Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 25 février 2013.

Endroit : BFC Valcartier, édifice 534, l’Académie, Courcelette (QC).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire aux chefs d’accusation 2, 3) : Art. 130 LDN, avoir commis une fraude (art. 380(1) C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 117f) LDN, a commis un acte à caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 117f) LDN, a commis un acte à caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
•Chef d’accusation 4 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 4 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 3 : Une suspension d’instance.
•SENTENCE : Détention pour une période de 30 jours et une rétrogradation au grade de sergent.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Arsenault, 2013 CM 4005

 

Date : 20130423

Dossier : 201254

 

Cour martiale permanente

 

Garnison Valcartier

Valcartier (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Adjudant P.D. Arsenault, accusé

 

Devant : Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.

 


 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

[1]        L'adjudant Arsenault est accusé d'un chef d'accusation déposé en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, soit d'avoir commis une fraude contrairement au paragraphe 380(1) du Code criminel du Canada; de deux chefs d'accusation déposés en vertu de l'article 117f) de la Loi sur la défense nationale, soit d'avoir commis deux actes à caractère frauduleux non expressément visés aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale et d'un chef d'accusation déposé en vertu de l'article 125a) de la Loi sur la défense nationale, soit d'avoir fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main.

 

[2]        La preuve produite devant la présente cour se compose des faits et questions dont la cour a pris judiciairement connaissance selon l'article 15 des Règles militaires de la preuve, de 29 pièces et des témoignages de monsieur Paris, l'adjudant-chef Poirier, madame Loisel, l'adjudant-chef à la retraite Belcourt, le caporal Gonthier, madame Belleau, l'adjudant Bergeron, le caporal-chef Bussières et le caporal-chef Tapp.

 

[3]        Avant que la cour ne procède à l'analyse juridique des chefs d'accusation, il convient de traiter de la présomption d'innocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable; une norme de preuve qui est inextricablement liée aux principes fondamentaux applicables à tous les procès criminels. Si ces principes sont évidents pour les avocats, ils ne le sont peut-être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d'audience.

 

[4]        Il est juste de dire que la présomption d'innocence est le principe le plus fondamental de notre droit pénal et que le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d'innocence. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal, toute personne accusée d'une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n'a pas à prouver qu'il est innocent. C'est à la poursuite qu'il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l'infraction. L'accusé est présumé innocent tout au long de son procès jusqu'à ce que le juge des faits rende un verdict.

 

[5]        La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentée par la poursuite mais plutôt à l'ensemble de la preuve sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité de l'accusé. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé mais jamais à l'accusé de prouver son innocence. Un tribunal doit déclarer un accusé non coupable s'il y a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir examiné l'ensemble de la preuve. L'expression hors de tout doute raisonnable est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et nos traditions juridiques. Dans l'arrêt R c Lifchus [1997] 3 RCS 320 la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directive concernant le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des tribunaux d'appel. Essentiellement, un doute raisonnable n'est pas un doute imaginaire ou frivole, il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur le préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C'est un doute qui surgit à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal mais également sur ce qu'elle ne lui révèle pas. L'accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité.

 

[6]        Dans l'arrêt R c Starr, [2000] 2 RCS 144, la Cour suprême a statué que :

 

... une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[7]        Par contre il faut se rappeler qu'il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n'est pas tenue de le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n'existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si le tribunal est convaincu que l'accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, il doit l'acquitter car la preuve d'une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[8]        Qu'entend-on de la preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles de personnes appelées à témoigner sur ce qu'elles ont vu ou fait. Il peut s'agir de documents, de photographies, de cartes ou d'autres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, de témoignage d'expert, de faits admis devant le tribunal par la poursuite ou la défense ou de questions dont le tribunal a pris connaissance d'office. Il n'est pas rare que les éléments de preuve présentés au tribunal soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d'un fait et le tribunal doit déterminer quels sont les éléments qu'il juge crédibles. La crédibilité n'est pas synonyme de vérité et l'absence de crédibilité n'est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l'évaluation que le tribunal fait de la crédibilité d'un témoin. Par exemple, le tribunal évaluera la possibilité qu'a eue le témoin d'observer ou les raisons qu'il a de se souvenir. Il se demandera, par exemple, si une chose en particulier a aidé le témoin de se souvenir des détails d'un évènement qu'il a décrit, si les faits étaient remarquables, inhabituels et frappants ou au contraire insignifiants et par conséquent tout naturellement plus difficiles à se remémorer. Le témoin a-t-il un intérêt dans l'issue du procès, en d'autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense ou est-il impartial? Ce dernier facteur s'applique d'une manière quelque peu différente à l'accusé. Bien qu'il soit raisonnable de présumer que l'accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d'innocence ne permet pas de conclure que l'accusé mentira lorsqu'il décide de témoigner.

 

[9]        Un autre élément permet de déterminer la crédibilité, la capacité apparente du témoin de se souvenir. On peut observer l'attitude du témoin pendant sa déposition pour évaluer sa crédibilité. Il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises ou évasives ou encore hésitantes, s'il argumentait et enfin si son témoignage était cohérent et compatible avec les faits non contestés. Un témoignage peut comporter et en fait comporte toujours des contradictions mineures et involontaires mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l'écarter. Il en va autrement d'un mensonge qui constitue toujours un acte grave et peut entacher le témoignage en tout ou en partie. Le tribunal n'est pas tenu d'accepter le témoignage d'une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi à moins d'avoir une raison de ne pas le croire.

 

[10]      Les critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R c W.(D.), [1991] 1 RCS 742 guide la cour dans son évaluation de la preuve et sa marche vers un verdict. Dans cet arrêt, la Cour suprême a défini ces critères de la manière suivante :

 

Premièrement si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.

 

Troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si en vertu de la preuve que vous acceptez vous êtes convaincu hors de tout doute raisonnable de la preuve de la culpabilité de l'accusé.

 

[11]      L'adjudant Arsenault n'a pas témoigné et il n'a pas présenté de preuve. La cour doit donc évaluer la preuve présentée par la poursuite à la lumière du droit applicable pour déterminer le verdict selon le troisième critère de l'arrêt W.(D.).

 

[12]      La preuve indique clairement que l'adjudant Arsenault et madame Loisel on commencé à cohabiter en janvier 1996 et elles ont déménagé au 1477 rue Haut Relief à Val-Bélair en juillet 1996. Leur fils Michaël naît en septembre 1998 et leur fille Jade naît en avril 2001. Ils se sont séparés en septembre 2004. Ils ont cohabité au 1477 rue Haut Relief de septembre 2004 à Janvier 2005. L'adjudant Arsenault déménagea dans un appartement sur la rue Équinoxe à Val-Bélair en janvier 2005. Une entente temporaire de séparation fut conclue par l'entremise d'une médiatrice le 4 février 2005. Madame Loisel acheta le 1477 rue Haut Relief, la résidence familiale, en mai 2005. Madame Loisel retourna les électroménagers et les meubles à l'adjudant Arsenault au cours de l'été 2005. Tous les effets personnels de l'adjudant Arsenault étaient donc hors du 1477 rue Haut Relief au moment de sa mutation du 12e Régiment blindé du Canada à Gagetown en juillet 2005. L'adjudant Arsenault fut muté au 12e Régiment blindé du Canada au mois d'août 2009.

 

[13]      La question que la cour doit maintenant se poser est à savoir si la preuve acceptée par la cour lui occasionne un doute raisonnable quant à la culpabilité de l'accusé. Pour se faire, la cour doit examiner les éléments essentiels de chaque infraction. Le 1er chef d'accusation se lit comme suit :

 

En ce que, entre le 1er mai 2005 et le 21 février 2007, à la Base des Forces canadiennes de Gagetown, Oromocto, province du Nouveau-Brunswick, par la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif, il a frustré Sa Majesté du chef du Canada d'une somme d'argent dépassant cinq mille dollars (5000$).

 

Les éléments essentiels du 1er chef d'accusation sont les suivants :

 

a) l'identité du contrevenant;

 

b) la date et le lieu de l'infraction;

 

c) que l'adjudant Arsenault a privé ou frustré un tiers de ses droits ou de ses biens;

 

d) la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif de l'accusé est la cause de la frustration ou la privation;

 

e) que l'adjudant Arsenault avait l'intention de commettre la fraude; et

 

f) la valeur de l'objet de l'infraction dépasse 5,000 dollars.

 

[14]      La preuve acceptée par la cour et non contestée par l'accusé prouve hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants : soit l'identité du contrevenant; les dates et le lieu de cette infraction.

 

[15]      Est-ce que l'adjudant Arsenault a frustré ou privé un tiers de ses droits ou de ses biens? Une privation est démontrée si la poursuite prouve que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu'il y a risque de préjudice à leur égard. Il n'est pas essentiel que la fraude mène à une perte pécuniaire réelle (voir R c Olan et al. [1978] 2 RCS. 1175 à la page 1182).

 

[16]      L'adjudant Arsenault demanda et fut muté à Gagetown en restriction imposée, voir pièces 5 et 6. L'adjudant Arsenault recevait l'indemnité différentielle de vie chère, IVC, de Québec au moment de sa mutation à Gagetown. Il continua de recevoir cette indemnité alors qu'il était à Gagetown en restriction imposée, (voir le témoignage de l'adjudant Bergeron et les pièces 25, 26 et 27). À son arrivée à Gagetown, il compléta les formules générales de demande d'indemnité pour recevoir les frais d'absence du foyer, FAF, (voir la pièce 7).

 

[17]      L'adjudant Arsenault a reçu l'IVC et des frais d'absence du foyer alors qu'il était muté à Gagetown. Il déclara en janvier 2007 qu'il ne résidait plus à Québec avec madame Loisel, (voir la pièce 11). Il cessa de recevoir les frais d'absence du foyer mais il continua de recevoir l'IVC de Québec dû à une erreur administrative hors de son contrôle et non de sa faute, (voir le témoignage du caporal-chef Bussières).

 

[18]      Est-ce que la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif de l'accusé est la cause de la frustration et de la privation? Le Chapitre 205 des directives sur la rémunération et les avantages sociaux, DRAS, qui s'appliquait au moment de l'infraction stipule que l'IVC est une indemnité versée aux militaires de la Force régulière qui louent ou possèdent une résidence dans un lieu admissible, (voir le paragraphe 2 de la DRAS 205.45). Les militaires de la Force régulière dont la résidence principale est située dans un secteur d'IVC est admissible à l'IVC pour ce secteur, (voir le paragraphe 4 de la DRAS 205.45 qui se situe à l'onglet 10 de la pièce 3).

 

[19]      L'adjudant Arsenault avait vendu son intérêt dans la maison familiale située au 1477 rue Haut Relief à madame Loisel en mai 2005 et il avait loué un appartement à Val-Bélair jusqu'à sa mutation à Gagetown. Il demeurait au 50-2 Howe Cressent, Oromocto, Nouveau-Brunswick depuis juillet 2005. Il ne possédait pas ni louait une résidence dans le secteur de Québec au moment des infractions.

 

[20]      Le terme résidence principale est défini au paragraphe (3) de la DRAS 205.45 comme suit :

 

« résidence principale » S'entend d'une habitation au Canada, à l'exception d'un chalet d'été, logement saisonnier ou logement pour célibataire, occupée par le militaire ou les personnes à sa charge, située

 

Et dans le cas qui nous intéresse,

 

(ii) à l'ancien lieu de service du militaire, si le militaire n'est pas autorisé à déménager ses meubles et ses effets personnels aux frais de l'état à son nouveau lieu de service,

 

Cette définition indique qu'une résidence principale peut donc être une habitation occupée par les personnes à charge du militaire. Alors est-ce que l'adjudant Arsenault avait des personnes à charge au moment de l'infraction? Premièrement, est-ce que madame Loisel est une personne à charge de l'adjudant Arsenault?

 

[21]      L'adjudant Arsenault et madame Loisel se sont séparés en septembre 2004, (voir le témoignage de madame Loisel et les pièces 13, 14 et 19). Ils ont demeuré sous le même toit de septembre 2004 à janvier 2005 et il demeura en appartement à Val-Bélair de février à juillet 2005. Bien qu'ils aient utilisé les services d'une médiatrice ils n'ont pas complété le processus de médiation et n'ont pas finalisé une entente de médiation. La preuve démontre clairement qu'ils étaient séparés depuis septembre 2004 et qu'ils vivaient sous de différents toits depuis février 2005.

 

[22]      Au cours de son entrevue avec la police militaire l'adjudant Arsenault a mentionné qu'il croyait encore en une possibilité de réconciliation jusqu'au moment où il a appris que madame Loisel vivait avec monsieur Gonthier au 1477 Haut Relief. Malgré le fait qu'il déclara qu'il n'y avait jamais eu de bonnes communications entre lui et madame Loisel, il expliqua qu'il croyait ceci car des amis communs lui auraient dit qu'une réconciliation serait possible. L'adjudant Arsenault pensait possiblement qu'il pourrait possiblement se réconcilier avec madame Loisel mais ceci n'explique pas qu'il n'a pas dévoilé son statut réel aux autorités militaires. Il savait qu'il était séparé de madame Loisel depuis au mois février 2005. La preuve prouve hors de tout doute raisonnable que madame Loisel n'était pas une personne à charge de l'adjudant Arsenault.

 

[23]      Est-ce que les enfants de l'adjudant Arsenault peuvent être considérés des personnes à charge? Le terme « enfant à charge » est défini à la DRAS 205.015 comme suit :

 

Aux fins du présent chapitre, un « enfant à charge » s'entend d'un enfant ou d'un pupille de l'officier ou militaire du rang ou d'un particulier adopté légalement ou de fait par le militaire qui, à la fois :

 

a) est célibataire;

 

b) est, de droit ou de fait, confié à la garde et à la surveillance du militaire;

 

c) est âgé de moins de 21 ans ou, par ailleurs, a n'importe quel âge s'il est incapable de subvenir à ses besoins en raison d'une déficience mentale ou d'une infirmité quelconque;

 

d) dépend du militaire pour assurer ses moyens de subsistance.

 

Le sous-alinéa (1) b) « est, de droit ou de fait, confié à la garde et à la surveillance du militaire » est donc au cœur même de notre affaire. L'adjudant Arsenault avait-il des enfants sous sa garde et sa surveillance au moment de l'infraction? Selon le paragraphe (2) de la DRAS 205.015, un enfant est sous la garde et à la surveillance d'un militaire s'il existe une ordonnance ou un jugement stipulant que la garde est confiée au militaire ou si l'enfant est effectivement sous la garde du militaire.

 

[24]      Madame Loisel témoigna qu'il n'existait aucun accord légal de séparation ou d'ordre de la cour quant à leur séparation. Toute entente entre l'adjudant Arsenault et madame Loisel était donc conclue à l'amiable. Elle témoigna que les enfants âgés de six ans et trois ans en février 2005 vivaient une semaine avec l'adjudant Arsenault et une semaine avec elle durant la période février à juillet 2005 car elle voulait qu'ils passent le plus de temps possible avec lui avant sa mutation à Gagetown. Suite à la mutation, il était donc impossible de continuer ce train de vie. Madame Loisel et l'adjudant Arsenault s'étaient entendus qu'il visiterait les enfants aux deux semaines. Il louait une suite au Centre Exacta à la garnison de Valcartier et il passait la fin de semaine avec Michaël et Jade du vendredi soir au souper le dimanche. Il n'a jamais demeuré avec les enfants au 1477 Haut Relief au cours de ses visites. L'adjudant Arsenault et madame Loisel se partageaient la garde des enfants équitablement au cours de la période de vacances et durant la période de Noël. L'adjudant Arsenault garda les enfants avec lui au Nouveau-Brunswick pendant un mois en 2006 ainsi que durant les périodes de relâche scolaire.

 

[25]      Lors de son contre-interrogatoire, madame Loisel répondit oui quand l'avocat de la défense lui demanda s'il s'agissait donc d'une garde partagée avant le départ de l'adjudant Arsenault pour le Nouveau-Brunswick. Elle indiqua aussi qu'il était impossible d'avoir une garde partagée quand il était au Nouveau-Brunswick.

 

[26]      L'avocat de la défense déclara durant sa plaidoirie que la seule preuve fiable sur ce sujet est le témoignage de madame Loisel au cours de son contre-interrogatoire. La cour est d'accord avec lui que madame Loisel est un témoin fiable ainsi que crédible. L'avocat de la défense plaide aussi que l'adjudant Arsenault avait des enfants à sa charge puisqu'il avait la garde partagée des enfants au moment de son départ pour Gagetown.

 

[27]      Est-ce que l'adjudant Arsenault avait des enfants à charge de février à juillet 2005? Il n'existait aucune ordonnance ou jugement ou encore de séparation formelle stipulant que la garde de Michaël et Jade était confiée à l'adjudant Arsenault. Est-ce que Michaël et Jade étaient effectivement sous la garde de l'adjudant Arsenault? L'adjudant Arsenault et madame Loisel s'étaient entendus pour que les enfants vivent avec chaque parent de façon équitable entre février et le départ de l'adjudant Arsenault pour Gagetown. Cette entente visait à assurer que les enfants passent le plus de temps possible avec leur père avant qu'il ne quitte Québec pour trois ou quatre ans, alors ils s'étaient entendus pour que les enfants soient effectivement sous la garde et la surveillance de l'adjudant Arsenault au cours de cette période de temps selon l'horaire de garde partagée conclue entre eux.

 

[28]      Par ailleurs la cour en conclut que cette entente n'était que temporaire et ne visait que cette période de temps pour des raisons bien évidentes. Madame Loisel avait racheté la maison familiale et elle comptait y demeurer avec Michaël et Jade suite à la mutation de l'adjudant Arsenault en juillet 2005. Il n'y avait pas d'entente pour une garde partagée durant sa mutation à Gagetown.

 

[29]      Madame Loisel et l'adjudant Arsenault se sont entendus que l'adjudant Arsenault se rendrait à Valcartier aux deux fins de semaine pour ainsi ne pas être séparé de ses enfants pour plus de deux semaines. Cette entente à l'amiable ne représente pas une entente quant à la garde des enfants mais bien un droit de visite de ses enfants pour assurer que le lien père/enfants soit maintenu. Ils se sont aussi entendus pour partager les périodes des vacances de façon équitable mais encore il ne s'agit pas d'un droit de garde mais bien de visites plus prolongées.

 

[30]      Bien qu'il payât une pension alimentaire, rien dans la preuve n'indique à une personne raisonnable qu'il avait effectivement la garde de ses enfants. La cour conclut donc que la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l'adjudant Arsenault n'avait pas des enfants à charge tel que défini au paragraphe (1) de la DRAS 205.015 alors qu'il était muté à Gagetown.

 

[31]      L'adjudant Arsenault a reçu l'IVC car il avait demandé et fut muté en restriction imposée. Il continua de recevoir ces sommes d'argent jusqu'au moment où il déclara aux autorités militaires qu'il ne demeurait plus à Val-Bélair et qu'il ne vivait plus en union de fait avec madame Loisel. Il indiqua dans sa note de service du 28 septembre 2009 qu'il fut muté à Gagetown en restriction imposée car sa famille demeurait toujours au Québec mais qu'ils s'étaient divorcés le 1er janvier 2008 et avait demandé que ses indemnités cessent car il n'était plus éligible, (voir la pièce 24).

 

[32]      Les onglets 11 à 14 de la pièce 3 indiquent que la région de Québec-Valcartier est un lieu de service ayant droit à l'indemnité différentielle de vie chère mais que Gagetown n'y a pas droit. Alors l'adjudant Arsenault ne pouvait pas recevoir l'indemnité différentielle de vie chère au cours de sa mutation à Gagetown car il ne louait pas ou ne possédait pas une résidence principale dans un lieu admissible.

 

[33]      Le Chapitre 209 des DRAS qui s'appliquait au moment de l'infraction régit les frais de transport et de voyage. La DRAS 209.997 stipule qu'un militaire est admissible aux frais d'absence du foyer, FAF, pour compenser les dépenses supplémentaires qui découlent du fait que le militaire est séparé des personnes à sa charge si le militaire a une personne à charge selon la définition donnée à l'alinéa (3) de la DRAS 209.80 et que celle-ci demeure normalement avec lui à son lieu de service, (voir l'alinéa 2 de la DRAS 209.997 à l'onglet 1 de la pièce 3).

 

[34]      Une personne à charge est définie telle que suit à l'alinéa 3 de la DRAS 209.80 :

 

« personne à charge » À l'égard d'un officier ou militaire du rang :

 

(a) l'époux ou conjoint de fait du militaire qui demeure normalement avec lui à son lieu de service ou qui demeure séparément de lui pour des raisons militaires;

 

(b) un parent par le sang, mariage ou union de fait ou adoption de droit ou de fait qui demeure normalement avec lui et à l'égard duquel le militaire peut demander une exemption personnelle en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu;

 

Il y a aussi (c), (d), (e) et (f) mais ce sont principalement les paragraphes (a) et (b) qui nous intéressent dans cette cause. L'avocat de la défense soumet à la cour que malgré le fait que la théorie de la poursuite de fonde sur le sous-alinéa (a) de cette définition, c'est bien la définition se trouvant au sous-alinéa (b) qui s'applique dans notre cause. Il plaide que l'article 118 de la Loi de l'impôt sur le revenu et plus précisément le sous-alinéa 118(1)b)(ii) s'applique dans notre cause.

 

[35]      La définition de personne à charge contient quelques éléments qui doivent tous être présents. Ces trois éléments sont la relation parentale, la cohabitation et la possibilité de demander une exemption personnelle en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Examinons cette définition de plus près et en étape.

 

[36]      La preuve démontre clairement que les deux enfants de l'adjudant Arsenault sont des parents par le sang. Passons maintenant à la deuxième étape soit à savoir s'ils demeurent normalement avec lui. La cour a déjà conclu que l'adjudant Arsenault avait un droit de garde partagée au cours de la période février à juillet 2005. Bien que les enfants aient demeuré normalement avec l'adjudant Arsenault pour certaines semaines au cours de cette période de temps, la preuve démontre qu'il ne s'agissait que d'une situation temporaire pour permettre aux enfants de voir leur père le plus possible avant sa mutation à Gagetown. Les enfants ont demeuré normalement avec madame Loisel à partir du mois d'août 2005. Il n'y avait aucune intention qu'il y ait une garde partagée à partir du mois d'août 2005.

 

[37]      Est-ce que l'adjudant Arsenault pouvait demander une exception personnelle en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de ses enfants? L'article 118 de la Loi de l'impôt sur le revenu en vigueur au moment des infractions se lit en partie comme suit :

 

118.(1) Le produit de la multiplication du total des montants visés aux alinéas a) à e) par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition;

 

Et b) qui nous intéresse :

 

b) La somme 7,131 $ et du résultat du calcul suivant :

 

6050 $ - (D - 606 $)

 

Où : D représente 606 $ ou, s'il est plus élevé, le revenu d'une personne à charge pour l'année,

 

Et maintenant la partie qui nous intéresse plus :

 

... si le particulier ne demande pas de déduction pour l'année par l'effet de l'alinéa a) et si à un moment de l'année :

 

                                                                . . .

 

(ii) d'autre part, il tient, seul ou avec une ou plusieurs autres personnes, et habite un établissement domestique autonome ou il subvient réellement aux besoins d'une personne qui, à ce moment, remplit les conditions suivantes :

 

(A) elle réside au Canada, sauf s'il s'agit d'un enfant du particulier,

 

(B) elle est entièrement à la charge, soit du particulier ou d'une ou plusieurs des ces autres personnes,

 

(C) elle est liée au particulier,

 

(D) sauf s'il s'agit du père, de la mère, du grand-père ou de la grand-mère du particulier, elle est soit âgée de moins de 18 ans, soit à charge en raison d'une infirmité mentale ou physique,

 

[38]      Un établissement domestique autonome est défini à l'article 248 de cette Loi  comme :

 

... Habitation, appartement ou autre logement de ce genre dans lequel, en règle générale, une personne prend ses repas et couche.

 

L'adjudant Arsenault habitait au 1477 Haut Relief en janvier 2005 bien qu'il soit effectivement séparé de madame Loisel à ce moment dans un appartement à Val-Bélair de février à juillet 2005 et ensuite dans un appartement à Oromocto du mois d'août 2005 au mois de février 2007. Il vivait seul en appartement à partir de février 2005 et ne payait pas de frais associés à la résidence au 1477 Haut Relief à partir de cette date. Donc l'adjudant Arsenault tenait seul et habitait un établissement domestique autonome de février 2005 à février 2007. Il tenait avec madame Loisel et habitait un établissement domestique autonome en janvier 2005.

 

[39]      Michaël et Jade n'étaient pas à la charge de l'adjudant Arsenault à partir du mois d'août 2005. Ils étaient à la charge entière de madame Loisel au cours de cette période de temps. L'adjudant Arsenault avait un droit de visite régulier soit aux deux semaines au cours des fins de semaine mais lors de périodes de congé telles qu'entendues entre madame Loisel et l'adjudant Arsenault. La preuve démontre qu'il se louait une suite sur la base de Valcartier pour ses visites de fin de semaine et qu'il n'aurait gardé ses enfants à son appartement à Oromocto que durant un mois au cours de l'été 2006. Il n'a jamais habité le 1477 Haut Relief suite à son départ en janvier 2005. Alors l'appartement de l'adjudant Arsenault à Oromocto ne subvenait pas réellement aux besoins de ses enfants au cours de la période août 2005 à février 2007. La cour en conclut que donc fondé sur la preuve présentée et acceptée par la cour l'adjudant Arsenault ne pourrait pas demander une exemption personnelle à l'égard de Michaël et Jade en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

[40]      Le paragraphe (2) de la DRAS 209.997 indique que la personne à charge doit demeurer normalement avec le militaire à son lieu de service. La cour conclut donc que la preuve présentée à la cour indique clairement que Michaël et Jade ont demeuré normalement chez l'adjudant Arsenault durant la période février à août 2005 de façon purement temporaire pour des raisons bien spécifiques et cette situation ne rencontre pas les objectifs visés et les critères se trouvant au paragraphe (2) de la DRAS 209.997. Le terme « frais d'absence du foyer » décrit clairement le but de cette indemnité, soit de compenser le militaire pour son absence de son foyer. Il faut nécessairement avoir un foyer d'où on est absent pour ainsi recevoir l'indemnité. Ceci n'est clairement pas le cas pour l'adjudant Arsenault.

 

[41]      L'adjudant-chef à la retraite Belcourt occupa le poste de sergent-major régimentaire du 12e RBC de 2002 à 2005. Il fut ensuite gérant de carrière des sous-officiers blindés de 2005 à 2007. Il connaît l'adjudant Arsenault depuis 1994. Il témoigna que l'adjudant Arsenault ne fut pas muté à Gagetown en 2004 car il avait des problèmes familiaux mais que ce dernier devait régler ses problèmes pour ainsi être muté en 2005. Il confirma que le briefing donné annuellement aux sous-officiers incluait une partie sur la mutation avec restriction imposée. Il a aussi discuté de ceci avec l'adjudant Arsenault. Il rencontra l'adjudant Arsenault à Gagetown en 2006 et 2007 alors qu'il était le gérant de carrière. Il n'y eut aucune discussion de changement de situation familiale. Il confirma que le briefing donné annuellement aux sous-officiers incluait une partie sur la mutation avec restriction imposée, il a aussi discuté de ceci avec l'adjudant Arsenault.

 

[42]      L'adjudant-chef Poirier occupa le poste de gérant de carrière des sous-officiers blindés de 2003 à 2005. Il fut ensuite sergent-major régimentaire du 12e RBC de 2005 à 2007. Il connaît l'adjudant Arsenault depuis 1990. Il témoigna que l'adjudant-chef Belcourt l'informa que l'adjudant Arsenault ne fut pas muté en 2004 car il avait des problèmes familiaux mais qu'il serait muté en 2005. Il a inscrit la note du 11 janvier 2005 se trouvant à la pièce 4 indiquant que l'adjudant Arsenault lui a fait part de certains problèmes familiaux et que cette note fut écrite en présence de l'adjudant Arsenault. Il expliqua pourquoi il se souvenait de sa conversation avec l'adjudant Arsenault. Il informa l'adjudant Arsenault qu'il devait donc faire une demande de restriction imposée à son unité. Il vérifia les documents officiels pour vérifier le statut matrimonial de l'adjudant Arsenault avant de finaliser son message de mutation. Il témoigna qu'un militaire était muté en restriction imposée s'il avait une conjointe ou des enfants à charge.

 

[43]      Le 23 janvier 2007, suite à plusieurs demandes de madame Loisel, l'adjudant Arsenault lui expédia une note pour que celle-ci puisse l'utiliser au sein d'une révision de dossier qu'elle avait présentée à la Régie des rentes du Québec. Madame Loisel expliqua que ses problèmes avec le Gouvernement du Québec étaient dû au fait que l'adjudant Arsenault se déclarait toujours conjoint de fait avec elle. Elle contacta les autorités militaires et on lui dit que l'adjudant Arsenault n'avait pas fait de changement d'adresse et qu'il indiquait qu'il était son conjoint de fait. Madame Loisel a aussi témoigné qu'elle recevait encore la poste de l'adjudant Arsenault au 1477 Haut Relief alors que ce dernier était à Gagetown. La note de l'adjudant Arsenault indiquait qu'il ne demeurait pas au 1477 Haut Relief, Val-Bélair depuis le mois de janvier 2005 mais bien au 50-2 Howe Crescent, Oromocto, Nouveau-Brunswick depuis juillet 2005 et qu'ils étaient séparés depuis le mois septembre 2004, (voir la pièce 19). Le 29 janvier 2007, il signa une déclaration statutaire indiquant qu'il ne vivait plus avec madame Loisel depuis le 1er février 2007, (voir la pièce 11).

 

[44]      Le 28 septembre 2008 l'adjudant Arsenault expédia une note de service au commandant du 12e RBC. Il expliqua alors sa situation familiale au cours de sa mutation à Gagetown et demandait qu'il n'ait pas à rembourser les primes de vie chère qu'il avait reçues en trop en raison de l'erreur administrative. Il indiqua à son commandant qu'il avait été muté à Gagetown in RI car sa famille demeurait toujours à Québec. Il stipulait qu'ils s'étaient divorcés en janvier 2008. Il y indiquait aussi qu'il avait « entamé mes procédures pour sortir du programme RI car je n'étais plus éligible. » (voir la pièce 24).

 

[45]      Alors, même si l'année indiquée dans cette note de service pourrait être décrite comme une erreur cléricale, cette déclaration à son commandant est fausse car il s'est bien séparé de madame Loisel en septembre 2004. Sa déclaration statutaire du 29 janvier 2007 est aussi fausse. La preuve démontre que l'adjudant Arsenault n'a jamais révélé la vérité au sujet de sa séparation à sa chaîne de commandement.

 

[46]      L'adjudant-chef Poirier et l'adjudant-chef à la retraite Belcourt ont bien expliqué les conditions nécessaires pour une mutation en restriction imposée et que cette information était fournie aux sous-officiers au moment des rencontres avec le gérant de carrière. Bien qu'il ait eu des conversations avec eux, l'adjudant Arsenault ne leur a pas dévoilé sa véritable situation familiale.

 

[47]      L'adjudant Bergeron était le commis-chef du 12e RBC en 2009. Il témoigna qu'un militaire qui faisait une demande de RI devait rencontrer la section de RI pour ainsi se faire expliquer les conditions et procédures. Le message de mutation de l'adjudant Arsenault en date du mois de mars 2005, la pièce 5, indique qu'il a un conjoint et a un enfant male né en 1998. Il indique aussi qu'une restriction imposée fut demandée par le militaire. Il appert que les documents officiels de l'adjudant Arsenault ne reflétaient pas la réalité puisqu'il était séparé depuis septembre 2004 et qu'il avait un autre enfant.

 

[48]      Les formules générales de demande de réclamation qu'il a signées de juillet 2005 à janvier 2007 contiennent une attestation dans laquelle le militaire affirme qu'il n'a pas de séparation volontaire, judiciaire ou autre en cours. Il atteste aussi qu'il a un dépendant.

 

[49]      L'adjudant Arsenault n'a pas informé sa chaîne de commandement de son changement de statut familial avant le 29 janvier 2007 et il appert qu'il n'a effectué ce changement que suite à la demande de madame Loisel. En demandant une mutation en restriction imposée, il indiqua à sa chaîne de commandement qu'il avait toujours des personnes à charge au moment de sa mutation. Ceci indique aussi qu'il possède une résidence pour loger ses personnes à charge.

 

[50]      La cour en vient donc à la conclusion que la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que la supercherie et les mensonges de l'adjudant Arsenault sont les causes de la privation.

 

[51]      Est-ce que l'adjudant Arsenault avait l'intention de commettre la fraude? La Cour suprême du Canada définit la mens rea de la fraude comme étant, « La conscience subjective que l'on commettait un acte prohibé, soit la supercherie et le mensonge ou un autre acte malhonnête, qui pourrait causer une privation au sens de priver autrui d'un bien ou de mettre ce bien en péril. » Le fait que l'adjudant Arsenault ait pu espérer qu'il n'y aurait aucune privation ou qu'il ait pu croire qu'il ne faisait rien de mal ne constitue pas un moyen de défense. La cour doit se demander si l'adjudant Arsenault a intentionnel-lement accompli les actes prohibés, soit la supercherie et le mensonge tout en connaissant ou en souhaitant les conséquences visées par l'infraction, soit la privation y compris le risque de privation, (voir R c Théroux [1993] 2 RCS. 5).

 

[52]      L'adjudant Arsenault avait été informé des conditions requises pour obtenir les bénéfices de mutation en restriction imposée. Il avait eu maintes occasions pour informer sa chaîne de commandement de sa situation familiale avant sa mutation et lors de son arrivée à Gagetown. Il informa les autorités provinciales qu'il ne demeurait plus au 1477 Haut Relief qu'en janvier 2007 et ceci seulement qu'après qu'il y soit obligé par madame Loisel. Il informa les autorités militaires et non provinciales. L'adjudant Bergeron témoigna que l'adjudant Arsenault lui avait dit que l'IVC lui permettait de voir ses enfants. L'adjudant Arsenault a admis au cours de son entrevue avec la police militaire que les indemnités associées à la restriction imposée lui permettaient de voyager pour visiter ses enfants. La preuve démontre nettement que l'adjudant Arsenault par la supercherie et le mensonge souhaitait recevoir les sommes d'argent des FAF et le l'IVC.

 

[53]      Est-ce que la valeur de l'objet de l'infraction dépasse 5,000 dollars? L'adjudant Arsenault a reçu des frais d'absence du foyer et l'indemnité différentielle de vie chère du mois de juillet 2005 au mois de janvier 2007. La pièce 7 contient les formules générales des demandes d'indemnité qu'il a complétées pour cette période de temps pour ainsi recevoir ces frais d'absence du foyer. L'adjudant Arsenault a donc reçu approximative-ment 30,725 dollars pour ses frais d'absence du foyer. Il a aussi reçu approximativement 3,318 dollars en indemnité différentielle de vie chère durant cette période de temps, (voir les pièces 3, onglets 11 et 12; pièce 19; le témoignage de l'adjudant Bergeron et les pièces 25, 26 et 27). Alors l'adjudant Arsenault a reçu la somme approximative de 34,043 dollars au cours de cette période de temps.

 

[54]      L'adjudant-chef Poirier, l'adjudant-chef à la retraite Belcourt et la caporal-chef Bussières ont témoigné que les instructeurs, tel l'adjudant Arsenault, devaient passer un certain nombre de jours sur les terrains de manœuvre dans le champ, selon la jargon de l'armée, et devaient dont recevoir des indemnités d'opération en campagne. La DRAS 205.39, indemnité d'opération en campagne indique qu'un militaire a droit à 16.41 $ par jour, (voir l'onglet 10 à la pièce 3). L'adjudant Bergeron témoigna que l'on ne pouvait recevoir les frais d'absence du foyer ainsi que les indemnités d'opération en campagne; c'était l'un ou l'autre.

 

[55]      Alors il appert que l'adjudant Arsenault aurait pu recevoir un certain montant d'argent pour ses journées passées dans le champ. La cour n'a aucune preuve du nombre de journées pour lesquelles il aurait pu recevoir une indemnité d'opération en campagne et donc le montant total de ces indemnités. Par ailleurs ceci ne l'excuse pas d'avoir frauduleusement reçu des frais d'absence du foyer puisque la poursuite n'a pas le fardeau de prouver qu'il y a eu réellement des pertes économiques. (Voir R c Olan, [1978 2 RCS 1175 au paragraphe 13). De plus, une défense d'apparence de droit n'est pas disponible pour une infraction de fraude (Voir R c Kingsbury, [2012] BCCA 462). Donc cette preuve bien nébuleuse à ce moment n'a aucun effet sur le montant d'argent que la preuve révèle fut approprié illégalement par l'adjudant Arsenault. La cour conclut donc que la valeur de l'objet de l'infraction dépasse 5,000 dollars.

 

[56]      L'avocat de la défense allègue que les dispositions du paragraphe 51(1) de la Loi sur la défense nationale et des articles 1.21 et 4.26 des ORFC s'appliquent dans cette cause et que la preuve ne démontre pas hors du doute raisonnable que les DRAS 205 et 209 furent notifiées selon la loi à l'adjudant Arsenault. Ces articles de la loi et des ORFC se réfèrent à des règlements et des directives. Il ne s'agit pas ici d'une accusation sous l'article 129 de la loi où la poursuite allègue la contravention d'un règlement ou d'une directive. L'adjudant Arsenault est accusé d'avoir enfreint les articles 117, 125 et 130 de la Loi et il n'y a aucune mention des DRAS dans les détails des accusations. L'avocat de la défense n'a pas soutenu que les articles 117, 125 et 130 de la Loi n'avaient pas été dûment notifiés. La cour considère que cet argument n'a pas de valeur juridique dans cette cause. La cour en vient donc à la conclusion que la preuve présentée par la poursuite prouve hors de tout doute raisonnable chaque élément de cette infraction.

 

[57]      Les éléments essentiels des chefs d'accusation 2 et 3 sont les suivants :

 

a) l'identité du contrevenant;

 

b) la date et le lieu de l'infraction;

 

c) que l'adjudant Arsenault a commis un acte;

 

d) que l'adjudant Arsenault a intentionnellement commis cet acte;

 

e) que l'acte fut commis pour frustrer ou priver un tiers de ses droits et de ses biens;

 

f) la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif est la cause de la frustration ou la privation; et

 

g) la valeur de l'objet de l'infraction.

 

La 2e accusation se lit comme suit :

 

En ce que, entre le 1er mai 2005 et le 21 février 2007, à la Base des Forces canadiennes de Gagetown, Oromocto, province du Nouveau-Brunswick, il a, dans l'intention de frauder, réclamé des indemnités de logement, de repas et de frais d'absence au foyer totalisant trente mille sept cent vingt-cinq dollars, sachant qu'il n'y avait pas droit.

 

Le 3e chef d'accusation se lit comme suit :

 

En ce que, entre le 11 juillet 2005 et le 31 janvier 2007, à la Base des Forces canadiennes de Gagetown, Oromocto, province du Nouveau-Brunswick, il a, dans l'intention de frauder, omis de déclarer qu'il ne maintenait plus une résidence dans la région de Québec, obtenant ainsi des indemnités totalisant trois mille quatre cent soixante-neuf dollars, auquel il n'avait pas droit.

 

Le 2e chef d'accusation et le 3e chef d'accusation sont subsidiaires au 1er chef d'accusation.

 

[58]      La preuve acceptée par la cour et non contestée par l'accusé prouve hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants soit l'identité du contrevenant; les dates et le lieu de ces deux infractions.

 

[59]      Est-ce que l'adjudant Arsenault a commis un acte? L'adjudant Arsenault a fait une demande de mutation en restriction imposée, quant à la deuxième infraction, il a complété les formules générales de demande d'indemnité de juillet 2005 à janvier 2007 indiquant qu'il avait une personne à charge ou « dépendant » selon les formules de réclamation pour ainsi réclamer les frais d'absence du foyer. En ce qui a trait à la troisième infraction, il n'a pas modifié ses dossiers personnels ou informé sa chaîne de commandement pour indiquer qu'il n'avait plus de résidence dans la région de Québec au cours de sa mutation à Gagetown. La preuve démontre clairement que l'adjudant Arsenault a commis des actes.

 

[60]      Est-ce que l'adjudant Arsenault a intentionnellement commis ces actes? Pour les raisons exprimées par la cour lors de son analyse du cinquième élément essentiel de la première infraction, soit à savoir si l'adjudant Arsenault avait l'intention de commettre la fraude, la cour trouve que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que l'adjudant Arsenault a intentionnellement commis les actes pour ces deux infractions.

 

[61]      Est-ce que les actes furent commis pour frustrer ou priver un tiers de ses droits ou de ses biens? Pour les raisons exprimées par la cour lors de son analyse du troisième élément essentiel de la première infraction, soit à savoir si l'adjudant Arsenault a privé ou frustré un tiers de ses droits ou de ses biens, la cour trouve que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que les actes furent commis pour frustrer ou priver un tiers de ses droits ou de ses biens pour ces deux infractions.

 

[62]      Est-ce que la supercherie, le mensonge, ou autre moyen dolosif est la cause de la frustration et de la privation? Pour les raisons exprimées par la cour lors de son analyse du quatrième élément essentiel de la première infraction, soit à savoir si la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif de l'adjudant Arsenault est la cause de la frustration et de la privation, la cour trouve que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que la supercherie et le mensonge sont les causes de la frustration ou la privation pour ces deux infractions.

 

[63]      Quelle est la valeur de l'objet de l'infraction? Pour les raisons exprimées par la cour lors de son analyse du dernier élément essentiel de la première infraction, soit à savoir si la valeur de l'objet de l'infraction dépassait 5,000 dollars, la cour trouve que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que la valeur de l'objet de la deuxième infraction est 30,725 dollars et la valeur de l'objet de la troisième infraction est 3,469 dollars.

 

[64]      Les éléments essentiels du 4e chef d'accusation sont les suivants :

 

a) l'identité du contrevenant;

 

b) la date et le lieu de l'infraction;

 

c) que l'adjudant Arsenault a fait une fausse déclaration dans un document;

 

d) que l'adjudant Arsenault a volontairement fait cette fausse déclaration;

 

e) que le document était établi à des fins militaires; et

 

f) que l'adjudant Arsenault a signé ce document.

 

La quatrième infraction se lit comme suit :

 

En ce que, entre le 1er mai 2005 et le 21 février 2007, à la Base des Forces canadiennes de Gagetown, Oromocto, province du Nouveau-Brunswick, il a volontairement déclaré sur des formules générales de demande d'indemnité, qu'il avait un dépendant ou une personne à charge et qu'il n'y avait aucune séparation volontaire, juridique ou autre en cours, sachant que c'était faux.

 

[65]      La preuve acceptée par la cour et non contestée par l'accusé prouve hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants soit, l'identité du contrevenant; les dates et le lieu de cette infraction.

 

[66]      Est-ce que l'adjudant Arsenault a fait une fausse déclaration dans un document? Les formules générales de demande de réclamation qu'il a signées de juillet 2005 à janvier 2007 contiennent une attestation dans laquelle le militaire affirme qu'il n'a pas de séparation volontaire, judiciaire ou autre en cours. Il atteste aussi qu'il a un dépendant. La preuve démontre clairement que l'adjudant Arsenault était séparé de madame Loisel depuis septembre 2004. La cour a déjà décidé que l'adjudant Arsenault n'avait pas de personne à charge ou dépendant au cours de cette période. La cour conclut que la preuve prouve hors de tout doute raisonnable que l'adjudant Arsenault a fait une fausse déclaration dans un document.

 

[67]      Est-ce que l'adjudant Arsenault a volontairement fait cette fausse déclaration? L'adjudant Arsenault savait qu'il était séparé de madame Loisel depuis septembre 2004. En signant les formules de réclamation, il savait qu'il déclarait qu'il n'y avait aucune séparation volontaire en cours et aucune preuve n'indique qu'il pouvait croire qu'il pouvait considérer ses enfants comme des personnes à charge alors qu'il était muté à Gagetown. La preuve prouve hors de tout doute raisonnable que l'adjudant Arsenault a volontairement fait cette fausse déclaration.

 

[68]      Est-ce que le document était établi à des fins militaires? L'adjudant Bergeron et la caporal-chef Bussières ont témoigné que la formule générale de demande d'indemnité était le formulaire qui était utilisé par les commis militaires pour administrer les demandes de frais d'absence du foyer. Cette formule est une formule officielle des Forces canadiennes et elle est identifiée par un numéro spécifique (voir la pièce 7). Il est évident par cette preuve que les formules générales de demande d'indemnité signées par l'adjudant Arsenault sont des documents établis à des fins militaires.

 

[69]      Est-ce que l'adjudant Arsenault a signé ce document? Les formules se trouvant à la pièce 7 sont toutes signées sauf pour deux par l'adjudant Arsenault.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[70]      PRONONCE un verdict de culpabilité à l'égard du premier et quatrième chef d'accusation.

 

[71]      CONFIRME la suspension d'instance à l'égard du deuxième et troisième chef d'accusation.

 


 

Avocats :

 

Major G. Roy, Service canadien des poursuites militaires
Avocat de la poursuivante

 

Capitaine de corvette M. Létourneau, Service d'avocats de la défense
Avocat pour l'adjudant P.D. Arsenault

 

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