Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 14 janvier 2013.

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 : Art. 97 LDN, ivresse.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Youden, 2013 CM 4002

 

                                                                                                                  Date : 20130118

                                                                                                                 Dossier : 201258

 

                                                                                                       Cour martiale permanente

 

                                                                                     Base des Forces canadiennes Halifax

                                                                                        Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Adjudant I.W. Youden, accusé

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.


 

RESTRICTION TOUCHANT LA PUBLICATION

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Restriction touchant la publication : par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement permettant d’établir l’identité de la personne décrite comme la partie plaignante dans le présent jugement.

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               L’accusé, l’adjudant Youden, est accusé d’agression sexuelle et d’ivresse.  Avant que la cour procède à son analyse de la preuve et de l'accusation, i1 convient de traiter de la présomption d'innocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable. Ces principes sont bien connus des avocats, mais peut-être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d'audience.

 

[2]               Il est juste de dire que la présomption d'innocence est fort probablement le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable en est un élément essentiel. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal canadien, toute personne accusée d'une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. L’accusé n'a pas à prouver qu'il est innocent. C'est à la poursuite qu'il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction. L’accusé est présumé innocent tout au long de son procès, jusqu'à ce qu'un verdict soit rendu par le juge des faits.

 

[3]               La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à l'ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s'appuie pour établir la culpabilité de l'accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité d'un accusé incombe à la poursuite, jamais à l'accusé.

 

[4]               Le tribunal doit déclarer l’accusé non coupable s'il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir considéré l'ensemble de la preuve. L'expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques.

 

[5]               Dans R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives sur le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres jugements de la Cour suprême et des cours d'appel. Essentiellement, un doute raisonnable n'est pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C'est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu'elle ne lui révèle pas. Le fait qu'une personne a été accusée n'est absolument pas une indication qu'elle est coupable.

 

[6]               Dans R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué que :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

Par contre, il faut se rappeler qu'il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n'a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n'existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l'accusé, en l'espèce l’adjudant Youden, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l'accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l'acquitter car la preuve d'une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[7]               La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faits devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu'elles ont vu ou fait. Elle peut être constituée de documents, de photographies, de cartes ou d'autres éléments présentés par les témoins, de témoignages d'experts, d’aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense ou d’éléments dont la cour prend judiciairement connaissance.

 

[8]               I1 n'est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d'un fait. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.

 

[9]               La crédibilité n'est pas synonyme de dire la vérité et l'absence de crédibilité n'est pas synonyme de mentir. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l'évaluation que la cour fait de la crédibilité d'un témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qu'a eue le témoin d'observer, les raisons d'un témoin de se souvenir. Elle se demandera, par exemple, si quelque chose de précis a aidé le témoin à se rappeler les détails de l'incident qu'il a décrit, si les faits valaient la peine d'être notés, s'ils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus faciles à oublier. Le témoin a-t-il un intérêt dans l'issue du procès; en d'autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s'applique d'une manière quelque peu différente à l'accusé. Bien qu'il soit raisonnable de présumer que l'accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure qu'il mentira lorsqu'il décide de témoigner.

 

[10]           L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur pouvant servir à évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il sans cesse? Finalement, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui n'ont pas été contestés?

 

[11]           De légères contradictions peuvent se produire, et cela arrive en toute innocence; elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Il en est autrement, par contre, dans le cas d'un mensonge délibéré : cela est toujours grave et peut vicier le témoignage en entier.

 

[12]           La cour n'est pas tenue d'accepter le témoignage d'une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins d'avoir une raison de ne pas le croire.

 

[13]           La cour doit s'attarder au critère établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742. Le critère est formulé comme suit :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.

 

Troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

Dans R. c. J.H.S., 2008 CSC 30, au paragraphe 12, la Cour suprême du Canada a cité, en l’approuvant, le passage suivant de l’arrêt R. c. H (C.W.) (1991), 68 C.C.C. (3d) 146, où le juge Wood, de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, a formulé une directive supplémentaire :

 

                [TRADUCTION] Dans ces cas, j'ajouterais la directive supplémentaire suivante qui, logiquement, devrait être la deuxième : « Si, après un examen minutieux de tous les éléments de preuve, vous êtes incapables de décider qui croire, vous devez prononcer l’acquittement.

 

[14]           L’adjudant Youden n’a pas témoigné. En conséquence, la cour doit s’attarder uniquement au troisième volet du critère pour en arriver à son verdict. Ayant procédé à cet exposé sur la charge de la preuve et sur la norme de preuve, j’examinerai maintenant les questions en litige en l’espèce.

 

[15]           La preuve dont la présente cour martiale a été saisie se compose essentiellement d’éléments dont la cour a pris judiciairement connaissance, du témoignage du major Jackson, de la lieutenant K.A.M., de Mlle Snow, du major White, de M. Rhodenizer et du maître de 2e classe Monette ainsi que de pièces. La cour a pris judiciairement connaissance des éléments mentionnés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve. Le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont produit chacun trois pièces.

 

[16]           À l’exception de M. Rhodenizer, tous les témoins étaient membres du 36e Bataillon des services lors des infractions reprochées. Ils participaient à un dîner officiel au cours de la soirée du 30 octobre 2010 au mess des officiers du Royal Artillery Park (RA Park) afin de souligner le départ à la retraite de trois officiers et de deux sous‑officiers supérieurs de cette unité. Le RA Park est situé à Halifax.

 

[17]           L’adjudant Youden faisait également partie du 36e Bataillon des services et participait au dîner officiel. La preuve établit clairement hors de tout doute raisonnable la date et le lieu des deux infractions reprochées.

 

[18]           Le dîner a débuté vers 19 h et a été marqué d’une pause d’environ 15 minutes à approximativement 20 h 45. Lorsqu’il s’est terminé vers 23 h 45, certains participants sont partis, tandis que d’autres se sont dirigés vers le bar du sous-sol. La cour examinera maintenant chacune des infractions.

 

[19]           Le premier acte d’accusation est ainsi libellé :

 

[TRADUCTION] « Le 30 octobre 2010, ou vers cette date, à Halifax ou à proximité de Halifax, en Nouvelle-Écosse, l’accusé a commis une agression sexuelle sur la personne de la lieutenant K.A.M. »

 

[20]           Le procureur de la poursuite soutient que l’agression sexuelle a été commise lorsque l’adjudant Youden a empoigné les fesses de la lieutenant K.A.M. alors que tous les deux montaient les marches pour quitter le mess du RA Park. La poursuite devait prouver les éléments essentiels suivants de cette infraction hors de tout doute raisonnable :

 

a)                  l’identité de l’accusé à titre de contrevenant ainsi que les date et lieu allégués dans l’acte de l’accusation;

 

b)                  le fait que l’adjudant Youden a employé la force à l’égard de la lieutenant K.A.M.;

 

c)                  le fait que l’adjudant Youden a intentionnellement employé la force;

 

d)                 le fait que la lieutenant K.A.M. n’a pas consenti à l’emploi de la force par l’adjudant Youden;

 

e)                  le fait que l’adjudant Youden a employé la force dans des circonstances de nature sexuelle.

 

[21]           L’adjudant Youden est-il le contrevenant? L’adjudant Youden, la lieutenant K.A.M., Mlle Snow, le second lieutenant Watson, le capitaine White, l’élève‑officier Domanski et le maître de 2e classe Monette ont quitté le mess du RA Park pour se rendre au Palace, bar situé à environ deux coins de rue du mess. La lieutenant K.A.M. a déclaré au cours de son témoignage que Mlle Snow a été la première personne à monter les marches. Le second lieutenant Watson aurait dit à la lieutenant K.A.M. de monter et celle-ci aurait alors commencé à monter les marches. Elle a entendu l’adjudant Youden rire. Elle a senti une main lui empoigner les fesses, une fois fermement du côté gauche et moins fermement du côté droit, puis une main glisser sur ses fesses. Elle a entendu quelqu’un trébucher,  puis elle a entendu l’adjudant Youden qui riait. À son arrivée au haut de l’escalier, elle s’est retournée et a vu l’adjudant Youden qui montait les marches. Il semblait détendu et il riait. Il est passé à côté d’elle. La lieutenant K.A.M. a pris Mlle Snow à part dans un vestiaire pour lui dire que l’adjudant Youden était un « octopus » (une pieuvre) et Mlle Snow a répondu par l’affirmative. La lieutenant K.A.M. a dit à Mlle Snow qu’elles devraient rester ensemble au bar et Mlle Snow a accepté.

 

[22]           Pour sa part, le maître de 2e classe Monette a affirmé qu’il a été l’une des dernières personnes à monter les marches et que de nombreuses personnes étaient entassées dans l’escalier. Il y avait deux personnes qui montaient les marches côte à côte devant lui. La lieutenant K.A.M. a souligné que les marches sont très étroites et qu’il n’est pas facile pour deux personnes de monter ou de descendre les marches en même temps. Elle a dit qu’il s’agissait d’un escalier permettant uniquement la circulation en file indienne. M. Rhodenizer, le directeur du mess du RA Park, a affirmé que deux personnes pouvaient facilement monter les marches ensemble et la pièce 8 montre clairement que les marches sont beaucoup plus larges que celles d’un escalier permettant uniquement la circulation en file indienne.

 

[23]           La lieutenant K.A.M. n’a pas vu la personne qui lui aurait empoigné les fesses. Tout ce qu’elle sait, c’est que le second lieutenant Watson lui a dit de monter les marches; elle ne se rappelle pas qui se trouvait derrière elle. Elle a entendu l’adjudant Youden rire et a dit qu’il s’agissait de la première personne qui montait les marches lorsqu’elle s’est retournée pour regarder en bas après avoir atteint le haut de l’escalier.

 

[24]           Mlle Snow et le maître de 2e classe Monette ont répondu à toutes les questions avec franchise et ont admis que leur mémoire était embrouillée par le passage du temps. Malgré tout, ils pouvaient se souvenir de nombreux événements, notamment des événements importants qui se seraient produits. Le maître de 2e classe Monette n’avait pas bu d’alcool au cours du repas et Mlle Snow avait bu un verre de vin ou deux. Aucun d’eux n’était sous l’influence de l’alcool lors des événements en question. Mlle Snow a admis que l’adjudant Youden ne faisait pas partie des personnes qu’elle aimait le plus au monde et le maître de 2e classe Monette est une connaissance générale de celui-ci.  Mlle Snow et le maître de 2e classe Monette sont considérés comme des témoins crédibles et fiables.

 

[25]           Aucun témoin n’a affirmé avoir vu l’adjudant Youden empoigner les fesses de la lieutenant K.A.M. Il s’agit d’un cas où la poursuite demande à la cour de conclure que l’adjudant Youden est la personne qui a empoigné les fesses de la lieutenant K.A.M. en se fondant sur la déclaration de celle-ci selon laquelle elle l’aurait entendu derrière elle et selon laquelle il était la première personne qui montait les marches lorsqu’elle s’est retournée au haut de l’escalier. Une preuve circonstancielle est une preuve présentée par un témoin au sujet d’une circonstance qui concerne un fait en litige. La partie qui présente cette preuve circonstancielle demande à la cour de se fonder sur celle-ci pour tirer une inférence établissant le fait en litige.

 

[26]           La preuve circonstancielle est traitée de la même façon que la preuve directe en droit. Aucune n’est nécessairement plus forte ou moins valable que l’autre. Dans chaque cas, la cour doit déterminer les conclusions qu’elle tirera à la lumière de l’ensemble de la preuve, tant directe que circonstancielle. Pour en arriver à sa décision, la cour doit se fonder sur le bon sens et l’expérience.

 

[27]           Une inférence est une déduction de fait qu’il est logique et raisonnable de tirer d’un autre fait ou groupe de faits établi au procès. Il s’agit d’une conclusion qui peut, mais ne doit pas nécessairement être tirée dans les circonstances. Elle n’a pas pour effet de modifier le fardeau de preuve ou la norme de preuve qui s’applique aux parties.

 

[28]           Une inférence est une opinion bien plus solide qu’une conjecture ou qu’une supposition. Si aucun fait établi ne permet de tirer une inférence logique, il est impossible d’en tirer quoi que ce soit. La cour se mettrait alors à spéculer ou à deviner, ce qui n’est pas suffisant. Un accusé ne peut être déclaré coupable sur la foi d’une conjecture, si précise soit-elle.  

 

[29]           La cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve établissant que l’adjudant Youden se trouvait directement derrière la lieutenant K.A.M. lorsqu’on a empoigné les fesses de celle-ci. Le maître de 2e classe Monette a déclaré que les membres du groupe étaient entassés dans l’escalier. La lieutenant K.A.M. a entendu quelqu’un trébucher; elle a ensuite entendu l’adjudant Youden rire, puis, peu de temps après, elle l’a vu monter les marches alors qu’elle se trouvait au haut de l’escalier. De l’avis de la cour, la poursuite n’a pas présenté d’éléments de preuve lui permettant d’inférer logiquement que l’adjudant Youden était la personne qui a empoigné les fesses de la lieutenant K.A.M. C’était peut-être lui, mais la preuve ne permet pas de conclure que tel était le cas. La cour est d’avis que la poursuite n’a pas établi hors de tout doute raisonnable que l’adjudant Youden est le contrevenant.

 

[30]           La deuxième accusation est ainsi libellée :

 

[TRADUCTION] « Le 30 octobre 2010, ou vers cette date, à Halifax ou à proximité de Halifax, en Nouvelle-Écosse, l’accusé était ivre ».

 

[31]           La poursuite devait prouver les éléments essentiels suivants de cette infraction hors de tout doute raisonnable :

 

a)                  l’identité de l’accusé à titre de contrevenant ainsi que les date et lieu allégués dans l’acte d’accusation;

 

b)                  le fait que l’adjudant Youden était sous l’influence de l’alcool ou d’une drogue;

 

c)                  le fait qu’en raison de l’effet de l’alcool ou d’une drogue, l’adjudant Youden n’était pas en état d’accomplir la tâche qui lui incombait et a eu une conduite répréhensible ou une conduite susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté;

 

d)                 le fait que l’adjudant Youden a consommé intentionnellement de l’alcool ou une drogue au point d’être ivre.

 

[32]           Il est indéniable que l’adjudant Youden était présent lors du dîner officiel qui a eu lieu au mess du RA Park le 30 octobre 2010 et qu’il a bu de l’alcool ce soir-là. La première question à trancher est de savoir s’il était sous l’influence de l’alcool.

 

[33]           Le major Jackson était le président du comité du mess et, à ce titre, il était responsable du dîner au mess. Au cours de son témoignage, il a affirmé qu’à son avis, l’adjudant Youden était sous l’influence de l’alcool, parce que le ton de sa voix était élevé au cours du repas, que son visage était rouge et qu’il a dit « We’re getting close to the edge » (nous sommes tout près du précipice). De l’avis du major Jackson, les commentaires de  l’adjudant Youden étaient inappropriés, en raison de la présence de civils au dîner. Il estimait également que cette attitude n’était pas acceptable de la part d’un sous-officier supérieur. Il a parlé à l’adjudant Youden pendant la pause et celui-ci a baissé le ton par la suite.

 

[34]           Le major Jackson n’a pu se rappeler exactement les propos de l’adjudant Youden et n’a pu dire si celui-ci articulait clairement, puisqu’il ne pouvait entendre que le bruit provenant de la table de l’adjudant Youden. Il a pu affirmer que celui-ci n’avait formulé aucun commentaire de nature sexuelle ou raciste. Il a pensé que l’adjudant Youden tentait d’attirer l’attention, mais il n’a pas affirmé que le contrevenant se comportait habituellement de cette façon. L’adjudant Youden n’a pas eu besoin d’aide pour marcher ou pour se lever et il n’a pas renversé quoi que ce soit. Le major Jackson a convenu avec l’avocat de la défense que le visage de l’adjudant Youden était rouge au cours du procès et qu’il faisait très chaud dans la pièce au cours du dîner. Le major Jackson est un témoin crédible.

 

[35]           La lieutenant K.A.M. a déclaré au cours de son témoignage que l’adjudant Youden a parlé de plus en plus fort au fur et à mesure que le dîner se poursuivait. Il avait également tendance à interrompre les conférenciers. Elle a dit que le major White et l’adjudant Youden parlaient fort tous les deux. Elle pouvait entendre leurs voix par‑dessus celles des autres. Le major Jackson aurait dit au major White, au capitaine Ball et à l’adjudant Youden de se taire d’une voix suffisamment forte pour que tous l’entendent. Le major Jackson a affirmé qu’il n’avait pas prononcé ces paroles et Mlle Snow, le major White et le maître de 2e classe Monette ont souligné qu’ils n’avaient pas entendu ces propos de la bouche du major Jackson.

 

[36]           La lieutenant K.A.M. a affirmé au cours de son témoignage que l’adjudant Youden l’avait continuellement encouragée à boire pendant tout le repas et qu’il lui avait même offert un verre. Elle a convenu que le major White et le capitaine Ball l’avaient également encouragée à boire. La lieutenant K.A.M. a admis qu’elle désapprouvait les pratiques de consommation d’alcool au sein de l’armée. Après le dîner, alors qu’elle était assise au bar du sous-sol, elle a cru que l’adjudant Youden était très intoxiqué, parce que celui-ci parlait clairement, puis disait quelque chose qu’elle ne pouvait pas comprendre et se mettait ensuite à rire.

 

[37]           Selon le major White, qui était assis à la même table que l’adjudant Youden au cours du dîner, la conduite de celui-ci n’était pas plus déplorable que la sienne ou celle du capitaine Ball. Le major White n’a pas pensé que l’adjudant Youden était ivre. Il a déclaré que l’adjudant Youden s’exprimait clairement et parlait fort, comme il le faisait habituellement. À son avis, l’adjudant Youden marchait ou se tenait debout sans difficulté et n’a nullement agi de manière déplacée. Le major White a répondu de façon franche. Il a admis avoir bu de six à huit verres ce soir-là. Bien que la fiabilité de son témoignage puisse être affaiblie par le passage du temps et l’effet de l’alcool, il est considéré comme un témoin crédible.

 

[38]           Le maître de 2e classe Monette n’était pas assis près de l’adjudant Youden au cours du dîner. Il a pu constater que l’adjudant Youden s’amusait et il l’a entendu rire. Il n’a observé aucun comportement inhabituel dans le sous-sol après le dîner. À son avis, l’adjudant Youden s’exprimait de façon normale et pouvait également se tenir debout et marcher de façon normale. Selon lui, l’adjudant Youden, qui est une personne extrovertie, parle habituellement assez fort et a un rire éclatant, mais il n’était pas ivre.

 

[39]           Mlle Snow se souvient d’une soirée sans histoire et a dit qu’elle ne se sentait pas mal à l’aise du fait qu’elle se trouvait à proximité de l’adjudant Youden lorsqu’ils étaient assis ensemble au bar du sous-sol. Elle n’a entendu aucun propos qui lui a semblé déplacé et elle n’a pas été ennuyée. La lieutenant K.A.M. a déclaré que l’adjudant Youden aurait formulé trois commentaires à son intention au sujet de son pénis et que Mlle Snow aurait été visiblement choquée en entendant ces commentaires. La lieutenant K.A.M. a également affirmé qu’elle a pu voir l’adjudant Youden parler à Mlle Snow alors qu’ils se trouvaient au bar du sous-sol et que Mlle Snow semblait mal à l’aise d’après l’expression de son visage et ne cessait de bouger dans son fauteuil. Mlle Snow a affirmé qu’elle n’avait pas consenti à rester avec qui que ce soit en raison de la présence de l’adjudant Youden.

 

[40]           Une fois à l’extérieur, l’adjudant Youden aurait empoigné la lieutenant K.A.M. à deux reprises et aurait tenté de l’éloigner du groupe. La lieutenant K.A.M. se serait dégagée et aurait demandé en criant au second lieutenant Watson de l’attendre; elle aurait rattrapé celui-ci et lui aurait demandé de se tenir entre elle et l’adjudant Youden. Elle se serait rendue en marchant au bar avec Mlle Snow et le second lieutenant Watson. Le maître de 2e classe Monette a déclaré qu’il avait marché en direction du bar en compagnie du second lieutenant Watson et de l’élève-officier Domanski.  Il a affirmé que la lieutenant K.A.M. marchait avec Mlle Snow et l’adjudant Youden. Le major White, Mlle Snow et le maître de 2e classe Monette n’ont pas entendu le moindre cri d’appel à l’aide ce soir-là.

 

[41]           La version que la lieutenant K.A.M. a donnée des principaux événements est bien différente de celle du major Jackson, de Mlle Snow, du major White et du maître de 2e classe Monette. La lieutenant K.A.M. n’est pas un témoin crédible. De trop nombreux écarts importants existent entre son témoignage et celui des autres témoins de la poursuite et des témoins de la défense.

 

[42]           Le major Jackson n’a pas apprécié les commentaires provenant de la table de l’adjudant Youden, même s’il n’a pu décrire la nature exacte des commentaires en question. Il a estimé que le volume et le débit des commentaires n’étaient pas respectueux, eu égard à la nature officielle du dîner ce soir-là. C’est la raison pour laquelle il est intervenu. Il a parlé à l’adjudant Youden pendant la pause. Bien que l’adjudant Youden n’ait pas semblé comprendre le major Jackson ou être d’accord avec lui, il a baissé le ton.

                                   

[43]           L’adjudant Youden parlait fort au cours du dîner, mais il semble que cette conduite soit normale chez lui. A-t-il parlé plus fort qu’il le fait habituellement? C’est possible, mais il a baissé le ton dès que le major Jackson lui a demandé de le faire. Son visage était rouge; cependant, après l’avoir observé pendant le procès et entendu les témoins à ce sujet, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un signe d’ivresse manifeste. La cour n’est saisie d’aucun élément de preuve établissant que l’adjudant Youden avait du mal à articuler ou que ses commentaires étaient déplacés ou n’étaient pas maîtrisés.

 

[44]           Dans le Concise Oxford Dictionary, le mot « influence » est défini comme [TRADUCTION] « la capacité d’avoir un effet sur le caractère ou le comportement d’une personne ou sur la nature ou le fonctionnement d’une chose, ou l’effet lui-même ». La cour conclut que la poursuite n’a pas présenté d’éléments de preuve établissant hors de tout doute raisonnable que l’adjudant Youden était effectivement sous l’influence de l’alcool.

 

[45]           Malgré cette conclusion, la cour se demandera maintenant si, en raison de l’effet de l’alcool, l’adjudant Youden n’était pas en état d’accomplir la tâche qui lui incombait, ou encore s’il a eu une conduite répréhensible ou susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté, comme le soutient la poursuite.

 

[46]           Le procureur de la poursuite a affirmé qu’en parlant fort et en encourageant la lieutenant K.A.M. à boire, l’adjudant Youden avait eu une conduite répréhensible. Il a ajouté que le fait de demander à l’élève-officier Domanski d’aller chercher des verres est un autre exemple de conduite répréhensible de la part de l’adjudant Youden, de même que le fait d’empoigner les fesses de la lieutenant K.A.M. Le procureur de la poursuite a également fait valoir que la conduite de l’adjudant Youden à l’endroit de la lieutenant K.A.M. dans le sous-sol et le ton de voix élevé qu’il a utilisé au cours du dîner seraient susceptibles de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté, de même que le fait que la lieutenant K.A.M. a jugé nécessaire de rater un exercice parce que l’adjudant Youden serait présent au cours de celui-ci.

 

[47]           L’adjudant Youden parlait fort, mais n’était pas choquant et il a baissé le ton lorsque le major Jackson le lui a demandé. Le major White avait demandé lui aussi à l’élève-officier Domanski d’aller chercher des verres. La cour a déjà affirmé qu’à son avis, le témoignage de la lieutenant K.A.M. n’est pas crédible. De l’avis de la cour, la poursuite n’a pas présenté d’éléments de preuve établissant hors de tout doute raisonnable que l’adjudant Youden a eu une conduite répréhensible ou une conduite susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

DÉCLARE l’adjudant Youden non coupable des première et deuxième accusations.


 

Avocats :

 

Major P. Rawal, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major S. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de l’adjudant I.W. Youden

 

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