Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 29 novembre 2012.

Endroit : CFB Valcartier, édifice 534, l’Académie, Courcelette (QC).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 97 LDN, ivresse.
•Chefs d’accusation 2, 4 : Art. 130 LDN, entrave volontaire à un agent de la paix dans l’exécution de ses fonctions (art. 129a) C. cr.).
•Chef d’accusation 3 : Art. 130 LDN, voies de fait contre un agent de la paix dans l’exercice de ses fonctions (art. 270(1)a) C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 4 : Non coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1200$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c April, 2012 CM 1020

 

Date : 20121130

Dossier : 201256

 

Cour martiale permanente

 

Garnison Valcartier

Courcelette, Québec, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Adjudant J.D. April, contrevenant

 

 

Devant : Colonel M. Dutil, J.M.C.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               L'adjudant April a avoué sa culpabilité à deux chefs d'accusation, d'une part à l'infraction d'ivresse aux termes de l'article 97 de la Loi sur la défense nationale; et d'autre part, à l'infraction de voies de fait contre un agent de la paix dans l'exercice de ses fonctions contrairement à l'alinéa 270(1)(a) du Code criminel, punissable selon l'article 130 de la Loi sur la défense nationale.

 

[2]               Les circonstances de cette affaire sont les suivantes. Alors qu'il est affecté au Centre d'instruction du Secteur de l'Ouest de la Force Terrestre à Wainwright, Alberta, l'adjudant April est passager d'un véhicule utilitaire sport (VUS) civil conduit par sa conjointe, un peu avant minuit, le 16 novembre 2011, qui circule sur la base à basse vitesse et de façon erratique. Un policier militaire demande alors au conducteur du véhicule de s'immobiliser. Après avoir discuté avec la conductrice et avoir estimé qu'elle démontre des signes de facultés affaiblies, ledit policier demande à ce qu'on lui envoie l'ivressomètre. Alors que ce policier est dans son véhicule, l'adjudant April sort du sien et s'approche. Le policier l'imite et l'informe à plusieurs reprises qu'il doit retourner dans le VUS. L'adjudant April, contrarié, lui demande ce qui se passe et lui dit qu'il est adjudant et instructeur de combat sans armes au Centre d'instruction. Les propos de la poursuivante suggèrent que l'adjudant April a de ce fait tenté d'intimider le policier, mais la cour ne peut être d'accord avec cette inférence sur la foi de ces seules paroles qui se limitent à donner son grade et sa fonction. Le policier militaire informe donc l'adjudant April que sa conjointe devrait se soumettre à l'ivressomètre et il lui répète de retourner au VUS. L'adjudant April acquiesce à la demande du policier. C'est alors que la conductrice du véhicule en sort pour fumer une cigarette. Le policier lui demande de retourner à l'intérieur du VUS sous peine d'arrestation. Celle-ci devient belligérante et n'obéit pas aux directives dudit policier. L'adjudant April, qui parle alors au téléphone cellulaire, entend les cris de son épouse apeurée et il sort du poste de police où il était allé pour s'approcher du même policier et de son épouse afin de s'enquérir de la situation et tenter de la calmer. Le policier militaire lui demande de s'éloigner. La situation étant devenue tendue, le policier sort son vaporisateur de poivre et leur dit à nouveau de retourner à l'intérieur du VUS. Malgré ces avertissements, l'adjudant April continue de s'approcher du policier. De toute évidence, la situation semble propice aux débordements. Or un autre policier militaire, le caporal Kampa-Brousseau, arrive sur les lieux. Il demande lui aussi à plusieurs reprises à l'adjudant April de s'éloigner. L'adjudant April agrippe l'épaule gauche du caporal Kampa-Brousseau avec sa main droite, alors que le policier tente de l'éloigner vers l'arrière du véhicule de police. Ce sont là les gestes reprochés à l'accusé. Au même moment, un constable de la Gendarmerie Royale du Canada arrive sur les lieux. Ce dernier s'avance vers l'adjudant April qui tient toujours l'épaule du caporal Kampa-Brousseau. Les policiers demandent, à plusieurs reprises, à l'adjudant April de relâcher son emprise et de reculer immédiatement. Ils ajoutent que ses actions constituent des voies de fait contre un agent de la paix. Finalement, l'adjudant April lâche sa prise, mais il entre dans l'espace vital du caporal Kampa-Brousseau à plusieurs reprises, obligeant ce dernier à reculer pour préserver son espace. L'adjudant April est à ce moment agité et il demande ce qui se passe avec sa conjointe. Il ressort des circonstances qu'elle ne se pliait pas aux directives des policiers, avait un comportement violent et résistait à son arrestation. Les policiers ont dû l'immobiliser par terre.

 

[3]               L'adjudant April ne se conformant pas immédiatement aux demandes des policiers, le constable de la Gendarmerie Royale du Canada l'informe de se soumettre immédiatement à ses demandes ou il utiliserait son arme à impulsion communément appelé « Taser ». L'adjudant April lui jette alors un regard perçu comme étant menaçant. Celui-ci lui dit en anglais « I'm not fucking around ». Aussitôt, l'adjudant April devient coopératif. À un moment, l'adjudant April dit au caporal Kampa-Brousseau « I was in war while you were in fucking school » et « Get to me on the mat, you and I on the mat buddy, I will get you ». Lors des évènements l'adjudant April démontre des signes d'ébriété et il est arrêté pour ivresse.

 

[4]               Une fois à l'intérieur du poste de police et avant de mettre l'adjudant April en cellule, on lui enlève ses menottes. L'adjudant April refuse de mettre ses mains sur sa tête. L'adjudant April a commencé à serrer les poings, respirant fortement. La vidéo des évènements semble indiquer que l'adjudant April ressent un inconfort important lorsqu'il est à genoux. C'est d'ailleurs ce que l'adjudant April invoque lorsqu'il a témoigné devant la cour lors de l'audition sur sentence. La vidéo fait ressortir que l'adjudant April semble furieux de la conduite des policiers. C'est alors que l'on aperçoit une personne portant des vêtements civils apparaître sur la vidéo. Il s'agit du caporal-chef Larente, appelé d'urgence au poste de police militaire. Ce dernier tente alors de calmer l'adjudant April en discutant avec lui pendant plusieurs minutes. Ses efforts seront récompensés et l'adjudant April entre finalement dans la cellule. Le caporal Kampa-Brousseau n'a subi aucune blessure ni ne dû manquer du travail après les évènements de la soirée. Les vidéos ne permettent pas d'évaluer précisément l'état d'ivresse de l'adjudant April au moment des infractions, mais ils démontrent qu'il n'était pas à un niveau élevé, mais ce dernier n'était manifestement pas en contrôle de ses émotions.

 

[5]               Outre les documents usuels d'ordre administratif, notamment les états de service et la solde de l'adjudant April, sa fiche de conduite et le sommaire des circonstances entourant la commission des infractions, la preuve documentaire et graphique est complétée par deux enregistrements vidéos qui portent sur une partie des évènements qui ont eu lieu lors de la soirée du 16 novembre 2011, une facture du restaurant Boston Pizza en date du 16 novembre 2011 et un formulaire RARM/SISIP qui fait état des revenus et dépenses mensuels du contrevenant. L'adjudant April a également témoigné.

 

[6]               Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains objectifs sont visés à la lumière des principes applicables qui varient légèrement d'un cas à l'autre. Le prononcé d'une sentence lors d'une cour martiale a pour objectif essentiel de contribuer au maintien de la discipline militaire mais aussi au respect de la loi, et ce, par l'infliction de peines justes et appropriées visant entre autres un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  dénoncer le comportement illégal;

 

b)                  dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c)                  isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d)                 favoriser la réinsertion du contrevenant dans son environnement au sein des Forces canadiennes ou dans la vie civile; et

 

e)                  susciter la conscience de leurs responsabilités chez les contrevenants militaires.

 

[7]               La sentence doit également prendre en compte les principes suivants. Elle doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction, les antécédents du contrevenant, ainsi que son degré de responsabilité. La sentence doit prendre également en compte le principe de l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. La cour a l'obligation aussi, avant d'envisager la privation de liberté, la cour doit examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Finalement, la sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du contrevenant et prendre en compte toute conséquence indirecte du verdict et de la sentence sur le contrevenant.

 

[8]               La cour accepte les opinions exprimées par les procureurs en présence que la sentence doit favoriser principalement l'objectif de dissuasion générale et la dénonciation, mais elle ne doit pas freiner ou nuire indument à la réhabilitation de l'adjudant April qui, dans les circonstances, a non seulement profondément manqué de jugement, mais il s'est aussi laissé emporté au-delà des limites acceptables pour un militaire de son rang et de sa très longue expérience. La poursuite suggère une sentence composée d'une réprimande assortie d'une amende de 3,500 dollars. La défense soumet que la seule réprimande suffit pour atteindre les principes et les objectifs sentenciels poursuivis. À défaut, le procureur de l'adjudant April suggère que si la cour conclut à la nécessité d'une amende dans les circonstances, les modalités de paiement de ladite amende devrait être échelonnées sur une base mensuelle n'excédant pas 100 dollars par mois.

 

[9]               Dans cette affaire, la cour considère les circonstances suivantes comme aggravantes :

 

a)                  La gravité objective sérieuse de ces infractions. La commission de voies de fait contre un agent de la paix est punissable d'une peine maximale de 5 ans d'emprisonnement, alors que la personne coupable de l'infraction d'ivresse encourt une peine maximale de 90 jours pour un militaire du rang qui n'est pas en service ou appelé à prendre son service;

 

b)                  Le fait que l'adjudant April a persisté dans son comportement et qu'il a perdu le contrôle de ses émotions. Considérant son expérience et son grade, il lui incombait d'avoir la retenue nécessaire et de se plaindre plus tard le cas échéant aux autorités compétentes s'il croyait que son épouse était injustement traitée par les policiers. Son comportement n'a fait que jeter de l'huile sur le feu et accroître la tension qui existait entre les personnes concernées. Il s'agit là d'un manque de jugement flagrant pour une personne jouissant d'une très grande expérience et dont les faits d'armes sont éloquents tel qu'en font foi des nombreuses missions opérationnelles en Afghanistan, Bosnie, Haiti, Timor oriental. Il ne fait aucun doute que l'adjudant April a perdu totalement le contrôle de ses émotions, mais dans ce genre de situations il est parfois difficile de déterminer si les paroles d'une personne dépassent ou non sa pensée. Ici, j'accorderai le bénéfice du doute au contrevenant; et

 

c)                  Le fait qu'il n'en soit pas à ses premiers démêlés avec la justice pour des infractions ou l'alcool était présent.

 

[10]           La cour considère que les circonstances suivantes doivent atténuer la sentence :

 

a)                  Les aveux de culpabilité de l'adjudant April. À la lumière des circonstances de l'affaire, la cour considère que ces aveux sont sincères et que l'adjudant April accepte l'entière responsabilité pour ses gestes à l'égard du policier Kampa-Brousseau dans cette affaire et que sa conduite répréhensible était due, en partie du moins et à un niveau peu élevé, selon l'ensemble de la preuve, y compris les enregistrements vidéos devant la cour, à l'alcool. L'avocat de la défense a soumis à la cour que les deux infractions pour lesquelles l'adjudant April a avoué sa culpabilité étaient d'ordre technique ou qu'elles se situaient au niveau le plus bas dans l'ordre de gravité pour de telles infractions. Il n'a pas tort, mais la cour tient à ajouter que le visionnement de la vidéo prise à partir de l'auto-patrouille du constable de la Gendarmerie Royale du Canada, démontre que la conduite du policier militaire qui pointe son doigt en direction du contrevenant en le forçant à reculer et pour qu'il obtempère à ses directives, a contribué à augmenter l'exaspération de l'adjudant April qui voulait prêter assistance à son épouse qu'il croyait menacée. Les images ne permettent pas de conclure que le comportement des policiers était fautif de quelque manière que ce soit, mais ces images démontrent qu'il y a eu escalade et que l'adjudant April a pété les plombs parce qu'il croyait son épouse en danger;

 

b)                  Les états de service de l'accusé sont également atténuants. L'adjudant April sert son pays depuis 24 ans et il n'a jamais eu de dossier disciplinaire. Ses deux condamnations antérieures sont relatives à des conduites de véhicule à moteur avec facultés affaiblies par l'alcool qui remonte à 2001 et 2008 devant les tribunaux civils. Il a été déployé à maintes reprises à l'étranger dans des zones de guerre ou de rétablissement de la paix. Il est hautement qualifié tel qu'en fait foi la liste de ses qualifications professionnelles. Sa carrière militaire est enviable et il a raison d'en être très fier. L'ensemble de la jurisprudence fournie par la poursuite est pertinente, mais les faits reprochés à l'adjudant April sont d'une moindre gravité et les états de service de l'ensemble desdits contrevenants sont incomparables avec ceux de l'adjudant April;

 

c)                  La situation personnelle de l'adjudant April. L'adjudant April est âgé de 47 ans. Il souffre depuis quelques années du syndrome de stress post-traumatique. Son état provoque chez lui de l'irritabilité, de l'anxiété et de l'hyper vigilance. La médication qu'il reçoit lui permet de minimiser ces comportements. Or, il n'était pas sous médication au moment des infractions pour lesquelles il a reconnu sa culpabilité, car il croyait que tout était sous contrôle, ce qui n'était sans doute pas le cas. Il a d'ailleurs témoigné des difficultés professionnelles et familiales qui ont entourés son affectation à Wainwright. Il a du vivre éloigné de son enfant issu d'une union précédente, alors que sa nouvelle conjointe a eu de la difficulté à s'adapter à ce nouvel environnement étant incapable de se trouver un emploi en raison principalement d'un problème linguistique. Il a été muté un an plus tard à l'Unité Interarmées du soutien au personnel Détachement de Valcartier. Il fait l'objet d'une révision de carrière et il sera sans doute libéré d'ici 18 à 36 mois pour des raisons médicales; et

 

d)                 Finalement, la situation familiale et financière de l'adjudant April. L'adjudant April est marié depuis le 20 juin 2011. Il s'agit d'une famille reconstituée. Il a deux enfants, dont un en garde partagée. Sa conjointe occupe un emploi stable et moyennement rémunéré. Il a déposé en preuve un formulaire qui fait état de ses revenus et dépenses. Selon ces informations, ses dépenses excèdent ses revenus de quelques centaines de dollars mensuellement. Or, l'information qu'il a fourni relativement à ses dépenses en matières de loisirs et de transport, notamment le remboursement d'un prêt-auto pour un véhicule Ram 1500 de l'année 2012, démontrent qu'il a la marge de manœuvre nécessaire pour rationaliser certaines dépenses de consommation. L'examen attentif de ses dépenses indique qu'il peut aisément les rationaliser pour aussitôt passer d'un bilan négatif à positif. Il s'agit là d'un choix personnel auquel la cour n'a pas de contrôle, mais qui ne constituerait pas un empêchement pour la cour d'imposer une amende nécessaire pour satisfaire les principes et les objectifs primordiaux applicables en matière sentencielle.

 

[11]           La cour ne partage pas les prétentions de la défense à l'effet qu'une seule réprimande constituerait la peine minimale dans les circonstances. Nonobstant les circonstances atténuantes de l'adjudant April, il importe que des personnes de son grade et de son expérience garde le contrôle de leurs émotions et qu'ils agissent de manière professionnelle en tout temps, à plus forte raison lorsqu'ils sont présents sur un établissement de la défense. Une réprimande assortie d'une amende de 1200 dollars est suffisante pour envoyer un message clair à cet effet.

 

POUR CES RAISONS, LA COUR

 

[12]           PRONONCE un verdict de culpabilité à l'égard du premier chef d'accusation, soit l'infraction d'ivresse aux termes de l'article 97 de la Loi sur la défense nationale; et elle prononce un verdict de culpabilité à l'égard du troisième chef d'accusation, soit l'infraction de voies de fait contre un agent de la paix dans l'exercice de ses fonctions contrairement à l'alinéa 270(1)(a) du Code criminel, punissable selon l'article 130 de la Loi sur la défense nationale.

 

ET

 

[13]           CONDAMNE le contrevenant, l'adjudant April, à la réprimande et à l'amende au montant de 1,200 dollars payables en douze versements mensuels consécutifs égaux de 100 dollars à compter du 15 janvier 2013.


 

Avocats :

 

Major A.-C. Samson, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Major L. Boutin, Service d'avocats de la défense

Avocat pour Adjudant J.D. April

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