Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 7 mai 2008
Endroit : BFC Petawawa, Édifice L-106, Petawawa (ON).
Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 3 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d'accusation 2 : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 3 : Coupable. Chef d'accusation 2 : Non coupable.
•SENTENCE : Une rétrogradation au grade de caporal.
Cour martiale disciplinaire (CMD) (est composée d’un juge militaire et d’un comité)
Contenu de la décision
Référence : R. c. sergent E.B. Thompson, 2008 CM 2011
Dossier : 200782
COUR MARTIALE DISCIPLINAIRE
CANADA
ONTARIO
BASE DES FORCES CANADIENNES PETAWAWA
Date : 20 mai 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU COMMANDER P. J. LAMONT, J. M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
LE SERGENT E.B. THOMPSON
(Accusé)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
[1] Sergent Thompson, ayant accepté et enregistré votre aveu de culpabilité relativement au premier chef d'accusation porté contre vous, une accusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, soit celle d’avoir eu une relation personnelle non appropriée avec une soldate en contravention de la Politique sur les relations personnelles du Centre d’instruction de la Force terrestre, Secteur de l’Ouest, la cour vous en déclare coupable.
[2] Aussi, la formation de la présente cour martiale disciplinaire vous déclare coupable, contrairement à votre plaidoyer, du troisième chef d’accusation, également une accusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, soit celle d’avoir abusé de vos pouvoirs en menaçant et en intimidant deux soldats, en contravention de la Directive et ordonnance administrative de la Défense (DOAD) 5012‑0 – Prévention et résolution du harcèlement.
[3] Il m'incombe maintenant de déterminer votre peine. Pour ce faire, j'ai tenu compte des principes de la détermination de la peine qu'appliquent les cours ordinaires de juridiction criminelle du Canada ainsi que les cours martiales. J’ai également pris en compte les faits de l'espèce tels qu'ils ont été révélés dans les témoignages entendus durant le procès et au moment de la détermination de la peine, ainsi que des plaidoiries des avocats de la poursuite et de la défense.
[4] Les principes de la détermination de la peine guident la cour dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en vue de déterminer une peine adéquate et adaptée à chaque cas. En règle générale, la peine doit correspondre à la gravité de l'infraction, au degré de responsabilité de son auteur et à sa moralité. La cour se fonde sur les peines prononcées par les autres tribunaux dans des affaires similaires, non parce qu'elle respecte aveuglément les précédents, mais parce que son sens commun de la justice veut qu'elle juge de façon similaire les affaires similaires. Néanmoins, lorsqu'elle détermine la peine, la cour tient compte des nombreux facteurs qui distinguent chaque affaire dont elle est saisie, des circonstances aggravantes susceptibles de justifier une peine lourde et des circonstances atténuantes susceptibles d’en diminuer la
sévérité.
[5] Les buts et les objectifs recherchés lorsque l’on détermine la peine ont
été exposés de diverses manières dans de nombreuses affaires antérieures. En général,
ils visent à protéger la société, y compris bien entendu les Forces canadiennes, en
favorisant le développement et le maintien d’une collectivité juste, paisible, sûre et
respectueuse de la loi. Fait important, dans le contexte des Forces canadiennes, ces
objectifs incluent le maintien de la discipline, cette habitude d’obéir si nécessaire à
l’efficacité d’une force armée. Ces buts et objectifs comprennent aussi un volet dissuasion individuelle, pour éviter toute récidive du contrevenant, et un volet dissuasion
générale, pour éviter que d’autres ne soient tentés de suivre son exemple. La peine a
aussi pour objet d’assurer la réinsertion du contrevenant, de promouvoir son sens des
responsabilités et de dénoncer les comportements illégaux.
[6] Il est normal qu’au cours du processus permettant d’arriver à une peine juste et adaptée à chaque cas, certains de ces buts et objectifs l’emportent sur d’autres. Toutefois, il incombe à la cour chargée de déterminer la peine de les prendre tous en compte; une peine juste et adaptée est une sage combinaison de ces buts, adaptée aux circonstances particulières de l’espèce.
[7] Comme je vous l’ai dit lorsque vous avez plaidé coupable au premier chef d’accusation, l'article 139 de la Loi sur la défense nationale prévoit les différentes peines qu'une cour martiale peut infliger. Ces peines sont limitées par la disposition de la Loi qui crée l'infraction et qui prévoit une peine maximale, et aussi par la compétence que peut exercer la présente cour. Un contrevenant reçoit une seule sentence, qu'il ait été déclaré coupable d'une ou de plusieurs infractions, mais cette sentence peut prévoir plusieurs peines. Un principe important veut que la cour inflige la peine la moins sévère permettant de maintenir la discipline. Pour déterminer la sentence, dans cette affaire, j'ai tenu compte des conséquences directes et indirectes de la déclaration de culpabilité et de la peine que je vais infliger.
[8] Les faits à l’origine de la première accusation sont énoncés dans le sommaire des circonstances, pièce 9, et les faits à l’origine de la troisième accusation ont été révélés par la preuve présentée au tribunal. Pour résumer, le contrevenant était affecté comme instructeur au Centre d’instruction de la Force terrestre, Secteur de l’Ouest, à la base des Forces canadiennes Wainwright (Alberta). En décembre 2006, il a entretenu une relation personnelle avec une stagiaire au cours de qualification militaire de base où il était instructeur et commandant de section. Cette relation incluait des relations sexuelles qui ont eu lieu dans l’unité peu avant le congé de Noël, ainsi que des fréquentations durant la période de congé. Après le congé de Noël, lorsque le cours a repris le 7 janvier 2007, il semble que la relation se soit poursuivie alors que les deux ont passé des fins de semaine ensemble, jusqu’à ce qu’une période de congé sans permission pour la stagiaire prenne fin le 4 février 2007. Les relations personnelles de nature sexuelle entre instructeurs et stagiaires, ainsi qu’entre stagiaires, sont clairement interdites aux termes du document de politique du Centre d’instruction de la Force terrestre, région de l’Ouest.
[9] Le matin du 8 janvier 2007, sur le lieu de travail, le contrevenant a pris à part deux hommes stagiaires séparément et leur a parlé seul à seul. Il leur a dit, apparemment sans mâcher ses mots, qu’ils devaient mettre un terme aux rumeurs qui circulaient dans le cours au sujet de sa relation avec la stagiaire, faute de quoi il mettrait fin au cours. Les deux soldats se sont sentis menacés et intimidés par le comportement du contrevenant, et même s’ils estimaient devoir rapporter sa conduite, ils ne voulaient pas compromettre leur réussite du cours, ni sans doute celle de leurs confrères.
[10] Selon la conclusion du tribunal, le comportement du contrevenant à l’endroit des deux soldats constituait nettement du harcèlement au sens de la DOAD 5012-0. Aussi, en raison de la différence de grade et du rapport instructeur-stagiaire, la preuve établit qu’il y a eu abus de pouvoir de la part du contrevenant à l’endroit des deux soldats stagiaires. La poursuite propose que la sanction appropriée dans cette affaire est une rétrogradation. L’avocat de la défense laisse entendre que la peine indiquée serait une réprimande et une amende de 500 $.
[11] J’accepte l’argument du poursuivant selon lequel les infractions en l’espèce sont objectivement graves. Selon le témoignage de l’adjudant chef McNaughton, que j’accepte, il est clair que la relation entre un sergent instructeur et des stagiaires recrues dans un cours de qualification militaire de base est une chose très particulière, peut-être même unique. Le contrevenant a abusé de cette relation à l’égard de trois recrues placées sous sa direction. Il n’est pas exagéré de dire que le contrevenant a abusé de la confiance que devaient avoir en lui, non seulement les stagiaires concernés, mais d’abord et avant tout, les Forces canadiennes. Quant à l’abus de pouvoir envers les deux hommes stagiaires, il faut noter que le harcèlement a été de courte durée et ne faisait pas partie d’une conduite répétée envers des subordonnés. Cela dit, il est clair que l’abus de pouvoir a été commis dans le but de tenir secrète l’infraction consistant à entretenir une relation illicite.
[12] Je tiens aussi compte de la situation personnelle du contrevenant. Il a servi dans les Forces canadiennes pendant vingt et un an et demi, et au cours des dernières années, il a fait preuve d’un talent remarquable comme instructeur. Ses évaluations du rendement les plus récentes indiquent qu’il a appris à maîtriser les exigences professionnelles de son grade actuel, et qu’en fait, son rendement est bien supérieur à ce que l’on peut attendre d’une personne ayant un grade plus élevé, en dépit de son état de santé mentale que son avocat qualifie de fragile. J’accepte la preuve selon laquelle la conscience professionnelle dont le contrevenant a fait preuve dans son travail au sein des Forces canadiennes a contribué à la dissolution de son mariage et a constitué une épreuve pour sa vie familiale. J’accepte la preuve selon laquelle le contrevenant a décidé d’obtenir de l’aide professionnelle pour régler ses problèmes personnels. Mais au vu de l’ensemble de la preuve, même si le contrevenant était sous le stress au moment des infractions, je ne vois pas de lien entre ses problèmes personnels et la perpétration de ces infractions. En fait, le contrevenant lui-même, dans son témoignage, semblait nier l’existence d’un tel lien.
[13] Il y a un élément inhabituel dans la procédure qui a été suivie dans cette affaire. Au début, le contrevenant a été accusé de l’infraction mentionnée au premier chef d’accusation, puis d’un deuxième chef d’avoir désobéi à un ordre, et il a subi un procès sommaire instruit par le commandant. Il a été déclaré coupable et condamné à une rétrogradation. Il a demandé une révision du procès sommaire et le verdict a été annulé, ainsi que la peine, et il a été rétabli dans son grade actuel après avoir passé quelque 97 jours comme caporal. Lorsqu’il a été accusé à nouveau, cette fois seulement sous le premier chef d’accusation, il a choisi de subir son procès devant une cour martiale. Quelques mois plus tard, lorsque le Directeur des poursuites militaires a présenté l’acte d’accusation, celui-ci incluait un nouveau chef, soit le troisième chef d’accusation dont je suis saisi. Il y a donc eu un délai considérable avant que le troisième chef d’accusation ne soit porté, même si les autorités disposaient vraisemblablement de la preuve à l’appui depuis le début du mois de février 2007. Il semble bien qu’en exerçant son droit à une révision, et en réussissant à faire renverser la décision rendue à la suite du procès sommaire, le sergent Thompson se soit exposé à un risque plus grand devant cette cour que celui qu’il courait à l’étape du procès sommaire.
[14] Je n’accepte pas l’argument de la défense selon lequel les circonstances de l’espèce démontrent que le système de procès sommaire a causé un préjudice au contrevenant. Il reste qu’à mon avis, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que la peine infligée par une cour martiale devrait être plus sévère que celle infligée au procès sommaire pour une même infraction lorsque le verdict et la sentence prononcés au procès sommaire ont été annulés.
[15] Je reconnais que même si le contrevenant a été rétabli dans son grade et que les pénalités financières auraient été remboursées, il demeure des aspects non financiers à la peine de rétrogradation qui lui a été imposée, de sorte que le contrevenant a déjà été puni dans une certaine mesure pour l’infraction qui lui est reprochée sous le troisième chef d’accusation. Je considère qu’il s’agit là d’un facteur atténuant en l’espèce. Je considère aussi que le retard à porter le troisième chef d’accusation constitue un autre facteur atténuant. Je tiens compte également du fait que le contrevenant a fait l’objet de restrictions administratives et a reçu un avertissement porté à son dossier en conséquence de la conduite qui lui est reprochée, et qu’il lui était difficile de respecter ces restrictions en raison des conditions de travail et de vie qui existent à la BFC Wainwright. Je prends en compte le plaidoyer de culpabilité enregistré par le contrevenant relativement au premier chef d’accusation, et le fait que par la voix de son avocat, il a fait certaines admissions qui ont épargné à la stagiaire le stress de devoir témoigner devant le tribunal. Il reste que, compte tenu de l’ensemble de la preuve, j’estime que le processus de réinsertion du contrevenant en est encore à ses débuts.
[16] Compte tenu de toutes les circonstances, je suis convaincu qu’une réprimande accompagnée d’une amende ne constitue tout simplement pas une peine suffisante pour satisfaire aux principes de dissuasion individuelle et générale dont le tribunal doit tenir compte comme principes directeurs de la détermination de la peine dans la présente affaire.
[17] Comme je l’ai déjà dit, le grade est le symbole de l’autorité conférée à celui qui le possède, ainsi qu’une preuve de la confiance accordée au membre par les Forces canadiennes et de l’assurance qu’il s’acquittera de ses tâches avec générosité et conscience professionnelle. Le grade perdu en raison d’une inconduite peut être recouvré si le membre démontre qu’il mérite la confiance que ce grade symbolise.
[18] Sergent Thompson, veuillez vous lever. Vous êtes condamné à une rétrogradation au grade de caporal. Rompez, caporal Thompson.
LE COMMANDER P. J. LAMONT, J.M.
Avocats :
Major R.J. Henderson, poursuites militaires régionales, région du Centre
Major S.A. MacLeod, poursuites militaires régionales, région du Centre
Procureurs de Sa Majesté la Reine
Capitaine B.L.J. Tremblay, Direction du Services des avocats de la défense
Avocat du sergent Thompson