 

 

[32]           Vous vous êtes absenté quatre fois sans permission de votre unité – chefs d’accusation 11, 13, 20 et 23. De plus, au cours de la période de huit mois allant de novembre 2012 à juin 2013, vous ne vous êtes pas présenté à deux rendez‑vous que vous aviez à la clinique médicale de la base. Vous vous êtes absenté sans permission pour un total d’environ 25 jours, soit 24 jours en ce qui concerne le chef d’accusation 3, un jour en ce qui concerne le chef d’accusation 20, et moins de deux heures pour chacun des autres chefs d’accusation relatifs à des absences sans permission dont la présente cour est saisie. Les explications que vous avez fournies pour justifier ces absences démontrent clairement que vous ne vous souciez pas vraiment de vos camarades ou de votre unité.

 

[33]           Votre fiche de conduite fait état de cinq chefs d’accusation, soit quatre visant des absences sans permission et un visant un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Deux procès sommaires ont eu lieu en février et en octobre 2012, et deux procès concernant des absences sans permission ont eu lieu en février et en mai 2013. Vous ne comprenez vraiment rien au concept de discipline. 

 

[34]           Au moment des infractions, vous aviez 26 ans et étiez soldat depuis trois ans. Vous saviez que ce type de comportement n’était pas toléré dans les Forces canadiennes. Vous étiez assez vieux et expérimenté pour le savoir.

 

[35]           Le lieutenant‑colonel Ivey était votre commandant au moment des infractions. Il a dit qu’il ne vous considérait pas comme un soldat « typique », et que la grande majorité des soldats de l’unité ne se comportaient pas comme vous le faisiez. À la lumière de son témoignage, j’estime que la dissuasion générale ne joue pas nécessairement un rôle dans la détermination de la peine en l’espèce. Vous avez été arrêté quatre fois et avez été mis en liberté trois fois après vous être engagé à respecter certaines conditions. La liberté individuelle est un droit hautement protégé par les lois canadiennes. En témoigne le fait qu’il incombe principalement à la poursuite de démontrer que la détention, avant que la décision sur la culpabilité soit rendue, est nécessaire. 

 

[36]           Les lois canadiennes mettent également l’accent sur ce principe fondamental en demandant aux juges de première instance d’envisager toutes les peines possibles avant de conclure que l’emprisonnement est la peine appropriée. Vous avez promis à l’officier réviseur et aux juges militaires que vous respecteriez les conditions, et vous avez failli à votre promesse chaque fois. Vos actes sont plus éloquents que votre parole. À deux reprises, des juges militaires vous ont accordé le bénéfice du doute, lors d’audiences de révision du placement sous garde, et vous avez pu demeurer libre, mais vous avez sciemment abusé de la confiance qui vous était accordée, et ainsi bafoué l’important principe juridique en jeu. Vous avez tourné le système de justice militaire en dérision, et la cour doit infliger une peine qui dénoncera clairement votre manque de respect pour la primauté du droit, car le respect de la primauté du droit est l’un des piliers de notre société et de la discipline militaire. 

 

[37]           J’ai examiné la jurisprudence présentée par les deux avocates, et je suis d’avis que les faits de l’espèce sont plus graves que ceux en cause dans les décisions invoquées. De plus, la plupart des sentences en question étaient fondées sur une recommandation conjointe du procureur de la poursuite et de l’avocat de la défense. Dans le cas d’une recommandation conjointe de l’accusé et de la poursuite quant à la peine à infliger à la suite d’un aveu de culpabilité, la loi exige que le juge appelé à prononcer la sentence suive la recommandation conjointe, à moins que la peine proposée ne soit de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle ne soit pas dans l’intérêt général. 

 

[38]           Vous avez fait des choix, et vous devez maintenant assumer la responsabilité de ces choix. Je suis arrivé à la conclusion que la dénonciation et la dissuasion générale sont les principaux principes de la détermination de la peine qui doivent être appliqués en l’espèce. La cour doit infliger la peine minimale qui vous fera clairement comprendre, à vous et aux autres, qu’un tel comportement est inacceptable et qu’il ne sera pas toléré de la part d’un soldat. La peine vous aidera à assumer la responsabilité de vos infractions et, espérons‑le, favorisera votre réinsertion sociale.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[39]           CONDAMNE l’artilleur Grenier à une peine d’emprisonnement de 60 jours et à un blâme. 

 

[40]           TIENT COMPTE de la période de 25 jours que l’artilleur Grenier a passée sous garde avant le procès. L’artilleur Grenier doit donc purger une peine d’emprisonnement de 35 jours. 


 

Avocates :

 

Major S. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Avocate de l’artilleur Grenier

 

Major A.-C. Samson, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

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