Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 14 novembre 2014.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, Victoria (CB).

Chef d’accusation
• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultat
• VERDICT : Chef d'accusation 1 : Coupable. Chef d'accusation 2 : Retiré.
• SENTENCE : Une amende au montant de 500$.

Cour martiale générale (CMG) (est composée d'un juge militaire et d'un comité)

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Bernard, 2014 CM 2022

 

Date : 20141114

Dossier : 201430

 

Cour martiale générale

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

Colombie-Britannique, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et –

 

Matelot de 1re classe P.C.J. Bernard, contrevenant

 

 

 

Devant : Colonel M.R. Gibson, J.M.

 


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

[1]               Matelot de 1re classe Bernard, après avoir accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité à l’égard du premier chef d’accusation figurant dans l’acte d’accusation, la cour vous déclare coupable de ce chef d’accusation. Cette accusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline portée en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale se rapporte au fait d’avoir menti à un policier militaire quant à la cause d’un accident automobile dans lequel vous étiez impliqué en tant que conducteur. Il m’incombe maintenant d’arrêter une sentence qui soit appropriée, juste et équitable.

[2]               Pour ce faire, la cour a tenu compte des principes de la détermination de la sentence appliqués par les tribunaux militaires, des faits de l’espèce qui ont été révélés par les documents et témoignages présentés en preuve et des plaidoiries du procureur de la poursuite et de l’avocat de la défense.

[3]               Dans le système de justice militaire, la détermination de la sentence par les tribunaux militaires, dont font partie les cours martiales, a pour objectifs essentiels de favoriser l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, et de contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre.

[4]               L’atteinte de ces objectifs essentiels se fait par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants : renforcer le devoir d’obéissance aux ordres légitimes; maintenir la confiance du public dans les Forces canadiennes en tant que force armée disciplinée; dénoncer les comportements illégaux; dissuader les contrevenants et autres personnes de commettre des infractions; favoriser la réinsertion sociale des contrevenants; favoriser la réinsertion des contrevenants dans la vie militaire; isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; susciter le sens des responsabilités chez les contrevenants, notamment par la reconnaissance des dommages causés à la victime et à la collectivité.

[5]               Le principe fondamental de la détermination de la sentence veut que celle‑ci soit proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant.

[6]               Parmi les autres principes de détermination de la sentence, mentionnons les suivants : l’adaptation de la sentence aux circonstances aggravantes et atténuantes; l’harmonisation des sentences, c’est-à-dire l’infliction de sentences semblables à celles infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables; l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient; l’infliction de la sentence la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral; la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence.

[7]               Dans l’affaire dont la cour est saisie aujourd’hui, je dois déterminer si les buts et objectifs de la détermination de la sentence seraient mieux servis par la dissuasion, la dénonciation, la réinsertion sociale ou une combinaison de ces facteurs.

[8]               La cour doit infliger la sentence la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral. La discipline, c’est cette qualité que doit posséder chaque membre des Forces canadiennes, celle qui lui permet de faire passer les intérêts du Canada et ceux des Forces canadiennes avant ses intérêts personnels. Elle lui est nécessaire parce qu’il doit obéir promptement et volontiers, sous réserve qu'ils soient légitimes, à des ordres qui peuvent avoir pour lui des conséquences très graves telles que des blessures ou même la mort. La discipline est définie comme une qualité, car, au bout du compte, bien qu’elle représente une conduite que les Forces canadiennes développent et encouragent par l’instruction, l’entraînement et la pratique, c’est une qualité intérieure et l’une des conditions fondamentales de l’efficacité opérationnelle de toute armée. Un des éléments les plus importants de la discipline dans le contexte militaire est l’autodiscipline et notamment, celle qui incite à dire la vérité, même lorsque cela est difficile et même lorsqu’on s’expose ainsi à en subir les conséquences. Matelot de 1re classe Bernard, vos actes démontrent que dans ce domaine, vous présentez des lacunes.

[9]        Les faits de la présente affaire sont exposés dans le sommaire des circonstances produit en preuve.

a)                  Le 21 juin 2012, le matelot de 1re classe Bernard, maître d’équipage de la Réserve des Forces canadiennes, effectuait un service de classe B au VENTURE, le Centre d'instruction des officiers de la marine.

b)                  Ce soir du 21 juin 2012, vers 22 h, le matelot de 1re classe Bernard était présent, en uniforme, au Champ de manœuvre de Rocky Point de la Base des Forces canadiennes Esquimalt. Le matelot de 1re classe Bernard conduisait une camionnette Ford F-250 louée par le ministère de la Défense nationale. Le matelot de 1re classe D.W.J. Aguilar était passager à bord du véhicule. Le matelot de 1re classe Bernard avait travaillé au‑delà des heures normales et était plus fatigué qu’à l’habitude. Il faisait sombre. Le matelot de 1re classe Bernard conduisait sur une route de gravier. La limite de vitesse permise était de 30 kilomètres à l’heure et le matelot de 1re classe Bernard en était conscient. Alors qu’il roulait à une vitesse d’environ 50 kilomètres à l’heure, le matelot de 1re classe Bernard a mal négocié un tournant et la roue arrière droite de la camionnette est venue heurter un gros rocher situé très près de la route. L’accident a causé plus de 13 000 $ de dommages au véhicule.

c)                  Un peu plus tard ce soir‑là, le matelot de 1re classe Bernard a fait de plein gré une déclaration verbale au caporal B.S. Crawford, membre en uniforme de la police militaire, déclaration selon laquelle les dommages subis par la camionnette seraient la conséquence du coup de volant qu’il avait dû donner pour éviter un chevreuil. Le pneu avant avait dérapé, entraînant la sortie de route du véhicule. Cette déclaration était fausse et le matelot de 1re classe Bernard le savait pertinemment.

d)                 Le 29 juin 2012, après une enquête plus approfondie de la police militaire, le matelot de 1re classe Bernard a fait une deuxième déclaration volontaire au caporal Crawford, cette fois, par écrit. Dans cette deuxième déclaration, il a reconnu avoir menti au policier militaire le 21 juin 2012, ajoutant qu’il avait plutôt perdu la maîtrise du véhicule parce qu’il avait négocié le virage trop tard alors qu’il roulait à une vitesse d’environ 50 kilomètres à l’heure. Aucun chevreuil n’était impliqué dans l’accident.

[10]    En l’espèce, la cour considère que les circonstances aggravantes sont les suivantes :

a)         la gravité objective de l’infraction dont le matelot de 1re classe Bernard a été déclaré coupable. L’infraction de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline prévue à l’article 129 de la LDN est punissable de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d’une sentence moindre. Toutefois, comme l’a fait remarquer la poursuite à juste titre, il faut également tenir compte du contexte entourant le dépôt d’une accusation en vertu de l’article 129 et de la gravité subjective des faits particuliers de l’affaire, car l’infraction peut viser un vaste éventail d’actes, certains d’une gravité relativement mineure et d’autres très sérieux.

 

 b)          le manque d’intégrité dont a fait preuve le matelot de 1re classe Bernard en mentant à un policier militaire dans le cadre d’une enquête officielle et le fait qu’il ait tenté de se soustraire à sa responsabilité.

[11]    Pour ce qui est des circonstances atténuantes, la cour retient les suivantes :

a)                  d’abord et avant tout, le matelot de 1re classe Bernard a plaidé coupable à l’infraction. Il s’agit toujours d’un facteur important qui démontre que le contrevenant a assumé la responsabilité de ses actes.

b)                  l’absence de fiche de conduite ou de quelque autre indice de l’existence de condamnations passées.

c)                  le fait que le matelot de 1re classe Bernard, après avoir fait au départ une erreur de jugement en mentant à l’enquêteur de la PM, s’est amendé dans une déclaration ultérieure.

d)                 les signes encourageants que présente le bilan récent du matelot de 1re classe Bernard et ses possibilités d’avenir au sein des Forces, ainsi que le point de vue de la chaîne de commandement, exprimé par l’entremise de son superviseur, le maître de 2e classe Valentine.

e)                  enfin, le délai considérable qui s’est écoulé avant que ne soit institué le procès. Pourtant, l’affaire n’est pas complexe. L’infraction a eu lieu le 21 juin 2012 et le matelot de 1re classe Bernard a reconnu sa culpabilité dans sa déclaration du 29 juin 2012. Or, ce n’est qu’en juin 2013 que l’accusation a été consignée au procès‑verbal de procédure disciplinaire; quant à l’acte d’accusation, il n’a été signé que plusieurs mois plus tard. La poursuite a expliqué que le délai de quelque sept mois qui a suivi la mise en accusation était dû au fait que les accusations avaient été transmises à la mauvaise autorité de renvoi. Le procès a donc lieu près de 29 mois après la date de l’infraction, ce qui est tout à fait incompatible avec le devoir d’agir rapidement prévu à l’article 162 de la Loi sur la défense nationale, lequel dispose que les accusations portées en vertu du Code de discipline militaire doivent être traitées le plus rapidement possible. De l’avis de la cour, cet important retard revêt un poids considérable au chapitre des facteurs d’atténuation. L’un des principaux objectifs de la détermination de la sentence, dans le système de justice militaire, est de favoriser l’efficacité opérationnelle par le maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral. Au nombre des raisons expliquant que le Canada soit doté d’un système de justice militaire distinct figure la nécessité de traiter rapidement les dossiers disciplinaires afin d’assurer efficacement le respect de la discipline. Les retards prolongés et injustifiés dans l’instruction des procès réduisent de beaucoup cette efficacité et cet atermoiement expose forcément l’accusé à une longue période de stress et d’anxiété alors qu’il attend de savoir ce qui adviendra des accusations qui planent au‑dessus de sa tête.

 

[12]           Les principes de détermination de la sentence qui, selon la cour, doivent être mis en évidence en l’espèce sont la dénonciation, la dissuasion générale et individuelle et la réadaptation. La confiance en l’honnêteté, l’intégrité, la discipline, la maturité et le jugement des militaires des Forces canadiennes, de la part du public comme des autres membres des Forces canadiennes, est essentielle pour que les Forces puissent remplir efficacement leur importante mission. Les membres des Forces canadiennes sont à juste titre tenus de respecter des normes très élevées. En mentant à des policiers militaires, le matelot de 1re classe Bernard a dérogé à ces normes de manière importante. Il ne doit jamais plus agir de la sorte; quant aux autres membres des Forces canadiennes, ils doivent eux aussi comprendre qu’il est impossible de tolérer de tels actes et être dissuadés de s’y livrer.

[13]           Par ailleurs, la cour a pris en compte le témoignage du maître de 2e classe Valentine, qui affirme que le rendement récent du matelot de 1re classe Bernard est positif et que sa chaîne de commandement estime qu’il dispose du potentiel voulu pour jouer un rôle utile à l’avenir. Par conséquent, la réadaptation et la réinsertion dans la vie militaire sont donc d’importants facteurs en l’espèce.

[14]           Dans une recommandation présentée conjointement, la poursuite et la défense ont suggéré que la sentence prenne la forme d’une amende de 500 $. Or, dans l’affaire R. c. Soldat Chadwick Taylor, 2008 CACM 1, la Cour d’appel de la cour martiale a réitéré que la cour saisie d’une recommandation conjointe doit se demander non pas si la sentence proposée en est une qu’elle aurait infligée si elle n’avait pas reçu telle recommandation, mais bien s’il y a des motifs impérieux de déroger à cette recommandation; autrement dit, la question est de savoir si la sentence proposée est inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public.

[15]           La poursuite a porté à l’attention de la cour un précédent en matière de détermination de la sentence en l’affaire de l’Adjudant-maître Ferguson, jugée en 2011 par la Cour martiale permanente. Il s’agit d’une décision utile portant sur des faits présentant de nombreuses similitudes avec ceux de l’espèce. Et comme l’a souligné le procureur, l’accusé dans cette affaire s’est vu imposer une amende de 900 $ alors qu’il occupait un grade nettement plus élevé et possédait davantage d’expérience que le matelot de 1re classe Bernard.

[16]           J’ajouterais que je souscris à l’opinion émise par l’avocat de la défense, à savoir que la sentence que se voit infliger le matelot de 1re classe Bernard aujourd’hui vise l’infraction à l’article 129 à l’égard de laquelle il a plaidé coupable parce qu’il a menti à un membre de la police militaire dans le cadre d’une enquête officielle; cette sentence ne porte pas sur l’accident même ni sur les dommages pécuniaires qui en ont résulté.

[17]           La cour estime que la sentence proposée n’est pas inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public. Par conséquent, elle acceptera la recommandation conjointe des avocats de la poursuite et de la défense en ce qui a trait à la sentence.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[18]           Vous DÉCLARE coupable du premier chef d’accusation figurant dans l’acte d’accusation.

[19]           Vous CONDAMNE à une amende de 500 $.


Avocats :

Major J.G. Simpson, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

Lieutenant-Colonel D. Berntsen, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du matelot de 1re classe Bernard

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