Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 10 novembre 2014.

Endroit : BFC Gagetown, édifice F-1, Oromocto (NB).

Chefs d’accusation
- Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, agression armée (art. 267a) C. cr.).
- Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 84 LDN, a brandi une arme contre un supérieur.
- Chef d’accusation 3 : Art. 85 LDN, a menacé verbalement un supérieur.

Résultats
- VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 3 : Non coupable.
- SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

Référence : R. c. Anderson, 2014 CM 4012

Date : 20141113
Dossier
 : 201435

Cour martiale permanente

Salle d’audience de la Base des Forces canadiennes Gagetown
Oromocto (Nouveau-Brunswick) Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

- et -

Caporal-chef G.M.E. Anderson, accusé

En présence du : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU VERDICT

(Prononcés de vive voix)

INTRODUCTION

[1]               Le caporal-chef Anderson est accusé de trois infractions au titre du Code de discipline militaire, qui ont donné lieu à une mise en accusation dans l’acte d’accusation signé par un représentant du Directeur des poursuites militaires (DPM) le 29 juillet 2014 et versé en pièce 2. La poursuite allègue que les trois infractions ont été commises envers le plaignant Hartwick, qui était alors élève-officier, à l’occasion de la célébration de la fin du cours qualification militaire de base des officiers – terrestre (QMB(O)-T) qui s’est déroulée tard dans la nuit du 25 juillet 2013 chez Dooly’s Oromocto (Nouveau-Brunswick), près de la Base Gagetown. L’identité de l’accusé, de même que l’heure et le lieu des infractions alléguées, ne sont pas contestés.

[2]               La première accusation est portée en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour agression armée, en contravention de l’alinéa 267a) du Code criminel. La deuxième accusation, subsidiaire à la première, se rapporte à une infraction à l’article 84 de la LDN pour avoir sorti une arme contre un supérieur. La troisième accusation allègue une infraction à l’article 85 de la LDN pour avoir usé d’un langage menaçant envers un supérieur.

LA PREUVE

[3]               Au début de l’instance, la Cour a pris judiciairement connaissance des faits et questions énoncés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

[4]               La poursuite a appelé trois témoins, mais n’a versé aucun document en pièce.

[5]               Le premier témoin était le plaignant et la présumée victime, le sous-lieutenant Hartwick. Il a été promu à son grade actuel après avoir obtenu son diplôme du Collège militaire royal (CMR) à Kingston (Ontario) au printemps 2014, et travaille à présent à l’École du génie militaire de la Base Gagetown. Il a évoqué durant son témoignage ses antécédents au sein des Forces armées canadiennes, qui consistaient principalement en quatre années d’études au CMR. À l’été 2013, il a été affecté à l’École d’infanterie de Gagetown pour suivre le cours QMB(O)-T avec le grade d’élève-officier. Il a décrit le cours et les diverses fonctions du personnel d’instruction (PI), composé d’un groupe d’officiers et de sous-officiers chargés de lui offrir ainsi qu’à ses camarades un enseignement, une formation, des conseils et des évaluations en matière de leadership et de techniques de campagne, principalement. Le PI délivrait des ordres et les étudiants les exécutaient. Il a déclaré que l’accusé, le caporal-chef Anderson, était le commandant en second de sa section. Le plaignant a également décrit sa relation avec le PI, et en particulier avec l’accusé, et a notamment évoqué deux incidents qui l’ont amené à croire que l’accusé ne l’aimait pas, même s’il estimait n’avoir aucun motif de s’en plaindre.

[6]               Le sous-lieutenant Hartwick a expliqué que le jeudi 25 juillet 2013, soit la veille de la date officielle de la fin du cours, il s’est rendu à une fête donnée à cette occasion chez Dooly’s à Oromocto. Arrivé aux alentours de 2100 heures, il a pris cinq à sept verres, surtout de la bière et un rhum-Pepsi. Il a décrit la soirée de son point de vue et déclaré qu’à un moment donné, il s’est joint à une conversation finissante entre l’accusé et d’autres étudiants. C’est alors que le caporal-chef Anderson s’est mis à évaluer sa performance durant le cours et qu’il lui a affirmé qu’il n’était pas un bon candidat. Le plaignant a fini par s’éloigner du groupe. Environ une heure plus tard, l’accusé l’a rejoint dans la salle de billard et a repris la conversation antérieure en lui répétant qu’il était un mauvais candidat. Le sous-lieutenant Hartwick a ajouté que certains de ses collègues se sont alors approchés et se sont fait demander s’ils étaient d’accord avec cette évaluation. Leur réponse a été négative. À ce moment-là, le caporal-chef Anderson a demandé au groupe s’ils étaient armés et peu après a sorti un couteau qu’il a pointé sur lui, le bras tendu, à deux pouces de sa gorge, en affirmant qu’il allait le tuer. Le plaignant a indiqué que ce geste était totalement inattendu, qu’il s’est senti menacé et qu’il n’avait jamais consenti à ce qu’un couteau soit pointé sur lui de cette façon. Le sous-lieutenant Hartwick a affirmé que l’accusé avait un regard intense et qu’il ne semblait pas tout à fait là. Il a évalué la situation en gardant son calme. L’accusé a alors déclaré au groupe qu’ils devaient toujours avoir une arme sur eux, puis a brandi le couteau vers d’autres personnes présentes en proclamant qu’il les tuerait aussi, dans un ordre précis. Cette confrontation a pris fin lorsqu’une rixe a éclaté à proximité. Le sous-lieutenant Hartwick a déclaré qu’il a voulu intervenir pour arrêter la bagarre, mais qu’il en a été empêché par le caporal-chef Anderson, qui l’a saisi en lui disant que ce n’était pas une bonne idée, geste qu’il a apprécié et qu’il a jugé approprié. Le sous-lieutenant Hartwick a déclaré qu’il s’est alors retiré par une porte-fenêtre menant à l’arrière de Dooly’s. Peu après, il a regagné la Base en taxi accompagné de collègues. Le sous-lieutenant Hartwick n’a aucunement rapporté ce qui s’était produit au personnel de la sécurité chez Dooly’s ou aux membres du PI présents à la fête. Il affirme que l’incident l’a contrarié et qu’à son retour à la Base, il a contacté sa famille et un cousin capitaine employé à l’École d’infanterie. Il a déclaré s’être rendu au travail le lendemain, le vendredi 26 juillet 2013, dernier jour de son cours, pour signer son rapport d’instruction et rendre de l’équipement. Il a serré la main du caporal-chef Anderson et l’a remercié avant de quitter la Base Gagetown et de rentrer chez lui en congé. Il a signalé l’incident à la police militaire le lendemain, soit le samedi 27 juillet.

[7]               Lors du contre-interrogatoire, le sous-lieutenant Hartwick a indiqué que le cours n’était pas encore terminé lorsque la fête a eu lieu. Il a précisé qu’il a payé un verre à l’accusé à cette occasion et a réfuté la suggestion selon laquelle celui-ci lui était antipathique. Il a reconnu s’être entretenu avec son collège, le sous-lieutenant Lee, au sujet de l’incident immédiatement après le fait, et tout au long de l’enquête, mais a nié qu’ils aient discuté des détails de leurs versions respectives des événements. Il affirme être certain de ce qu’il a entendu l’accusé lui dire, à lui et à d’autres, et a nié avoir inventé toute l’histoire par aversion pour lui.

[8]               Le deuxième témoin était le sous-lieutenant Bowser, un camarade de cours du sous-lieutenant Hartwick dans la même section du cours QMB(O)-T, et son condisciple durant leurs années d’études au CMR. Il a également décrit le cours et le rôle de leaders des membres du PI. D’après son témoignage, il était aussi présent à la fête donnée à l’occasion de la fin du cours le 25 juillet 2013 chez Dooly’s, où il est arrivé vers 1900 heures après avoir bu chez un ami. Il a reconnu qu’il était ivre durant la soirée, mais pas au point d’en oublier des bouts. À un moment donné, alors qu’il était assis au bar avec l’accusé, il a remarqué qu’il jouait avec un couteau en plaisantant. Il a précisé que ce dernier n’était pas en colère contre lui et qu’il ne s’était pas senti menacé par son comportement. Il a décrit un deuxième incident : entre trente minutes et deux heures plus tard, il a vu l’accusé tenant le même couteau près du cou du sous-lieutenant Hartwick. Il n’a pas entendu leur conversation et était en mouvement à ce moment-là. Il n’a pas vu l’accusé pointer le couteau sur quelqu’un d’autre. Le sous-lieutenant Bowser a indiqué qu’il n’était pas en mesure de préciser combien de temps l’incident avait duré. Il affirme avoir quitté Dooly’s vers 0200 heures. Lors du contre-interrogatoire, le sous-lieutenant Bowser a confirmé qu’il n’avait pas rapporté l’incident, qu’on lui avait demandé par courriel s’il y avait assisté, et comme il avait répondu par l’affirmative, qu’il a été interviewé par téléphone dans le cours de l’enquête. Il a nié avoir inventé cette histoire pour aider le sous-lieutenant Hartwick.

[9]               Le troisième et dernier témoin de la poursuite était le sous-lieutenant Lee, un autre camarade du sous-lieutenant Hartwick au Collège militaire royal qui a suivi le cours QMB(O)-T dans la même section à l’été 2013. Il a parlé du contingent de PI responsable du cours et en particulier de sa section. Il a déclaré qu’il avait également assisté à la fête donnée à l’occasion de la fin du cours chez Dooly’s, où il est arrivé sobre vers 2100 heures et a bu sept à huit pintes de bière sur les lieux. Aux alentours de minuit, il a entendu une conversation durant laquelle l’accusé critiquait la performance du sous-lieutenant Hartwick pendant le cours. En s’approchant, il a entendu l’accusé demander au sous-lieutenant Hartwick s’il voulait se battre avec lui, ce à quoi ce dernier aurait répondu par la négative. L’accusé a alors déclaré : [traduction] « Bon choix parce que j’ai un couteau ». Il affirme avoir vu l’accusé sortir un couteau et le pointer sur la gorge du sous-lieutenant Hartwick à près de dix centimètres de distance et l’aurait entendu dire : [traduction] « Je pourrais te tuer si je voulais ». Il affirme ne pas avoir vu l’accusé pointer le couteau vers quelqu’un d’autre. Il a trouvé le comportement de l’accusé déplacé, mais pensait qu’il plaisantait. Il déclare avoir quitté Dooly’s environ trente minutes plus tard accompagné du sous-lieutenant Hartwick. Cette nuit-là, ils ont évoqué les quelques faits étranges qui s’étaient produits, et notamment l’épisode du couteau. Cependant, il n’a rien rapporté à quiconque chez Dooly’s ni plus tard. Il a été prié de coucher par écrit ce qu’il avait vu à son retour au CMR. Lors du contre-interrogatoire, le sous-lieutenant Lee a déclaré qu’il était certain de ce qu’il avait entendu et a nié avoir inventé l’histoire. Une déclaration antérieure qu’il avait faite aux enquêteurs, selon laquelle il avait vu l’accusé remettre le couteau dans sa poche immédiatement après l’avoir pointé sur le sous-lieutenant Hartwick, a aidé à lui rafraîchir la mémoire.

[10]           Après que la poursuite eut terminé de présenter ses arguments, la défense a appelé l’accusé, le caporal-chef Anderson, à témoigner. Il a décrit son rôle de commandant en second de section dans le cadre du cours QMB(O)-T de dix semaines, qui l’a amené à agir occasionnellement comme commandant de section. Il a indiqué que les trois officiers qui avaient témoigné pour la poursuite étaient sous sa responsabilité pendant le cours. Il s’est décrit comme un instructeur ferme mais juste, et a nié avoir quoi que ce soit contre le sous-lieutenant Hartwick, précisant qu’il l’avait traité de la même manière que les autres candidats. Il a prétendu qu’il ne se rappelait pas l’un des deux incidents évoqués par le sous-lieutenant Hartwick dans son témoignage. Mais il se souvenait de l’autre, et a expliqué en quoi il était mémorable et pourquoi il avait dû réprimander le sous-lieutenant Hartwick à cette occasion. Questionné sur la performance de celui-ci pendant le cours, il a expliqué que le sous-lieutenant Hartwick excellait dans certains domaines, mais qu’il était faible dans d’autres, comme la plupart des candidats. À la fin du cours, il avait rempli l’ensemble des objectifs et réussi le cours tel qu’attendu. Il a décrit sa journée du 25 juillet 2013 et ajouté qu’il avait été invité à la fête de fin de cours organisée par les étudiants, comme à l’habitude. Il a expliqué qu’après avoir soupé chez lui, il s’est rendu chez un collègue où il a pris une bière. Il n’avait pas l’intention d’aller à la fête, mais des collègues l’y ont poussé. Il a pris sa voiture pour s’y rendre; une fois sur place, il s’est fait offrir des verres par des étudiants, et a reconnu en avoir consommé au moins sept : de la bière, des doses et des whisky-soda. Il a reconnu qu’il était ivre, mais qu’il était capable de tenir debout tout seul. Il a discuté avec les candidats, les a félicités de leur succès et leur a offert des conseils pour la prochaine étape de leur instruction. À un moment donné, certains étudiants lui ont demandé quelles étaient leurs faiblesses à son avis, et comment ils pouvaient s’améliorer. Il prétend leur avoir répondu franchement et avoir commenté, ce faisant, les faiblesses du sous-lieutenant Hartwick, qui concernaient ses aptitudes de reconnaissance et ses difficultés à accepter des directives. Il affirme qu’il a dit cela sans colère, en agissant de la même manière qu’avec les autres étudiants tout au long de la conversation. D’après ses dires, la discussion a duré environ vingt minutes et s’est achevée sans la moindre violence.

[11]           L’accusé a nié avoir eu un couteau en sa possession cette nuit-là. Il a aussi nié avoir sorti un couteau et l’avoir tenu près de la gorge de quiconque ou avoir usé d’un langage menaçant envers quiconque. Il a déclaré que cette soirée s’est terminée de manière plutôt abrupte après qu’un homme assez corpulent l’a frappé par-derrière sur le côté de la mâchoire et qu’il s’est cogné la tête sur le sol. L’incident a éclaté lorsqu’il a affronté un autre homme qui usait d’un langage ordurier avec une amie civile qui était assise avec lui. Il a quitté Dooly’s avec un collègue, son épouse est venue le chercher et a déposé le collègue avant de rentrer à la maison. Le lendemain, il a vu le sous-lieutenant Hartwick, lui a serré la main et souhaité bonne chance étant donné que c’était la fin du cours. Le sous-lieutenant Hartwick ne lui a pas du tout semblé contrarié. Lors du contre-interrogatoire, l’accusé a rejeté les allégations selon lesquelles il avait laissé ses opinions personnelles influencer la manière dont il avait évalué le sous-lieutenant Hartwick, et l’idée que ses opinions étaient entrées en jeu dans la question de savoir si le sous-lieutenant Hartwick aurait dû réussir ou non le cours. Pressé de questions sur sa consommation d’alcool ce soir-là, l’accusé a répété plusieurs fois qu’il avait bu [traduction] « au moins sept verres ».

L’ÉVALUATION DE LA PREUVE

Principes généraux

[12]           Comme l’attestent les observations finales des avocats concernant les conclusions, l’issue de la présente affaire dépend de la manière dont la Cour évaluera la déposition des quatre témoins entendus. Dans le cours du procès, la poursuite a appelé trois témoins qui ont chacun déclaré que l’accusé avait pointé un couteau sur l’élève-officier Hartwick. Deux de ces témoins ont entendu l’accusé proférer des propos équivalant à une menace de mort. Durant son témoignage, l’accusé a nié avoir eu un couteau en sa possession ce soir-là ou proféré des menaces.

[13]           Lors des contre-interrogatoires, les deux avocats ont tenté de discréditer les témoins de l’autre partie en soulevant des indices d’incohérence ou de partialité et en mettant en cause leurs facultés d’observation, de communication et de mémoire. Ils ont avancé dans leurs arguments des motifs pour lesquels la Cour ne devrait pas prêter foi aux témoignages sur ces fondements. Malgré ces savantes observations, la Cour ne peut relever dans les témoignages entendus aucune incohérence ni indice de partialité majeurs justifiant de rejeter toute la déposition d’un témoin sur l’un de ces fondements.

[14]           Le troisième élément sur lequel les avocats se sont attardés dans leur interrogatoire des témoins et leurs observations concernait leurs facultés d’observation, de communication et de mémoire. C’est en effet un élément auquel la Cour doit accorder une attention particulière en l’espèce pour deux raisons. Premièrement, tous les témoins ont reconnu avoir été sous l’emprise de l’alcool au moment des événements; deuxièmement, ces événements sont antérieurs au  procès de plus de quinze mois. Cependant, cette question s’est posée d’elle-même durant l’interrogatoire des témoins, puisque leur mémoire a été éprouvée et qu’ils ont franchement fait part de leurs doutes quant à l’exactitude de certains éléments de leur témoignage. Ces questions sont susceptibles d’affecter la fiabilité de la déposition des témoins, ce qui n’engage pas nécessairement à conclure qu’ils n’étaient pas crédibles.

[15]           Comme l’a d’ailleurs écrit le juge d’appel Watt dans l’arrêt Clark c. La Reine, 2012 CACM 3, au paragraphe 48 :

Un témoignage peut soulever des problèmes de véracité et d’exactitude. Les problèmes de véracité renvoient à la sincérité du témoin, à sa volonté de dire la vérité telle qu’il la perçoit, bref, à sa crédibilité. Les problèmes d’exactitude concernent l’exactitude du récit du témoin, à savoir, son caractère fiable. Le témoignage d’un témoin crédible, honnête personne au demeurant, peut néanmoins ne pas être fiable […].

[16]           La Cour peut accepter ou rejeter l’ensemble, aucune ou certaines parties de la preuve de témoins ayant déposé durant l’instance. Ni la crédibilité ni la fiabilité ne procèdent du tout ou rien. Un témoin peut être jugé fiable sur certains aspects et peu fiable sur d’autres. Il est cependant établi que pour étayer une déclaration de culpabilité, les témoignages doivent être dignes de foi et propres à soutenir le fardeau de la preuve, globalement ou au regard d'une question particulière. La Cour doit évaluer la déposition de chaque témoin, à la lumière de l’ensemble de la preuve produite à l’instance, sans s’appuyer sur la moindre présomption, hormis peut-être la présomption d’innocence : R. c. Thain, 2009 ONCA 223, 243 CCC (3d) 230, au paragraphe 32.

L’évaluation de la crédibilité

[17]           Nonobstant le précédent résumé des différents témoignages dans l’ordre où ils ont été entendus au procès, la méthode permettant d’évaluer leur répercussion sur les verdicts requis répond à des impératifs distincts. D’ailleurs, la Cour qui doit rendre un verdict n’a pas à décider si elle croit la preuve de la défense ou celle de la poursuite. Comme le déclarait le juge Cory, de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, à la page 757, invoqué par les deux avocats dans leurs observations, la méthode d’évaluation de la crédibilité que je dois suivre pour respecter l’obligation fondamentale faite à la Couronne de prouver la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable est la suivante :

Premièrement, si je crois à la déposition de l’accusé, je dois l’acquitter.

Deuxièmement, si je ne crois pas le témoignage de l’accusé mais qu’il suscite en moi un doute raisonnable, je dois l’acquitter.

Troisièmement, même si la déposition de l’accusé ne suscite en moi aucun doute, je dois me demander si, compte tenu de la preuve que j’accepte, je suis convaincu de la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable.

La crédibilité de l’accusé

[18]           Après que la poursuite eut terminé de présenter ses arguments, l’accusé est venu à la barre pour sa défense. Le caporal-chef Anderson est apparu à la Cour comme un homme calme qui s’exprime bien. C’est un instructeur qui connaît bien les méthodes d’instruction appliquées par les Forces armées canadiennes et il s’est exprimé avec autorité sur ces questions et sur son rôle de PI dans le cadre du cours QMB(O)-T, et plus spécifiquement sur l’évaluation et les autres interactions qu’il avait eues pendant le cours avec le sous-lieutenant Hartwick, le plaignant.

[19]           La poursuite a suggéré que l’accusé avait un motif de commettre les infractions dont il est accusé, puisqu’il ne croyait pas que le plaignant aurait dû être autorisé par ses supérieurs à réussir le cours QMB(O)-T, et qu’il a profité de l’occasion que lui donnait la fête de fin de cours pour exprimer ses préoccupations de manière agressive, ce qui a dégénéré par des propos menaçants et le geste de pointer un couteau. Le problème avec cette théorie est qu’elle n’est pas suffisamment étayée par la preuve. Tout au long du contre-interrogatoire, l’accusé a nié que ses opinions personnelles et subjectives concernant le plaignant aient eu la moindre importance dans l’évaluation nécessairement objective de son succès ou de son échec dans le cours. Il n’existait aucune preuve indépendante démontrant qu’un supérieur a passé outre l’avis de l’accusé en ce qui regarde le succès ou l’échec final du sous-lieutenant Hartwick.

[20]           Pourtant, comme je l’ai indiqué plus tôt, la Cour doit évaluer la déposition de chaque témoin à la lumière de l’ensemble de la preuve produite à l’instance. La déposition de l’accusé ne peut être évaluée séparément des autres témoignages entendus, et plus particulièrement de la déposition de trois témoins qui ont déclaré qu’ils l’avaient vu manipuler un couteau le soir du 25 juillet 2013, l’un de ces témoins l’ayant vu le faire à deux occasions distinctes. Par ailleurs, deux témoins ont entendu l’accusé proférer des menaces. Le témoignage de l’accusé selon lequel il nie avoir eu un couteau en sa possession ce soir-là et avoir menacé quiconque, ne peut être concilié avec la déposition de ces autres témoins.

[22]           Il ne s’agit pas de choisir entre des versions contradictoires. Ayant entendu son témoignage, la Cour voit clairement que l’accusé s’est préparé à livrer une version très simple des événements, ce qui était particulièrement apparent lors du contre-interrogatoire, d’abord lorsqu’il a répondu à des questions concernant ses sentiments personnels à l’endroit du sous-lieutenant Hartwick, mais plus notablement lorsqu’il a été questionné sur sa consommation d’alcool. Lorsqu’il lui a été demandé s’il avait pu boire plus de dix verres, il a répété plusieurs fois [traduction] « pas plus de sept », l’air manifestement gêné. La Cour a eu l’impression d’avoir devant elle quelqu’un qui suivait un scénario bien préparé. La Cour ne prête pas foi au récit de l’accusé concernant la possession du couteau et la profération de menaces, qui sont les aspects cruciaux des événements du 25 juillet 2013 au regard des accusations. Par conséquent, s’agissant de la première étape du critère W.(D.) susmentionné, la Cour ne croit pas la version de l’accusé. S’agissant du second volet du critère W.(D.), les démentis de l’accusé concernant la possession du couteau, auxquels la Cour ne prête pas foi, ne suscitent dans son esprit aucun doute raisonnable quant au récit de l’accusé.

[23]           Ayant conclu que le témoignage de l’accusé manquait de véracité, ayant rejeté sa déposition sans qu’un doute ne surgisse, je dois à présent me demander, compte tenu de la preuve que j’ai admise, si je suis convaincu au-delà de tout doute raisonnable par cette preuve de la culpabilité de l’accusé. Je dois à présent évaluer la solidité de la preuve de la poursuite.

La crédibilité et la fiabilité des témoins de la poursuite

[24]           Les trois témoins de la poursuite ont déposé de manière franche et objective. Même si l’expérience qu’il avait à relater était plus personnelle, le sous-lieutenant Hartwick ne paraissait pas revanchard. Les sous-lieutenants Bowser et Lee ont donné l’impression qu’ils déposaient parce qu’ils avaient assisté à un événement digne d’intérêt et qu’il était de leur devoir de relater ces faits à la Cour. Ces trois témoins ont reconnu qu’ils ne pouvaient pas se souvenir de certains éléments lorsque leur mémoire leur faisait défaut, et la Cour a jugé que leur témoignage était franc.

[25]           La défense a tenté de soulever l’éventualité d’une connivence entre les témoins de la poursuite dans leur compte rendu des faits survenus le soir du 25 juillet 2013 chez Dooly’s. Selon la Cour, une telle conclusion n’est pas étayée par la preuve. Les trois témoins, des camarades de classe au Collège militaire royal de Kingston, étaient en contact régulier durant le déroulement de l’enquête. Le plaignant est censé avoir fourni le nom de témoins potentiels à l’autorité chargée de mener enquête, laquelle les a donc contactés. À mon sens, la preuve confirme que les conversations de ces témoins se sont limitées au départ à partager leur surprise concernant le comportement de l’accusé chez Dooly’s, puis à se demander s’ils avaient été contactés relativement à l’enquête. La preuve n’a nullement démontré que les témoins se sont entretenus des détails des faits survenus.

[26]           L’avocat de la défense a évoqué durant ses observations le fait que la plainte n’avait pas été déposée à la première occasion, mais sans insister sur la question. La Cour reconnaît que l’existence d’une plainte antérieure, le moment auquel elle a été présentée, la raison pour laquelle elle a été ou non déposée en temps opportun, sont des enjeux pertinents et admissibles pour établir la conduite du plaignant dans une affaire criminelle, conduite à partir de laquelle le juge des faits peut tirer des inférences concernant la crédibilité de la déposition dudit plaignant. En l’espèce, toutefois, la preuve du sous-lieutenant Hartwick indique qu’il a consulté des membres de sa famille immédiatement après avoir regagné son logement de chez Dooly’s, et qu’il a présenté une plainte officielle à la police moins de 48 heures après, une fois en congé. Selon la Cour, le bref délai dans lequel le sous-lieutenant Hartwick a déposé une plainte formelle ne nuit pas à sa crédibilité.

[27]           Cela étant dit, il est clair que les trois témoins de la poursuite ont livré trois versions des événements spécifiques qui se sont déroulés le soir du 25 juillet.

[28]           Le sous-lieutenant Hartwick a déclaré que le caporal-chef Anderson s’est dirigé vers lui dans la salle de billard et qu’il a repris leur conversation sur le fait qu’il était un mauvais candidat. Le caporal-chef Anderson a demandé aux personnes présentes si elles étaient armées. Peu après, il a brandi un couteau et l’a pointé sur la gorge du sous-lieutenant Hartwick, bras tendu, à deux pouces de distance, en déclarant qu’il allait le tuer. Le plaignant a précisé que le caporal-chef Anderson avait un regard intense et qu’il ne semblait pas tout à fait là. Il s’est senti menacé, mais a gardé son calme pour évaluer la situation. Il a déclaré que le caporal-chef Anderson a dit au groupe présent qu’ils devaient toujours avoir une arme sur eux, avant de pointer son couteau sur d’autres personnes en proclamant qu’il les tuerait aussi dans un ordre précis. Il ajoute que cette confrontation a pris fin lorsqu’une rixe a éclaté à proximité.

[29]           Le sous-lieutenant Bowser a pour sa part déclaré avoir vu le caporal-chef Anderson sortir un couteau et jouer avec alors qu’ils étaient assis ensemble à discuter au bar vers 2100 heures. Il affirme que le caporal-chef Anderson n’était pas en colère contre lui, qu’il n’en a donc pas fait grand cas à ce moment-là, et qu’il est passé à d’autres conversations. Il indique que plus tard dans la soirée, il a aperçu le caporal-chef Anderson pointant le même couteau sur le cou du sous-lieutenant Hartwick. Il n’a pas été en mesure de dire combien de temps l’incident a duré et n’a rien entendu des propos qui ont alors été échangés. Il était en mouvement et n’a vu le caporal-chef Anderson pointer le couteau sur personne d’autre.

[30]           Enfin, le sous-lieutenant Lee a déclaré qu’aux alentours de minuit, le caporal-chef Anderson était en conversation avec le sous-lieutenant Hartwick, et qu’il critiquait sa performance durant le cours. Il affirme avoir entendu le caporal-chef Anderson demander au sous-lieutenant Hartwick s’il voulait se battre avec lui. Ayant reçu une réponse négative, l’accusé a déclaré : [traduction] « Bon choix parce que j’ai un couteau ». Il indique qu’il a vu le caporal-chef Anderson sortir un couteau et le pointer sur la gorge du sous-lieutenant Hartwick, à près de dix centimètres de distance, et avoir entendu l’accusé dire : [traduction] « Je pourrais te tuer si je voulais ». Il n’a pas vu le caporal-chef Anderson pointer le couteau sur quelqu’un d’autre et l’a vu le remettre dans sa poche.

La preuve des témoins de la Couronne et le doute raisonnable

[31]           Le fait que les souvenirs des trois témoins de la poursuite diffèrent de la manière décrite ci-dessus suffit-il à faire surgir dans l’esprit de la Cour un doute raisonnable quant à la perpétration des infractions?

[32]           Pour répondre à cette question, il convient d’évoquer la notion de doute raisonnable.

[33]           L’accusé est présumé innocent dès le début d’une instance pénale. Le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et n’est jamais transféré à l’accusé. La norme de preuve au-delà de tout doute raisonnable est inextricablement liée à un principe fondamental régissant tous les procès criminels : la présomption d’innocence. Ainsi, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable d’une infraction, le juge des faits doit être convaincu, au-delà de tout doute raisonnable, de l’existence de tous les éléments essentiels de l’infraction.

[34]           Quant au sens de l’expression « au-delà de tout doute raisonnable », la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Lifchus [1997] 3 R.C.S. 320, nous indique qu’un doute raisonnable n’est ni imaginaire ni frivole, et ne doit reposer ni sur la sympathie ni sur des préjugés. Il s’appuie plutôt sur la raison et le sens commun et découle logiquement de la preuve ou de l’absence de preuve. Il ne me suffit pas, en tant que juge des faits, de croire que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable. En pareilles circonstances, ce dernier doit se voir accorder le bénéfice du doute et être acquitté parce que la poursuite ne m’aura pas convaincu de sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. D’un autre côté, je dois garder à l’esprit qu’il est virtuellement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue, et la poursuite n’y est pas tenue.

[35]           En l’espèce, les infractions auraient été commises tard dans la soirée d’une fête qui a eu lieu il y a plus de quinze mois dans un établissement titulaire d’une licence, alors que toutes les personnes impliquées avaient bu et qu’elles étaient plus ou moins ivres. D’après la Cour, ce serait trop demander dans les circonstances que tous les témoins aient des souvenirs identiques des événements. En fait, ce serait suspect. Il est légitime pour la poursuite d’appeler des témoins afin de prouver la perpétration des infractions alors même que l’exactitude des témoignages est moins que parfaite. Procéder autrement pourrait revenir à laisser de nombreux crimes impunis. Il appartient à la Cour de décider si les déficiences de la preuve sont suffisantes pour susciter un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé.

[36]           Spécifiquement, dans l’affaire qui nous occupe, trois témoins ont vu le caporal-chef Anderson manipuler un couteau, et l’un d’entre eux l’a même vu le faire à deux reprises. Tout d’abord, voir une connaissance manipuler un couteau dans un endroit public est assez significatif pour s’en souvenir. La Cour estime que ce témoignage est suffisamment digne de foi pour conclure au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Anderson avait un couteau en sa possession et qu’il l’a sorti, de manière à ce que trois témoins de la poursuite puissent le voir. Ces trois témoins ont vu le caporal-chef Anderson pointer le couteau vers le cou du sous-lieutenant Hartwick, le bras plus ou moins tendu. Une fois encore, malgré des disparités mineures quant à l’endroit précis où les événements ont été observés, ou la mesure dans laquelle le bras était tendu, la Cour estime que la preuve est suffisante pour conclure au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Anderson a pointé le couteau qu’il avait en sa possession sur le cou du sous-lieutenant Hartwick. Enfin, en ce qui concerne les propos échangés, deux témoins ont entendu le caporal-chef Anderson proférer des menaces. Le troisième témoin n’a pas dit qu’aucuns propos n’avaient été échangés, mais plutôt qu’il ne pouvait pas entendre ce qui se disait. Quoique la déposition des témoins diffère quant à la teneur exacte des propos, ils étaient tous les deux certains qu’ils étaient les suivants : [traduction] « Je vais te tuer » ou [traduction] « Je pourrais te tuer ». La Cour conclut qu’il a été prouvé que le caporal-chef Anderson a sorti un couteau dans un lieu public, qu’il l’a pointé sur le cou du sous-lieutenant Hartwick et qu’il a prononcé des paroles suivant lesquelles il pouvait ou allait tuer le sous-lieutenant Hartwick.

CONCLUSIONS RELATIVES À LA PREUVE APPLIQUÉES AUX INFRACTIONS

Conclusions de fait appliquées aux éléments essentiels de la première accusation

[37]           À partir de maintenant, je désignerai le sous-lieutenant Hartwick par son grade antérieur d’élève-officier, tel qu’il est employé dans l’acte d’accusation. Comme je l’ai déjà mentionné, les éléments touchant l’identité de l’accusé comme étant la personne ayant commis les infractions, ainsi que la date et le lieu des infractions, le 25 juillet 2013, ne sont pas contestés.

[38]           Par conséquent, s’agissant de la première accusation au titre de l’alinéa 267a) du Code criminel, la poursuite concède qu’il n’y a pas eu véritablement emploi de la force contre l’élève-officier Hartwick, mais fait valoir qu’une agression a néanmoins été commise au sens de l’alinéa 265(1)b) du Code criminel, qui prévoit :

265.(1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas : […]

 

b) tente ou menace, par un acte ou un geste, demployer la force contre une autre personne, sil est en mesure actuelle, ou sil porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, quil est alors en mesure actuelle daccomplir son dessein;

265.(1) A person commits an assault when […]

 

 

(b) he attempts or threatens, by an act or a gesture, to apply force to another person, if he has, or causes that other person to believe on reasonable grounds that he has, present ability to effect his purpose;

[39]           Compte tenu des dépositions entendues au procès, il incombait donc à la poursuite de prouver chacun des éléments essentiels suivants de l’infraction au-delà de tout doute raisonnable :

a)                  le caporal-chef Anderson a menacé, par un acte ou un geste, d’employer la force contre l’élève-officier Hartwick et était alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein;

b)                  le caporal-chef Anderson a intentionnellement menacé d’employer la force;

c)                  l’élève-officier Hartwick n’a pas consenti à l’agression;

d)                 le caporal-chef Anderson savait que l’élève-officier Hartwick n’avait pas consenti à l’agression;

e)                  le caporal-chef Anderson a menacé d’utiliser une arme, à savoir un couteau.

[40]           Premièrement, le caporal-chef Anderson a-t-il menacé, par un acte ou un geste, d’employer la force contre l’élève-officier Hartwick, et était-il en mesure actuelle d’accomplir son dessein? La Cour estime que l’acte posé par le caporal-chef Anderson, lorsqu’il a pointé le couteau sur le cou de l’élève-officier Hartwick et prononcé des paroles suivant lesquelles il allait ou il pouvait le tuer, constitue une menace d’employer la force jointe à la capacité présente d’accomplir son dessein.

[41]           Deuxièmement, le caporal-chef Anderson a-t-il intentionnellement employé la force? La Cour estime que l’ensemble de la preuve, notamment en ce qui concerne les gestes accomplis et les propos tenus durant l’incident, montre que le caporal-chef Anderson a employé la force intentionnellement.

[42]           Troisièmement, l’élève-officier Hartwick a-t-il consenti à l’emploi de la force par le caporal-chef Anderson? Le témoignage de l’élève-officier Hartwick révèle qu’il a été surpris par le geste du caporal-chef Anderson et qu’il n’y a jamais consenti. Absolument rien n’indiquait à l’accusé que ce comportement eût reçu un assentiment volontaire, comme l’a confirmé l’avocat de la défense dans ses observations. Par conséquent, la Cour conclut que l’élève-officier Hartwick n’a pas consenti à l’agression.

[43]           Quatrièmement, le caporal-chef Anderson savait-il que l’élève-officier Hartwick n’avait pas consenti à l’emploi de la force? La déposition des témoins de la poursuite révèle qu’ils étaient surpris de voir l’accusé pointer un couteau sur la gorge de l’élève-officier Hartwick. D’ailleurs, les gens qui se rendent dans un établissement public pour prendre quelques verres pour fêter la fin d’un cours ne peuvent pas être réputés consentir à être menacés avec un couteau. La Cour conclut que l’accusé a fait ses menaces au mépris flagrant de l’absence de consentement de l’élève-officier Hartwick.

[44]           Enfin, le caporal-chef Anderson a-t-il menacé d’utiliser une arme, c’est-à-dire un couteau? Les témoins de la poursuite ont décrit durant leurs dépositions le couteau qu’ils ont vu. Bien qu’ils ne soient pas unanimes sur sa longueur ou sa couleur précise, il ne fait aucun doute dans l’esprit de la Cour que l’accusé s’est servi d’un couteau, que celui-ci était une arme dont il avait l’intention de menacer une autre personne.

[45]           Par conséquent, la Cour conclut que la première accusation a été prouvée au-delà de tout doute raisonnable.

Conclusions de fait appliquées aux éléments essentiels des accusations 2 et 3

[46]           Encore une fois, il convient de répéter qu’en l’espèce l’identité de l’accusé ainsi que l’heure et le lieu de l’infraction ne sont contestés relativement à aucune des trois accusations.

[47]           Les autres éléments essentiels de la deuxième accusation au titre de l’article 84 de la Loi sur la défense nationale sont les suivants :

a)                  le caporal-chef Anderson a sorti une arme contre une personne;

b)                  l’usage de violence (le fait d’avoir sorti une arme) était intentionnel; la personne contre laquelle la violence était dirigée était un supérieur;

c)                  l’accusé savait que la personne était un supérieur.

[48]           Les autres éléments essentiels de la troisième accusation au titre de l’article 85 de la Loi sur la défense nationale sont les suivants :

a)                  le caporal-chef Anderson a prononcé les mots allégués dans l’accusation;

b)                  le caporal-chef Anderson a usé d’un langage menaçant;

c)                  les insultes visaient un supérieur;

d)                 l’accusé savait que la personne en question était un supérieur.

[49]           Les conclusions de fait que la Cour a tirées relativement à la première accusation s’appliquent aux deux premiers éléments des accusations 2 et 3. Cependant, les deux derniers éléments communs à ces deux accusations, à savoir que l’arme sortie ou que les insultes proférées visaient dans chaque cas un supérieur, requièrent un examen approfondi reposant sur d’autres fondements que ceux qui ont été précédemment abordés, attendu que la preuve pertinente n’est pas contradictoire. Plus spécifiquement, s’agissant de la présente affaire, un des éléments essentiels des deux dernières accusations est que la victime désignée dans l’accusation, à savoir l’élève-officier Hartwick, était un supérieur de l’accusé, le caporal-chef Anderson.

[50]           Qu’est-ce alors qu’un supérieur? Un membre des Forces canadiennes ayant le grade d’élève-officier est un officier, au sens de l’article 2 de la Loi sur la défense nationale. Le terme « supérieur » est défini comme suit :

« supérieur » Tout officier ou militaire du rang qui est autorisé par la présente loi, les règlements ou les traditions du service à donner légitimement un ordre à un autre officier ou à un autre militaire du rang.

“superior officer” means any officer or non-commissioned member who, in relation to any other officer or non-commissioned member, is by this Act, or by regulations or custom of the service, authorized to give a lawful command to that other officer or non-commissioned member;

[51]           La Cour est d’avis que cette définition n’exclut pas en soi la possibilité qu’un militaire du rang soit autorisé dans certaines circonstances à donner un ordre légitime à un officier. En effet, l’emploi du terme « autre/other » semble renvoyer à la nécessité de définir le supérieur dans le cadre d’une relation entre une personne, officier ou militaire du rang, et une autre, officier ou militaire du rang.

[52]           Cette définition renvoie au pouvoir de donner des ordres légitimes conféré par trois instruments différents : la Loi, les règlements et les traditions du service. En ce qui concerne la Loi, rien dans la Loi sur la défense nationale ne se rapporte spécifiquement au pouvoir de commandement, malgré des dispositions particulières concernant un certain nombre d’officiers comme le chef d’état-major de la défense, par exemple. D’ailleurs, l’article 19 de la Loi sur la défense nationale prévoit :

L’autorité et les pouvoirs de commandement des officiers et militaires du rang sont ceux que prescrivent les règlements.

[53]           Le règlement qui intéresse le plus la notion d’« autorité et [de] pouvoirs de commandement » figure à l’article 3.20 des ORFC – Le commandement en général, qui prévoit :

Sous réserve des dispositions prévues dans les ORFC, le commandement doit être exercé par :

a)       l’officier présent le plus ancien dans le grade le plus élevé;

b)       en l’absence d’un officier, le militaire du rang présent le plus ancien dans le grade le plus élevé;

c)       tout officier ou militaire du rang qui a reçu une autorisation particulière de la part du chef d’état-major de la défense, d’un officier commandant un commandement ou une formation, ou d’un commandant.

[54]           Il s’agit d’une liste de type « soit/soit » qui rend possible qu’un militaire du rang qui n’est pas l’officier supérieur ou qu’un militaire du rang présent exerce un commandement s’il en a reçu l’autorisation particulière du chef d’état-major de la défense, d’un officier commandant un commandement ou une formation ou d’un commandant.

[55]           La Cour a pris judiciairement connaissance des ORFC au titre de l’article 15 des Règles militaires de la preuve. Quoiqu’il existe des ORFC régissant le commandement sur des navires et des aéronefs, aucun ne s’applique à la situation dont nous sommes saisis. La Cour n’a pas été informée ni n’a pris judiciairement connaissance d’autres ordres ou autorisations émanant du chef d’état-major de la défense, d’un officier commandant un commandement ou une formation ou d’un commandant, et confirmant par exemple qu’un membre du PI d’un cours donné dans une école d’infanterie au CIC Gagetown est autorisé à exercer un commandement sur un étudiant en formation dont le grade serait supérieur, notamment en vertu de son rang d’élève-officier, et donc de lui donner des ordres légitimes. Aucun ordre ni autorisation de ce type n’a été introduit en preuve.

[56]           Pourtant, les dépositions entendues par la Cour durant ce procès attestent incontestablement une relation supérieur-subordonné entre les étudiants et le PI, ce qui implique nécessairement un pouvoir de commandement exercé par ce PI sur les étudiants ayant le rang d’élève-officier durant le cours QMB(O)-T. Il est intéressant de noter que cette preuve émanait largement des témoins de la poursuite qui répondaient durant l’interrogatoire direct à la question de savoir si le grade avait encore une importance au moment de la fête de fin de cours. La réponse générale était que, même si l’atmosphère était plus détendue, les grades s’appliquaient encore puisque les membres du PI devaient être traités avec la déférence qui leur est due. Cette preuve paraît sensée. Il est logique que dans le type de cours décrit par les témoins, une stricte relation supérieur-subordonné soit maintenue en tout temps entre les étudiants et le PI. Compte tenu des témoignages entendus, il est difficile d’imaginer que les objectifs d’instruction d’un tel cours puissent être atteints s’il était enseigné exclusivement par des officiers de grade supérieur aux étudiants élèves-officiers.

[57]           Après quelques discussions, la poursuite a reconnu dans ses observations que des militaires du rang pouvaient dans certains cas exercer un pouvoir de commandement sur des officiers, même si cette situation n’est pas prévue dans les ORFC. La poursuite a déclaré que les membres du PI avaient un pouvoir de commandement durant le cours, mais que la fête n’en faisait pas officiellement partie. La Cour rejette cette position. Même si la fête donnée pour la fin du cours n’en était pas un élément obligatoire, il s’agit d’un événement coutumier organisé à la connaissance du PI et, dans une certaine mesure, avec sa participation. Il est difficile d’imaginer, dans ce type de cours très intense décrit par les témoins, que la relation de commandement entre les étudiants et le PI d’un rang moins élevé puisse changer radicalement à la fin d’une journée de travail.

[58]           La Cour ne dispose donc pas de la preuve d’un ordre qui permettrait d’établir si la déposition des témoins concernant le pouvoir de commandement effectivement exercé par des militaires du rang – comme l’accusé – en tant que membres du PI sur les étudiants du cours, est conforme en droit à l’article 3.20 des ORFC, et en particulier à l’alinéa 3.20c). Cela signifie que la Cour n’est effectivement pas en mesure de déterminer si un militaire du rang comme l’accusé a effectivement un pouvoir de commandement sur un élève-officier dans le cadre d’un cours tel que le QMB(O)-T. Cependant, la Cour n’a pas à répondre à cette question. Il lui appartient de déterminer si la poursuite s’est acquittée de son fardeau de prouver au-delà de tout doute raisonnable que l’élève-officier Hartwick était un supérieur de l’accusé, le caporal-chef Anderson, le ou vers le 25 juillet 2013. Ce fardeau incombe toujours à la poursuite.

[59]           Si rien ne venait attester une situation spéciale où la chaîne normale de commandement par grade serait quelque peu bouleversée, la Cour aurait pu conclure que la Couronne s’est acquittée de son fardeau simplement en vertu du grade de la victime, en regard de celui de l’auteur présumé. En pareil cas, si la défense veut soulever un doute raisonnable, il peut lui incomber de produire une preuve à l’effet contraire, comme l’envisage le paragraphe 12(2) des Règles militaires de la preuve. En l’espèce, toutefois, la preuve indique de manière écrasante que l’élève-officier Hartwick était un subordonné et non un supérieur de l’accusé, dans les circonstances présentes. Comme il incombait à la poursuite de prouver que l’élève-officier Hartwick était un supérieur, elle est encore tenue de produire des éléments de preuve établissant ce fait au-delà de tout doute raisonnable conformément à l’article 10 et au paragraphe 12(1) des Règles militaires de la preuve. La Cour estime que la poursuite ne s’est pas acquittée de son fardeau. Dans les circonstances étroites et particulières de la présente affaire, et compte tenu des témoignages entendus au procès, la Cour n’est pas convaincue au-delà de tout doute raisonnable que la violence démontrée ou les mots proférés par l’accusé visaient un supérieur. Par conséquent, l’accusé ne peut être déclaré coupable de ces deux accusations.

[60]           POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[61]           DÉCLARE le caporal-chef Anderson coupable de l’accusation no 1.

[62]           DÉCLARE le caporal-chef Anderson non coupable des accusations nos 2 et 3.

 

Avocats :

Le Directeur du Service canadien des poursuites militaires, représenté par le capitaine de corvette D.T. Reeves.

Capitaine de corvette Commander P. Desbiens, Direction du Service d’avocats de la défense, avocat du caporal-chef G.M.E. Anderson.

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