Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 17 mars 2004.
Endroit : CFB Gagetown, édifice F-1, Oromocto (NB).
Chefs d’accusation:
• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 84 LDN, a frappé un supérieur.
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 130 LDN, voies de fait causant des lésions corporelles (art. 267b) C. cr.).
• Chef d’accusation 3 : Art. 97 LDN, ivresse.
Résultats:
• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chef d’accusation 2 : Une suspension d’instance. Chef d’accusation 3 : Non coupable.
• SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 1800$.

Contenu de la décision

Page 1 de 20 Référence : R. c. Le caporal MacMullin,2004CM46 Dossier : F200446

COUR MARTIALE PERMANENTE CANADA NOUVEAU-BRUNSWICK USS/BFC GAGETOWN

Date : 20 mars 2004 PRÉSIDENT : LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M. SA MAJESTÉ LA REINE c. LE CAPORAL D.G. MACMULLIN (Accusé)

VERDICT (Prononcé oralement)

[1] En vertu de l’article 84 de la Loi sur la défense nationale, le caporal MacMullin est accusé d’avoir frappé un supérieur. À titre subsidiaire, il est accusé en vertu de l’article 130 de la même loi de voies de fait causant des lésions corporelles en violation de l’alinéa 267b) du Code criminel.

[2] Le caporal MacMullin a également été accusé de l’infraction d’ivresse en violation de l’article 97 de la Loi, mais il a été acquitté de cette accusation, la Cour ayant accueilli une requête fondée sur une absence de preuve prima facie présentée par la défense.

[3] La date et le lieu figurant au premier et au second chefs d’accusation sont identiques; les faits ont eu lieu vers le 13 août 2003, à Angus ou dans ses environs, en Ontario. Selon le premier chef, le caporal MacMullin a donné un coup de poing au lieutenant S.F. Cahill matricule N78 528 383; selon le deuxième, les voies de faits commises par le caporal MacMullin ont causé des lésions corporelles au lieutenant S.F. Cahill matricule N78 528 383.

Page 2 de 20 [4] Permettez-moi de commencer par une explication de la présomption d’innocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, norme liée au principe fondamental appliqué dans tous les procès criminels. Les avocats connaissent bien ces principes; cependant, d’autres personnes présentes dans la salle d’audience pourraient bien les connaître moins. Et j’ajouterais qu’on peut affirmer à juste titre que la présomption d’innocence constitue sans doute le principe le plus fondamental de notre droit pénal.

[5] Dans les affaires relevant du Code de discipline militaire, comme dans celles relevant du droit pénal, quiconque est accusé d’une infraction criminelle est présumé innocent jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité, et cela, hors de tout doute raisonnable. Un accusé n’a pas à prouver son innocence. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable le bien-fondé de sa cause, sur chaque élément de l’infraction.

[6] La norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas aux éléments constitutifs de la preuve ou à des éléments de preuve distincts sur lesquels se fonde la poursuite, mais à la preuve, dans sa globalité, sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité de l’accusé. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé, jamais à l’accusé de prouver son innocence.

[7] Si, après avoir examiné tous les éléments de preuve, le tribunal a un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé, celui-ci doit être acquitté.

[8] L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de l’histoire et des coutumes de la justice. Dans son arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directive sur le doute raisonnable. Par la suite la Cour suprême et les cours d’appel ont appliqué les principes définis dans l’arrêt Lifchus à de nombreuses décisions.

[9] En substance, le doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou futile. Il ne doit pas se fonder sur la sympathie ou les préjugés mais sur la raison et le bon sens. Il découle logiquement de la preuve présentée ou de l’absence de preuve. L’accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité, et j’ajouterai que les seules accusations dont doit répondre un accusé sont celles qui figurent sur l’acte d’accusation déposé au tribunal.

[10] Qu’est-ce que la preuve? La preuve peut être constituée des affirmations solennelles ou des témoignages sous serment faits devant un tribunal, par des témoins sur ce qu’ils ont observé ou fait. Elle peut aussi être constituée de documents, de photos, de cartes ou d’autres éléments provenant des témoins, des témoignages des experts cités comme témoins, des faits officiellement retenus par la poursuite ou la défense et des questions dont le tribunal se saisit d’office.

Page 3 de 20 [11] Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés au tribunal se contredisent. Souvent les témoins ont des souvenirs des événements différents, et le tribunal doit repérer les éléments plausibles.

[12] Crédibilité n’est pas synonyme de vérité, et absence de crédibilité n’implique pas mensonge. Le tribunal doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d’un témoignage. Par exemple, il doit évaluer la possibilité d’observer qu’a eue le témoin, ce qui l’incite à se souvenir, et se demander par exemple si les événements étaient remarquables, inhabituels et frappants, ou au contraire, insignifiants, et par conséquent, tout naturellement plus difficiles à se remémorer. Il doit aussi se demander si l’issue du procès peut présenter un quelconque avantage pour le témoin, c'est-à-dire si celui-ci a des raisons de favoriser la poursuite ou la défense, ou s’il est impartial.

[13] Toutefois, ce dernier facteur s’applique aussi, mais de façon différente, à l’accusé. Même si l’on peut raisonnablement présumer qu’un accusé a intérêt à être acquitté, du fait de la présomption d’innocence, on ne peut conclure qu’un accusé qui choisirait de parler risque de mentir.

[14] Un autre élément permet de déterminer la crédibilité : la capacité apparente du témoin à se souvenir. On peut observer l’attitude du témoin pendant sa déposition pour évaluer sa crédibilité : il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises ou évasives, hésitantes ou argumentées, et enfin, si son témoignage était cohérent et correspondait aux preuves incontestées.

[15] Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires, mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l’écarter. Il en va autrement d’un mensonge, qui constitue toujours un acte grave et risque de fausser l’ensemble d’un témoignage.

[16] Le tribunal n’est pas obligé de retenir tous les témoignages. En revanche, il doit retenir ceux qu’il juge plausibles. En d’autres termes, le tribunal doit considérer a priori les témoignages comme dignes de foi à moins qu’il ait des motifs de ne pas y accorder crédit.

[17] Au paragraphe 242 de l’arrêt R. c. Starr, (2000) 2 R. C.S. 144, la Cour suprême a déclaré :

«… une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités. »

Page 4 de 20 [18] En outre, il ne faut pas oublier qu’il est quasiment impossible d’apporter une preuve conduisant à une certitude absolue. D’ailleurs, la poursuite n’a pas d’obligation en ce sens. Il serait impossible de respecter une norme aussi élevée en matière de preuve. La poursuite est seulement tenue de prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce celle du caporal MacMullin, hors de tout doute raisonnable. Concrètement, cela signifie que si le tribunal est plus ou moins convaincu que l’accusé est coupable, il doit acquitter l’accusé.

[19] Comme je l’ai dit plus tôt, l’approche appropriée en matière de preuve consiste à analyser la preuve dans son ensemble et non chacun de ses éléments constitutifs. Il est essentiel de confronter les déclarations des témoins à l’ensemble de la preuve administrée pour pouvoir se prononcer sur leur crédibilité et leur fiabilité.

[20] En l’espèce, l’accusé a choisi de témoigner. Il est juste d’affirmer que sa version des faits contredit les dépositions des témoins à charge sur des points importants. Il y a également des différences entre les dépositions de ces témoins, ou du moins, certaines incompatibilités ou contradictions relativement aux éléments matériels et, dans certains domaines, à des détails importants. En outre, certains éléments du témoignage de l’accusé ne sont pas corroborés.

[21] Comme la norme du doute raisonnable s’applique aussi à la question de la crédibilité, la Cour n’est pas obligée de se prononcer de façon catégorique sur la crédibilité d’un témoin, ou d’un groupe de témoins, ni de croire ou de ne pas croire un témoin ou un groupe de témoins. Si la crédibilité des témoins fait raisonnablement douter la Cour de la culpabilité du caporal MacMullin, alors elle doit l’acquitter.

[22] Dans une affaire analogue à la présente, dans laquelle la crédibilité est un facteur important et dans laquelle l’accusé a témoigné pour son propre compte, le texte législatif prescrit que la Cour acquitte l’accusé :

[23] Premièrement, si la Cour croit l’accusé; [24] Deuxièmement, si la Cour ne croit pas l’accusé mais entretient encore un doute raisonnable quant à la culpabilité de ce dernier après examen du témoignage de l’accusé par rapport à l’ensemble des éléments de preuve.

[25] Enfin, si un examen approfondi de l’ensemble des éléments de preuve ne permet pas à la Cour de déclarer qui elle va croire, elle doit acquitter l’accusé.

[26] Cette approche de l’évaluation de la crédibilité, reliée à la question du doute raisonnable, a été proposée par le juge Cory dans l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, rendu par la Cour suprême du Canada. À la page 758, le juge Cory déclare :

Page 5 de 20 Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement.

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.

Troisièmement, même si n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé.

[27] Ces dernières années, la Cour suprême et diverses cours d’appel, y compris la Cour d’appel de la cour martiale dans son arrêt Matelot de 2 e classe Bernier c. Sa Majesté la Reine, référence neutre 2003 CACM 3, ont affirmé que le principe formulé dans l’arrêt W.(D.) n’est pas une « formule magique » que le juge du procès doit réciter pour éviter une intervention par la cour d’appel. Dans l’arrêt W. (D.), on décrit plutôt le lien entre l’évaluation de la crédibilité et la question du doute raisonnable.

[28] Le juge ne doit pas simplement se contenter de choisir l’une des différentes versions, puis prononcer une condamnation s’il préfère la version du plaignant. L’arrêt W.(D.) nous rappelle au contraire que, dans un procès pénal, le juge n’a pas à trancher la vaste question des faits, de ce qui s’est passé. Le rôle du juge est plus limité : il consiste à se demander si les éléments essentiels d’un chef d’accusation ont été prouvé hors de tout doute raisonnable, puis à se prononcer sur ces éléments. La question fondamentale que se pose le juge n’est pas de savoir s’il accorde partiellement ou totalement foi aux déclarations de l’accusé ou à celles du plaignant. Dans un procès pénal, à la fin de la journée, le juge ne s’interroge pas sur la crédibilité mais sur le doute raisonnable.

[29] Maintenant que je suis conscient du fardeau de la preuve et de la norme de la preuve, je vais étudier les faits de l’espèce d’après la preuve présentée à la Cour.

[30] La preuve présentée à la Cour se compose du témoignage du lieutenant Cahill, victime présumée nommée dans le premier et le second chefs d’accusation, et de ceux du caporal Rumbolt, du caporal Brostowski, du caporal-chef Bartlett, du caporal Duffy, de la docteure Patricia Ramsey, du soldat Gillis et du caporal MacMullin.

[31] La preuve se compose aussi de diverses pièces déposées devant la Cour. Les pièces 3, 4, 5, et 6 sont des photographies du visage de l’accusé, prises le 15 août 2003, à la Section de la police militaire de la BFC Borden.

Page 6 de 20 [32] En outre, en prenant connaissance d’office des faits et des questions aux termes de l’article 15 des Règles militaires de la preuve, la Cour veut compléter la preuve.

[33] On peut résumer les faits de l’espèce comme suit. Le 12 août 2003, des membres de la Branche du GEM affectés à la BFC Gagetown ont quitté la base pour assister au tournoi annuel de golf du GEM qui avait lieu à la BFC Borden. Ces personnes bénéficiaient d’un congé spécial accordé par leur unité; elles étaient donc censées participer non seulement au tournoi de golf mais aussi à d’autres activités sociales se déroulant du 13 au 16 août 2003, entre autres à un cocktail de bienvenue offert par le club de golf en début de soirée, soit de 16 heures à 20 heures.

[34] La délégation de la BFC Gagetown a quitté la base pour le tournoi de golf dans un fourgon grand volume. En faisaient partie, le sergent Wilson, le soldat ou artisane Gillis, le caporal-chef Bartlett, le caporal Brostowski, le caporal Rumbolt et le caporal MacMullin. Ils n’étaient pas de service. L’unité avait pris en charge leur déplacement : elle leur fournissait le véhicule et une carte de crédit pour leurs frais de carburant. Elle leur avait également donné de l’argent pour deux repas à l’aller et deux au retour. Les participants ont assumé leurs frais d’hébergement et de nourriture. Leurs droits d’entrée ont été partiellement pris en charge. Ils n’ont pas rempli de formulaire de ST à leur retour à Borden.

[35] D’après la preuve, le tournoi revêtait un caractère participatif et non compétitif. À leur arrivée à Barrie, près de la BFC Borden, la délégation s’est arrêtée dans un magasin de bières et a acheté deux caisses de 24 bouteilles. D’après la preuve, ces caisses ont été payées par le caporal Rumbolt et le caporal MacMullin.

[36] Le lieutenant Cahill, qui était alors officier intérimaire des opérations à la compagnie de maintenance des Services techniques de Gagetown, était aussi censé participer au tournoi, mais contrairement aux autres participants de Gagetown, il était en service temporaire à Borden. Le lieutenant Cahill s’est rendu à Borden en avion pour assister à la réunion du conseil d’administration du GEM, le 13 août 2003. Le tournoi rassemblait des participants venus de tout le Canada. Il s’agissait d’une activité approuvée par l’armée, mais personne ne portait l’uniforme pendant la fin de semaine.

[37] Dans l’après-midi du 13 août 2003, le caporal MacMullin, le caporal-chef Bartlett, et le caporal Brostowski ont joué au golf pendant plusieurs heures sur le terrain d’exercice. Ensuite, ils se sont rendus à leurs quartiers pour y prendre une douche et se sont présentés au cocktail de bienvenue à 16 heures ils ont retrouvé le caporal Rumbolt, le soldat Gillis, ainsi que d’autres personnes avec lesquelles ils ont bavardé.

Page 7 de 20 [38] Au cocktail de bienvenue, ils sont passés d’un groupe à l’autre, de l’intérieur à l’extérieur du chalet. Le caporal Brostowski n’a pas bu d’alcool pendant le cocktail, et il a peut-être bu une bière au souper.

[39] Le caporal-chef Bartlett a assisté au cocktail de bienvenue de 17 heures à 18 heures, il y a bu trois ou quatre bières. Le caporal Rumbolt a commencé à boire de l’alcool dès 14 heures, cet après-midi-là, c'est-à-dire avant le cocktail. Une centaine de personnes assistaient à la fête; seule le soldat Gillis déclare qu’il y avait moins de monde, de 30 à 40 personnes.

[40] Après la réunion du conseil d’administration du GEM, qui a eu lieu le 13 août 2003, le lieutenant Cahill s’est rendu au cocktail de bienvenue et a bavardé avec différentes personnes, y compris avec les membres de la délégation de la BFC Gagetown. Il est arrivé entre 17 h 30 et 18 heures.

[41] Pendant la fête, le caporal Brostowski a parlé à quelques reprises avec le caporal MacMullin sur le balcon du chalet, où, par ailleurs, il a remarqué quelques élèves qui chahutaient. On a vu le caporal MacMullin boire de la bière à cet endroit. Bien qu’à l’époque, il ne connaissait pas le caporal Brostowski, il a été témoin d’un échange entre le lieutenant Cahill et quelques élèves; le caporal Brostowski a cru comprendre que le lieutenant les réprimandait.

[42] Le caporal-chef Bartlett a confirmé cet incident et ajouté que le lieutenant Cahill faisait savoir à ses interlocuteurs qui il était. Le lieutenant Cahill a affirmé que, peu après son arrivée au cocktail de bienvenue, informé par le soldat Gillis des critiques et des propos sexistes offensants que lui avait adressés un certain caporal Moss, il avait critiqué le comportement de quelques personnes se trouvant sur le balcon. On n’a pas demandé au soldat Gillis de confirmer cet incident lors de son témoignage. On ne sait pas exactement si le caporal MacMullin était à ce moment précis et s’il prêtait attention.

[43] D’après la preuve, le lieutenant Cahill a notamment parlé au caporal Rumbolt et au caporal-chef Bartlett pendant le cocktail. Le lieutenant Cahill a témoigné que le caporal-chef Bartlett ou le caporal Rumbolt lui avait présenté le caporal MacMullin seulement quelques heures après son arrivée à la fête, après quoi ils ont parlé de hockey. Le caporal Rumbolt ne se souvient pas de cet épisode et le caporal-chef Bartlett n’a fait aucun commentaire à ce propos.

[44] Entre 19 h 30 et 20 heures, le caporal MacMullin, le lieutenant Cahill, le caporal Brostowski, le soldat Gillis, le caporal Rumbolt et le caporal-chef Bartlett, qui n’étaient pas forcément ensemble à ce moment, ont décidé de quitter le cocktail de bienvenue dans le fourgon grand volume et d’aller en ville après avoir pris une douche et s’être changés.

Page 8 de 20 [45] Le caporal MacMullin a déclaré qu’il parlait avec le lieutenant Cahill et le caporal Rumbolt pendant qu’ils se dirigeaient vers le fourgon dans le parc de stationnement pour quitter le cocktail. Il a précisé qu’à ce moment, il ne connaissait pas le lieutenant Cahill et ne savait pas qui il était.

[46] Pendant cette brève rencontre, le lieutenant Cahill a fait une remarque désobligeante sur le soldat Gillis. Le caporal MacMullin a déclaré qu’il avait ensuite dit au lieutenant Cahill qu’il ne voulait pas entendre de tels commentaires parce qu’il avait ou avait eu une liaison avec elle. Selon le caporal MacMullin, le lieutenant Cahill s’est immédiatement excusé. Le lieutenant Cahill a nié avoir tenu de tels propos; le caporal Rumbolt n’a pas fait de commentaire à ce sujet.

[47] Le fourgon a ensuite quitté le parc de stationnement avec à son bord toutes les personnes indiquées. Il était prévu de déposer en premier le soldat Gillis à une habitation privée, qui se trouvait à Angus, à environ cinq minutes de la BFC Borden, après quoi, les autres devaient aller aux quartiers pour se doucher et se changer comme je l’ai dit.

[48] Le soldat Gillis et le sergent Wilson étaient hébergés par des amis de ce dernier pour la durée du tournoi. Le caporal Brostowski a été désigné pour conduire, car il était apparemment le seul à bord à n’avoir pas bu. Ils étaient tous en état d’ébriété, à des degrés divers, mais le caporal Rumbolt et le soldat Gillis étaient tous les deux ivres. Les autres avaient consommé quatre ou cinq bières pendant le cocktail de bienvenue et étaient simplement éméchés. Dans son témoignage, l’accusé a affirmé qu’il avait quant à lui consommé entre six et huit bières. Quant au caporal Rumbolt, il a témoigné qu’il avait bu une vingtaine de bières entre 14 heures et le moment le groupe a quitté le cocktail de bienvenue.

[49] Examinons maintenant ce que la Cour appelle le plan d’occupation des sièges. Selon le lieutenant Cahill, pendant le court trajet vers la maison était hébergée le soldat Gillis, le caporal Brostowski conduisait, le caporal Rumbolt occupait le siège passager avant, le caporal-chef Bartlett était assis sur la deuxième rangée, derrière le conducteur et lui-même, derrière Rumbolt, le soldat Gillis était assise derrière lui et le caporal MacMullin, à gauche de cette dernière.

[50] Les souvenirs du caporal MacMullin divergent légèrement, car celui-ci a déclaré qu’il était assis derrière le lieutenant Cahill.

[51] Le caporal Brostowski avait une version différente. Il a déclaré que le caporal MacMullin était assis sur le siège passager avant, le soldat Gillis, derrière le caporal MacMullin et à côté du caporal-chef Bartlett. Toujours selon le caporal Brostowski, le lieutenant Cahill était assis à la troisième rangée, derrière Bartlett, le caporal Rumbolt étant à sa gauche.

Page 9 de 20 [52] Le caporal-chef Bartlett a donné, pour sa part, une autre version de l’occupation des sièges. Le caporal MacMullin occupait le siège passager avant et Rumbolt était derrière lui. Le lieutenant Cahill était assis derrière Rumbolt. De l’autre côté, le caporal Brostowski était au volant.

[53] Il est clair que les témoins n’ont pas vraiment fait attention à la place qu’ils occupaient dans le fourgon. Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, leurs contradictions ne sont ni importantes ni préjudiciables à l’instruction de cette affaire.

[54] À l’arrivée du véhicule à la maison privée, le soldat Gillis en est sortie et s’est dirigée vers la maison. Elle a constaté que celle-ci était fermée à clés. Le fourgon était alors sur le point de partir. Le caporal MacMullin, se rendant compte de la situation, a proposé au caporal Brostowski d’arrêter le véhicule et de reculer de quelques pieds. Le caporal MacMullin est sorti du véhicule et s’est dirigé vers le soldat Gillis pour lui parler. Il a essayé de la convaincre de retourner avec eux. À ce moment, MacMullin et Gillis se tenaient près de la clôture.

[55] D’après le caporal MacMullin, le soldat Gillis voulait attendre en face du porche en buvant de la bière, mais lui, estimait que ce n’était pas une bonne idée, car elle était ivre et se trouvait dans un quartier qu’elle ne connaissait pas.

[56] Le caporal Brostowski, le lieutenant Cahill et le caporal-chef Bartlett ont remarqué que le caporal MacMullin et le soldat Gillis étaient en train de se disputer. Ils parlaient fort, et le soldat Gillis en particulier gesticulait. Même s’ils n’entendaient pas ce qu’ils se disaient, ils comprenaient qu’elle voulait qu’il la laisse seule. Pendant ce temps, le caporal Rumbolt a sauté par-dessus la clôture et en a ouvert la porte.

[57] Selon le caporal Brostowski, le soldat Gillis a alors fait le tour de la maison et y est entrée. On l’a ensuite vue sortir de la maison par la porte en avant. Au souvenir du caporal-chef Bartlett, c’est le caporal Rumbolt qui avait déverrouillé la porte principale pendant que le caporal MacMullin et le soldat Gillis étaient en train de se disputer. Le caporal Rumbolt a témoigné qu’il avait alors vu MacMullin et Gillis se disputer. Il a ajouté que c’est à cet endroit qu’il avait saisi le soldat Gillis pour tenter de l’éloigner une première fois.

[58] Le lieutenant Cahill a déclaré que, ne sachant pas à ce moment que le caporal MacMullin et le soldat Gillis avaient eu récemment une liaison, il avait décidé d’intervenir pour les maîtriser. Le lieutenant Cahill se trouvait alors aussi à l’extérieur du fourgon. Il a demandé au caporal MacMullin de revenir au fourgon et, après un bref échange de propos, le caporal MacMullin est allé s’asseoir sur le siège passager avant.

[59] Pendant ce temps, le soldat Gillis continuait à crier, à hurler et à vociférer. Plus elle criait, plus le caporal MacMullin se fâchait. Peu après, le caporal

Page 10 de 20 MacMullin est retourné au fourgon et s’est assis sur le siège passager avant. Comme l’ont dit le caporal Brostowski et le caporal-chef Bartlett, à ce moment, tout avait l’air d’aller bien, même si le soldat Gillis était encore contrariée.

[60] Une fois à l’intérieur du véhicule, le caporal MacMullin a ouvert une canette ou une bouteille de bière et s’est mis à boire, semble-t-il pour se calmer. La porte coulissante droite du fourgon était ouverte. Le caporal MacMullin a dit qu’il avait pris sa bière dans une caisse de bière située entre les deux sièges avant. Selon le caporal-chef Bartlett, il s’agissait d’un emballage de six, qui se trouvait entre les deux sièges avant. Le caporal Brostowski a témoigné qu’il ne savait pas d’où venait la bière.

[61] Le lieutenant Cahill se rappelle qu’il a ensuite demandé au caporal MacMullin de ne pas boire de la bière dans un véhicule du ministère de la Défense nationale (MDN), de la jeter ou qu’il lui a dit quelque chose du genre. Il ne sait plus si, ensuite, il a saisi la bière ou si le caporal MacMullin l’a jetée, mais il a déclaré que la bière avait fini par terre. D’après Cahill, le caporal MacMullin, de plus en plus énervé, lui a demandé : [TRADUCTION] « Tabarnak, pour qui est-ce que tu te prends? » ou quelque chose de ce genre. Le lieutenant Cahill a répondu : [TRADUCTION] « Je fais partie de votre chaîne de commandement, je suis le lieutenant Cahill, officier intérimaire des opérations à la compagnie de maintenance » ou quelque chose de similaire. À ce moment, le lieutenant Cahill a cru comprendre que le caporal MacMullin lui disait : [TRADUCTION] « J’en ai rien à foutre de ce que vous êtes », tout en cherchant à sortir du fourgon.

[62] Le lieutenant Cahill l’a repoussé pour qu’il reste à l’intérieur. On ne sait pas si à ce moment le caporal Rumbolt se trouvait entre la porte et le lieutenant Cahill; en tout cas, cette version est corroborée par le caporal Brostowski et, dans une certaine mesure, par le caporal-chef Bartlett et le caporal MacMullin. Bien que le caporal Brostowski et le caporal-chef Bartlett avaient retenu le caporal MacMullin par les épaules, ce dernier a réussi à sortir du véhicule.

[63] Cette version des faits est totalement corroborée par le caporal-chef Bartlett et le caporal Brostowski, à la nuance près que le caporal Brostowski se rappelle avoir entendu le lieutenant Cahill répété son identité deux fois, et non une, pendant qu’il était assis dans le fourgon derrière le caporal MacMullin, juste avant qu’il ne sorte du fourgon par la porte coulissante et aille jusqu’à la porte passagère avant; le caporal Rumbolt s’est alors placé entre la porte et le lieutenant Cahill. En outre, le caporal Brostowski se souvient d’avoir entendu le caporal MacMullin dire au lieutenant Cahill : « Je te tuerai », tout en essayant de sortir du fourgon.

[64] Pendant cette scène, le caporal Brostowski aurait essayé de désamorcer la situation en suggérant au lieutenant Cahill de laisser le caporal MacMullin boire sa bière et se calmer, puisqu’il ne quitterait pas les lieux. Le lieutenant Cahill aurait insisté pour régler la situation à sa façon ou n’aurait pas écouté. Cette version ne contredit pas

Page 11 de 20 la preuve établissant qu’il y a eu une dispute et que l’atmosphère était tendue et explosive.

[65] La version du caporal MacMullin diffère sur la question de savoir si le lieutenant Cahill lui a dit qu’il était officier et sur l’enchaînement des événements subséquents. Le caporal MacMullin a déclaré qu’il s’était rassis sur le siège passager avant, et qu’ensuite le lieutenant Cahill était sorti du fourgon et lui avait dit de se tenir tranquille et de rester sur ce siège.

[66] Le caporal MacMullin a déclaré qu’à ce moment il ne savait pas que le lieutenant Cahill était un officier parce qu’il ne l’avait rencontré que quelques minutes avant de quitter le cocktail et qu’on ne le lui avait pas présenté, du moins officiellement. Pendant que le caporal MacMullin était assis sur le siège passager avant et que le lieutenant Cahill lui donnait des ordres, le caporal MacMullin parlait au caporal Brostowski des mesures à prendre pour régler la situation; le caporal MacMullin a déclaré que c’est à ce moment qu’il a pris une bière dans la caisse située entre les deux sièges avant et l’a ouverte. Le lieutenant Cahill lui a alors enjoint de ranger cette bière, tandis que le caporal Brostowski suggérait à Cahill de permettre au caporal MacMullin de la boire.

[67] Le caporal MacMullin a alors vu le soldat Gillis s’approcher et essayer d’entrer dans le fourgon par la porte latérale tandis que le lieutenant Cahill s’obstinait à lui dire de ne pas boire de bière dans le fourgon. Le caporal MacMullin a alors jeté la bière sur la pelouse. Le soldat Gillis continuait à hurler et à crier contre le caporal MacMullin et le caporal Rumbolt la retenait à une distance de 15 à 20 pieds du fourgon.

[68] Le caporal MacMullin a dit à Brostowski qu’il était le seul à pouvoir la calmer, mais qu’il partait. Comme il essayait de sortir du fourgon, le lieutenant Cahill l’en a empêché. Ils se sont poussés si bien qu’une jambe du caporal MacMullin s’est trouvée en partie à l’extérieur du fourgon. Finalement, le caporal MacMullin a réussi à sortir, le soldat Gillis se tenait à droite.

[69] Une fois sorti, le caporal MacMullin se trouvait sur le côté du fourgon, et le lieutenant Cahill l’a saisi au collet tout en continuant à pousser la porte sur lui pour la refermer. Le caporal MacMullin a réussi à sortir du véhicule et quand il a eu les deux pieds à l’extérieur, de la main gauche, il a saisi le lieutenant Cahill au visage et l’a repoussé. Pendant ce temps, Brostowski était resté assis sur le siège du conducteur et Bartlett, sur le siège arrière. Rumbolt se trouvait entre MacMullin et Cahill; Gillis, qui était derrière Rumbolt, se rapprochait de la voie d’accès à la maison.

[70] Le caporal MacMullin se souvient que le lieutenant Cahill a alors reculé et que le caporal MacMullin s’est dirigé vers l’arrière du fourgon le soldat Gillis se lève et l’attaque. Rumbolt l’a tirée vers l’arrière, et tous deux sont tombés. Le

Page 12 de 20 caporal MacMullin, saisissant sa casquette de golf, a déclaré qu’il partait; sur ce, le lieutenant Cahill a traversé la pelouse dans sa direction. Le caporal MacMullin lui a dit de rester il se trouvait et a répété qu’il s’en allait, parce que c’était la seule manière de calmer le soldat Gillis.

[71] Selon le caporal MacMullin, le lieutenant Cahill a continué à avancer vers lui et, ne sachant pas ce que le lieutenant allait faire et pensant à ce que celui-ci venait de lui faire, de la main gauche, il l’a frappé au visage. Ensuite, il est parti et a suivi la route pour rejoindre la base il a rencontré le caporal Duffy, membre de la police militaire, qui se trouvait dans son véhicule de patrouille.

[72] Le caporal MacMullin a témoigné qu’il n’avait appris ou ne s’était rendu compte que la personne avec laquelle il avait eu une altercation était officier que lorsque le caporal Duffy le lui avait dit, le soir en question. Ce témoignage n’est pas corroboré par le caporal Duffy et ne peut être déduit de la preuve, laquelle établit plutôt le contraire.

[73] Le lieutenant Cahill a nié avoir saisi le caporal MacMullin au collet. Au contraire, d’après lui, c’est le caporal MacMullin qui, après avoir réussi à sortir du fourgon, l’a saisi au visage et lui a enfoncé le doigt ou le pouce dans l’œil. Le lieutenant Cahill se souvient de l’avoir repoussé.

[74] En réaction, le caporal MacMullin a commencé à frapper le lieutenant Cahill au visage à quatre ou cinq reprises. En reculant le lieutenant a demandé au caporal d’arrêter et il a fait demi-tour. Le caporal MacMullin l’a alors attaqué par derrière et lui a donné deux ou trois coups derrière la tête. Avec l’aide des autres personnes, le lieutenant Cahill s’est alors rendu jusqu’au porche de la maison. Il a déclaré qu’il était alors étourdi par le choc.

[75] Le caporal Brostowski, qui, selon les témoignages, était le seul à n’avoir pas bu, était resté assis sur le siège du conducteur. D’après lui, c’est le caporal MacMullin qui, à sa sortie du fourgon, a violemment saisi le visage du lieutenant Cahill et l’a bousculé. À aucun moment, Brostowski n’a vu Cahill frapper MacMullin.

[76] Alors que le lieutenant Cahill revenait vers MacMullin, ce dernier lui a donné un coup de poing. Le caporal Brostowski se souvient que le caporal-chef Bartlett se trouvait encore dans le fourgon au début de cette scène. Selon le caporal Brostowski, c’est à ce moment que le soldat Gillis s’est précipitée sur le caporal MacMullin à grands cris et les bras en l’air. Le caporal Brostowski s’est alors rendu compte que la situation échappait à tout contrôle et il s’est élancé vers une maison et a demandé à un voisin d’appeler la police. Ensuite, il est revenu et a vu Rumbolt tenter de maîtriser Gillis tandis que Bartlett essayait de faire entrer Cahill dans la maison. À ce moment, Cahill

Page 13 de 20 persistait à vouloir régler l’affaire et semblait essayer de retourner vers le caporal MacMullin. Le caporal Brostowski savait que cela ne mènerait à rien.

[77] Le caporal-chef Bartlett ne se souvient pas que le caporal Brostowski ait tenté d’apaiser la situation entre Cahill et MacMullin. Toutefois, à l’instar du caporal Brostowski, il affirme qu’il se trouvait encore dans le fourgon au moment le caporal MacMullin essayait d’en sortir. D’après le caporal-chef Bartlett, le caporal MacMullin a ouvert la porte et a immédiatement essayé de frapper le lieutenant Cahill à hauteur des yeux. Le caporal MacMullin a ensuite assené au lieutenant Cahill des coups de poing, au moins trois, au visage et peut-être des coups sur le corps. Après le premier coup, le caporal-chef Bartlett est sorti du fourgon et il a vu le soldat Gillis se remettre à crier, hystérique et déchaînée.

[78] Ce faisant, le soldat Gillis a couru vers le caporal MacMullin pour essayer de l’atteindre. Elle a été retenue par le caporal Rumbolt. Bien qu’elle ait peu de souvenirs de l’incident, le soldat vient corroborer cette version des faits lorsqu’elle affirme que c’est après le premier coup porté à Cahill qu’elle s’est précipitée vers le caporal MacMullin pour qu’il arrête.

[79] Pour en revenir au caporal-chef Bartlett, ce dernier ajoute que c’est après le troisième coup qu’il a saisi le lieutenant Cahill et essayé de l’entraîner vers la maison, car il croyait que le lieutenant était en danger. Cette déclaration est compatible et corrobore dans une grande mesure les versions du caporal Brostowski et du lieutenant Cahill.

[80] Après un examen attentif des différentes versions des événements et de celle du caporal MacMullin, pour déterminer si le lieutenant Cahill avait fait mention de son grade de supérieur et si, pour ce qui est de la suite des événements, pendant l’altercation le lieutenant Cahill aurait été l’agresseur en saisissant le caporal MacMullin au collet, la Cour conclut que, sur ces points essentiels, la version du caporal MacMullin n’est ni corroborée ni étayée et qu’elle est de plus incohérente. Non seulement elle ne correspond pas à l’ensemble des éléments de preuve que la Cour considère comme plausibles, pertinents et recevables, mais elle les contredit. En revanche, la Cour considère comme plausibles et cohérents les témoignages indiquant que le caporal Brostowski a vraiment tenté de désamorcer la situation.

[81] Examinons maintenant la suite des événements. Peu après qu’on eut amené le lieutenant Cahill à l’intérieur de la maison, la police provinciale de l’Ontario est arrivée sur les lieux suivie de peu par la police militaire. Comme le lieutenant Cahill avait un œil qui saignait, le caporal Brostowski l’a alors conduit dans un hôpital civil à Orillia on lui a appliqué un onguent et un pansement oculaire, à la suite de quoi, on l’a renvoyé à la base en attendant une consultation avec un ophtalmologiste. Le lieutenant Cahill a vu ce spécialiste le lendemain.

Page 14 de 20 [82] Pendant la consultation, on lui a fait deux ou trois points de suture sur une petite coupure à la paupière et on l’a opéré, car il fallait insérer un drain dans l’un de ses canaux lacrymaux. Il a passé la nuit à l’hôpital vu qu’il y a eu une panne générale d’électricité qui a eu lieu le 14 août 2003 dans cette région.

[83] À environ 17 heures, le 15 août 2003, le photographe de service de la BFC Borden a pris des photos du lieutenant Cahill. Certaines de ces photos constituent les pièces 3 à 6. Le 19 août 2003, le lieutenant Cahill a vu la docteure Ramsey, médecin généraliste travaillant à la SEM de la BFC Gagetown SEM, pour un suivi, car la déchirure s’était rouverte à la suite d’un éternuement. La docteure l’a adressé au docteur Purdy, qui lui, l’a adressé au docteur Notfall, spécialiste de la chirurgie du canal lacrymal. Le lieutenant Cahill a subi une seconde opération la troisième semaine de septembre 2003.

[84] Voilà qui conclut l’examen de la preuve communiquée à la Cour. [85] Je vais maintenant me pencher sur les éléments de l’infraction relatifs au premier chef d’accusation, que la poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable, à savoir :

Premièrement, l’identité de l’accusé, le caporal MacMullin; Deuxièmement, la date et le lieu de l’infraction, soit le 13 août 2003 ou vers cette date, aux environs d’Angus, en Ontario;

Troisièmement, le fait que l’accusé ait donné un coup de poing au lieutenant S.F. Cahill, matricule N78 528 383;

Quatrièmement, le fait que la victime du coup était un supérieur, en l’occurrence la victime présumée est le lieutenant Cahill;

Cinquièmement, le fait que l’accusé savait que le lieutenant Cahill était un supérieur;

Sixièmement, le fait que l’accusé avait une intention coupable de recourir à la violence.

[86] Voici les éléments de l’infraction relatifs au second chef d’accusation, que la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable :

Premièrement, l’identité de l’accusé, soit le caporal MacMullin; Deuxièmement, la date et le lieu de l’infraction, soit le 13 août 2003 ou vers cette date, aux environs d’Angus, en Ontario;

Page 15 de 20 Troisièmement, le fait que l’accusé a usé de la force envers le lieutenant S.F. Cahill, matricule N78 528 383;

Quatrièmement, le lien de cause à effet entre les voies de fait et les lésions corporelles.

[87] Comme je l’ai dit plus tôt, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments constitutifs de chaque infraction. L’accusé n’a pas à prouver quoi que ce soit.

[88] En l’espèce, la nature de la preuve oblige la Cour à se prononcer sur la crédibilité des différents témoins, et il ne s’agit pas de se contenter de choisir entre la version de l’accusé ou celle des témoins.

[89] Penchons-nous d’abord sur la situation du caporal MacMullin. Au moment de l’incident, le caporal MacMullin avait les facultés légèrement affaiblies par l’effet de l’alcool. Il a reconnu avoir bu six à huit bières pendant le cocktail de bienvenue. La Cour estime que, de façon générale, son témoignage est compatible avec les éléments de preuve qui ne revêtent aucune importance ou ceux qui ont une faible incidence sur lui. Toutefois, la Cour ne peut prêter foi à son témoignage lorsqu’il affirme qu’il ne savait pas qui était le lieutenant Cahill. Bien que la Cour puisse avoir un doute raisonnable quant au fait que, pendant le cocktail, le lieutenant Cahill n’avait pas explicitement et pleinement informé le caporal MacMullin qu’il était officier ou au fait que ce dernier avait vu et entendu le lieutenant Cahill réprimander des élèves sur le balcon, la Cour ne croit pas l’accusé lorsqu’il déclare que le lieutenant Cahill ne lui avait jamais dit qu’il était officier quand ce dernier lui a ordonné de ne pas boire de bière dans le véhicule. Les témoignages de Cahill, Brostowski et Bartlett sont incontestables sur ce point.

[90] Selon ces témoignages, lorsque le caporal MacMullin, de plus en plus énervé, a demandé au lieutenant Cahill : [TRADUCTION] « Tabarnak, pour qui est-ce que tu te prends? » ou quelque chose de ce genre, le lieutenant Cahill a répondu : [TRADUCTION] « Je fais partie de votre chaîne de commandement, je suis le lieutenant Cahill, officier intérimaire des opérations à la compagnie de maintenance » ou quelque chose de similaire. À ce moment, le lieutenant Cahill a cru comprendre que le caporal MacMullin lui disait : [TRADUCTION] « J’en ai rien à foutre de ce que vous êtes », tout en cherchant à sortir du fourgon.

[91] Il est très clair que le caporal MacMullin savait alors que le lieutenant Cahill était un officier et qu’il connaissait aussi son grade et sa position dans la chaîne de commandement. En outre, il découle très clairement de ces témoignages, largement corroborés, qu’il importait peu au caporal MacMullin que le lieutenant Cahill était un

Page 16 de 20 officier. Cela n’avait aucune influence sur sa perception de la situation. Il était extrêmement contrarié.

[92] Par ailleurs, le souvenir que conserve le caporal MacMullin de son altercation avec le lieutenant Cahill n’est pas plausible et il est contredit par des témoignages corroborés et dignes de fois, mais la Cour considère comme plausible sa version des événements portant sur la tentative du caporal Brostowski de désamorcer la situation entre le caporal MacMullin et le lieutenant Cahill à propos de la consommation de bière dans le fourgon.

[93] Le caporal MacMullin déclare que le lieutenant Cahill l’a attaqué quand ce dernier l’a saisi au collet. Il soutient qu’il a repoussé le lieutenant pour se défendre. Le caporal MacMullin ajoute que c’est au moment il prenait sa casquette de golf et quittait les lieux qu’il a vu le lieutenant Cahill traverser la pelouse dans sa direction. Le caporal MacMullin a déclaré qu’il avait alors dit au lieutenant de rester il était et qu’il lui avait répété qu’il partait car c’était la seule façon dont le soldat Gillis arriverait à se calmer.

[94] Selon le caporal MacMullin, le lieutenant Cahill a continué à avancer vers lui et, ne sachant pas ce que le lieutenant allait faire et pensant à ce que celui-ci venait de lui faire, de la main gauche, il l’a frappé au visage. Ensuite il est parti et a paisiblement marché le long de la route. Le caporal MacMullin soutient qu’il n’a agi de la sorte que pour se protéger.

[95] Compte tenu de l’ensemble des autres témoignages, et plus particulièrement de ceux du caporal Brostowski, du lieutenant Cahill et du caporal-chef Bartlett relatifs à la description de l’empoignade entre le lieutenant Cahill et le caporal MacMullin, ainsi que du témoignage du soldat Gillis sur la question précise de savoir comment et pourquoi elle a attaqué le caporal MacMullin après que celui-ci eut assené un premier coup au lieutenant Cahill, la Cour ne croit pas l’accusé sur ce point.

[96] Les témoignages de Cahill, Brostowski et Bartlett, pris individuellement ou globalement, donnent une description cohérente et logique des événements. La Cour conclut que le témoignage du caporal MacMullin selon lequel il affirme d’une part qu’il ne savait pas que le lieutenant Cahill était un supérieur et, d’autre part, qu’il agissait en légitime défense, n’est ni plausible ni corroboré par l’ensemble des témoignages. La Cour ne croit pas le caporal MacMullin et n’a aucun doute raisonnable quant au témoignage de ce dernier.

[97] Passons au caporal Rumbolt. Ce dernier a reconnu qu’il était ivre pendant l’incident. Il a déclaré qu’il avait bu une vingtaine de bières entre 14 heures et le départ du groupe, ou plutôt le moment le groupe a quitté le cocktail dans le fourgon pour se rendre à Angus. On a dit qu’il titubait. Il a témoigné avec honnêteté et sincérité. Étant donné son état d’ivresse avancé, ses souvenirs ne sont pas des plus

Page 17 de 20 clairs, mais ceux concernant la scène du saut par dessus la clôture et la démarche entreprise pour maîtriser le soldat Gillis sont pour la plupart logiques et corroborés par les témoignages du caporal Brostowski et du caporal-chef Bartlett. En l’absence d’une telle corroboration, le témoignage du caporal Rumbolt n’aurait pas été fiable vu son état d’ivresse avancé.

[98] Quant au caporal Brostowski, c’est un témoin clé. C’est le seul témoin de la scène qui n’avait pas bu. Sa sobriété a été confirmée. Il a témoigné de son mieux pour se rendre utile et avec politesse. Ses réponses étaient précises. Lors du contre-interrogatoire, il a immédiatement admis qu’un peu avant le procès, il avait dit à l’accusé que cet incident le dérangeait parce qu’il le privait d’une affectation à Haïti. Aucun élément ne permet de soutenir le moindrement qu’il aurait menti à cette cour pour se venger de l’accusé.

[99] Examinons maintenant la situation du caporal-chef Bartlett. Celui-ci connaissait le lieutenant Cahill le 13 août 2003 et savait qu’il faisait partie de sa chaîne de commandement. Pendant le cocktail, il a consommé au moins quatre bières en ressentant un effet mais il n’était pas ivre. Lui aussi, a témoigné de façon claire et ouverte. Il a répondu aux questions de son mieux et ne s’est montré ni évasif ni hésitant. Son témoignage était logique et cohérent, en soi et par rapport aux autres. Il a été largement corroboré par les témoignages du lieutenant Cahill et du caporal Brostowski. La Cour en conclut que c’est un témoin digne de foi.

[100] Le lieutenant Cahill, pour sa part n’était pas sobre pendant ces événements, car, au cocktail, il avait bu quatre ou cinq bières en moins de deux heures. Il a témoigné de façon franche et claire. On pourrait arguer qu’il a mal évalué ou mal géré la situation lorsque le caporal MacMullin s’est ouvert une bière dans le fourgon, et qu’il s’exposait alors certainement, à la lumière des remarques faites par le caporal Brostowski à une réaction excessive du caporal MacMullin. Ce n’est pas la question à trancher, en tout cas, cet élément n’est d’aucune utilité pour évaluer la crédibilité du lieutenant Cahill et la fiabilité de son témoignage devant la présente cour. La Cour conclut que le lieutenant Cahill est digne de foi et que l’ensemble de son témoignage est cohérent et logique, en soi et par rapport à ceux du Caporal Brostowski et du caporal-chef Bartlett.

[101] Quant au soldat Gillis, au moment des faits, elle était ivre, peut-être encore plus que le caporal Rumbolt. Par ailleurs, elle avait vécu une relation difficile avec le caporal MacMullin. Il ne fait aucun doute qu’elle a eu pas mal de problèmes de consommation d’alcool et de comportement ces dernières années; c’est d’ailleurs ce qu’elle a avoué lorsqu’elle a répondu aux questions de l’avocat de la défense.

[102] La preuve établit que, le 13 août 2003, le soldat Gillis était ivre et qu’en outre elle avait perdu toute maîtrise d’elle-même. Elle a été accusée et déclarée coupable d’agression par son commandant à l’endroit du caporal MacMullin.

Page 18 de 20 [103] Devant la Cour, elle est apparue comme une personne émotivement fragile et extrêmement mal à l’aise. Ses souvenirs, peu nombreux, étaient nébuleux. Néanmoins, malgré son embarras, elle a témoigné avec honnêteté et au mieux de sa connaissance. La Cour retient un élément important de son témoignage : elle a été estomaquée en voyant le caporal MacMullin porter un premier coup au lieutenant Cahill. La confrontation du témoignage du soldat Gillis avec ceux du caporal Brostowski, du caporal-chef Bartlett, du lieutenant Cahill et, dans une certaine mesure, celui du caporal Rumbolt, permet à la Cour de conclure que le soldat est digne de foi et que son témoignage est relativement fiable.

[104] Finalement, examinons les dépositions du caporal Duffy et de la docteure Ramsey. Tous deux ont témoigné avec honnêteté et précision; aussi, leur crédibilité ne pose pas de problème.

[105] Voilà qui complète mes observations sur la crédibilité de tous les témoins qui ont comparu devant la présente cour et la fiabilité de leurs témoignages.

[106] Deux questions se posent relativement au premier chef d’accusation : Premièrement, le coup de poing que le caporal MacMullin a porté au lieutenant Cahill était-il motivé autrement que par la légitime défense?

Deuxièmement, le caporal MacMullin savait-il que le lieutenant Cahill était un supérieur lorsqu’il l’a frappé?

[107] Eu égard à l’ensemble des éléments de preuve retenus par la Cour, il faut répondre affirmativement aux deux questions. Comme je l’ai déjà dit, la Cour ne croit pas l’accusé lorsqu’il déclare qu’à aucun moment, le lieutenant Cahill ne lui a fait savoir qu’il était officier quand il lui a demandé de ne pas boire de bière à l’intérieur du véhicule. Les témoignages de Cahill, Brostowski et Bartlett sont clairs, et je le répète, ils établissent que lorsque le caporal MacMullin, de plus en plus énervé, a demandé au lieutenant Cahill : [TRADUCTION] « Tabarnak, pour qui est-ce que tu te prends? » ou quelque chose de ce genre, le lieutenant Cahill a répondu : [TRADUCTION] « Je fais partie de votre chaîne de commandement, je suis le lieutenant Cahill, officier intérimaire des opérations à la compagnie de maintenance » ou quelque chose de similaire. À ce moment, le lieutenant Cahill a cru comprendre que le caporal MacMullin lui disait : [TRADUCTION] « J’en ai rien à foutre de ce que vous êtes », tout en cherchant à sortir du fourgon.

[108] Il est très clair que le caporal MacMullin savait alors que le lieutenant Cahill était un officier et qu’il connaissait aussi son grade et sa position dans la chaîne de commandement. En outre, il découle très clairement de ces témoignages, largement corroborés, qu’il importait peu au caporal MacMullin que le lieutenant Cahill était un

Page 19 de 20 officier. Cela n’avait aucune influence sur sa perception de la situation. Il était extrêmement contrarié.

[109] Le fait que les membres du groupe n’étaient pas de service et ne portaient pas l’uniforme n’est pas pertinent. Du fait de la simple application des articles 2 et 21 de la Loi sur la défense nationale et de la colonne I de l’annexe à la Loi, un officier titulaire du grade de lieutenant est en permanence le supérieur d’un militaire du rang titulaire du grade de caporal.

[110] En ce qui concerne la nature des actes commis par le caporal MacMullin, la preuve retenue par la Cour permet d’établir que ce dernier a le premier attaqué le lieutenant Cahill en le saisissant au visage et en le poussant, ce qui a occasionné à ce dernier une blessure à un œil. Les témoignages du lieutenant Cahill et de la docteure Ramsey, de même que les pièces 3 à 6, prouvent hors de tout doute raisonnable que cette blessure à l’œil constitue une « lésion corporelle » au sens du Code criminel, à savoir une blessure qui nuit à la santé ou au bien-être du lieutenant Cahill et qui n'est pas de nature passagère ou sans importance.

[111] Le lieutenant Cahill a donc repoussé le caporal MacMullin après que ce dernier l’eut saisi. Le lieutenant a frappé le caporal au moins trois fois selon son propre témoignage et ceux du caporal Brostowski et du caporal-chef Bartlett, qui présentent de légères divergences quant au nombre exact de coups que le caporal MacMullin a portés à la tête du lieutenant Cahill. Cependant, dans le contexte de la présente affaire, elles sont sans importance.

[112] Il est aussi établi que le caporal MacMullin n’agissait pas en légitime défense contre une attaque, sans provocation de sa part, ou même illégale, par le lieutenant Cahill, au sens de l’article 34 du Code criminel.

[113] Pour conclure, il est établi hors de tout doute raisonnable que le caporal MacMullin a frappé à plusieurs reprises le lieutenant Cahill. Comme je l’ai déjà dit, la Cour ne croit pas le caporal MacMullin relativement aux questions en litige et le témoignage qu’il a déposé ne laisse subsister aucun doute. En outre, se fondant sur les éléments de preuve qu’elle juge plausibles et fiables, la Cour est convaincue hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé relativement au premier chef d’accusation.

[114] Caporal MacMullin, veuillez vous lever s’il vous plait.

Page 20 de 20 [115] La Cour vous déclare coupable relativement au premier chef d’accusation et sursoit à l’instance relativement au second chef, l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles ayant aussi été établie hors de tout doute raisonnable.

LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M. Avocats : Le capitaine de corvette C.J. Deschênes, Bureau du procureur militaire régional (Atlantique), Procureur de Sa Majesté la Reine Le lieutenant-Colonel D.T. Sweet, Avocat du caporal MacMullin

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