Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 14 décembre 2010

Endroit : BFC Petawawa, Édifice L106, Petawawa (ON)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 3) : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre d'un supérieur.
•Chef d'accusation 2 : Art. 85 LDN, s'est conduite d'une façon méprisante à l'endroit d'un supérieur.
•Chef d'accusation 3 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 129 LDN, conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2 : Coupable. Chef d'accusation 3 : Une suspension d'instance.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 500$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Ngoviky, 2010 CM 3027

 

Date : 20101214

Dossier : 201059

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa, Ontario, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal F.A. Ngoviky, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.

 


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Caporal Ngoviky, la cour martiale ayant accepté et enregistré votre aveu de culpabilité concernant le premier et deuxième chef d'accusation, la cour vous trouve maintenant coupable de ces chefs. Puisque le troisième chef d'accusation est subsidiaire au premier chef d'accusation, la cour ordonne donc une suspension d'instance concernant ce chef.

 

[2]               Il est maintenant de mon devoir à titre de juge militaire présidant cette cour martiale permanente, de déterminer la sentence.

 

[3]               Dans le contexte particulier d'une force armée, le système de justice militaire constitue l'ultime recours pour faire respecter la discipline qui est une dimension essentielle de l'activité militaire dans les Forces canadiennes. Le but de ce système est de prévenir toute inconduite ou de façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite. C'est au moyen de la discipline que les Forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leur mission avec succès en toute confiance et fiabilité.

 

[4]               Le système de justice militaire voit aussi au maintien de l'ordre public et s'assure que les personnes justiciables du Code de discipline sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[5]               L'imposition d'une sentence est la tâche la plus difficile d'un juge. La Cour suprême du Canada a reconnu dans l’arrêt Généreux que « pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace » [1].  Elle a souligné que dans le contexte particulier de la discipline militaire, « les manquements à la discipline devaient être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil »[2]. Or, le droit ne permet  pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire.  En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[6]               Dans le cas qui nous occupe, le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont présenté une suggestion commune sur la peine. Ils ont recommandé que la cour vous condamne à une réprimande et à une amende de 500 dollars.

 

[7]               La cour martiale n’est pas liée par cette recommandation. Il est toutefois de jurisprudence constante que seuls des motifs incontournables et convaincants peuvent lui permettre de s’en écarter[3]. Il est aussi généralement reconnu qu’elle ne devrait agir ainsi que lorsqu’il serait contraire à l’intérêt public de l’accepter et que cela aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.

 

[8]               L’imposition d’une sentence devant une cour martiale a pour objectif essentiel le respect de la loi et le maintien de la discipline, et ce, en infligeant des peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   la protection du public, y compris les Forces canadiennes;

 

b.         la dénonciation du comportement illégal;

 

c.         la dissuasion du contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

d.         isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société; et

 

e.         la réhabilitation et la réforme du contrevenant.

 

[9]               Les peines infligées qui composent la sentence imposée par un tribunal militaire doivent également tenir compte des principes suivants :

 

a.         la proportionnalité entre la gravité de l’infraction, la responsabilité du contrevenant et les antécédents de celui ou celle-ci;

 

b.         l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

c.         l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Bref, le tribunal ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort;

 

d.         Finalement, toute peine qui compose une sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[10]           La cour est d’avis que l’infliction d’une peine au contrevenant dans cette cause doit mettre l’accent sur les objectifs liés à la dénonciation et à l’effet dissuasif général et spécifique. Il est important de retenir que le principe de dissuasion général implique que la peine infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.

 

[11]           En l’espèce, la cour est saisie d’une infraction de désobéissance à un ordre légitime pour ne pas avoir porté un casque lorsqu’ordonné par un sergent et à une infraction pour s’être conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur pour s’être mis à la position de garde-à-vous de manière irrespectueuse.

 

[12]           La cour tient à rappeler que la désobéissance à un ordre légitime d’un supérieur est une infraction militaire grave. L’obéissance aux ordres est un élément central du métier des armes et de toute force armée. L’attitude envers les ordres reçus se forge par différentes situations et par l’entraînement. De même, l’obéissance aux ordres est un comportement essentiel à adopter au combat et lors d’opérations et cela s’apprend sur une base quotidienne.

 

[13]           Il s’agit donc d’infractions purement disciplinaires qui sont très sérieuses dans un contexte militaire, mais la cour a l’intention d’infliger ce qu’elle considère être la peine minimale applicable dans les circonstances.

 

[14]           Il est essentiel de rappeler que les tribunaux militaires sont sensibles à ce genre d’infraction. Dans un contexte militaire, cela a un impact sur la cohésion et le moral des unités, car il s’agit de l’application du principe prévoyant l’obéissance à l’autorité légale et à l’appuyer dont doivent faire preuve tous les militaires des Forces canadiennes. Être un soldat respectueux et responsable en toutes circonstances et en tout temps constitue un aspect fondamental sur lequel une force armée doit pouvoir compter pour garantir le succès de la mission.

 

[15]           Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a donc tenu compte des circonstances aggravantes et atténuantes révélées par les faits de cette cause.

 

[16]           En ce qui concerne les facteurs aggravants, la cour retient les aspects suivants :

 

a.                   La gravité objective des infractions. Vous avez été trouvé coupable d’une infraction punissable aux termes de l’article 83 de la Loi sur la défense nationale pour avoir désobéi à un ordre légitime, le tout étant passible, au maximum, d’un emprisonnement à perpétuité ou d’une peine moindre. De plus, vous avez été trouvé coupable d’une infraction punissable aux termes de l’article 85 de la Loi sur la défense nationale pour avoir eu une conduite méprisante à l’égard d’un supérieur, le tout étant passible, au maximum, d’une destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d’une peine moindre.

 

b.                  La gravité subjective de l’infraction qui couvre deux aspects. Tout d’abord, il faut rappeler que ces incidents se sont produits sur un champ de tir où la sécurité des militaires est primordiale. En enlevant votre casque dans la butte de tir, alors que vous deviez le porter en tout temps, vous avez clairement exprimé votre refus d’obéir à l’ordre que vous aviez reçu. Il n’y avait aucune raison particulière vous permettant d’agir ainsi. De plus, en exprimant clairement votre désaccord sur la manière dont était géré le personnel et en agissant de manière à le faire clairement comprendre à votre supérieur, vous n’avez pas démontré le respect habituel dont doivent faire preuve les militaires dans de telle circonstances. Vous avez le droit d’exprimer votre désaccord mais vous devez vous soucier aussi de la manière de l’exprimer.

 

c.                   Votre expérience et votre grade aurait dû vous permettre de prévenir la commission de telles infractions. Vous saviez très bien quel genre de respect vous deviez avoir envers les ordres qui vous étaient donnés et les autorités qui voyaient à leur application. Pour un moment, vous avez décidé de tout oublier sans vous soucier des conséquences sur vous et sur les autres qui vous entouraient.

 

[17]           La cour considère comme atténuant les facteurs suivants :

 

a.                   Par votre plaidoyer de culpabilité, vous témoignez manifestement de vos remords et de votre sincérité dans votre intention de continuer à représenter un actif solide pour la société canadienne;

 

b.                  Votre âge et votre potentiel de carrière au sein de la communauté canadienne; âgé de 33 ans, vous avez de nombreuses années devant vous pour contribuer positivement à la société en général;

 

c.                   L’absence d’antécédents judiciaires et de fiche de conduite qui réfèrent à des infractions similaires;

 

d.                  Votre performance comme militaire au sein des Forces canadiennes. Il est clair que vous constituez un actif solide et fiable et que vous avez contribué avec efficacité aux différentes tâches et missions de votre unité en raison de vos qualités personnelles et de votre dévouement;

 

e.                   Le fait d’avoir eu à faire face à cette cour martiale qui est annoncée et accessible au public, et qui a eu lieu en présence de certains de vos collègues et de certains de vos pairs, a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux. Le message est que le genre de conduite que vous avez eu ne sera toléré d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence;

 

f.                   Le délai écoulé depuis les incidents. Il appert que durant ce laps de temps, aucun autre incident de ce genre n’a été signalé ou rapporté à votre égard. Ceci confirme aussi qu’il s’agissait d’un comportement plutôt inhabituel qu’autres choses de votre part. De plus, considérant qu’il s’agit d’infractions peu élevées dans l’échelle de gravité, un règlement prompt de ce genre d’affaire à plutôt tendance à avoir un impact immédiat sur la discipline. Je comprends que bien des choses se sont passées depuis les incidents et que la pertinence de procéder de manière disciplinaire s’estompe grandement avec le temps dans ce genre de dossier;

 

g.                  Votre condition médicale liée à votre diagnostic de désordre de stress post-traumatique qui peut expliquer en partie votre difficulté à contrôler votre humeur le jour des incidents.

 

[18]           La gamme appropriée de peines pour des infractions de cette nature et dans un tel contexte va habituellement d’un blâme, à une réprimande et une amende et jusqu’à une amende seulement dans certains cas. La cour tient à rappeler qu’une réprimande constitue une peine sérieuse dans un contexte militaire. Elle est supérieure dans l’échelle des peines à une amende, quelque soit le montant. Elle reflète le doute que l’on a eu quant à l’engagement du militaire au moment de la commission de l’infraction. Elle reflète le sérieux accordé à l’infraction qui a été commise mais aussi l’espoir réel de réhabilitation qui existe chez le contrevenant.

 

[19]           Une peine équitable et juste doit tenir compte de la gravité de l’infraction et de la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de l’espèce. Alors, la cour considérant qu’aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n’est appropriée pour l’infraction et le contrevenant relativement à cette affaire, la cour estime que la suggestion commune n’est pas déraisonnable dans les circonstances. En conséquence, elle acceptera la recommandation des avocats de vous condamner à une réprimande et à une amende de 500 dollars étant donné que cette peine n’est pas contraire à l’intérêt public et n’est pas de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

 

[20]           Caporal Ngoviky, levez vous. La cour vous condamne à une réprimande et à une amende de 500 dollars payable immédiatement.

 

[21]           Les procédures concernant la cour martiale permanente du caporal Ngoviky sont maintenant terminées.


 

Avocats :

 

Capitaine E. Carrier, Service canadien des Poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Capitaine S. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Capitaine de corvette P. Desbiens, Direction du service d'avocats de la défense

Avocats de la défense pour le caporal Ngoviky

 



[1] Voir R. c Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, à la p. 293

[2] Ibid.

[3] Voir supra note 1

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