Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 12 décembre 2014.

Endroit : BFC Shilo, aménagements pour des lectures d’entraînement, édifice C106, côté Ouest, chemin Patricia, Shilo (MB).

Chefs d’accusation :

• Chef d’accusation 1 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d’accusation 3 : Art. 90 LDN, s’est absentée sans permission.

Résultats :

• VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2 : Retirés. Chef d'accusation 3 : Coupable.
• SENTENCE : Une amende au montant de 200$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Blinn, 2015 CM 2024

Date : 20150115

Dossier : 201446

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Shilo

Shilo (Manitoba), Canada

 

Entre :

Sa Majesté la Reine

 

- et –

 

Ex-Bombardier B.J. Blinn, contrevenant

 

 

En présence du : Colonel M.R. Gibson, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

[1]               Bombardier Blinn, ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité concernant le troisième chef d’accusation de l’acte d’accusation, la Cour martiale vous déclare maintenant coupable de ce chef d’accusation. Vous avez plaidé coupable de l’infraction d’absence sans permission, en contravention de l’article 90 de la Loi sur la défense nationale. Il m’incombe maintenant de déterminer une sentence appropriée, équitable et juste.

 

[2]               Pour ce faire, la Cour a tenu compte des principes de la détermination de la sentence appliqués par le système de justice militaire, des faits de l’espèce révélés par les documents produits en preuve, ainsi que des observations des avocats de la poursuite et de la défense.

 

[3]               Dans le système de justice militaire, la détermination de la sentence par les tribunaux militaires, dont font partie les cours martiales, a pour objectifs essentiels de favoriser l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, et de contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre.

 

[4]               L’atteinte de ces objectifs essentiels se fait par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants : renforcer le devoir d’obéissance aux ordres légitimes; maintenir la confiance du public dans les Forces canadiennes en tant que force armée disciplinée; dénoncer les comportements illégaux; dissuader les contrevenants et autres personnes de commettre des infractions; favoriser la réinsertion sociale des contrevenants; favoriser la réinsertion des contrevenants dans la vie militaire; isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; et susciter le sens des responsabilités chez les contrevenants, notamment par la reconnaissance des dommages causés à la victime et à la collectivité.

 

[5]               Le principe fondamental de la détermination de la sentence est que la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant.

 

[6]               Parmi les autres principes de détermination de la sentence, mentionnons les suivants : l’adaptation de la sentence aux circonstances aggravantes et atténuantes; l’harmonisation des sentences, c’est-à-dire l’infliction de sentences semblables à celles infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables; l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient; l’infliction de la sentence la moins sévère possible qui permet de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral; la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence.

 

[7]               Dans l’affaire dont la Cour est saisie aujourd’hui, je dois déterminer si les buts et objectifs de la détermination de la sentence seraient mieux servis par la dissuasion, la réprobation, la réinsertion sociale ou une combinaison de ces facteurs.

 

[8]               La Cour doit infliger la sentence la moins sévère possible qui permet de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral. La discipline, c’est cette qualité que doit posséder chaque membre des Forces canadiennes, celle qui lui permet de faire passer les intérêts du Canada et ceux des Forces canadiennes avant ses intérêts personnels. Elle lui est nécessaire parce qu’il doit obéir promptement et volontiers, sous réserve qu’ils soient légitimes, à des ordres qui peuvent avoir pour lui des conséquences très graves telles que des blessures ou même la mort. La discipline est définie comme une qualité, car, au bout du compte, bien qu’elle représente une conduite que les Forces canadiennes développent et encouragent par l’instruction, l’entraînement et la pratique, c’est une qualité intérieure et l’une des conditions fondamentales de l’efficacité opérationnelle de toute armée. Un des éléments les plus importants de la discipline dans le contexte militaire, c’est l’autodiscipline, notamment l’autodiscipline de se présenter au travail en tout temps et en tout lieu où les membres sont demandés. Bombardier Blinn, vos actions démontrent qu’il s’agit d’un domaine où vous avez manqué à vos obligations.

 

[9]               Les faits de la présente affaire figurent dans l’énoncé des circonstances présenté en preuve. Pendant toute la période pertinente, le bombardier Blinn était membre des Forces canadiennes, dans la Force régulière, en poste à la Batterie A, 1er Régiment, Royal Canadian Horse Artillery, de la Base des Forces canadiennes Shilo, au Manitoba. Le 25 mars 2014, les membres de la Batterie A, 1er Régiment, Royal Canadian Horse Artillery, étaient tenus d’entrer en service à 7 h 30 pour une séance d’entraînement physique qui devait se tenir au General Strange Hall Sports Field sur la Base des Forces canadiennes Shilo. Le bombardier Blinn savait qu’il devait se présenter à 7 h 30 au General Strange Hall Sports Field. Il n’avait pas reçu la permission de s’absenter pour cette période et n’avait pas non plus été dispensé de l’obligation d’entrer en service à 7 h 30. À 7 h 30 le 25 mars 2014, le bombardier Blinn s’est absenté de son poste au General Strange Hall Sports Field et ne s’est pas présenté à la séance d’entraînement physique avant 7 h 35, cinq minutes en retard. Le bombardier Blinn a été libéré des Forces canadiennes le 20 juin 2014.

 

[10]           La Cour estime que les circonstances aggravantes en l’espèce sont les suivantes : l’inscription sur la feuille de conduite d’une déclaration de culpabilité prononcée à l’issue d’un procès sommaire pour une autre infraction à l’article 90.

 

[11]           Les circonstances atténuantes en l’espèce sont notamment les suivantes :

a)                  D’abord et avant tout, le bombardier Blinn a plaidé coupable de l’infraction. Il s’agit toujours d’une circonstance atténuante importante, qui démontre que le contrevenant a reconnu sa responsabilité pour ses actions.

b)                  Ensuite, les circonstances objectivement mineures de la perpétration de l’infraction, qui concernent une absence sans permission de cinq minutes.

 

[12]           Les principes de la détermination de la sentence qu’il conviendrait de souligner en l’espèce selon la Cour sont la réprobation de la société et l’effet dissuasif. Le fait que le public en général et les autres membres des Forces canadiennes soient convaincus de l’honnêteté, de l’intégrité, de la discipline, de la maturité, de la fiabilité et du bon jugement des membres des Forces canadiennes est essentiel à l’efficacité de celles‑ci dans l’exercice de leurs importantes fonctions. Les membres des Forces canadiennes sont tenus, à juste titre, à une norme très élevée.

 

[13]           Même si les circonstances de sa perpétration peuvent être relativement mineures, l’infraction prévue à l’article 90 de la Loi sur la défense nationale concerne l’essence même du maintien de la discipline militaire et de l’efficacité opérationnelle.

 

[14]           En l’espèce, la poursuite et la défense ont conjointement recommandé une sentence consistant en une amende de 200 $. Comme l’a rappelé la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt R. c. Soldat Chadwick Taylor, 2008 CACM 1, lorsqu’il y a une recommandation conjointe, la question que la Cour doit se poser n’est pas celle de savoir si la sentence proposée est celle que la Cour aurait infligée si elle n’avait pas reçu de recommandation conjointe; la Cour doit plutôt se demander s’il y a des motifs impérieux d’aller à l’encontre de cette recommandation conjointe; c’est‑à‑dire si la sentence proposée est inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public.

 

[15]           Si ces éléments étaient les seuls que je devais examiner en l’espèce, ma décision serait simple. Toutefois, compte tenu de ce qui s’est passé après la mise en accusation, les circonstances de l’espèce commandent une analyse plus approfondie à deux égards.

 

[16]           Le premier est la conduite du bombardier Blinn en ce qu’il ne s’est pas présenté en cour lorsqu’il a été convoqué. La présente cour martiale a commencé à siéger à Shilo le 12 décembre 2014. Le bombardier Blinn n’a pas comparu à cette date. La Cour a ajourné l’audience au 12 janvier 2015. Là encore, le bombardier Blinn n’a pas comparu à cette date. Ces absences ont obligé la Cour à décerner un mandat judiciaire pour forcer la comparution de l’accusé devant la Cour aujourd’hui.

 

[17]           Le bombardier Blinn n’a fourni aucune explication à la Cour pour justifier son absence à ces deux dates et ne s’est pas excusé auprès de la Cour. De plus, des fonds publics importants ont été utilisés pour que la Cour puisse siéger à ces deux dates. Les actions de l’accusé ont engendré la perte de fonds publics importants.

 

[18]           J’ai examiné attentivement la question de savoir si je devrais citer le bombardier Blinn pour outrage au tribunal et l’obliger à expliquer pourquoi il ne devrait pas être déclaré coupable d’outrage à la cour martiale. J’ai le pouvoir de le faire. Le paragraphe 179(1) de la Loi sur la défense nationale est ainsi libellé :

La cour martiale a, pour la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour […] toutes autres questions relevant de sa compétence, les mêmes attributions qu’une cour supérieure de juridiction criminelle, notamment le pouvoir de punir l’outrage au tribunal.

 

[19]           J’ai décidé de ne pas le faire pour trois raisons. Premièrement, comme aucune explication n’a été offerte à la Cour, je n’ai pas tous les faits à ma disposition. Deuxièmement, la nature des procédures pour outrage au tribunal oblige les tribunaux à faire preuve de retenue dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Arradi, [2003] 1 RCS 280, les juges devraient faire preuve de retenue dans l’exercice de leur pouvoir en matière d’outrage au tribunal, particulièrement lorsque l’outrage a été commis en dehors des audiences du tribunal. Troisièmement, le législateur a prévu une infraction précise à l’article 118.1 de la Loi sur la défense nationale qui vise les cas où l’accusé n’a pas comparu à son procès. L’article 118.1 est ainsi libellé :

Commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme sentence maximale un emprisonnement de moins de deux ans l’accusé qui, sans excuse légitime — dont la preuve lui incombe — , ne comparaît pas devant un tribunal militaire ou ne demeure pas présent alors qu’il est dûment convoqué.

 

[20]           En l’espèce, étant donné que le législateur a précisément abordé cette question à l’article 118.1, j’estime qu’il serait donc préférable, si la poursuite estime après l’enquête que la preuve et l’intérêt du public le justifient, d’examiner si elle devrait porter une accusation et intenter une poursuite relativement à l’infraction prévue à l’article 118.1, plutôt que d’engager une procédure en outrage au tribunal.

 

[21]           Mais bombardier Blinn, je veux que vous compreniez très clairement deux choses à cet égard. Premièrement, vous êtes condamné aujourd’hui uniquement à l’égard de l’infraction prévue à l’article 90 pour laquelle vous avez été déclaré coupable. J’ai fait preuve de retenue et je n’ai pas considéré que votre conduite, en omettant deux fois de comparaître à votre procès, est une circonstance aggravante. Mais deuxièmement, vous devez comprendre très clairement que vous avez joué avec le feu en agissant de la sorte et que vous avez transformé, par votre conduite, une infraction potentiellement mineure en une infraction beaucoup plus grave qui concerne l’administration de la justice.

 

[22]           J’aimerais formuler un dernier commentaire concernant la compétence et la raison de la tenue d’un procès dans une affaire comme celle qui nous occupe, où l’accusé n’est plus membre des Forces canadiennes, afin de corriger toute mauvaise compréhension qui pourrait persister. Le paragraphe 60(2) de la Loi sur la défense nationale prévoit ce qui suit :

Quiconque était justiciable du code de discipline militaire au moment où il aurait commis une infraction d’ordre militaire peut être accusé, poursuivi et jugé pour cette infraction sous le régime du code de discipline militaire, même s’il a cessé, depuis que l’infraction a été commise, d’appartenir à l’une des catégories énumérées au paragraphe (1).

            Autrement dit, la justice militaire conserve sa compétence sur cette personne, même si elle n’est plus membre des Forces canadiennes.

 

[23]           La raison d’intérêt public qui justifie cela revient aux raisons invoquées pour déterminer la sentence dans le système de justice militaire auxquelles j’ai fait allusion précédemment : favoriser l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral et contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre. Les personnes qui ont commis des infractions militaires doivent être tenues responsables de ces infractions, pour des raisons de justice et de perception de la justice parmi leurs anciens collègues qui demeurent dans les Forces canadiennes.

 

[24]           Ayant formulé ces observations, la Cour n’estime pas que la sentence proposée soit injustifiée au point d’être inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public. Par conséquent, la Cour acceptera la recommandation conjointe des avocats de la poursuite et de la défense en ce qui a trait à la sentence.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[25]      Vous DÉCLARE coupable du troisième chef d’accusation de l’acte d’accusation.

 

[26]      Vous CONDAMNE à une amende de 200 $.


 

Avocats :

Capitaine de corvette S. Leonard et major R. Rooney, Service canadien des poursuites militaires, Procureurs de Sa Majesté la Reine

 

Major S. Collins, Direction du service d’avocats de la défense, Avocat de l’ex-bombardier B.J. Blinn

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