Page 1 de 11 Référence : R. c. L’élève-officier J.A. McNulty, 2004CM05 Dossier : F200405 COUR MARTIALE PERMANENTE CANADA NOUVELLE-ÉCOSSE BASE DES FORCES CANADIENNES HALIFAX Date : 12 mars 2004 PRÉSIDENT : LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, juge militaire SA MAJESTÉ LA REINE c. L’ÉLÈVE-OFFICIER J. MCNULTY (Accusé) VERDICT (Prononcé oralement) [1] En vertu de l’alinéa 75g) de la Loi sur la défense nationale, l’élève-officier McNulty est accusé d’avoir occasionné intempestivement des fausses alertes et, subsidiairement, en vertu de l’article 129 de la Loi, de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Ces accusations ont été portées à la suite d’un incident qui aurait eu lieu le 29 décembre 2002, au cours duquel l’accusé aurait téléphoné au NCSM WINDSOR et déclaré qu’une bombe se trouvait à bord. Ce geste a provoqué de fausses alertes à bord du NCSM WINDSOR et dans les alentours. [2] Permettez-moi de commencer par une explication sur la présomption d’innocence et sur la norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable, norme liée au principe fondamental appliqué dans tous les procès pénaux, même dans les procès ayant trait au Code de discipline militaire. Cette norme et ce principe sont bien connus des avocats, mais il est fort probable qu’ils soient moins familiers aux autres personnes présentes dans cette salle. On peut affirmer à juste titre que la présomption d’innocence constitue sans doute le principe fondamental par excellence de notre droit pénal. Dans les affaires relevant du Code de discipline militaire, comme dans celles relevant du droit pénal, quiconque est accusé d’une infraction criminelle est présumé innocent jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité, et cela, hors de tout doute raisonnable.
Page 2 de 11 [3] Un accusé n’a pas à prouver son innocence. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable chaque élément de l’infraction. La norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas aux éléments constitutifs de la preuve ou à des éléments de preuve distincts sur lesquels se fonde la poursuite, mais à la preuve, dans sa globalité, sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé, jamais à l’accusé de prouver son innocence. Si, après avoir examiné tous les éléments de preuve, le tribunal a un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé, celui-ci doit être acquitté. [4] L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de l’histoire et des coutumes de la justice. Comme l’a souligné monsieur le procureur, dans son arrêt R. c. Lifchus, répertorié [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directive sur le doute raisonnable. Par la suite, la Cour suprême et les cours d’appel ont appliqué les principes définis dans l’arrêt Lifchus à de nombreuses décisions. En substance, le doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou futile. Il ne doit pas se fonder sur la sympathie ou les préjugés mais sur la raison et le bon sens. Il découle logiquement de la preuve présentée ou de l’absence de preuve. [5] L’accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité, et j’ajouterai que les seules accusations dont doit répondre un accusé sont celles qui figurent sur l’acte d’accusation déposé au tribunal. Qu’est-ce que la preuve? La preuve peut être constituée des affirmations solennelles ou des témoignages sous serment faits devant un tribunal, par des témoins sur ce qu’ils ont observé ou fait. Elle peut aussi être constituée de documents, de photos, de cartes et d’autres éléments déposés par des témoins, de témoignages d’experts, de faits officiellement admis par la poursuite ou la défense et de questions dont le tribunal a une connaissance d’office. [6] Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés au tribunal se contredisent. Souvent les témoins ont des souvenirs différents des événements et le tribunal doit repérer les éléments plausibles. Crédibilité n’est pas synonyme de vérité et absence de crédibilité ne signifie pas mensonge. Le tribunal doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d’un témoignage. Par exemple, il doit évaluer la possibilité d’observer qu’a eue le témoin, ce qui l’incite à se souvenir, par exemple si les événements étaient remarquables, inhabituels et frappants ou au contraire, insignifiants, et par conséquent, tout naturellement plus difficiles à se remémorer. Il doit aussi se demander si l’issue du procès peut présenter un avantage pour le témoin, c'est-à-dire si celui-ci a des raisons de favoriser la poursuite ou la défense, ou s’il est impartial. [7] Bien entendu, ce dernier facteur s’applique aussi, mais de façon différente, à l’accusé. Même si l’on peut raisonnablement présumer qu’un accusé a
Page 3 de 11 intérêt à être acquitté, du fait de la présomption d’innocence, on ne peut conclure qu’un accusé qui choisirait de parler risque de mentir. Un autre élément permet de déterminer la crédibilité : la capacité apparente du témoin à se souvenir. On peut observer l’attitude du témoin pendant sa déposition pour évaluer sa crédibilité : il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises ou évasives, hésitantes ou argumentées, et enfin, si son témoignage était cohérent et correspondait aux faits incontestés. [8] Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires, mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l’écarter. Il en va autrement d’un mensonge, qui constitue toujours un acte grave et risque de fausser l’ensemble d’un témoignage. Le tribunal n’est pas obligé de retenir tous les témoignages. En revanche, il doit retenir ceux qu’il juge plausibles. En d’autres termes, le tribunal doit considérer a priori les témoignages comme dignes de foi à moins qu’il ait des motifs de ne pas y accorder crédit. [9] Au paragraphe 242 de l’arrêt R. c. Starr, répertorié (2000) 2 R. C.S. 144, la Cour suprême a déclaré : «… une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités. » [10] En outre, il ne faut pas oublier qu’il est quasiment impossible d’apporter une preuve conduisant à une certitude absolue. D’ailleurs, la poursuite n’a pas d’obligation en ce sens. Il serait impossible de respecter une norme aussi élevée en matière de preuve. [11] La poursuite est seulement tenue de prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce de l’élève-officier McNulty, hors de tout doute raisonnable. Concrètement, cela signifie que si le tribunal est convaincu que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, il doit l’acquitter. Comme je l’ai dit plus tôt, l’approche appropriée en matière de preuve consiste à analyser la preuve dans son ensemble et non chacun de ses éléments constitutifs. Il est essentiel de confronter les déclarations des témoins à l’ensemble de la preuve administrée pour pouvoir se prononcer sur leur crédibilité et leur fiabilité. [12] En l’espèce, la défense a décidé de ne pas présenter de preuve; c’est son droit. Je le répète, il incombe à la poursuite de prouver la culpabilité de l’accusé; celui-ci n’a jamais à prouver son innocence. Comme le principe du doute raisonnable s’applique aussi à la question de la crédibilité, le tribunal n’est pas tenu de se prononcer de manière définitive sur la crédibilité d’un témoin ou d’un groupe de témoins, pas plus qu’il n’est tenu d’accorder foi à un témoin ou à un groupe de témoins. Si la Cour
Page 4 de 11 éprouve un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’élève-officier McNulty suscité par le manque crédibilité des témoins, alors elle doit l’acquitter. [13] Maintenant, examinons la preuve présentée à la Cour. Cette preuve est constituée des témoignages du matelot de 3 e classe Suurhoff, de Mme Suurhoff et du maître de 2 e classe Hayward, ainsi que de la pièce 3, déposée à la Cour, dans laquelle ont été consignés six faits admis par la défense. Les voici : Le 29 décembre 2002, à environ cinq heures, le NCSM Windsor, stationné dans le port d’Halifax, a reçu une alerte à la bombe. L’enquête de la police militaire a permis de déterminer que l’appel provenait du domicile du matelot de 3 e classe Mark Michael Suurhoff, portant le matricule C44 470 741. En outre, la police militaire a réussi à se procurer un enregistrement sonore de la communication entre Halifax et l’opérateur de base, où on demande à ce dernier d’établir la communication avec le NCSM Windsor. La voix que l’on entend sur cet enregistrement est celle du matelot de 3 e classe Suurhoff. Au moment de l’infraction, l’élève-officier McNulty faisait partie de la Force de réserve des Forces armées canadiennes, plus précisément, d’un de ses sous-éléments, le Cadre des instructeurs de cadets… défini à l’alinéa 2.034c) des Ordonnances et règlements de la Reine applicables aux Forces canadiennes... L’élève-officier McNulty reconnaît également qu’au moment de l’infraction, il était assujetti au Code de discipline militaire, en vertu du sous-alinéa 60(1)c)(viii) de la Loi sur la défense nationale. En outre, la Cour ayant pris connaissance d’office des faits et des questions relevant de l’article 15 des Règles militaires de la preuve a pu compléter la preuve. [14] On peut résumer les faits se rapportant à l’espèce comme suit : Dans la soirée du 28 décembre 2002, le matelot de 3 e classe Suurhoff et sa femme, qui habitaient à la Station radio navale Newport Corner, en Nouvelle-Écosse, ont assisté à une réception chez des voisins où l’on fêtait un anniversaire de mariage. L’accusé et Debbie, conjointe de fait de son frère Derek, y assistaient aussi. C’est ce jour-là que les
Page 5 de 11 Suurhoff ont fait connaissance avec l’accusé, qui assistait à la fête parce qu’il était le frère de leur voisin Derek McNulty. Au cours de cette soirée, ces personnes ont bu trois ou quatre verres d’alcool. L’ambiance était bonne mais calme. Vers minuit, le matelot de 3 e classe Suurhoff et sa femme sont rentrés chez eux. L’élève-officier McNulty et sa belle-sœur sont partis avec les Suurhoff. Comme les Suurhoff n’avaient pas envie d’aller se coucher et qu’ils rentraient chez eux à pieds en compagnie de l’accusé et de sa belle-sœur, le matelot de 3 e classe Suurhoff a invité l’élève-officier McNulty à se joindre à eux pour poursuivre la soirée en jouant aux fléchettes. L’accusé a accepté l’invitation, mais pas Debbie. Ensuite, le matelot de 3 e classe Suurhoff, Mme Suurhoff et l’élève-officier McNulty ont passé le restant de la nuit ensemble, je suppose jusqu’au petit matin, chez les Suurhoff, à jouer aux fléchettes et à discuter de choses et d’autres, notamment des problèmes que rencontrait le frère de l’élève-officier McNulty dans son travail. Tous trois se sont remué les méninges pour aider l’élève-officier McNulty à trouver des solutions, car celui-ci s’inquiétait pour son frère et désirait l’aider. Pendant cette partie de la nuit, soit environ entre minuit et cinq heures du matin, le matelot de 3 e classe Suurhoff a bu trois ou quatre bières, mais sa femme pense qu’il n’en a pas bu plus d’une. Mme Suurhoff a déclaré qu’elle n’avait pris qu’un verre de toute la nuit. Quant à l’élève-officier McNulty, il a apporté une bouteille de whisky de seigle, et d’après Mme Suurhoff, il a bu plus d’un verre au cours de la nuit. Bien que le matelot de 3 e classe Suurhoff, sa femme et l’accusé aient bu cette nuit-là, ils n’étaient pas saouls. L’élève-officier McNulty semblait de bonne humeur. Le matelot de 3 e classe Suurhoff savait que le frère de l’accusé était de service de jour-là sur le NCSM WINDSOR, un sous-marin, c’est pourquoi l’élève-officier McNulty voulait parler à son frère. Le matelot de 3 e classe Suurhoff savait aussi comment entrer en communication avec le NCSM WINDSOR par l’intermédiaire de l’opérateur de base. À la suite d’une conversation entre Mme Suurhoff et son mari, tous trois sont montés dans la cuisine, et, alors même que ni Mme Suurhoff ni son mari n’étaient convaincus que c’était la chose à faire cette nuit-là, le matelot de 3 e classe Suurhoff a suggéré à l’élève-officier McNulty d’appeler son frère.
Page 6 de 11 Vers cinq heures, le 29 décembre 2002, le matelot de 3 e classe Suurhoff a pris le combiné et composé le numéro de téléphone de l’opérateur de base, en présence des deux autres personnes. Le matelot de 3 e classe Suurhoff a demandé qu’on le mette en communication avec le NCSM WINDSOR. À ce moment, il a tendu le combiné à l’élève-officier McNulty. Mme Suurhoff se trouvait approximativement à deux pieds de l’élève-officier McNulty; son mari se tenait à peu près à deux pieds derrière elle. Les Suurhoff ont continué à parler sans faire attention à ce que disait l’élève-officier McNulty. Tout à coup, le matelot de 3 e classe Suurhoff a entendu l’élève-officier McNulty prononcer les paroles suivantes en imitant l’accent arabe : « Je m’appelle Abdul. Il y a une bombe dans votre bateau ». Le matelot de 3 e classe Suurhoff a vu l’élève-officier McNulty se mettre à rire, puis raccrocher. Il a déclaré qu’il était resté abasourdi par ce qu’il venait d’entendre. Il a demandé à l’élève-officier McNulty si c’était son frère qui était à l’autre bout du fil, ce à quoi ce dernier a répondu : « Je ne crois pas ». Mme Suurhoff a déclaré que l’élève-officier McNulty avait parlé au téléphone en imitant l’accent arabe, mais que le seul mot anglais qu’elle avait entendu était « bombe ». Elle était choquée, stupéfaite, sidérée. Elle était contrariée. Elle a indiqué qu’elle est restée en état de choc pendant trois à cinq secondes. Peu après l’appel téléphonique, alors que les Suurhoff étaient encore en état de choc, ils ont échangé quelques paroles. À ce moment, Mme Suurhoff était très agitée et vociférait contre l’élève-officier McNulty. Elle l’insultait et lui demandait si c’était avec son frère qu’il parlait. D’après sa version des faits, l’élève-officier McNulty a répondu : « Oups, je n’aurais pas dû faire ça ». Ensuite, elle a entendu son mari demander à l’élève-officier McNulty s’il parlait au téléphone avec son frère, ce à quoi ce dernier a répondu « non ». En proie à une grande agitation, le matelot de 3 e classe Suurhoff a inscrit le numéro de téléphone de l’opérateur de base sur un bout de papier et a demandé à l’élève-officier McNulty de quitter les lieux. Avant que l’accusé ne parte, le matelot de 3 e classe Suurhoff lui a dit qu’il devrait rappeler pour faire une mise au point ou s’expliquer. Le matelot de 3 e classe Suurhoff a précisé que l’élève-officier McNulty n’avait pas réagi et qu’il était parti. En revanche, sa femme a déclaré que l’élève-officier McNulty avait acquiescé avant de partir.
Page 7 de 11 Les Suurhoff n’ont pas signalé l’appel téléphonique. Le matelot de 3 e classe Suurhoff venait de se réengager dans les Forces canadiennes et, comme l’appel téléphonique avait été fait depuis son domicile et qu’il serait possible d’identifier son origine, il s’inquiétait des répercussions que cet incident pourrait avoir sur sa carrière, même si lui et sa femme avaient l’impression que l’élève-officier McNulty allait éclaircir l’affaire. À aucun moment, les Suurhoff n’ont signalé l’incident aux autorités des Forces canadiennes, notamment à la police militaire. Ils n’ont parlé à la police militaire qu’après y avoir été enjoints. Lors du contre-interrogatoire, le matelot de 3 e classe Suurhoff a déclaré que le jour de sa convocation à la police militaire, il avait parlé de l’incident à Derek McNulty, en société, parce que celui-ci lui demandait ce qu’avait fait son frère. Mme Suurhoff a été interrogée par la police militaire quatre jours après son mari. Elle a indiqué qu’elle avait parlé de l’incident à sa voisine Debbie, la femme de Derek McNulty. Les Suurhoff ont reconnu qu’ils avaient discuté de l’incident ensemble avant d’être interrogés par la police militaire. Mme Suurhoff a spontanément admis qu’elle avait parlé de l’incident avec son mari avant de le relater à la police. Lors du contre-interrogatoire, elle a déclaré qu’elle et son mari n’avaient pas forgé cette histoire ensemble, malgré les discussions qu’ils avaient eus entre eux. [15] Tournons-nous maintenant vers le récepteur de l’alerte à la bombe, le maître de 2 e classe Hayward. Celui-ci a déclaré que, le 29 décembre 2002, à cinq heures, il était de service sur le NCSM WINDSOR et que le matelot de 1 re classe Derek McNulty, l’un de ses subordonnés, l’était aussi. Le maître de 2 e classe Hayward a dit qu’au moment où il avait reçu l’appel téléphonique, le matelot de 1 re classe McNulty dormait, c’est pourquoi il était chargé de prendre les appels. Son témoignage peut se résumer comme suit : Le 29 décembre 2002, entre 5 h 05 et 5 h 07, il a reçu un appel téléphonique à bord du NCSM WINDSOR. Pour répondre, il a employé les salutations d’usage, à savoir : « Bonjour ». Ensuite, pour se présenter, il s’est nommé, a indiqué son grade et a donné le nom du NCSM WINDSOR. Il s’est ainsi exprimé pour que son interlocuteur sache bien à qui il s’adressait. Immédiatement après s’être présenté à son interlocuteur, il a cru entendre ces paroles : « Bonjour. Je m’appelle Ahmed… », puis quelque chose, et par l’expression « quelque chose », je ne veux pas dire un nom de famille. Puis l’interlocuteur a poursuivi ainsi : « … il y a une bombe à
Page 8 de 11 bord ». L’officier marinier Hayward a demandé : « Qui êtes-vous? », mais on avait raccroché à l’autre bout du fil. D’après lui, le message n’a pas duré plus de cinq à dix secondes. Ensuite, il a réagi. D’abord, il a pensé à une blague d’un membre de l’équipage pendant le congé de Noël ou, éventuellement, à un exercice, mais après avoir téléphoné au NCSM VICTORIA, il a rapidement écarté ces possibilités. Il n’avait alors pas d’autre choix que de déclencher la procédure d’alerte à la bombe. Son premier geste a été de réveiller ses compagnons de quart, les matelots de 1 re classe Cleaveley et McNulty. Ils ont lancé les recherches. Le second du bâtiment a été avisé, et une procédure complète d’intervention de sécurité a été lancée. On a fait venir le personnel disponible, on a appelé la police militaire, le Service d’incendie, l’Unité de plongée de la flotte et l’Unité de recherche d'explosifs. La procédure comprend la fouille de tous les compartiments du NCSM WINDSOR, de fond en comble et de la poupe à la proue. Elle inclut également l’établissement de barrages autour de l’arsenal maritime, la fouille et l’inspection des abords du navire, au-dessus et au-dessous du niveau de l’eau, de la jetée, etc. En d’autres termes, il s’agit d’une procédure d’inspection complète et minutieuse qui dure environ six heures. L’officier marinier Hayward a déclaré qu’il n’avait jamais rencontré l’accusé, pas plus que le matelot de 3 e classe Suurhoff. Il a déclaré que lors de son interrogatoire, la police militaire lui avait demandé d’identifier une voix enregistrée et qu’il avait reconnu celle qu’il avait entendue à 5 h 05, le 29 décembre 2002. Toutefois, il n’a pas témoigné sur les paroles qu’il avait entendues, les paroles prononcées, la qualité de l’enregistrement, ou sur des facteurs comme la manière dont la démonstration a été faite, à savoir sa durée, le lieu ou les conditions de son déroulement. La Cour détient la preuve que la voix enregistrée lors de l’appel téléphonique effectué entre Halifax et l’opérateur de base, la nuit en question, et passé depuis le domicile du matelot de 3 e classe Suurhoff était bien celle de ce dernier. C’est sur ce point que la Cour clôt l’examen de la preuve. [16] Je vais maintenant examiner les éléments de l’infraction visée par le premier chef d’accusation porté en vertu de l’alinéa 75g) de la Loi sur la défense nationale, que la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable. Je vais répéter ces éléments : premièrement l’accusé, à savoir l’élève-officier McNulty doit être l’auteur de l’infraction; deuxièmement, la date et le lieu de l’infraction reprochée, à
Page 9 de 11 savoir le 29 décembre 2002, à la Station radio navale Newport Corner, en Nouvelle-Écosse; troisièmement, l’accusé a passé un coup de téléphone au NCSM WINDSOR et a dit qu’il y avait une bombe à son bord; quatrièmement, les propos tenus par l’accusé ont occasionné intempestivement des fausses alertes et cinquièmement, l’accusé, en l’espèce, l’élève-officier McNulty, était animé d’une intention coupable. [17] Les éléments constitutifs de l’infraction ayant donné lieu au deuxième chef d’accusation porté subsidiairement en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale qu’il faut prouver sont les suivants : premièrement l’identité de l’accusé; deuxièmement, la date et le lieu de l’infraction, à savoir approximativement 29 décembre 2002, à la Station radio navale Newport Corner, en Nouvelle-Écosse; troisièmement, la conduite de l’accusé, à savoir que lors de son appel téléphonique au NCSM WINDSOR, il a dit qu’une bombe se trouvait à bord; quatrièmement, le comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline et cinquièmement, l’élève-officier McNulty avait une intention coupable au moment où il a commis l’infraction qui lui est reprochée. [18] La défense soutient qu’en l’espèce, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels des deux accusations, à savoir que l’élève-officier McNulty en était l’auteur. [19] En raison de la nature de la preuve présentée à la Cour, celle-ci est tenue de se prononcer sur la crédibilité des différents témoins. La poursuite et la défense ont des points de vue opposés quant à la crédibilité du matelot de 3 e classe Suurhoff et de Mme Suurhoff. La Cour estime que ces personnes ont apporté un témoignage précis et dit tout ce qu’elles savaient. Leurs témoignages lui paraissent non seulement extrêmement convaincants, mais aussi très fiables, malgré quelques contradictions mineures. Le fait que Mme Suurhoff n’ait entendu que le mot « bombe » et qu’elle n’ait pas saisi les autres paroles n’affecte pas la fiabilité de son témoignage. Elle était sous le choc et si furieuse qu’elle a perdu la maîtrise d’elle-même. La version du matelot de 3 e classe Suurhoff est totalement corroboré par ce qu’a entendu l’officier marinier Hayward. [20] La défense semble laisser entendre que c’est peut-être le matelot de 3 e classe Suurhoff qui a prononcé le message d’alerte à la bombe. Cette allégation n’est étayée par aucune preuve; elle est purement théorique. Les témoignages des Suurhoff n’ont été aucunement contestés. Au contraire, le contre-interrogatoire les a rendus plus convaincants. La Cour a soigneusement examiné leurs témoignages et a tenu compte du fait qu’ils auraient pu avoir un intérêt dans cette affaire et qu’ils ont eu la possibilité de discuter à l’avance du témoignage qu’ils allaient donner à la Cour. Comme l’a déjà dit la Cour, tous deux ont témoigné avec précision et retenue. Ils ont répondu aux questions de leur mieux et ne se sont pas montrés évasifs ou hésitants.
Page 10 de 11 [21] La défense n’a pas contesté leurs témoignages, même lorsqu’elle a laissé entendre que la menace avait été proférée par une personne autre que l’accusé. La Cour a soigneusement observé leur attitude pendant le contre-interrogatoire. Les tribunaux doivent interpréter le comportement des témoins avec prudence : en l’espèce, les Suurhoff n’ont, d’aucune façon, fourni des réponses visant à manipuler l’avocat. Ils sont restés polis et cohérents et ne se sont jamais montrés évasifs ou hésitants. Leurs témoignages sont cohérents avec eux-mêmes et se corroborent mutuellement en dépit de quelques contradictions. Considérant l’ensemble de la preuve, la Cour ne s’estime pas fondée à récuser partie ou totalité de leurs témoignages. Elle n’a aucune raison de ne pas y accorder foi. [22] L’officier marinier Hayward est aussi un témoin convaincant; en tout cas, il n’a pas d’intérêts dans l’issue de ce procès. [23] Je le répète, la seule question qui se pose relativement au premier et au deuxième chef d’accusation est de prouver hors de tout doute raisonnable que l’élève-officier McNulty est bien le contrevenant. L’ensemble de la preuve et son degré de fiabilité permettent d’établir hors de tout doute raisonnable que c’est l’élève-officier McNulty qui a téléphoné depuis la Station radio navale Newport Corner, en Nouvelle-Écosse, et qui a dit qu’une bombe se trouvait à bord du bâtiment. Cette preuve permet aussi d’établir hors de tout doute raisonnable que cet appel téléphonique a provoqué le déclenchement de fausses alertes à bord du NCSM WINDSOR et dans ses alentours. C’est la seule conclusion logique et rationnelle susceptible d’être tirée de la preuve. [24] Comme je l’ai dit, les témoins entendus par la Cour ont fait preuve d’une crédibilité et d’une fiabilité à toute épreuve qui n’a été ni remise en question, ni ébranlée, ni même influencée par la défense lors du contre-interrogatoire ou à tout à tout autre moment, y compris à propos du contenu de la pièce 3. Les témoignages du matelot de 3 e classe Suurhoff et de sa femme ne laisse subsister aucun doute sur le fait que l’élève-officier McNulty savait ce qu’il faisait quand il a lancé l’alerte à la bombe, dans le sens où il savait qu’il ne s’adressait pas à son frère à ce moment. Par conséquent, la Cour n’a aucun mal à conclure que, compte tenu des circonstances, l’élève-officier McNulty était animé de l’intention requise. [25] Élève-officier McNulty, veuillez vous lever s’il vous plait. La Cour vous déclare coupable du premier chef d’accusation et sursoit à l’instance relativement au second. Vous pouvez vous asseoir. LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, juge militaire
Page 11 de 11 Conseils : Le major R.F. Holman, procureur militaire régional (Atlantique), Procureur de Sa Majesté la Reine Le capitaine D. Sinclair, juge-avocat adjoint, Petawawa, Procureur adjoint de Sa Majesté la Reine Le major J.A.M. Côté, Direction du service d’avocats de la défense, Avocat de l’élève-officier J.A. McNulty