Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CACM 516 - Appel accordé

Date de l'ouverture du procès : 10 décembre 2007

Endroit : BFC Shilo, Aménagements pour des lectures d'entraînement, Shilo, MB.

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2, 3 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d'un supérieur.

Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1, 2, 3 : Une suspension d'instance.

Cour martiale disciplinaire (CMD) (est composée d’un juge militaire et d’un comité)

Contenu de la décision

Référence : R. c. caporal A.E. Liwyj, 2008 CM 2012

 

Dossier : 200719

 

COUR MARTIALE DISCIPLINAIRE

CANADA

MANITOBA

BASE DES FORCES CANADIENNES SHILO

 

Date : le 28 mai 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COMMANDANT P. J. LAMONT, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

LE CAPORAL A.E. LIWYJ

(accusé)

 

DÉCISION CONCERNANT LA COMPÉTENCE

(prononcée de vive voix)

 

 

[1]                   Laccusé, le caporal Liwyj, fait face à trois chefs daccusation davoir désobéi à un ordre légitime dun supérieur, et ce, en contravention de larticle 83 de la Loi sur la défense nationale. Son nom figure dans un avis de convocation (pièce 1), dont je suis saisi, daté du 23 août 2007 et signé par M.S. Morrissey, ladministratrice de la cour martiale. Lavis de convocation exige que laccusé se présente devant la cour martiale disciplinaire à la Base des Forces canadiennes Shilo le 11 décembre 2007, nomme des membres et des membres suppléants au tribunal de la cour disciplinaire et déclare que jai été chargé de présider la cour martiale à titre de juge militaire.

 

[2]                    Conformément à lavis de convocation, la cour sest réunie en décembre de lannée dernière et jai alors entendu une requête préalable au procès présentée par laccusé. Jai pris cette requête en délibéré et laccusé a plaidé non coupable aux trois chefs daccusation. Le procès a été ajourné au 27 mai 2008. Entre‑temps, je me suis prononcé sur la requête préalable au procès et jai inscrit hier les motifs au dossier. Normalement, je demanderais maintenant à lofficier de justice dinviter les membres du tribunal à prendre leur place en cour et à continuer dentendre la preuve.

 


[3]                    Le 24 avril 2008, la Cour dappel de la cour martiale a prononcé des motifs de jugement dans la cause La Reine c. Trépanier, 2008 CMAC-498, et a conclu que larticle 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la Loi sur la défense nationale étaient inconstitutionnels et a déclaré que ces dispositions étaient invalides car elles violent larticle 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et le droit à un procès équitable garanti par lalinéa 11d) de la Charte. Larticle 165.14 accorde au directeur des poursuites militaires le pouvoir de déterminer le type de cour martiale qui jugera laccusé, cest-à-dire une cour martiale permanente composée dun juge militaire siégeant seul, une cour martiale disciplinaire ou une cour martiale générale dans laquelle le juge militaire siège avec un comité de trois ou cinq membres des Forces canadiennes dont le rôle ressemble beaucoup au rôle dun jury qui juge une affaire sur acte daccusation en vertu du Code criminel. Dans Trépanier, la cour a décidé que, au nom de léquité du procès, cest à laccusé plutôt quau procureur quil revient de choisir le type de cour martiale par laquelle il sera jugé afin de pouvoir présenter une défense pleine et entière et afin de pouvoir contrôler la présentation de la défense.

 

[4]                    Lors de la reprise de son procès, laccusé, par lentremise de son avocat, invoquant la décision rendue dans Trépanier, sollicite maintenant une ordonnance portant quil soit jugé par une cour martiale permanente et portant que le tribunal soit constitué par lordre de convocation (pièce 1). Lavocat de laccusé minforme que laccusé choisit dêtre jugé par une cour martiale permanente et que, jusquà maintenant, il na pas eu la possibilité de choisir le type de cour martiale par laquelle il aimerait être jugé.

 

[5]                    Le procureur répond que la cour na pas compétence pour modifier le type de cour martiale mentionnée dans lordre de convocation (pièce 1) et à moins que laccusé accepte dêtre jugé par une cour martiale disciplinaire tel quil est prévu à la pièce 1, la cour na pas compétence pour poursuivre linstruction et elle devrait par conséquent mettre fin à linstance.

 

[6]                    Il est clair que lordre de convocation dont la Cour est saisie a été délivré à un moment où la directrice des poursuites militaires croyait quelle pouvait exercer le pouvoir de choisir le type de cour martiale conféré par larticle 165.14. Ladministratrice de la cour martiale, pour sa part, a agi conformément au paragraphe 165.19(1), lequel lautorise à délivrer lordre de convocation et exige, ce faisant, quelle exécute la décision prise par la directrice des poursuites militaires quant au type de cour martiale qui a été sélectionnée. La décision rendue dans laffaire Trépanier a pour effet de dissiper tout doute quant au droit de laccusé de choisir son mode de procès et, selon la poursuite, si je comprends bien, elle met grandement en doute le pouvoir de ladministrateur de la cour martiale de convoquer les cours martiales.

 


[7]                    Les avocats sentendent sur le fait quun certain nombre de questions découlent de la décision rendue par la cour dans Trépanier. Par exemple, les deux parties semblent sentendre sur le fait que, en concluant que le droit de choisir le type de cour martiale appartient à laccusé, ce droit nest pas limité aux causes de procès militaire pour infractions civiles prévues à larticle 130 de la Loi sur la défense nationale, mais sapplique également aux poursuites relatives à toutes les infractions dordre militaire, y compris, évidemment, linfraction davoir désobéi à un ordre légitime sur laquelle la cour doit se prononcer. Cependant, on peut à tout le moins prétendre que le droit de choisir nexiste quen rapport avec les infractions prévues à larticle 130 car cest cette disposition qui prévoit que les infractions criminelles ordinaires punissables en vertu du Code criminel constituent des infractions dordre militaire visées par la Loi sur la défense nationale.  Par exemple, la cour affirme ce qui suit au paragraphe 103 de larrêt Trépanier:

 

[...] le fait de donner à la poursuite, dans le système de justice militaire, le droit de choisir le juge des faits devant lequel se déroulera le procès dune personne accusée dinfractions graves au Code criminel, comme le font larticle 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la LDN, a pour effet de priver cette personne, en violation des principes de justice fondamentale, de la protection constitutionnelle reconnue aux contrevenants dans le régime criminel en vue dassurer léquité du procès quils doivent subir. [Non souligné dans loriginal.]

 

Il est également mentionné ce qui suit au paragraphe 117, dans la discussion relative aux réparations :

 

Pour toute inculpation en vertu de larticle 130, laccusé peut se voir offrir le choix du juge des faits. [Non souligné dans loriginal.]

 

[8]       Je suis cependant convaincu que le juge militaire d'Auteuil a eu raison de conclure dans la cause Corporal Strong, 2008 CM 3019, que le droit de laccusé en cour martiale de choisir le type de cour martiale nest pas limité aux causes dinfraction dordre militaire prévues par larticle 130. Les avocats partagent la même opinion. En effet, il serait illogique quun accusé en cour martiale devrait avoir le droit de choisir son mode de procès lorsquil est accusé dinfractions relativement moins graves visées par le Code criminel, et quil ne devrait pas avoir ce droit lorsquil est accusé de lune ou lautre des infractions très graves qui figurent, par exemple, aux articles 73 à 76 de la  Loi sur la défense nationale.

 

[9]       On pourrait également faire valoir que le droit de laccusé de choisir le type de cour martiale confirmé dans larrêt Trépanier ne porte que sur le droit de choisir une cour composée dune formation, cest‑à‑dire une cour martiale disciplinaire ou une cour martiale générale et non pas le droit, réclamé par laccusé en lespèce, à un procès devant un juge militaire siégeant seul. Le procureur ne fait pas valoir cet argument et je ne discuterai pas de cette question.

 


[10]     Les deux avocats semblent également sentendre sur le fait que lordre de convocation délivré en lespèce vaut toujours, du moins à certains égards, compte tenu de la décision rendue dans larrêt Trépanier. Encore une fois, on peut à tout le moins prétendre que lordre de convocation repose sur un choix inconstitutionnel fait par la poursuite et sur le déni du droit constitutionnel de choisir appartenant à laccusé et quil nest donc plus un ordre de convocation valide même sil était valide au moment où il a été délivré. Compte tenu des points de vue des avocats, je nai pas à traiter cette question.

 

[11]     Selon moi, la véritable question soulevée par les avocats en lespèce a trait à la nature dun ordre de convocation délivré en vertu du paragraphe 165.19(1) de la Loi sur la défense nationale. Lavocate du demandeur accusé prétend quil sagit dun ordre purement administratif conçu pour amener les parties devant la cour au moment et au lieu fixés. Elle prétend que cest à bon droit que jai été désigné juge du procès et que, à ce titre, je peux voir à ce que le droit de laccusé de choisir le type de cour martiale soit respecté. À cette fin, lavocate de laccusé minvite à substituer une cour martiale permanente à la présente cour disciplinaire prescrite dans lordre de convocation.

 

[12]     En revanche, le procureur prétend que ce nest que lordre de convocation qui confère compétence à la cour de faire ce quelle veut en traitant les accusations. Il prétend, à juste titre selon moi, que la présente cour est une cour dinstance inférieure créée par la loi, mais contrairement aux autres cours dinstance inférieure, comme, par exemple, la Cour provinciale du Manitoba, la cour est créée par un ordre de convocation valide, pour traiter un cas précis, puis elle cesse dexister lorsque sa tâche a été accomplie et que linstance est terminée. En bref, la Loi sur la défense nationale ne créée aucune cour martiale. Elle crée cependant le poste dadministrateur de la cour martiale et lui confère le pouvoir de convoquer une cour martiale afin de traiter un cas précis.

 

[13]     Selon moi, la nature transitoire dune cour martiale créé en vertu de la  Loi sur la défense nationale a été brièvement décrite par lancien juge en chef du Canada, Antonio Lamer, à la page 18 du rapport sur lapplication de la

Loi sur la défense nationale quil a adressé au gouvernement :

 

La création dune magistrature militaire a entraîné des problèmes imprévus, dont (et ce nest pas le moindre) le fait que les juges militaires sont des « juges » lorsquils prêtent serment pour juger, mais se retrouvent dans une sorte de no man's land temporel entre les cours martiales parce quils nappartiennent pas à une cour permanente []

 


[14]     Par conséquent, bien quun ordre de convocation traite un bon nombre des exigences administratives qui doivent être satisfaites afin de créer une instance judiciaire, lordre de convocation est beaucoup plus quun acte purement administratif. Il est considéré à juste titre comme étant un instrument fondamental de lexercice de lautorité judiciaire dans un procès tenu en vertu de la Loi sur défense nationale. Dans le cas dun ordre convoquant une cour martiale disciplinaire, comme cest le cas en lespèce, lautorité judiciaire est divisée entre le juge militaire qui statue sur les questions de droit ou sur les questions mixtes de droit et de fait (Loi sur la défense nationale, article 191) et le comité décide du verdict de la cour et statue sur toute autre matière ou question, autre quune question de droit ou une question mixte de droit et de fait (Loi sur la défense nationale, paragraphe 192(1)).

 

[15]     Je conclus que je nai pas compétence pour faire droit à la demande de laccusé, cest‑à‑dire transformer la présente cour martiale disciplinaire en cour martiale permanente présidée par moi‑même. En tant que cour dinstance inférieure, je dois examiner la loi afin de trouver ma compétence dagir. Je ne trouve pas dans la loi,  que ce soit expressément ou par déduction nécessaire, la compétence de mattribuer les rôles du comité de la présente cour martiale disciplinaire dévaluer la crédibilité des témoins, de déterminer les faits et de prononcer un verdict de culpabilité ou de non culpabilité en lespèce. Il pourrait en être autrement sil ny avait pas dautre façon de justifier le droit indiscutable de laccusé, depuis Trépanier, de choisir son mode de procès en cour martiale. Par exemple, la cour pourrait façonner une réparation convenable et juste fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte. Mais en lespèce, le demandeur ne donne pas à penser quil y a eu violation dun droit garanti par la Charte justifiant loctroi dune réparation.

 

[16]     Je souligne que la conclusion que jai tirée est conforme à la décision du juge d'Auteuil qui a présidé la cour martiale disciplinaire dans Corporal Strong. Dans cette cause, laccusé a soulevé une fin de non‑recevoir en invoquant que la cour navait pas compétence pour entendre la cause parce quil ne sétait pas vu accorder la possibilité de choisir son mode de procès par la cour martiale. Je souligne le passage suivant :

 

[] depuis le 24 avril 2008, aucune cour martiale de quelque type que ce soit ne peut juger un accusé tant que celui‑ci na pas sélectionné le type de cour martiale quil souhaite.

 

Le juge d'Auteuil a poursuivi en demandant à laccusé sil désirait être jugé par la cour martiale disciplinaire qui avait été convoquée. On me dit que, après avoir reçu une réponse négative, le juge d'Auteuil a conclu quil navait pas compétence pour entendre la cause, il a accueilli la fin de non‑recevoir et il a mis fin à linstance en conformité avec le paragraphe 112.24(6) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (O.R.F.C.).

 

[17]     En lespèce, laccusé ne sest pas non plus vu accorder jusquà maintenant la possibilité de choisir et il refuse dêtre jugé par la présente cour martiale disciplinaire. Je conclus donc que la cour ne peut pas entendre les chefs daccusation. Laccusé demande à la cour de se transformer en cour martiale permanente. Pour les motifs que jai formulés, je refuse de faire cela et la demande est rejetée.

 


[18]     La seule question quil reste à traiter est la question de savoir, le cas échéant, quelle ordonnance la cour devrait‑elle délivrer à la suite de cette conclusion. Le procureur minvite à mettre fin à linstance au motif que la cour na pas compétence pour entendre la cause. Il est clair que sur fin de non‑recevoir présentée par un accusé au motif que la cour na pas compétence, les O.R.F.C. prévoient expressément que, comme ce fut le cas dans Corporal Strong, lorsque la fin de non‑recevoir est accueillie, la cour doit mettre fin à linstance. Il ne mapparaît cependant pas que la cour devrait mettre fin à linstance simplement parce que le procureur a convaincu la cour quelle navait pas compétence pour juger les chefs daccusation.

 

[19]     Selon moi, la cour a lobligation de voir à ce que le droit de laccusé de choisir son mode de procès par la cour martiale soit respecté. En tant que juge désigné pour présider la présente cour martiale disciplinaire, jai compétence pour ordonner une suspension conditionnelle de linstance relative aux présents chefs daccusation jusquà ce que laccusé soit mentionné dans un ordre de convocation à un procès par la cour martiale permanente, et ce, en conformité avec son choix.

 

[20]     Dans R. c. Rowbotham (1988) 41 C.C.C. (3d) 1, la Cour dappel de lOntario a jugé que même en labsence dune violation de la Charte, afin déviter une possible violation du droit à un procès équitable, dans certaines circonstances, une cour peut ordonner à létat de financer les frais de représentation par un avocat dun accusé indigent. Selon moi, il convient de faire un parallèle entre la présente situation dans laquelle, bien quil ny ait pas encore eu violation dun droit garanti par la Charte, laccusé se verrait refuser son droit à un procès équitable si la poursuite ne respecte pas son choix dêtre jugé par une cour martiale permanente.

 

[21]     Par conséquent, en ce qui a trait aux chefs daccusation figurant dans lacte daccusation (pièce 2), jordonne la suspension de linstance jusquà ce que le directeur des poursuites militaires renvoie les actes daccusation à ladministratrice de la cour martiale et lui demande de convoquer une cour martiale permanente en conformité avec le choix de laccusé.

 

[22]     Le comité est libéré et je le remercie.

 

 

 

 

                                                                              COMMANDANT P.J. LAMONT, J.M.

 

AVOCATS :

 

Major R.J. Henderson, procureur militaire régional, région de lOuest

Procureur de Sa Majesté la Reine

Lieutenant-Commander S.C. Leonard, Direction du service d'avocats de la défense

Avocat du caporal Liwyj

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