Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 2 novembre 2004.
Endroit : Garnison Valcartier, édifice 534, l’Académie, Courcelette (QC).
Chef d’accusation:
• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, voies de fait causant des lésions corporelles (art. 267b) C. cr.).
Résultats:
• VERDICT : Chef d’accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Caporal E.H. Gagnon, 2004 CM 36

 

Dossier : V200436

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

UNITÉ DE SOUTIEN DE SECTEUR VALCARTIER

VALCARTIER, COURCELETTE

 

Date : 5 novembre 2004

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

Poursuivante

c.

CAPORAL E.H. GAGNON

(Accusé)

 

VERDICT

(Oralement)

 

 

I.  INTRODUCTION

 

[1]        Le caporal Gagnon est accusé aux termes de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale pour une infraction punissable à l'article 267 b) du Code criminel soit des voies de fait causant des lésions corporelles. Les faits qui sont à la source du premier chef d'ac­cu­sation gravitent autour d'une altercation qui a eu lieu dans les quartiers pour céliba­taires à l'édifice 302 de la garnison Valcartier entre le caporal Gagnon et le caporal Brunet.

 

II.  LA PREUVE

 

[2]        La preuve devant cette cour martiale est constituée essentiellement des éléments suivants, soit :

 

a. les témoignages entendus, et ce dans l'ordre de leur comparution devant la cour, soit celui du soldat Esthéphan, du caporal Brunet, la victime alléguée au premier chef d'accusation, du caporal Pelletier, du caporal Bernier, du caporal Dureau, du caporal Gagnon, l'accusé dans la présente affaire, et de madame Françoise Dufour, la conjointe de l'accusé;


b. de la pièce 3, soit une expertise et une contre-expertise médicale relatives aux blessures subies par le caporal Brunet lors de la soirée du 20 février 2003. Ces documents ont été déposés devant la cour de consentement;

 

c. de la pièce 4, soit un mousqueton de métal de couleur gris argent qui appartient au caporal Brunet; et

 

d. finalement, la connaissance judiciaire prise par la cour des faits et questions qui sont du domaine de la règle 15 des Règles militaires de la preuve.

 

Les faits

 

[3]        Les faits entourant cette cause gravitent donc essentiellement autour d'une altercation qui a eu lieu entre  le caporal Gagnon et le caporal Brunet dans la soirée du 20 février 2003 à l'extérieur de la chambre qu'occupait ce dernier dans l'édifice 302 de la garnison Valcartier qui abrite des militaires vivant seuls. Certains faits qui ont précédé l'altercation et d'autres qui se sont déroulés après apportent également un éclairage important pour bien comprendre la dynamique et l'état d'esprit des personnes impliquées dans cette affaire au moment où le caporal Brunet et le caporal Gagnon ont fait l'usage de la violence. La cour a choisi de traiter les faits entourant cette affaire en neuf parties, soit :

 

premièrement, l'entreposage des meubles du caporal Brunet et le gîte offert au caporal Brunet par le caporal Gagnon et son épouse, madame Françoise Dufour;

 

deuxièmement, la rencontre du 19 février 2003 au logement familial du caporal Gagnon entre l'accusé, le caporal Gagnon, et le caporal Brunet auxquels s'est joint le caporal Bernier;

 

troisièmement, la rencontre du 20 février 2003 entre le caporal Brunet, madame Françoise Dufour et le caporal Bernier dans la chambre du caporal Brunet à l'édifice 302;

 

quatrièmement, la rencontre du 20 février 2003 entre le caporal Gagnon, madame Françoise Dufour et le caporal Bernier;

 

cinquièmement, la randonnée en voiture des caporaux Bernier et Gagnon qui se rendent à la chambre du caporal Brunet;

 

sixièmement, l'altercation à l'édifice 302 entre le caporal Gagnon et le caporal Brunet;

 


septièmement, la rencontre entre le caporal Gagnon et le caporal Brunet à l'hôpital Chauveau;

 

huitièmement, la rencontre des policiers avec le caporal Gagnon vers minuit trente dans la nuit du 21 février 2003; et

 

finalement, neuvièmement, la rencontre des policiers avec le caporal Brunet à sa chambre située dans l'édifice 302 et la constatation des dommages matériels ainsi que de l'état du visage du caporal Brunet vers 7 h 30 le matin du 21 février 2003.

 

L'entreposage des meubles du caporal Brunet et le gîte offert au caporal Brunet par le caporal Gagnon et son épouse, madame Françoise Dufour.

 

[4]        Les caporaux Gagnon et Brunet se connaissent depuis plus d'un an avant les événements du 20 février 2003. De simples collègues de travail, ils deviennent peu à peu des amis. Le caporal Brunet fréquente le couple périodiquement. Selon ses dires, il leur rend visite au moins 20 à 30 fois sur une période de huit à douze mois. Selon le caporal Gagnon, au fur et à mesure de cette relation, il perd de plus en plus confiance envers le caporal Brunet.

 

[5]        Au début janvier 2003, le caporal Brunet se sépare de sa conjointe. Le caporal Gagnon offre néanmoins, et ce avec l'aval de sa conjointe, d'entreposer les biens et meubles du caporal Brunet chez lui et lui offre également le gîte pour quelques semaines pour lui venir en aide. De toute évidence, le caporal Brunet a accepté l'offre. Selon le caporal Gagnon, il soupçonnait le caporal Brunet d'entre­tenir, à tout le moins, des sentiments amoureux envers son épouse, Françoise Dufour.

 

[6]        Le caporal Brunet témoigne que madame Dufour lui avait confessé qu'elle avait une attirance pour lui. Selon sa version des faits, il n'a rencontré madame Dufour, seul à seule que deux fois, soit à son ancien domicile à Limoilou où elle lui exprime ses sentiments envers lui ainsi qu'au restaurant « Tim Horton's ».

 

[7]        Selon le caporal Gagnon, le caporal Brunet quitte sa résidence pour aller demeurer dans les quartiers pour célibataires quelques semaines plus tard à sa demande parce qu'il accepte difficilement certaines habitudes du caporal Brunet, notamment celle de se promener torse nu dans sa maison en présence des autres dont sa petite fille. Il lui permet toutefois de laisser ses meubles en entreposage pour quelque temps. Il ressort de la preuve que le caporal Gagnon et son épouse vivent également des moments difficiles en janvier 2003. Le caporal Gagnon et son épouse décident alors d'un commun accord de se séparer temporairement. Bref, les caporaux Gagnon et Brunet se retrouvent dans les quartiers pour célibataires à la fin janvier 2003. Selon le caporal Gagnon, il est déprimé à ce moment et il ajoute que le caporal Brunet semblait l'appuyer dans ces moments difficiles allant même jusqu'à le consoler quand il pleurait.


La rencontre du 19 février 2003 au logement fami­lial du caporal Gagnon entre l'accusé, le caporal Gagnon, et le caporal Brunet auxquels s'est joint le caporal Bernier.

 

[8]        Durant la journée du 19 février 2003, le caporal Gagnon est au logement familial occupé par son épouse. Elle est absente. La preuve indique que l'accès à cet endroit lui est toujours ouvert. Il découvre alors une lettre déchirée en petits morceaux dans une poubelle de la cuisine. Selon sa version des faits, il recolle les petits morceaux pour découvrir qu'il s'agit d'une confession amoureuse de son épouse à l'endroit du caporal Brunet.

 

[9]        Vers la fin de l'après-midi ou le début de la soirée, le caporal Gagnon téléphone à son très bon ami, le caporal Bernier. Les deux se sont connus par l'entremise de leur conjointe respective. Selon sa version des faits, le caporal Bernier sait déjà, contrairement au caporal Gagnon lui-même, que l'épouse du caporal Gagnon a ou a eu une relation intime avec le caporal Brunet parce que son épouse l'en a informé après avoir rencontré sa très bonne amie, madame Dufour. Pour en revenir au caporal Gagnon, il demande alors à son bon ami, le caporal Bernier, de lui venir en aide et de le rencontrer au logement familial. Le caporal Gagnon rejoint également le caporal Brunet au téléphone et lui demande de venir le rejoindre au logement familial pour discuter avec lui.

 

[10]      Le caporal Brunet arrive au logement familial du caporal Gagnon et ce dernier l'accueille. Selon la version du caporal Brunet, il constate que quelque chose ne va pas bien. Selon lui, le caporal Gagnon le reçoit littéralement avec un bâton de baseball. Le caporal Gagnon lui dit que ça ne va pas bien. Ce dernier descend au sous-sol et remonte avec un bâton de baseball. Le caporal Gagnon lui montre la fameuse lettre écrite par son épouse adressée au caporal Brunet. Selon la version du caporal Brunet, le caporal Gagnon se met à frapper violemment sur le comptoir de cuisine avec le bâton et sur d'autres articles qui volent dans les airs. Il constate que le comptoir de cuisine en est marqué. Le caporal Brunet a peur. Le caporal Gagnon nie toutefois avoir utilisé ledit bâton. Selon la version des faits du caporal Brunet, Gagnon l'informe du contenu de la lettre à l'effet que Françoise était en amour avec le caporal Brunet. Le caporal Brunet a témoigné devant cette cour avoir expliqué à Gagnon être alors désolé de cette situation mais que cette lettre n'était pas de lui.

 


[11]      Le caporal Bernier arrive au domicile et rencontre les deux individus. Il a témoigné à l'effet qu'il a aperçu que le bâton de baseball était rangé près de la porte arrière. Il constate que le comptoir de cuisine est craqué. Il en déduit que ces marques sont récentes. Selon Bernier, il constate que le caporal Gagnon est déprimé, fatigué. La discussion continue. Gagnon et Bernier questionnent directement Brunet à savoir si celui-ci a couché avec l'épouse du caporal Gagnon. Selon le caporal Bernier, le caporal Brunet nie tout, sous prétexte qu'il ne ferait pas ça à un ami et il pleure. Madame Dufour est toutefois venue témoigner devant cette cour du contraire relativement à la relation intime qu'elle a entretenue avec le caporal Brunet. Pour en revenir à la rencontre, cette rencontre prend fin et le caporal Brunet quitte les lieux. Selon le caporal Brunet, cette rencontre n'aurait duré que 10 minutes et le ton n'était pas agressif. Il n'a pas été menacé par le caporal Gagnon.

 

[12]      Le lendemain, le caporal Bernier s'implique activement dans cette affaire lorsqu'il décide de son propre chef de communiquer avec madame Dufour. Elle le rejoint chez lui et selon ses dires, il lui explique les faits de la vie et lui confie avoir été informé par sa conjointe que madame Dufour a couché avec le caporal Brunet à deux reprises. Il lui demande de tout avouer à son mari. Bernier la trouve instable. Selon lui, il voulait la convaincre de parler au caporal Gagnon tout de suite sinon c'est lui qui allait tout dire à son ami. Ils quittent alors séparément, mais pour se rendre à l'édifice 302 à la chambre du caporal Brunet.

 

La rencontre du 20 février 2003 entre le caporal Brunet, madame Françoise Dufour et le caporal Bernier dans la chambre du caporal Brunet à l'édifice 302.

 

[13]      En début de soirée, le caporal Bernier et madame Dufour se présentent donc à la chambre du caporal Brunet. Elle rentre en premier. Le caporal Brunet est surpris tant par sa présence que par celle du caporal Bernier. Selon le caporal Brunet, madame Dufour lui dit vouloir tout avouer à son mari. Elle veut alors qu'ils se rencontrent tous chez elle. Il ne veut rien savoir et leur demande de quitter. Selon le caporal Bernier, Brunet dit alors : « c'est sûr que je m'en vais à l'hôpital! » Bernier lui fait alors la morale et il quitte avec madame Dufour. Madame Dufour a témoigné à l'effet que lors de cette rencontre, le caporal Brunet agissait de telle sorte qu'il semblait ignorer de quoi elle parlait. Cette rencontre aurait durée 10 à 15 minutes, tout au plus.

 

La rencontre du 20 février 2003 entre le caporal Gagnon, madame Françoise Dufour et le caporal Bernier.

 

[14]      Le caporal Bernier et madame Dufour se rendent immédiatement au domicile de celle-ci pour rencontrer le caporal Gagnon. Cette rencontre durera plusieurs heures. Madame Dufour explique alors au caporal Gagnon qu'elle a effectivement eu une relation avec le caporal Brunet. Selon la preuve entendue, le caporal Gagnon s'effondre. Il est atterré. Il ne manifeste toutefois aucune agressivité. Il est découragé et il ne manifeste aucune violence. Après quelques heures, le caporal Gagnon téléphone alors au caporal Brunet lui indiquant qu'il veut lui parler. Il s'ensuit une très courte conversation à sens unique durant laquelle le caporal Gagnon traite le caporal Brunet d'égoïste et lui indique de venir chercher ses meubles. Selon les témoins Bernier et Dufour, le caporal Gagnon est ferme mais il n'est pas agressif envers le caporal Brunet et ne l'a pas menacé de quelque façon. Il semble que le caporal Brunet ne voulait rien entendre.

 

 


La randonnée en voiture des caporaux Bernier et Gagnon qui se rendent à la chambre du caporal Brunet.

 

[15]      Les caporaux Bernier et Gagnon quittent le domicile familial de ce dernier pour se rendre à l'édifice 302. Le caporal Bernier ayant offert un peu plus tôt au caporal Gagnon, mais sans succès, de dormir chez lui. Selon la version du caporal Bernier et Gagnon, ce dernier voulait aller dire au caporal Brunet de venir chercher ses meubles et discuter du fait qu'il avait couché deux fois avec son épouse. Les deux individus s'entendent pour y aller ensemble pour s'assurer que tout se passe bien. Le caporal Bernier rapporte que le caporal Gagnon lui dit à bord du véhicule vouloir donner deux coups de poing à Brunet parce qu'il avait couché avec sa femme deux fois. Le caporal Bernier rapporte lui avoir dit que ce n'était pas une bonne idée, mais ne croyait pas vraiment son ami parce qu'il semblait épuisé et déprimé. Le caporal Gagnon a admis avoir prononcé ces paroles, mais il affirme les avoir dites d'un ton sarcastique pour alléger l'atmosphère et sa peine. Selon lui, il n'avait aucune intention de passer réellement à l'acte.

 

L'altercation à l'édifice 302 entre le caporal Gagnon et le caporal Brunet.

 

[16]      Une fois rendu à l'intérieur de l'édifice 302, le caporal Gagnon se rend à la chambre du caporal Brunet en montant quelques marches. Le caporal Bernier le suit, mais reste au bas des premières marches ou du premier palier. Selon la version de l'accusé, il cogne à la porte. Le caporal Brunet lui répond : « Qui est là? » Il lui dit alors : « C'est Éric. » et le caporal Gagnon ajoute qu'il ne veut pas se battre. Ce qu'il veut c'est que le caporal Brunet sorte ses meubles. Le caporal Brunet lui réplique d'un ton agressif, « Non, je ne sors pas mes meubles et je n'ai pas couché avec ta femme. » Gagnon insiste fortement, selon ses dires, pour que Brunet sorte ses meubles et régler la situation en adulte. Il l'invite pour discuter à l'extérieur. Il donne alors un bon coup de pied dans la porte et lui dit d'un ton ferme, « Sors, on va discuter, y n'y a pas de problème. » Le caporal Gagnon ne fait aucune menace ou incitation à la violence. Le caporal Bernier corrobore la version du caporal Gagnon et indique que le caporal Brunet envoie paître le caporal Gagnon. C'est à ce moment que le caporal Gagnon, insulté, vient pour s'élancer pour donner un deuxième coup de pied dans la porte que celle-ci s'ouvre, le caporal Brunet sortant rapidement de sa chambre.

 


[17]      La version du caporal Brunet diffère. Il dit que lorsqu'il a entendu le premier coup dans la porte, il était somnolent. Il ne se souvient pas s'il a entendu des paroles. La caporal Brunet affirme qu'il ne savait pas qui était là au début mais qu'après le troisième coup, il savait que c'était le caporal Gagnon. Il a peur et saisit son mousqueton auquel sont accrochés ses trousseaux de clés pour partir avec sa voiture. Il affirme n'avoir aucune intention de se servir du mousqueton comme une arme, mais il l'empoigne en y insérant au moins deux doigts à l'intérieur. Il ne fait aucun doute qu'il a peur. Il témoigne à l'effet qu'il met la main sur sa porte lorsque celle-ci cède après que le caporal Gagnon l'eut frappée une troisième fois. Il était convaincu que le caporal Gagnon allait, selon sa version des faits, lu casser la gueule. La porte s'est donc ouverte alors que le caporal Gagnon est, selon le caporal Brunet, enragé. Le caporal Brunet indique à la cour qu'il croit à ce moment-là qu'il n'y a pas d'issue. Comme il le dit lui-même, « C'est moi ou lui! » Il repousse alors le caporal Gagnon et ils se retrouvent dans les bras l'un de l'autre. Le caporal Brunet tente de maîtriser et de raisonner le caporal Gagnon d'un palier à l'autre. Certaines personnes entendent le bruit et leur crient de cesser. Le caporal Brunet tombe alors sur le caporal Gagnon. Selon Brunet, il a le contrôle sur Gagnon et celui-ci se calme. C'est à ce moment, selon lui, qu'une personne, le caporal Bernier, le retient par l'arrière. Le caporal Gagnon est alors libéré de son emprise et lui assène deux ou trois coups de poing sur le côté gauche du visage. Il est étourdi et déséquilibré. Aucun coup additionnel n'est échangé de la part de l'un ou de l'autre.

 

[18]      En contre-interrogatoire, le caporal Brunet a affirmé qu'il avait le ventre plein d'adrénaline et qu'il ne savait pas à quoi s'attendre. Il a ajouté avoir saisi Gagnon par la gorge en le faisant manquer d'air, qu'il ne lui a laissé aucune chance. Le caporal Brunet a affirmé qu'il frappait le mur avec son mousqueton durant l'empoignade pour lui faire peur et pour que le caporal Gagnon arrête. Il a également affirmé qu'une fois assis à cheval sur le caporal Gagnon, il lui tient les mains ou les poignets. Aucun témoin ne se souvient ou a aperçu le caporal Brunet frapper le mur avec le mousqueton de la manière décrite par le caporal Brunet.

 

[19]      Le soldat Estéphan habitait au-dessous du caporal Brunet. Il a témoigné devant cette cour. Il admet qu'il ne pouvait pas voir ce qui se passait ou ouvrant sa porte et que ce sont les coups vraiment forts dans la porte qui ont attiré son attention. Lorsqu'il est sorti de sa chambre, il a vu que les deux protagonistes se chamaillaient. Selon lui, ils seraient tombés deux fois et c'est lors de la deuxième chute que le caporal Gagnon est tombé sur le dos dans l'escalier en dessous du caporal Brunet. Il n'a pas vu le caporal Brunet avoir quoi que ce soit dans les mains. Les deux individus se tenaient au collet. Selon lui, Brunet et Gagnon se sont retrouvés au palier supérieur, soit une dizaine de marches plus haut, mais il n'était pas en mesure de les voir monter. Il rapporte qu'après la deuxième chute, une troisième personne est intervenue pour retirer le caporal Brunet. C'est alors que le caporal Brunet était tiré vers l'arrière par la troisième personne que le caporal Gagnon a frappé le caporal Brunet.

 

[20]      Le caporal Estéphan a affirmé en contre-interrogatoire qu'il n'a vu qu'un seul coup porté par le caporal Gagnon malgré avoir affirmé que plusieurs coups avaient été portés par le caporal Gagnon dans une déclaration qu'il a donnée à l'avocat du caporal Brunet le 18 mars 2004 dans le cadre d'une poursuite civile. Le soldat Estéphan a indiqué que l'incident a duré tout au plus deux minutes et qu'il était à au moins une vingtaine de pieds de l'endroit où se déroulait l'altercation.

 


[21]      La version du caporal Gagnon diffère aussi de celle du caporal Brunet à partir du moment où la porte de la chambre s'est ouverte. Selon sa version des faits, c'est au  moment où il s'apprête à donner un second coup de pied que la porte s'ouvre rapidement et que le caporal Brunet sort en trombe en l'attaquant avec les bras étendus et les poings fermés avec un objet de métal dans une de ses mains. Le caporal Brunet le frappe au-dessus de l'oeil avec cette objet en fonçant sur lui. Le caporal Gagnon tombe dans les marches du petit palier. Le caporal Brunet est sur lui et il tente de le maîtriser par le cou ou l'étouffer. Le caporal Gagnon lui demande d'arrêter et lui dit qu'il ne veut pas se battre. Selon Gagnon, il avait peur pour sa vie.

 

[22]      La version du caporal Gagnon est à l'effet que le caporal Brunet n'a pas frappé le mur avec un objet et qu'il n'en avait pas le temps de toute façon, le tout s'étant déroulé entre 10 et 15 secondes. Le caporal Gagnon a affirmé que c'est lorsque le caporal Brunet est sur lui qu'il l'agrippe par les narines et qu'il lui assène deux coups de poing au visage afin que le caporal Brunet laisse aller l'emprise qu'il avait sur lui. Le caporal Bernier s'interpose alors et retire le caporal Brunet ébranlé qui était jusque là sur le dessus du caporal Gagnon. Les caporaux Bernier et Brunet lui tournent le dos et se rendent dans la salle de bains adjacente. Gagnon descend le petit palier. Il est, selon ses dires, confus. Selon le caporal Gagnon, il ne voulait pas d'altercation. Il adresse des paroles au caporal Brunet, notamment lui disant de ne pas aller à la police et de se comporter en adulte sous prétexte qu'il était offusqué par la situation.

 

[23]      Le caporal Bernier, qui accompagnait le caporal Gagnon, corrobore la version du caporal Gagnon en ce qui a trait aux événements qui se sont déroulés lorsque la porte de la chambre du caporal Brunet s'est ouverte et qu'il en est sorti. Selon Bernier, c'est au moment où le caporal Gagnon se recule pour asséner un deuxième coup de pied à la porte que le caporal Brunet sort rapidement de sa chambre et qu'il assène un coup à l'oeil du caporal Gagnon. Ce dernier perd l'équilibre et tombe vers l'arrière dans les marches. C'est lorsque le caporal Gagnon est sur le dos qu'il frappe le caporal Brunet à un oeil. Il leur dit d'arrêter et il s'interpose en agrippant le caporal Brunet par la gorge pour l'enlever de là. Il l'amène à la salle de bains et il voit qu'il a le dessus de l'oeil bleu, enflé et qu'il saigne. Le caporal Brunet lui demande de le lâcher et lui dit qu'il se rend chez la police militaire. Le caporal Gagnon lance alors au caporal Brunet de faire un homme de lui. La tension est toujours présente entre les deux protagonistes. Le caporal Bernier n'a pas remarqué si le caporal Brunet avait quelque chose dans les mains au moment de l'altercation, mais il indique que tout s'est déroulé très rapidement, soit entre cinq ou dix secondes. Le caporal Bernier ne se rappelle pas si le caporal Gagnon était, selon ses dires, « crinqué » lorsqu'ils sont arrivés à l'édifice 302, mais il admet avoir pu mentionner lors d'une déclaration antérieure que c'était le cas. Il ajoute que le caporal Gagnon et lui-même se sont rendus chez le superviseur du caporal Gagnon lorsque le caporal Brunet s'est rendu à la police militaire.

 

 


La rencontre entre le caporal Gagnon et le caporal Brunet à l'hôpital Chauveau.

 

[24]      Arrivé au poste de police, le caporal Brunet rencontre le caporal Dureau. Le caporal Brunet est transporté par ambulance jusqu'à l'hôpital Chauveau pour y être traité pour ses blessures. Une fois rendu à l'hôpital, il y subit des examens. Alors qu'il est en chaise roulante dans un corridor de l'hôpital, le caporal Brunet aperçoit les caporaux Gagnon et Bernier qui sont là eux aussi pour y faire soigner, selon leur témoignage, la blessure subie par le caporal Gagnon. Le caporal Brunet rapporte que le caporal Gagnon part à la course dans sa direction pour l'injurier et lui dire qu'il a eu ce qu'il mérite. Selon sa version des faits, un infirmier appelle la sécurité et on le met à l'abri dans une salle. Il n'y a pas eu de contact physique. La version des caporaux Gagnon et Bernier diffère quelque peu. Le caporal Bernier rapporte que le caporal Gagnon a rencontré le caporal Brunet à l'hôpital et qu'il lui a dit d'un ton normal : « Ça t'apprendra de coucher avec la femme des autres » mais sans plus. Il a ajouté qu'il a aperçu son ami en discussion avec un gardien de sécurité durant quelques secondes par la suite. Les policiers militaires ont tenté d'éclaircir ce qui s'est vraiment passé à l'hôpital mais sans succès, semble-t-il, en raison d'un manque de coopération des services de sécurité de l'hôpital.

 

La rencontre des policiers avec le caporal Gagnon vers minuit trente dans la nuit du 21 février 2003.

 

[25]      Après avoir reçu la plainte du caporal Brunet, le caporal Dureau et son collègue Pelletier se sont rendus au domicile du caporal Gagnon vers minuit trente le 21 février 2003, et ce après qu'il les ait appelés de chez lui. Ils constatent alors qu'il arbore une légère entaille au-dessus de l'oeil. Ils le mettent en état d'arrestation et ils emmènent le caporal Gagnon au poste de la police militaire. Le caporal Bernier l'accompagne.

 

La rencontre des policiers avec le caporal Brunet à sa chambre située dans l'édifice 302 et la constatation des dommages matériels ainsi que de l'état du visage du caporal Brunet vers 7 h 30 le matin du 21 février 2003.

 


[26]      Tôt dans la matinée du 21 février 2003, les policiers militaires rejoignent le caporal Brunet par téléphone pour le rencontrer. Les caporaux Dureau et Pelletier se rendent chez le caporal Brunet. Ils le voient vers 6 h 10 le matin. Le caporal Brunet a l'oeil gauche com­plè­tement fermé. La porte avait été forcée, la cadrage était endommagé mais elle était fonction­nelle. Le caporal Pelletier a décrit l'état des dommages de la manière suivante : « La porte pouvait barrer théoriquement, sauf qu'elle se serait ouverte si je m'étais appuyé dedans. » Le caporal Pelletier a pris des photos du visage du caporal Brunet et de la porte lors de cette visite. La preuve révèle que ces photos sont maintenant introuvables. Le caporal Brunet aurait indiqué qu'il ne voulait plus porter plainte mais les policiers lui ont dit que la décision d'arrêter le processus ne leur appartenait pas. C'est en raison des complications médicales que le caporal Brunet a réitéré sa plainte en mai 2004, et ce à la suggestion de son avocat en raison de poursuites civiles devant les tribunaux. Cette poursuite a été réglée. Selon la preuve devant cette cour, les blessures à l'oeil du caporal Brunet se seraient aggravées en raison de traitements qu'il avait reçus après l'incident.

 

III.  LE DROIT APPLICABLE ET LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE L'ACCUSATION

 

[27]      Le paragraphe 267 b) du Code criminel se lit en partie comme suit :

 

267. ... Est coupable soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans, soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'un emprisonnement maximale de dix-huit mois quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :

 

...

 

b) inflige des lésions corporelles au plaignant.

 

La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants : la poursuite devait prouver l'identité de l'accusé, la date et le lieu tels qu'ils sont allégués à l'acte d'accusation. La poursuite devait également prouver les éléments additionnels suivants : le fait que le caporal Gagnon a employé la force directement ou indirectement contre le caporal Brunet; le fait que le caporal Gagnon a employé cette force de manière illégale contre le caporal Brunet puisque l'accusé soulève la légitime défense; et le fait que l'agression a causé des lésions corporelles au caporal Brunet qui résultent de l'application de cette force.

 

[28]      Avant d'appliquer le droit aux faits de la cause, il est opportun de traiter de la présomption d'innocence et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable qui est une composante essentielle de la présomption d'innocence.

 

[29]      Qu'il s'agisse d'accusations portées aux termes du code de discipline militaire devant un tribunal militaire ou de procédures qui se déroulent devant un tribunal pénal civil pour des accusations criminelles, une personne accusée est présumée innocente jusqu'à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[30]      Ce fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès. Une personne accusée n'a pas à prouver son innocence. La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels d'une accusation.

 

[31]      La preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas aux éléments de preuve individuels ou aux différentes parties de la preuve; elle s'applique à tout l'ensemble de la preuve sur laquelle s'appuie la poursuite pour prouver la culpabilité. Le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l'accusé.


[32]      Un tribunal devra trouver l'accusé non coupable s'il a un doute raisonnable à l'égard de sa culpabilité après avoir évalué l'ensemble de la preuve. L'expression « hors de tout doute raisonnable » est utilisée depuis très longtemps. Elle fait partie de l'histoire et des traditions de notre système judiciaire. Dans l'arrêt La Reine c. Lifchus (1997) 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada établit la façon d'expliquer le doute raisonnable dans un exposé au jury. Les principes de l'arrêt Lifchus ont été appliqués dans plusieurs pourvois subséquents. Essentiellement, un doute raisonnable n'est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne peut être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il doit reposer plutôt sur la raison et le bon sens. Il doit logiquement découler de la preuve ou de l'absence de preuve.

 

[33]      Dans l'arrêt La Reine c. Starr (2000) 2 R.C.S. 144, au paragraphe 242, le juge Iacobuci, pour la majorité, a indiqué, et je cite :

 

... qu'une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

Il est toutefois opportun de rappeler qu'il est virtuellement impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue, et que la poursuite n'est pas tenue de le faire. Une telle norme de preuve n'existe pas en droit. La poursuite ne doit prouver la culpabilité de l'accusé, le caporal Gagnon en l'espèce, que hors de tout doute raisonnable.

 

[34]      Comme je l'ai indiqué plus tôt, l'approche appropriée relativement à la norme de preuve consiste à évaluer l'ensemble de la preuve et non d'évaluer des éléments de preuve individuels séparément. Il est donc essentiel d'évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoignages à la lumière de l'ensemble de la preuve.

 

[35]      La norme de preuve hors de tout doute raisonnable s'applique également aux questions de crédibilité. La cour n'a pas à décider d'une manière définitive de la crédibilité d'un témoin ou d'un groupe de témoins. Au surplus, la cour n'a pas à croire en la totalité du témoignage d'une personne ou d'un groupe de personnes.

 

[36]      Si la cour a un doute raisonnable relativement à la culpabilité du caporal Gagnon qui découle de la crédibilité des témoins, elle doit l'acquitter. Lorsque la décision dépend entièrement ou presque entièrement de la crédibilité du plaignant et de celle de l'accusé, la question n'est pas de déterminer laquelle des versions des faits est vraie ou lequel du plaignant ou de l'accusé il faut croire. La ques­tion est plutôt de savoir si la poursuite a fait la preuve de ses prétentions au-delà de tout doute raisonnable.

 


[37]      Dans de telles circonstances, le droit exige que la cour trouve l'accusé non coupable : premièrement, si la cour croit la version de l'accusé; et deuxièmement, même si la cour ne croit pas l'accusé, mais qu'elle a un doute raisonnable en conséquence du témoignage de l'accusé après avoir examiné la déposition de l'accusé dans le contexte de l'ensemble de la preuve. Finalement, si la cour, après avoir évalué l'ensemble de la preuve, ne sait pas qui croire ou a un doute raisonnable quant à qui croire, elle doit faire bénéficier ce doute à l'accusé et l'acquitter.

 

[38]      Après ces quelques propos sur la présomption d'innocence et la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, y compris lorsqu'elle s'applique aux questions de cré­di­bilité, la cour va maintenant se pencher sur les faits révélés par la preuve en fonction du droit applicable.

 

IV.  ANALYSE

 

[39]      D'entrée de jeu, les éléments essentiels de l'infraction qui portent sur l'identité de l'accusé, la date et le lieu de l'infraction et le fait que le caporal Brunet a subi des lésions corporelles du fait de son altercation avec le caporal Gagnon ne sont pas contestés. Les questions en litige portent sur la légalité du geste du caporal Gagnon lorsqu'il a employé la force contre le caporal Brunet et du droit de l'accusé à soulever la légitime défense dans les circonstances de cette affaire. La cour est d'avis que l'examen de la crédibilité des témoins entendus devant cette cour est particulièrement important pour déterminer si la poursuite s'est acquittée de son fardeau de preuve.

 

[40]      La preuve qui est devant cette cour est telle que la cour doit se prononcer sur la crédibilité et la fiabilité des témoins à la lumière de l'ensemble de la preuve. La cour a examiné attentivement tous les témoignages à la lumière de l'ensemble de la preuve. Il n'existe aucune formule magique pour décider de la crédibilité d'un témoignage ou de la valeur qu'il faut y accorder. La cour a entre autres porté attention a l'intégrité et l'intelligence de chacun des témoins, leur faculté d'observation et leur capacité de rapporter ces observations devant la cour. La cour a considéré leur capacité de se souvenir des événements en tenant compte que certains événements ou certains faits peuvent marquer chaque personne de manière différente. La cour a observé les témoins en prêtant attention à des facteurs comme si le témoin tente honnêtement de dire la vérité, s'il est sincère et franc ou s'il est partial, réticent et évasif.

 


[41]      Dans l'évaluation de la crédibilité de chacun des témoins, la cour s'est posée plusieurs questions. Le témoin semblait-il honnête? Avait-il une raison particulière de ne pas dire la vérité? Le témoin avait-il un intérêt dans le résultat de l'affaire ou une raison de présenter une preuve favorisant une partie plutôt que l'autre? Le témoin était-il en mesure de présenter des observations exactes et complètes au sujet de l'événement? A-t-il eu l'occasion de le faire? Dans quelles circonstances les observations ont-elles été faites? Dans quel état se trouvait le témoin? S'agissait-il d'un événement ordinaire ou hors de l'ordinaire? Le témoin a-t-il donné l'impression d'avoir une bonne mémoire? Le témoin a-t-il une raison de se souvenir des événements au sujet desquels il a témoigné? L'incapacité ou la difficulté du témoin à se souvenir des événements semblait-elle véritable ou était-elle utilisée comme une excuse pour éviter de répondre aux questions? Les témoignages étaient-ils cohérents en soi et entre eux? Le témoin a-t-il précédemment dit ou fait quelque chose de différent? Les contradictions dans le témoignage sont-elles si sérieuses qu'elles rendent moins crédibles ou moins fiables ses principaux aspects? La contradiction est-elle importante ou mineure? S'agit-il d'une erreur de bonne foi ou d'un mensonge délibéré? La contradiction résulte-t-elle d'une déclaration différente du témoin ou d'une admission de sa part? Peut-elle être expliquée? L'explication a-t-elle du sens? Comment se comportait le témoin lorsqu'il témoignait, sans pour autant y attacher trop d'importance car les apparences sont parfois trompeuses.

 

[42]      Témoigner n'est pas une expérience courante. Les gens réagissent et se présentent différemment. Ils possèdent des capacités, des valeurs des expériences de vie différentes. Il y a tout simplement trop de variables pour que le comportement d'un témoin constitue le seul facteur ou le facteur le plus important pour prendre une décision.

 

[43]      Le caporal Gagnon a témoigné devant cette cour. Il a été soumis à un contre-interrogatoire vigoureux. Il a admis avoir eu des condamnations antérieures auxquelles cette cour n'attache aucune incidence négative en ce qui concerne l'évaluation de sa crédibilité. Dans l'ensemble, le caporal Gagnon a délibérément tenté de convaincre cette cour qu'il était très calme et très posé lorsqu'il est arrivé à la chambre du caporal Brunet. La cour ne le croit pas. La cour ne le croit pas non plus, pas plus que son ami Bernier, sur la vigueur avec laquelle il a frappé la porte du caporal Brunet. L'état de la porte démontre le contraire, de même que les cris entendus par les résidents de l'édifice 302 qui furent dérangés par le vacarme. Peut-être n'avait-il pas l'intention d'attaquer le caporal Brunet ou de lui faire sa fête, mais il était définitivement en colère. Comme l'a dit son grand ami Bernier, il était « crinqué ». Ceci n'est toutefois pas suffisant pour écarter son témoignage en entier. Certains détails de la version des incidents sont toutefois profondément divergents entre la version des faits du caporal Brunet et celle de l'accusé. La cour ne peut conclure, d'après l'ensemble de la preuve, que le caporal Gagnon ment sur les questions essentielles, mais la cour est convaincue qu'il a tenté délibérément de se présenter sous un jour particulièrement favorable notamment dans son récit relatif à ses agissements devant la porte du caporal Brunet, l'attaque à la superman dont il a été victime par le caporal Brunet lorsque celui-ci s'est rué sur lui avec ce qu'il croyait être un poing américain et la manière dont il craignait pour sa propre vie lorsque le caporal Brunet était sur lui, et ce en dépit du fait que son ami Bernier était à quelques pas de là.

 


[44]      Le caporal Bernier corrobore en très grande partie le témoignage de l'accusé. Il ne fait aucun doute qu'il a un intérêt dans cette affaire. Il n'est pas seulement le grand ami et le confident de l'accusé, il est impliqué dans toute cette affaire et il est en partie responsable de la cascade des événements lorsqu'il s'est immiscé sciemment, avec toutes les bonnes intentions du monde, dans les affaires conjugales de monsieur Gagnon et de madame Dufour sans qu'ils ne lui aient demandé quoi que ce soit. Fut-il l'agent provocateur ou le bon samaritain? Cela fait-il de lui un menteur pour autant? Sa description minutieuse et son insistance exagérée à mettre l'emphase sur la sérénité et le calme qu'aurait démontrés le caporal Gagnon durant la soirée du 19 février 2003 et celle du 20 février 2003 ne bonifie pas la crédibilité de son témoignage. La cour croit qu'il a embelli d'une certaine façon les éléments favorables au caporal Gagnon. Mais la cour croit son témoignage lorsqu'il décrit l'état d'esprit de l'accusé durant la soirée du 19 février 2003 et durant la rencontre entre le caporal Gagnon, son épouse et lui-même à leur résidence durant la soirée du 20 février 2003. Cette partie de son témoignage est validée par la description présentée par madame Françoise Dufour durant son témoignage devant cette cour et qui fera l'objet des commentaires par cette cour sous peu. La cour croit également le caporal Bernier lorsqu'il relate la rencontre entre madame Dufour et le caporal Brunet quelques minutes auparavant. La cour n'est toutefois pas convaincue de la véracité de la version du caporal Bernier ni de celle du caporal Gagnon à l'effet que les coups portés au visage du caporal Brunet l'ont été avant qu'il ne retire le caporal Brunet de sa position dominatrice à l'égard du caporal Gagnon.

 

[45]      Le caporal Brunet a lui aussi tenté d'embellir son témoignage et de se donner le beau rôle. Son témoignage n'est pas corroboré sauf quant à la question du moment où le coup de poing aurait été donné, soit après que le caporal Bernier ne soit intervenu. Cette version est celle du soldat Estéphan qui était à plus de 20 pieds et qui n'a pas vu l'ensemble des événements. Il est clair qu'il a menti sur sa relation avec madame Dufour si l'on prête foi à la version du caporal Bernier mais aussi à celle de madame Dufour elle-même. Qu'il ait menti au caporal Gagnon pour des raisons qui sont les siennes lors de leur rencontre du 19 février 2003, est une chose, mais qu'il le fasse devant cette cour en est une autre. Cela ne veut toutefois pas dire qu'il ment sur les événements cruciaux, mais la cour ne le trouve pas des plus crédibles sur plusieurs aspects de son témoignage, notamment sur le fait qu'il n'a pris son mousqueton parce qu'il voulait s'en aller en voiture et que c'est le caporal Gagnon qui lui est tombé dans les bras lorsque la porte a cédé. La cour est d'avis que l'incident du bâton de baseball a été exagéré, bien qu'il semble raisonnable de croire que le caporal Gagnon a effectivement endommagé son comptoir de cuisine. La cour ne le croit pas relativement aux coups qu'il aurait donné dans le mur avec son mousqueton pour faire peur à l'accusé. Il ne fait toutefois aucun doute qu'il a subi des blessures malheureuses.

 


[46]      Madame Françoise Dufour est la conjointe de l'accusé. Son témoignage a été bref et précis. Elle a admis promptement sa relation avec le caporal Brunet et elle a décrit la rencontre qu'elle a eu avec le caporal Brunet le 20 février 2003 en compagnie du caporal Bernier et la rencontre qui s'ensuivit entre le caporal Gagnon, le caporal Bernier et elle-même à son domicile peu après. Elle a décrit l'état émotionnel de son conjoint lors de cette rencontre et les événements qui ont précédé le départ du caporal Gagnon et du caporal Bernier par la suite. Elle est impliquée dans cette affaire et son conjoint, avec qui elle cohabite maintenant, est l'accusé. Nul doute qu'elle a un intérêt. Elle est apparue nerveuse et embarrassée. Mais elle a témoigné de façon claire, précise et honnête. La cour s'est attardée longuement à l'examen de sa crédibilité et elle apparaît d'une franchise surprenante. Peut-être est-elle une comédienne exceptionnelle? La cour ne croit pas que ce soit le cas à la lumière de son témoignage et de l'ensemble de la preuve. La cour est d'avis que le témoignage de madame Dufour est non seulement crédible et fiable mais qu'il renforce la crédibilité et la fiabilité des portions des témoignages des caporaux Gagnon et Bernier qu'elle a corroborées.

 

[47]      Le soldat Estéphan a témoigné au meilleur de sa connaissance. Il n'a pas assisté à toute la scène, mais il croit avoir vu le caporal Gagnon asséner un coup de poing au caporal Brunet lorsque le caporal Bernier retirait le caporal Brunet alors qu'il était sur la caporal Gagnon. Il corrobore le témoignage du caporal Brunet à l'effet que les deux protagonistes se sont rendus au palier supérieur lors de la bousculade avant que le caporal Gagnon tombe dans les escaliers. Son témoignage ne permet toutefois pas d'écarter entièrement l'une ou l'autre des versions relativement au moment où le caporal Gagnon a frappé le caporal Brunet. Bref, le témoignage du soldat Estéphan est relativement crédible et fiable mais il n'est pas déterminant.

 

[48]      Les policiers militaires Dureau et Pelletier sont deux témoins crédibles et rien ne permet de douter de la fiabilité de leur témoignage. De leur témoignage, la cour retient la description des blessures du caporal Brunet et celle du caporal Gagnon et les dommages importants causés à la porte qui font foi de la force employée par le caporal Gagnon lorsqu'il a frappé celle-ci à plusieurs reprises.

 

[49]      En ce qui concerne l'analyse du droit à la lumière des faits de cette cause, la poursuite soumet à la cour que la preuve permet d'aborder cette cause par étapes. D'une part, elle invite la cour à considérer que les faits qui ont précédé l'ouverture de la porte de la chambre du caporal Brunet par ce dernier avant qu'elle ne s'ouvre d'elle-même, constituaient des voies de fait aux termes de l'alinéa 265(1)b) du Code criminel. La poursuite soumet que par ses actions répétées sur la porte du caporal Brunet et par ses paroles, le caporal Gagnon s'est rendu coupable de voies de fait parce que ses actes constituaient une menace. Elle ajoute que c'est le caporal Gagnon qui attaquait ainsi illégalement le caporal Brunet et que ce dernier a agi en légitime défense lorsqu'il a repoussé le caporal Gagnon à l'extérieur de sa porte de chambre. D'autre part, la poursuite ajoute qu'ayant provoqué et amorcé l'attaque, le caporal Gagnon ne peut invoquer la légitime défense aux termes de l'article 34 du Code criminel. Selon elle, l'accusé ne peut soulever la légitime défense dans les circonstances  parce qu'elle n'a pas de fondement probant et il ne fait aucun doute, toujours selon la poursuite, que les faits démontrent que l'accusé a commis des voies de fait sur la personne du caporal Brunet et que ses blessures constituent des lésions corporelles. La poursuite a soumis plusieurs décisions à la cour au soutien de son argumentation, notamment celles de La Reine c. Holt et de La Reine c. Gardner sur la question des voies de fait aux termes de l'alinéa 265(1)b) qui se lit comme suit :

 

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

 


...

 

b) tente ou menace, par un acte ou un geste, d'employer la force contre une autre personne, s'il est en mesure actuelle, ou s'il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu'il est alors en mesure actuelle d'accomplir son dessein;

 

[50]      Si les voies de fait tombent sous l'alinéa 265(1)b), la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé a tenté ou menacé d'employer la force contre le caporal Brunet lorsqu'il frappait dans la porte et prononçait les paroles. La poursuite devrait prouver en plus que le caporal Gagnon était en mesure d'accomplir son dessein, au moment des voies de fait alléguées ou qu'il a porté le caporal Brunet à croire, pour des motifs raisonnables qu'il était en mesure de le faire.

 

[51]      Dans l'affaire Holt, citée par la poursuite, l'accusé Holt avait menacé verbalement et alors qu'il était muni d'un objet d'endommager le véhicule du constable Scotchman s'il ne quittait pas sa propriété. Il se mit alors à frapper, et ce à plusieurs reprises le véhicule du constable avec cet objet en criant « Harass me will you, how do you like that ». Il ne fait aucun doute qu'il y avait là une menace, voire même un passage à l'acte.

 

[52]      Dans l'affaire Gardner, l'accusé faisait partie d'un groupe de manifestants qu'un policier tentait d'empêcher de traverser la rue. Alors que le groupe s'approchait du policier, une personne du groupe a crié, « Let's get him. Let's get him boy ». Le groupe s'approchant plus près, le policier frappa l'accusé avec sa lampe de poche. L'accusé fut accusé de voies de fait aux termes de l'alinéa 265(1)b). Là encore, la menace était explicite, même si le policier n'avait pas pu affirmer formellement que l'accusé était celui qui avait proféré la menace. L'accusé Gardner se situait à l'avant du groupe et il s'était avancé vers le policier. En ce faisant, il indiquait qu'il était en mesure actuelle de mettre sa menace à exécution.

 


[53]      Les faits de cette affaire diffèrent substantiellement des arrêts précités. Il ne fait aucun doute qu'une personne n'a pas à attendre d'être frappée avant de pouvoir se défendre. Là n'est pas la question. C'est toutefois à la poursuite qu'incombe le fardeau d'établir hors de tout doute raisonnable que les paroles du caporal Gagnon constituaient une menace. Au contraire, la preuve démontre qu'il voulait que le caporal Brunet sorte de sa chambre pour discuter et qu'il n'y aurait pas de problème. Il ne frappait pas dans la porte en menaçant le caporal Brunet qu'il allait le frapper à son tour une fois rendu à l'intérieur. La preuve n'est pas suffisamment probante pour en arriver à une telle conclusion. Force est de constater qu'il était tout à fait raisonnable pour le caporal Brunet de croire que l'accusé était chez lui strictement pour lui casser la gueule. Cette croyance du caporal Brunet peut facilement s'expliquer. Elle découlait directement des événements précédents comme, par exemple : la visite impromptue de madame Dufour plus tôt dans la soirée qui lui dit vouloir tout avouer à son mari; la rencontre du 19 février 2003 entre le caporal Brunet et le caporal Gagnon où la victime niait toute liaison avec madame Dufour; et aussi, sans oublier l'appel téléphonique du caporal Gagnon quelques minutes plus tôt. Certes, le caporal Gagnon était contrarié et fâché, mais il ne l'a pas menacé ni tenté de s'en prendre à lui. Le caporal Gagnon voulait qu'il sorte de sa chambre. Peut-être s'en serait-il pris au caporal Brunet si une fois la porte ouverte le caporal Brunet aurait toujours refusé de sortir de sa chambre ou de discuter, mais ce sont là des inférences que cette cour n'est pas autorisée à tirer à la lumière de l'ensemble de la preuve. Dans ces circonstances, la cour n'est pas satisfaite que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que l'accusé a commis des voies de fait sur la personne du caporal Brunet lorsqu'il frappait dans la porte à la lumière de l'ensemble de la preuve.

 

[54]      La poursuite allègue également que le caporal Gagnon était un intrus aux termes des articles 41 et 42 du Code criminel et qu'en conséquence, le caporal Brunet était en droit de se défendre. Cela importe peu dans les circonstances. D'une part, le caporal Brunet n'a jamais demandé au caporal Gagnon de quitter sa chambre. D'autre part, le caporal Gagnon n'a jamais résisté à une tentative de la part du caporal Brunet de l'empêcher d'entrer ou de l'éloigner. La seule question qui demeure est de déterminer si la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que le caporal Gagnon ne pouvait invoquer la légitime défense lorsqu'il a utilisé la force contre le caporal Brunet en le blessant à l'oeil.

 

[55]      Cela nous amène à nous concentrer sur l'altercation qui s'est déroulée à l'extérieur de la chambre du caporal Brunet durant laquelle le caporal Gagnon a frappé le visage du caporal Brunet et lui a infligé des lésions corporelles. La défense soumet qu'elle est fondée à soulever la légitime défense. Le moyen de défense fondé sur la légitime défense est prévu à l'article 34 du Code criminel. L'article 34 est ainsi rédigé :

 

34. (1) Toute personne illégalement attaquée sans provocation de sa part est fondée à employer la force qui est nécessaire pour repousser l'attaque si, en ce faisant, elle n'a pas l'intention de causer la mort ni des lésions corporelles graves.

 

(2) Quiconque est illégalement attaqué et cause la mort ou une lésion corporelle grave en repoussant l'attaque est justifié si :

 

a) d'une part, il la cause parce qu'il a des motifs raisonnables pour appréhender que la mort ou quelque lésion corporelle grave ne résulte de la violence avec laquelle l'attaque en premier lieu a été fait, ou avec laquelle l'assaillant poursuit son dessein;

 

b) d'autre part, il croit, pour des motifs raisonnables, qu'il ne peut pas autrement se soustraire à la mort ou à des lésions corporelles graves.

 

La légitime défense de l'article 34(1) peut être plaidée par un accusé qui a été illégalement attaqué sans avoir provoqué l'attaque, qui a utilisé une force simplement nécessaire pour la repousser et qui ne voulait pas causer la mort ou des lésions corporelles graves. Le droit de repousser une attaque ne se limite pas à bloquer des coups, mais s'entend aussi d'y répliquer physiquement.


[56]      Le paragraphe 34(1) contient quatre éléments essentiels. Pour pouvoir s'appuyer sur ce paragraphe, les quatre éléments doivent être réunis. Premièrement, le paragraphe 34(1) n'est applicable que si le caporal Brunet a attaqué illégalement le caporal Gagnon. Deuxièmement, le paragraphe 34(1) n'est applicable que si l'attaque ou l'agression initiale par le caporal Brunet à l'endroit du caporal Gagnon n'a pas été provoquée par le caporal Gagnon. Une personne provoque une attaque ou une agression lorsqu'elle incite ou urge intentionnellement une autre personne à commettre des voies de fait à son endroit. La provocation peut prendre la forme, par exemple, de coups, de paroles ou de gestes. La cour est d'avis que la poursuite n'a pas prouvé hors de tout doute raisonnable l'absence de l'un ou de l'autre de ces éléments. Il ne fait aucun doute que le caporal Brunet croyait qu'il allait définitivement être attaqué, mais cette croyance ne peut remplacer l'absence d'attaque initiale par le caporal Gagnon. Il en va de même pour la provocation. La caporal Gagnon n'a pas incité ou urgé intentionnellement le caporal Brunet à commettre des voies de fait à son endroit.

 

[57]      Troisièmement, le paragraphe 34(1) s'applique seulement si la force employée par l'accusé ne se voulait pas à dessein être une force pour causer la mort ou des lésions corporelles graves. Selon l'article 2 du Code criminel, « Lésions corporelles » signifie une blessure qui nuit à la santé ou au bien-être d'une personne et qui n'est pas de nature passagère ou sans importance. « Lésions corporelles graves » s'entend d'une blessure grave ou sérieuse à la santé ou au bien-être d'une personne. Il n'existe pas de preuve devant cette cour que le caporal Gagnon voulait causer la mort ou des lésions corporelles graves que ce soit dans des actes qu'il aurait posés précédemment ou des paroles qu'il aurait prononcées devant le caporal Brunet ou toute autre personne. Les paroles à l'effet qu'il voulait donner deux coups de poing au caporal Brunet parce que ce dernier avait couché deux fois avec son épouse ne peuvent raisonnablement être interprétées comme étant l'annonce qu'il avait le dessein de lui causer la mort ou des lésions corporelles graves. La cour est d'avis que la poursuite n'a pas écarté ce troisième élément.

 


[58]      Quatrièmement, le paragraphe 34(1) ne trouve application que si le caporal Gagnon n'a pas utilisé une force au-delà de celle qui était nécessaire pour lui permettre de se défendre contre l'attaque du caporal Brunet. La question fondamentale relativement à ce quatrième élément peut être formulée de la manière suivante. La force qu'a employée le caporal Gagnon était-elle ou non excessive par rapport au type d'attaque ou de tort qu'il était censé prévenir? En d'autres mots, est-ce que la force employée par le caporal Gagnon était proportionnée au tort, réel ou potentiel, auquel faisait face l'accusé? Il est toutefois important de préciser que ce n'est pas la nature ou l'étendue de la blessure qui a résulté envers le caporal Brunet qui détermine si la force employée était excessive ou au-delà de ce qui est nécessaire. Il faut garder à l'esprit qu'on a rarement le temps de réfléchir calmement devant une attaque. Comme un savant juge l'a déjà dit, on ne peut s'attendre à ce qu'une personne puisse réfléchir froidement le couteau sous la gorge. Cette citation est celle du juge Holmes dans l'arrêt Brown c. United States of America (1921), 256 U.S. 335 à la page 343. Cette décision a été citée souvent par la suite. Je réfère également à La Reine c. Hebert (1996) 107 C.C.C. (3d) 42 à la page 50, un arrêt de la Cour suprême du Canada.

 

[59]      Dans les circonstances de cette affaire, la cour ne peut être satisfaite hors de tout doute raisonnable que l'accusé a, soit : frappé le caporal Brunet alors qu'il était retenu par le caporal Bernier; frappé le caporal Brunet alors que le caporal Bernier était en train de le retirer de sa position à cheval sur le caporal Gagnon; ou, frappé le caporal Brunet alors qu'il était sur lui avant que le caporal Bernier ne l'enlève de là.

 

[60]      Selon la preuve déposée devant cette cour, les deux premières hypothèses sont les plus plausibles. Force est de constater que durant cette période, qui a duré tout au plus cinq ou dix secondes, l'adrénaline des deux protagonistes était à son comble et jusqu'à un certain point, celle du caporal Bernier également. Dans de telles circonstances, il est hasardeux de privilégier l'une ou l'autre hypothèse. La cour est plutôt d'avis que les coups ont été donnés dans un espace-temps qui se situe très près du moment où le caporal Bernier a agrippé le caporal Brunet pour le ramener vers lui. Il ne s'agit pas d'un cas où une personne profite à dessein qu'une autre personne est retenue par une tierce personne pour lui asséner des coups alors qu'elle n'est pas en mesure de se défendre. Au contraire, les deux personnes continuaient de se débattre au sol. C'est lorsque le caporal Brunet s'est éloigné du corps du caporal Gagnon que ce dernier a pu lui asséner deux coups de poing au visage alors que les hostilités se poursuivaient.

 

[61]      Dans ces circonstances, il serait difficile de conclure que de tels coups de poing constituaient une force disproportionnée au tort, réel ou potentiel, auquel faisait face le caporal Gagnon. Il faut garder à l'esprit qu'il était celui qui était couché sur le dos, dans un escalier, la tête vers le bas, avec une personne assise sur lui et qui tente de le contrôler au niveau du cou ou de la gorge.

 

[62]      À la lumière de l'ensemble de la preuve, la poursuite n'a pas prouvé hors de tout doute raisonnable que la force employée par le caporal Gagnon lorsqu'il a frappé le caporal Brunet au visage, lui causant des lésions corporelles, était excessive.

 

[63]      Considérant les conclusions de cette cour sur les éléments essentiels du paragraphe 34(1) du Code criminel et leur application aux faits de la présente cause, la cour n'est pas satisfaite que la poursuite s'est acquittée de son fardeau de preuve en établissant que l'un ou l'autre des dits  éléments essentiels de la légitime défense n'était pas présent.

 


[64]      En conséquence, le caporal Gagnon est fondé à soulever cette défense puisque la cour a déjà conclu, à la lumière des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt La Reine c. Cinous, [2002] 2 R.C.S. 3, qu'elle a un fondement dans les circonstances. Le caporal Gagnon a certes agi d'une manière irréfléchie et intempestive et même si la cour croit qu'il est probablement coupable, une telle probabilité n'est pas suffisante pour prononcer un verdict de culpabilité. Il doit bénéficier dans les circonstances du doute raisonnable.

 

V.  DISPOSITIF

 

[65]      Caporal Gagnon, veuillez-vous lever. Cette cour vous trouve non coupable du premier chef d'accusation. Assoyez-vous.

 

 

LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, M.J.

 

Avocats :

 

Major M. Trudel, Procureure militaire régionale de l'Est

Avocate de la poursuivante

Major L. Boutin, Direction du service d'avocats de la défense

Avocat du caporal E.M. Gagnon

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