Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 14 avril 2004.
Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).
Chefs d’accusation:
• Chef d’accusation 1 : Al. 117f) LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
• Chef d’accusation 2 : Al. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel signé de sa main.
Résultats:
• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chef d’accusation 2 : Coupable.
• SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

Page 1 of 19 Citation : R. c. Capitaine W.A. Khan, 2004 CM 14 Dossier : C200414 COUR MARTIALE PERMANENTE CANADA NOUVELLE-ÉCOSSE BASE DES FORCES CANADIENNES HALIFAX ______________________________________________________________________ Date :15 avril 2004 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J. M. ______________________________________________________________________ SA MAJESTÉ LA REINE c. CAPITAINE W.A. KHAN (Accusé) ______________________________________________________________________ DÉCISION CONCERNANT UNE DEMANDE PRÉSENTÉE EN VERTU DES ART. 7 ET 11b) DE LA CHARTE POUR UNE INFRACTION DEVANT ÊTRE JUGÉE DANS UN DÉLAI RAISONNABLE (Rendue oralement) ______________________________________________________________________

TRADUCTION OFFICIELLE FRANÇAISE INTRODUCTION [1] Il s’agit de la décision de la cour relativement à la demande présentée par l’avocat de la défense en vertu de l’alinéa 112.05(5)e) des ORFC, avançant qu’il y a eu violation du droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable qui est protégé par l’article 7 et l’alinéa 11b) de la Charte.

[2] Comme il ressort de l’acte d’accusation daté du 20 janvier 2004, qui est versé à titre de pièce 2 dans le cadre de la présente instance, le capitaine Khan est accusé de deux infractions prévues par la Loi sur la défense nationale. La première accusation a été portée aux termes de l’alinéa 117f) pour un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale et la deuxième accusation a été portée aux termes de l’alinéa 125a) pour avoir fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel signé de sa main.

Page 2 of 19 [3] La défense présente une demande au motif que les droits du Capitaine Khan protégés par les articles 7 et 11b) de la Charte ont été violés du fait que sont procès n’a pas eu lieu dans un délai raisonnable. La défense soutient également que les droits du capitaine Khan à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ont été violés, droits qui sont davantage visés, bien sûr, par l’article 7.

[4] À l’appui de son argumentation, la défense invoque tant le délai antérieur au dépôt des accusations que le délai postérieur à ce dépôt et, en ce qui a trait à la réparation, elle soutient que la seule réparation indiquée dans les circonstances de l’espèce est un arrêt des procédures accordé en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

[5] La preuve à l’appui de la présente demande comprend la pièce VD1-1. Il s’agit de l’admission, faite par la poursuite en vertu de l’alinéa 8d) des Règles militaires de la preuve, d’une série de faits. Cette pièce s’intitule « Exposé conjoint des faits, Cour martiale permanente T40 441 607, Capitaine W. Khan,». Elle contient 19 paragraphes et se rapporte aux faits et aux événements qui se sont déroulés à partir de la date à laquelle les infractions présumées auraient été commises jusqu’au début de la présente instance.

LA PREUVE [6] La preuve comprend aussi les pièces VD1-2 et VD1-3, qui sont des copies de la loi intitulée Dental Act et des règlements en matière disciplinaire pris en application de cette loi pour la province de la Nouvelle-Écosse, et dont la Cour a pris connaissance d’office en vertu des paragraphes 15(1) et 15(2), respectivement, des Règles militaires de la preuve. La pièce VD1-4 est une copie de la directive 003/00 intitulée Pouvoir discrétionnaire de poursuivre et vérification postérieure à la mise en accusation diffusée par la directrice des poursuites militaires. La pièce VD1-5 est une copie de la directive 010/00 du juge avocat-général intitulée Politique de vérification préalable à la mise en accusation, et la cour a pris connaissance d’office de ces directives en vertu de l’article 16 Règles militaires de la preuve. La pièce VD1-6 est un affidavit de Stephen Strickey, juge-avocat adjoint au bureau de l’assistant du juge avocat général pour la région de l’Atlantique, qui a donné des conseils juridiques au commandant du détachement de la 1 re unité dentaire à Halifax relativement aux accusations déposées le 16 juillet 2003 contre le Capitaine Khan. La pièce VD1-7 est un autre affidavit, celui-ci de M me Murielle Lafrance, assistante juridique du procureur militaire régional pour la région de l’Atlantique. La preuve relative à la présente demande est complétée par le témoignage de trois témoins, soit le Capitaine Khan, le Sergent Hallett et le Major Hedley.

[7] Selon la preuve, la première accusation, portée aux termes de l’alinéa 117f) de la Loi sur la défense nationale, concerne un incident qui aurait eu lieu entre le 1 er mai et le 31 juillet 2002, à Halifax ou près de cette ville, en Nouvelle-Écosse. Le capitaine Khan, un dentiste

Page 3 of 19 militaire des Forces canadiennes, aurait obtenu de manière frauduleuse des prothèses pour M. Ronald Walsh. Quant à la deuxième accusation, portée aux termes de l’alinéa 125a) de la Loi, elle concerne un incident qui aurait eu lieu le ou vers le 27 mai 2002, à Halifax ou près de cette ville, en Nouvelle-Écosse. Le Capitaine Khan aurait fait une inscription sur le formulaire d’instructions au laboratoire de prothèse dentaire (CF555) indiquant que vous prescriviez la fabrication d’un dentier en cire pour le Maître de 1 re classe E.M. Tremblay V35 225 892, sachant que cette inscription était fausse.

[8] La preuve indique que le Capitaine Khan a signalé lui-même ses actes à son superviseur immédiat, le Major Franklin Hedley, entre les 26 et 29 juillet 2002. Selon le Capitaine Khan, il a envoyé un courriel au Major Hedley le 26 juillet 2002 parce qu’il avait certains doutes à propos de quelque chose qu’il avait fait.

[9] Il a rencontré le Major Hedley et lui a expliqué qu’il avait fait une erreur, une erreur de bonne foi. Le Capitaine Khan a dit qu’il s’attendait à ce que cette réunion lui donne l’occasion de résoudre la situation. Selon lui, à la fin de la réunion, il avait l’impression d’être devenu l’ennemi public 1; toutefois, il a mentionné une analogie faite par le Major Hedley avec une telle conduite dans une partie de hockey : après une punition mineure, le joueur passe deux minutes sur le banc des punitions, puis reprend le jeu immédiatement après.

[10] Le Major Hedley a nié avoir fait une telle analogie au cours de cette conversation, mais il a indiqué, dans son témoignage, qu’il l’avait probablement faite dans une conversation antérieure qu’il avait eue avec le Capitaine Khan au sujet de l’utilisation discutable d’Internet fait par le Capitaine Khan et de la suspension des privilèges de celui-ci à cet égard à ce moment-là.

[11] Le Capitaine Khan a indiqué, dans son témoignage, avoir discuté des événements qui ont donné lieu aux accusations avec de nombreuses personnes durant toute la période, c’est-à-dire entre le mois de juillet 2002 et le mois d’avril 2004. Le Major Rich Johnson, qui était le commandant de détachement de la 1 re unité dentaire à la BFC Halifax a déposé une plainte au service de police militaire de la Formation le 29 juillet 2002, vers 9 h, et a remis une déclaration à la police militaire ainsi qu’une série de documents.

[12] À 11 h 30, le 29 juillet 2002, la police militaire s’est rendue à la pharmacie de l’hôpital de la Base et a parlé avec M me Paula Allen au sujet des commandes faites par le Capitaine Khan. De 14 h 4 à 15 h 22, le 29 juillet 2002, la police militaire a interrogé le Major Hedley, le superviseur immédiat du Capitaine Khan à cette époque. À 16 h, le 29 juillet 2002, la police militaire a obtenu du Matelot-chef Patrick Hopper le registre des accès à l’hôpital après les heures normales. Du 29 juillet 2002 au 30 mai 2003, la police militaire à Halifax a mené une enquête relativement aux incidents allégués. En gros, cela a duré environ 11 mois.

Page 4 of 19 [13] Le Sergent Hallet, qui était Caporal-chef au moment de l’enquête, a témoigné qu’il était responsable de la section des enquêtes de la section de la police militaire à Halifax. Il supervisait alors cinq enquêteurs. Pendant le mois de juillet 2002, il y avait entre 36 et 38 enquêtes en cours dans sa section. Il a déclaré avoir été mis au courant des allégations faites contre le Capitaine Khan le 29 juillet 2002 lorsque le Major Johnson, le commandant de détachement de la 1 re unité dentaire de Halifax, a communiqué avec lui. [14] Le Sergent Hallet dit avoir rencontré le Major Johnson et le Major Hedley relativement à ces allégations. On lui aurait aussi remis quelques documents, notamment un formulaire d’instructions au laboratoire dentaire pour une ordonnance au nom de l’Officier marinier Tremblay.

[15] Le 6 août 2002, la police militaire a interrogé le Capitaine Khan et celui-ci a fait une déclaration. La cour ne connaît pas la nature et les détails de cette déclaration, mais, selon le témoignage du Sergent Hallet, l’interrogatoire, qui avait duré environ deux heures et demie, a été enregistré sur vidéo. Selon le Sergent Hallett, le ton était cordial et le Capitaine Khan a déclaré qu’il avait fait des prothèses pour quelqu’un et qu’aucun argent n’avait été échangé. Selon le Sergent Hallett, le Capitaine Khan n’a pas révélé l’identité du bénéficiaire au départ, mais a fini par le faire peu de temps après en indiquant qu’il s’agissait de M. Walsh, un employé civil travaillant au mess des officiers.

[16] Le Sergent Hallett a témoigné que, vers la fin de l’été 2002, il avait été désigné responsable de la sécurité à l’arsenal canadien de Sa Majesté, tout en continuant d’être responsable de la poursuite de l’enquête sur le Capitaine Khan. En septembre 2002, son nouvel emploi a commencé à lui imposer une lourde charge de travail. En effet, celui-ci impliquait des tâches concernant la protection par les Forces canadiennes des navires et des sous-marins des forces étrangères présentes au Canada ainsi que la responsabilité générale de l’évaluation et des rapports concernant la sécurité des biens du MDN. D’août 2002 à mai 2003, il était également responsable de l’organisation et de la coordination de la conférence sur la sécurité de l’unité, à laquelle plus d’une centaine de personnes ont participé. Il était également responsable de la mise à jour des habilitations de sécurité de son personnel et de la coordination d’un projet important, soit une nouvelle base de données Web accessible à la police militaire dans tout le Canada.

[17] Le Major Hedley, qui est devenu le commandant du détachement dentaire en août 2002, affirme, dans son témoignage, que le Sergent Hallett l’a informé tous les mois des progrès de l’enquête jusqu’en novembre ou décembre 2002. Comme le Sergent Hallett pensait que l’enquête était terminée, le Major Hallett lui a parlé des instructions de laboratoire relatives à l’Officier marinier Tremblay et de ses préoccupations quant au caractère suffisant de l’enquête.

Page 5 of 19 [18] Le 14 janvier 2003, le Sergent Hallett a interrogé M. Ronald Walsh, celui qui avait bénéficié des actes du Capitaine Khan, car il fallait tirer au clair avec cette personne la question de savoir s’il y avait eu ou non échange d’argent entre lui et le Capitaine Khan pour les services allégués.

[19] Le 27 février, la police militaire a transmis un message à ses collègues de Toronto pour leur demander d’interroger le Premier maître de 2 e classe E. M. Tremblay au sujet de leur enquête. Le pm 2 Tremblay est le patient dont le nom apparaît sur le formulaire d’instructions de laboratoire dentaire mentionné dans le deuxième chef d’accusation. Au moment de l’infraction alléguée, il était maître de 1 re classe. [20] Le 10 mars 2003, le pm 2 Tremblay a été interrogé par la police militaire à Toronto. Le 13 mars 2003, les résultats de cet interrogatoire ont été transmis, par message, à la police militaire de la BFC Halifax. Le pm 2 Tremblay a été promu et affecté à un poste à l’extérieur de Halifax à l’été de 2002.

[21] Selon le Sergent Hallett, le pm 2 Tremblay a été retrouvé à Toronto, à la suite de la recherche conduite par un autre policier militaire, soit l’Adjudant Turcotte.

[22] En mars 2003, le Major Hedley a téléphoné au grand prévôt intérimaire à Halifax pour s’informer de l’enquête en cours, car il n’en avait pas eu de nouvelles depuis décembre. Il s’est informé de nouveau en mai 2003. Le 30 mai 2003, le Sergent Hallett avait terminé l’enquête et présenté son rapport. Il est important de noter que le Sergent Hallett n’avait pas le pouvoir de porter des accusations et que son rapport a été transmis à l’unité du Capitaine Khan pour que celle-ci procède à toute action qu’elle jugerait appropriée.

[23] Le 5 juin 2003, le Major Hedley a communiqué avec son conseiller juridique, Stephen Strickey, pour l’informer qu’il avait reçu un rapport de police concernant les allégations faites contre le Capitaine Khan. Le 6 juin 2003, le lendemain, le conseiller juridique de l’unité a reçu le rapport de police et a rencontré le Major Hedley. Le JAA a soulevé une question de droit au sujet du pouvoir de la chaîne de commandement relativement aux questions disciplinaires. Cette question a finalement été réglée le 11 juillet 2003. Entre le 6 juin 2003 et le 16 juillet 2003, le conseiller juridique de l’unité a obtenu de nouvelles divulgations de la police militaire et a tenu des réunions avec le Major Hedley et le Sergent Hallett pour discuter des questions relatives à la preuve, dans le cadre de l’avis juridique obligatoire préalable au dépôt des accusations qui est prévu par l’article 107.03 des ORFC. Le 4 juillet, l’avis juridique préalable au dépôt des accusations a été transmis au Major Joy, au détachement dentaire. Le Major Joy, le Major Hedley et le conseiller juridique se sont rencontrés le 9 juillet 2003 pour discuter du dossier. Le 15 juillet 2003, l’avis juridique postérieur au dépôt des accusations requis par l’article 107.11 des ORFC a été transmis au détachement dentaire.

Page 6 of 19 [24] Le lendemain, le 16 juillet 2003, des accusations ont été déposées contre le Capitaine Khan relativement aux incidents allégués et les procureurs militaires régionaux de Halifax en ont été avisés. Le 29 juillet 2003, le Capitaine Khan s’est adressé au directeur du service des avocats de la défense afin de se faire représenter par un avocat. Le 30 juillet 2003, le commandant du détachement, le Major Hedley, signait une lettre visant à renvoyer les accusations à l’autorité de renvoi, en l’espèce le sous-ministre adjoint (Ressources humaines Militaires) (SMA(RH-Mil). Le 6 août 2003, un membre du bureau du AJAG a pris livraison de l’ensemble des documents relatifs à la demande de renvoi au détachement dentaire et l’a transmis au SMA(RH-Mil) le 13 août 2003.

[25] Le 15 août 2003, un avocat de la défense a été désigné pour représenter le Capitaine Khan. Le 20 octobre 2003, l’autorité de renvoi, après avoir consulté en août et en septembre 2003 les échelons supérieurs de la chaîne de commandement du Capitaine Khan, plus précisément le directeur général, Services de Santé, et le commandant adjoint du Groupe médical des Forces canadiennes, a présenté une demande au directeur des poursuites militaires pour le renvoi de l’accusation à la cour martiale. Cette demande a été reçue par le DAPM, soit le directeur adjoint des poursuites militaires, le 22 octobre 2003. Du début novembre 2003 jusqu’au début janvier 2004, le procureur, le Major Holman, a obtenu la communication des documents pertinents et a interrogé les témoins éventuels, ce qui a donné lieu à la communication initiale de la preuve le 7 janvier 2004 au Major Côté, l’avocat de la défense. Les avocats ont discuté des dates éventuelles du procès dans des courriels qu’ils se sont échangés entre le 12 et le 15 janvier 2004. La poursuite a indiqué que la question pourrait être instruite au cours de la semaine du 16 mars 2004. L’avocat de la défense a répondu qu’il ne serait pas disponible et a proposé que le procès ait lieu pendant la semaine du 19 avril 2004.

[26] Le 23 janvier 2004, les accusations ont été déposées. Le 27 janvier 2004, le poursuivant a reçu une lettre de l’administrateur de la cour martiale qui lui demandait de convenir avec la défense d’une date mutuellement acceptable pour le début du procès. Le Major Holman et le Major Côté ont échangé des courriels sur cette question. Le Major Holman a fait savoir qu’il serait prêt à procéder pendant la semaine du 19 avril 2004, mais qu’il le serait également pendant la semaine du 16 mars 2004. Le Major Côté a alors indiqué qu’il ne pouvait accepter la semaine du 16 mars et ce pour deux raisons : premièrement, il avait un rendez-vous avec un médecin spécialiste et, deuxièmement, il avait trois procès prévus pour mars 2004. Un juge militaire était prêt à siéger pendant la semaine du 16 mars 2004, mais non durant la semaine du 19 avril 2004.

[27] Le 11 février 2004, l’administrateur de la Cour martiale a convoqué une cour martiale permanente pour le 14 avril 2004 afin de juger le Capitaine Khan à l’égard des accusations figurant sur l’acte d’accusation daté du 20 janvier 2004, qui constitue la pièce n o 2.

Page 7 of 19 [28] Le Capitaine Khan a témoigné avoir observé, depuis le moment de son interrogatoire par la police militaire, soit le mois d’août 2002, et jusqu’au moment de sa mise en accusation, soit en juillet 2003, des changements dans son lieu de travail. Il a remarqué qu’il avait perdu le respect de ses subordonnés. Il a relaté un incident au cours duquel un assistant dentaire a franchement mis en question son intégrité et l’a accusé de donner un traitement préférentiel aux officiers supérieurs. Il a entendu des collègues lui dire : « Capitaine con », comme condamné, « il y a un policier militaire ici qui veut vous voir ». Le Capitaine Khan a ajouté qu’il avait l’impression d’être surveillé de près. Il a témoigné que sa carrière n’a pas progressé depuis les infractions présumées, car on l’empêchait de suivre des cours de formation professionnelle tant que son affaire en cour martiale n’était pas terminée, qu’on lui a refusé de suivre des études supérieures, qu’on lui permettait d’être l’aide de camp du lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse, mais seulement durant ses temps libres, soit le soir et la fin de semaine. Il a également indiqué que sa demande en vue d’assister à un cours de parachutisme a également été refusée. La raison officielle qui lui a été donnée est que ce ne serait pas une bonne utilisation des ressources. Il a ajouté que sa demande visant à obtenir un financement pour ses études de maîtrise en administration des affaires a fait erronément l’objet d’un refus, mais il a reconnu qu’il a obtenu un congé pour suivre ses cours, ce qu’a corroboré le Major Hedley.

[29] Le Capitaine Khan a dit que, depuis le mois de juillet 2002, sa santé est bonne, bien que, après une longue pause, il a précisé qu’il avait perdu du poids, souffert de stress et d’anxiété en raison de ce qui se passait et qu’il n’avait pas reçu beaucoup de support de la part de son unité. Il a ajouté qu’il ne pouvait pas dormir, qu’il se réveillait la nuit en rêvant qu’il se trouvait dans une salle d’audience. Son rendement a diminué et ce problème précis nuit à sa concentration au travail. Il prétend que l’éventualité d’une sanction résultant de sa conduite le rend anxieux. Il dit que tout lui semble être contre lui et qu’on ne l’a jamais tenu au courant des procédures disciplinaires imminentes.

[30] Durant son témoignage, il a fallu rappeler à l’ordre le Capitaine Khan à plusieurs reprises au sujet de sa conduite en cour. Il s’est montré extrêmement ergoteur, voire même agressif, et il a argumenté même avec son propre avocat. Il a refusé de répondre promptement aux questions que lui a posées l’avocat lors du contre-interrogatoire et il a même été arrogant et impoli.

[31] Selon le Capitaine Khan, toute décision concernant un refus par sa chaîne de commandement relativement à ses études supérieures ou à sa formation professionnelle depuis juillet 2002, ou tout traitement apparemment incorrect dont il aurait été victime par sa chaîne de commandement ou même par ses collègues et ses subordonnés, étaient entachés de préjugés et dictés par les incidents présumés. Selon lui, il a fait l’objet d’une surveillance méticuleuse et imméritée en raison de ces incidents. Après avoir examiné soigneusement sa preuve ainsi que témoignage du Major Hedley, la cour est convaincue que le Capitaine Khan

Page 8 of 19 peut avoir eu cette impression, mais elle conclut que celle-ci n’est étayée par aucune preuve crédible et pertinente qui lui a été présentée.

[32] Le Major Hedley a témoigné que le Capitaine Khan est un dentiste militaire jeune et relativement inexpérimenté qui requiert le niveau de supervision normal pour un officier de son rang et de son expérience. En fait, le Capitaine Khan s’est inscrit au Programme d’instruction à l’intention des dentistes militaires en août 1998 et a obtenu son diplôme en juin 2001. Il a été affecté au détachement dentaire à Halifax en juillet 2001. Il s’agissait de sa première affectation ou de sa première affectation comme dentiste militaire qualifié. Le Major Hedley a témoigné qu’avant le mois d’août 2002, le rendement du Capitaine Khan était satisfaisant, malgré ses faiblesses dans les domaines suivants : la nécessité de se concentrer sur les patients; ses relations de travail avec les assistants dentaires; l’utilisation qu’il faisait de la technologie de l’information sur le lieu de travail; les pratiques d’ordonnances correctes et la tenue de livre appropriée.

[33] Cependant, le Major Hedley a constaté que le Capitaine Khan était très désireux de travailler et d’apprendre, qu’il était énergique et toujours à la recherche de nouvelles façons d’améliorer son milieu de travail. Selon lui, depuis août 2002, le rendement du Capitaine Khan se serait même amélioré, ce qui se reflète dans son RAP.

[34] En ce qui a trait à la progression de la carrière du Capitaine Khan, le Major Hedley a réfuté les dires du Capitaine Khan. En effet, en ce qui concerne les cours de dentisterie des FC, il a dit qu’il n’avait lui-même suivi que deux de ces cours dans toute sa carrière. Il dit qu’il est certes bien de suivre ces cours, mais qu’ils ne sont pas une condition préalable à la promotion, à laquelle le Capitaine Khan n’est même pas encore admissible, car il n’a pas l’ancienneté de grade exigée pour la promotion au rang de major. Quant au programme d’études supérieures qui aurait été refusé au Capitaine Khan en raison des incidents, le Major Hedley a justifié la décision de ne pas appuyer la demande du Capitaine Khan par son inexpérience relative, laquelle pourrait bénéficier d’une pratique plus générale comme dentiste militaire. Il a signalé que la personne retenue pour ce programme était un dentiste militaire très estimé, du rang de lieutenant-colonel, qui, au moment de la sélection, était le commandant de l’unité dentaire à la BFC Valcartier et qui comptait entre 15 et 20 ans d’expérience dans le domaine de la dentisterie. Contrairement au Capitaine Khan, le Major Hedley n’a pas remarqué de différence dans la manière dont les membres de son détachement ont traité le Capitaine Khan depuis la date des incidents allégués. Le Major Hedley n’a pas été contre-interrogé par l’avocat de la défense et son témoignage n’a nullement été contesté, pas même lorsqu’il a été confronté à la preuve par affidavit et aux admissions faites par la poursuite relativement à l’une ou l’autre de ses actes faits au cours des événements qui ont donné lieu aux accusations soumises à la présente cour. Par conséquent, la cour n’a pas examiné son témoignage seulement en soi, mais aussi au regard de toute la preuve qui lui a été présentée.

Page 9 of 19 Dans l’ensemble, il a témoigné d’une manière franche et rien ne justifie la cour de rejeter une partie quelconque de sa déposition.

[35] Le Capitaine Khan n’a jamais été arrêté ni assujetti à aucune condition par suite des incidents allégués. Il n’a jamais été suspendu de ses fonctions. Il a continué à effectuer son travail de dentiste militaire au détachement dentaire et a été rémunéré en conséquence. Il a continué à recevoir des augmentations de salaire et des augmentations d’échelons de rémunération comme tout officier de sa catégorie de même grade et de même expérience.

POSITIONS DES PARTIES [36] Selon la défense, le délai en l’espèce se compose d’un période de 23 mois, soit 14 mois et demi avant le dépôt des accusations et 9 mois environ après le dépôt de celles-ci. Elle fait valoir que, dans les circonstances, ces délais sont excessifs et déraisonnables. L’avocat de la défense ajoute que ces délais ne sont en rien attribuables à l’accusé et que celui-ci n’a renoncé à aucun délai durant cette période. La défense prétend que le Capitaine Khan a subi un préjudice, en ce que sa santé en a souffert et que cela a indûment nui à la progression de sa carrière. Selon la défense, ces retards ont eu des répercussions importantes sur sa santé; il a perdu du poids et souffert d’anxiété et de stress en raison du délai dans son ensemble.

[37] En ce qui a trait au délai consécutif à l’accusation, la défense fait valoir qu’il n’y a pas eu de renonciations et que l’accusé ou son avocat n’ont rien fait qui ait pu contribuer au délai. Elle prétend que, après l’interrogatoire du Capitaine Khan par le Sergent Hallett, le 6 août 2003, l’enquête était à toutes fins pratiques terminée et qu’il s’agissait d’une enquête très facile. Quant au préjudice subi par l’accusé, elle soutient, citant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Morin, que la longueur du délai postérieur au dépôt de l’accusation est telle qu’on peut en déduire que l’accusé a subi un préjudice. En ce qui concerne le préjudice subi par le Capitaine Khan, l’avocat soutient que la preuve démontre l’existence de répercussions graves et profondes sur la santé physique et émotionnelle de l’accusé ainsi que des conséquences graves et profondes sur sa vie professionnelle. Il est clair, donc, que selon la défense, le délai antérieur au dépôt des accusations devrait intervenir dans la manière dont la cour considérera le délai consécutif au dépôt des accusations.

[38] En ce qui concerne la réparation, la défense soutient que la cour, compte tenu de l’extrême longueur du délai, devrait adopter la solution retenue par le juge en chef Lamer dans l’affaire Rahey, car toute réparation moindre qu’un arrêt des procédures ne ferait que perpétuer la violation des droits de l’accusé qui sont protégés par la Charte. À l’appui de ses prétentions, elle a remis à la cour un recueil de jurisprudence qui comprend les décisions de la Cour suprême du Canada dans R. C. Kalanj, R. c. Morin, R. c. MacDougall, R. c. Askov, R. c. L.(W.K), R. c. Généreux, Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights

Page 10 of 19 Commission) ainsi que les décisions de la Cour d’appel de la cour martiale dans Perrier, Larocque et Langlois.

[39] La poursuite prétend que l’enquête était loin d’être terminée le 6 août 2002. En effet, il restait à vérifier la question de l’échange d’argent entre M. Walsh et le Capitaine Khan, ainsi que l’identité de l’ex-Officier marinier Tremblay et les renseignements le concernant, ce qui a requis une enquête additionnelle.

[40] La poursuite mentionne aussi l’obligation prévue au chapitre 107 des ORFC relativement aux examens juridiques qu’il faut faire avant et après le dépôt des accusations dans le système de justice militaire. Non seulement fait-elle valoir que le délai postérieur au dépôt des accusations était raisonnable dans les circonstances, mais aussi que l’accusé n’a pas subi de préjudice autre que le stress ordinaire que subit un accusé sur qui pèse des accusations relatives à une infraction criminelle.

[41] Sur la question du délai antérieur au dépôt des accusations, la partie indique que l’article 7 de la Charte protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité et précise qu’il n’aurait pu être porté atteinte qu’au droit relatif à la sécurité. Elle ajoute qu’aucune preuve ne démontre que le droit à la vie, à la liberté et à sécurité du Capitaine Khan ont été violés, contrairement à ce que révèle la situation exposée dans l’arrêt Perrier de la Cour d’appel de la cour martiale. La poursuite prétend que rien ne prouve que le délai antérieur au dépôt des accusations aurait pu nuire à son droit à une défense pleine et entière. Enfin, elle conclut ses observations en déclarant que la preuve démontre que l’affaire s’est déroulée aussi rapidement que les circonstances le permettaient, compte tenu de la complexité et de la gravité de l’affaire.

[42] En ce qui a trait à l’analyse juridique, la défense allègue qu’il a été porté atteinte aux droits du Capitaine Khan protégés par l’article 7 et de l’alinéa 11b) de la Charte. La cour commencera par traiter de l’alinéa 11b) et poursuivra ensuite par l’analyse de l’article 7.

ANALYSE [43] Selon l’alinéa 11b) de la Charte : Tout inculpé a le droit : ... d’être jugé dans un délai raisonnable; [44] Cet article de la Charte a donné lieu, au fil des ans, à un nombre relativement important de décisions de nos tribunaux, y compris de la Cour suprême du Canada, mais aussi de la Cour d’appel de la cour martiale.

Page 11 of 19 [45] L’objet premier de l’alinéa 11b) est la protection des droits individuels de l’accusé. Cependant, un intérêt secondaire de la société dans son ensemble a été reconnu par la Cour suprême du Canada. Les droits individuels, que l’article vise à protéger, sont : premièrement, le droit à la sécurité de la personne, deuxièmement, le droit à la liberté et, troisièmement, le droit à un procès équitable.

[46] L’alinéa 11b) protège le droit à la sécurité de la personne en tentant de diminuer l’anxiété, la préoccupation et la stigmatisation qu’entraîne la participation à des procédures criminelles. Il protège le droit à la liberté parce qu’il cherche à réduire l’exposition aux restrictions de la liberté qui résulte de l’emprisonnement préalable au procès et des conditions restrictives de liberté sous caution. Pour ce qui est du droit à un procès équitable il est protégé par la tentative de faire en sorte que les procédures aient lieu pendant que la preuve est disponible et récente.

[47] L’intérêt secondaire de la société ressort de façon évidente lorsqu’il correspond à celui de l’accusé. La société dans son ensemble a intérêt à ce que le moins fortuné de ses citoyens qui est accusé de crimes soit traité de façon humaine et équitable. À cet égard, les procès qui sont tenus rapidement ont la confiance du public.

[48] Il existe également un intérêt de la société qui est, par sa nature même, contraire aux intérêts de l’accusé. Dans l’arrêt Conway, notre Cour, à la majorité, a reconnu que les intérêts de l’accusé doivent être contrebalancés par les intérêts de la société dans l’application de la loi. Ce thème a été repris dans l’arrêt Askov par le juge Cory qui a mentionné que "la société a un intérêt à s’assurer que ceux qui transgressent la loi soient traduits en justice et traités selon la loi" la p. 1219). Plus un crime est grave, plus la société exige que l’accusé subisse un procès. Le rôle de cet intérêt est des plus évidents et son influence des plus apparentes lorsqu’on cherche à absoudre des personnes accusées de crimes graves simplement dans le but d’alléger le rôle.

[49] Dans R. c. Morin [1992] 1 R.C.S. 771, que l’on trouve également à 71 C.C.C. (3d) 1, la juge McLachlin, qui n’était pas encore juge en chef, a indiqué d’autres éléments susceptibles de guider l’appréciation des intérêts qu’une cour doit mettre en balance. À la page 809 du Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada, elle écrit, et je cite :

Il est facile, lorsqu’on examine les facteurs qui peuvent avoir des incidences sur cette détermination, de perdre de vue la véritable question en litige -- savoir se trouve la limite entre des intérêts opposés. D’une part, il y a l’intérêt de la société à traduire en justice les personnes accusées de crimes, afin qu’elles répondent de leur conduite devant la loi. Ce n’est pas trop de dire qu’il s’agit d’un intérêt fondamental et important. Même dans les premières sociétés les plus primitives la loi exigeait que les personnes accusées de crimes soient jugées. Lorsque les personnes accusées de conduite criminelle ne répondent pas de leurs actes devant la loi, l’administration de

Page 12 of 19 justice en subit un préjudice. Les victimes concluent que justice n’a pas été rendue et le public craint que la loi ne s’acquitte pas adéquatement de sa tâche la plus fondamentale.

Sur l’autre plateau de la balance, il y a le droit d’un inculpé d’être jugé dans un délai raisonnable. Lorsque les procès sont retardés, il peut y avoir déni de justice. Des témoins oublient ou disparaissent. La qualité de la preuve peut se détériorer. La liberté et la sécurité des accusés peuvent être limitées beaucoup plus longtemps qu’il n’est nécessaire ou justifiable. Non seulement de tels délais ont des conséquences pour l’accusé, mais ils peuvent également avoir un effet sur l’intérêt du public dans l’administration rapide et équitable de la justice.

[50] En plus de ses décisions dans Mills, Conway et Askov, la Cour suprême du Canada a formulé des lignes directrices à suivre dans l’application des facteurs à prendre en compte pour décider qu’un délai est déraisonnable. S’exprimant pour la majorité de la Cour, le juge Sopinka, tel était alors son titre, écrit, dans Morin à la page 787 du Recueil des arrêts de la Cour suprême, et je cite :

La méthode générale pour déterminer s’il y a eu violation du droit ne consiste pas dans l’application d’une formule mathématique ou administrative mais plutôt dans une décision judiciaire qui soupèse les intérêts que l’alinéa est destiné à protéger et les facteurs qui, inévitablement, entraînent un délai ou sont autrement la cause du délai. Comme je l’ai souligné dans l’arrêt Smith, précité, "[i]l est évident qu’un certain délai est inévitable. La question est de savoir à quel point le délai devient déraisonnable." la p. 1131). Bien que la Cour ait à l’occasion dit autre chose, il est maintenant admis que les facteurs à prendre en considération pour analyser la longueur d’un délai déraisonnable sont les suivants:

1. la longueur du délai; 2. la renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul; 3. les raisons du délai, notamment a) les délais inhérents à la nature de l’affaire, b) les actes de l’accusé, c) les actes du ministère public, d) les limites des ressources institutionnelles, e) les autres raisons du délai; 4. le préjudice subi par l’accusé. Ces facteurs sont essentiellement les mêmes que ceux que notre Cour a analysé (sic) dans l’arrêt Smith, précité, à la p. 1131, et dans l’arrêt Askov, précité, aux pp. 1231 et 1232.

Page 13 of 19 [51] Dans Morin, la juge McLachlin a fait des commentaires additionnels sur les facteurs à considérer et sur le processus que la cour doit suivre pour déterminer s’il faut accorder ou non la réparation que constitue l’arrêt des procédures. Aux pages 810 et 811, elle écrit :

Lorsqu’il décide s’il y a lieu d’arrêter les procédures contre l’accusé, le juge doit soupeser l’intérêt de la société à voir les inculpés traduits en justice et celui de l’accusé à obtenir rapidement une décision. Finalement, avant de surseoir aux accusations, le juge doit être convaincu que l’intérêt de l’accusé et de la société dans la tenue rapide d’un procès est plus important que l’intérêt de la société à ce que l’accusé soit jugé.

[52] Elle ajoute : À mon avis, le travail du juge du procès qui examine une demande de suspension des accusations peut, de manière utile, être considéré comme comportant deux volets. Le premier consiste à déterminer si on a présenté une preuve prima facie ou preuve préliminaire que le délai est déraisonnable.

[53] Et elle poursuit : Si cette preuve préliminaire ou preuve prima facie est établie, le tribunal doit examiner d’une manière plus attentive le droit de l’accusé à être jugé dans un délai raisonnable et si ce droit l’emporte sur l’intérêt opposé de la société à ce que la personne accusée d’une infraction criminelle soit traduite en justice. Il s’agit de déterminer si, étant donné les faits de l’affaire, l’atteinte aux droits de l’accusé et l’inconvénient causé à l’administration de la justice qu’entraînerait le report de la date du procès l’emportent sur l’intérêt de la société à exiger que la personne accusée soit traduite en justice.

[54] Comme l’a noté la Cour suprême du Canada dans R. c. MacDougall (1998), 128 C.C.C. (3d) 483, à la page 499, au paragraphe 41 :

Cette analyse ne doit pas être effectuée mécaniquement. Le cadre ainsi que les facteurs énoncés dans Askov et Morin, ne sont ni immuables ni inflexibles. Comme l’a souligné le juge L’Heureux-Dubé dans Conway, précité, [...] il ne sera jamais possible de dresser la liste exhaustive des facteurs à considérer.

[55] Dans cette optique, la cour adopte, à l’instar des juges militaires qui présidaient les cours martiales permanentes dans l’affaire R. c. Byrne et l’affaire R. c. Young, le processus proposé par la Cour d’appel de Terre-Neuve dans R. c. Reid (1999), N.J. No. 47 - et cet arrêt est publié dans QuickLaw - comme celui à appliquer lorsque le juge du procès entend une demande en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte d’ordonner l’arrêt des procédures au motif que le droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable garanti par l’alinéa 11b) a été violé. À la page 12 de cette décision, le juge en chef Wells, s’exprimant pour la majorité de la cour, a proposé que le juge devrait :

Page 14 of 19 [TRADUCTION] (1) Premièrement, considérer la longueur du délai, l’évaluer en fonction des autres facteurs et déterminer si une telle longueur soulève la question du caractère raisonnable, en gardant à l’esprit que le fardeau de prouver une telle violation de la Charte incombe au demandeur. Si la longueur du délai en question n’est pas exceptionnelle compte tenu de ce à quoi on pourrait raisonnablement s’attendre dans le cas d’une telle accusation, alors la question du caractère raisonnable ne se pose pas et cela met fin à l’affaire.

(2) Si la longueur du délai est telle qu’elle soulève la question du caractère raisonnable, alors une enquête plus poussée est justifiée.

(3) S’il est allégué que l’accusé a renoncé à invoquer une ou plusieurs parties du délai, prétention dont le fardeau de preuve incombe au ministère public, le juge doit soustraire de la longueur totale du délai la ou les parties à l’égard desquels le juge conclut que l’accusé a effectivement renoncé à ses droits aux termes de l’alinéa 11b) de la Charte.

(4) Si la période de temps nette qui reste après la soustraction de la ou des périodes à l’égard desquelles la cour a conclu que l’accusé a renoncé à ses droits aux termes de l’alinéa 11b) de la Charte est toujours déraisonnable, alors la cour poursuit son enquête et examine toute autre explication justifiant le délai notamment a) les délais inhérents à l’affaire, b) les actions de l’accusé, c) les actions du ministère public, d) les limites des ressources institutionnelles et e) toute autre raison du délai.

(5) Si, après avoir pris en compte les explications, la longueur du délai demeure manifestement déraisonnable, le juge doit déterminer si l’accusé a subi quelque préjudice par suite du délai.

(6) Si l’accusé a subi un préjudice, le juge doit déterminer si le préjudice était tel qu’il l’emporte sur le préjudice qui serait causé à la société si l’accusé ne devait pas subir son procès à l’égard des accusations.

[56] Appliquons maintenant ces principes à la présente affaire. Premièrement, la longueur du délai. Ce facteur exige que la cour examine la période écoulée entre le dépôt des accusations et la fin du procès, y compris le prononcé de la sentence. Dans le système de justice militaire, une accusation est déposée dès qu’elle est consignée par écrit à la partie 1 du procès-verbal de procédure disciplinaire et signée par une personne autorisée à porter des accusations. En l’espèce, le Major Joy était cette personne et elle a signé un procès-verbal de procédure disciplinaire le 16 juillet 2003 et la cour est convaincue que le délai postérieur à la mise en accusation part de cette date.

[57] En ce qui concerne le délai antérieur au dépôt des accusations, il peut, dans certaines circonstances, influencer la détermination globale du caractère déraisonnable du délai postérieur au dépôt des accusations, mais en soi, il n’est pas pris en compte pour déterminer la longueur du délai. La Cour suprême du Canada a confirmé un tel point de vue dans l’arrêt

Page 15 of 19 R. c. Finn (1997), 112 C.C.C. (3d) 288, dans lequel elle a déclaré être souscrire à ce sujet aux motifs du juge Marshall de la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador, publiée à 106 C.C.C. (3d) 43. Et ce principe a été reconnu par la Cour d’appel de la cour martiale dans les décisions récentes de Perrier et de Larocque. La décision de la CACM dans Langlois ne portait que sur l’article 7 de la Charte et, donc, la Cour traitera de cette décision particulière lorsqu’elle se penchera sur la violation présumée des droits de l’accusé protégés par l’article 7 de la Charte.

[58] Eu égard à l’ensemble de la preuve qui lui est présentée, la cour estime qu’en l’espèce, il ne faut pas tenir compte du délai antérieur au dépôt des accusations pour déterminer la longueur du délai postérieur au dépôt des accusations. Même si l’avocat de la défense a essayé d’établir un parallèle entre la présente affaire et l’affaire Perrier, la cour statue que les circonstances des deux affaires sont trop différentes pour établir un parallèle. Dans l’affaire Perrier, le juge militaire a expliqué que, dans son calcul des 24 mois, il tenait compte des 17 mois s’étant écoulé de la fin de l’enquête de la police jusqu’à la mise en accusation, auxquels il ajoutait les six mois postérieurs à la mise en accusation. Et, de plus, il a déclaré que, étant donné que Perrier avait été suspendu de ses fonctions militaires, une suspension qui ressemblait fortement à une mise en accusation dans les circonstances, selon lui, le délai initial devait s’écouler à partir de la date de la suspension. Dans l’affaire Perrier, les trois périodes dans leur ensemble constituaient, disait-il, une violation des droits garantis par l’article 7 et il ajoutait une conclusion subsidiaire relativement à l’alinéa 11b) de la Charte. Il est important de noter que, dans Perrier, l’accusé avait reconnu sa responsabilité à la première occasion, qu’il avait été suspendu de ses fonctions et qu’il n’avait reçu aucun salaire militaire pendant toute la période.

[59] En l’espèce, les faits n’étayent pas la proposition selon laquelle la situation antérieure au dépôt des accusations du Capitaine Khan est comparable, de quelque manière ou forme que ce soit, à celle de l’affaire Perrier. La défense a également soutenu qu’il devait être tenu compte du délai postérieur au dépôt des accusations pour procéder à l’analyse de l’alinéa 11b) à la lumière de la décision de la CMCA dans R. c. Larocque. La cour peut tout au plus supposer que l’analogie de la défense repose sur le fait que, dans l’affaire Larocque, l’enquêteur avait indiqué au procès que, le 21 octobre 1998, il considérait que son enquête était essentiellement terminée et que les accusations n’ont pas été déposées avant le mois de novembre 99. Il faut aussi faire une distinction avec cette affaire pour les besoins de déterminer si le délai antérieur au dépôt des accusations a eu une influence sur la détermination globale de la question de savoir si le délai postérieur au dépôt des accusations était déraisonnable. Comme l’a exprimé le juge Létourneau dans Larocque, au paragraphe 21, et je le citerai en français puisque l’avocat de la défense a remis à la cour un exemplaire français de cette décision:

Page 16 of 19 ... Il ne s’agissait pas d’une accusation complexe et la preuve reposait essentiellement sur la ... plaignante.

[60] Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque la preuve fournie par M. Walsh et par le Premier maître de 2 e classe Tremblay était pertinente et importante relativement aux accusations dont la cour est saisie. En conséquence, la cour est convaincue que le délai à considérer aux fins de l’alinéa 11b) est de neuf mois. Un délai de neuf mois pourrait être excusable dans des circonstances appropriées, mais la cour estime qu’un tel délai suffit à soulever la question du caractère raisonnable. Comme elle a conclu que la longueur du délai est telle qu’elle soulève la question du caractère raisonnable, l’enquête sur le délai se poursuit.

[61] La cour est convaincue que l’accusé n’a pas renoncé à invoquer une ou plusieurs parties du délai. En conséquence, le délai demeure inchangé et la cour doit poursuivre son enquête et examiner toute autre explication du délai dont : les délais inhérents à l’affaire, les actions de l’accusé, les actions du ministère public, les limites des ressources institutionnelles et toute autre raison du délai.

[62] Un certain délai constitue une composante inhérente à tout processus de justice, y compris le processus de la justice militaire. En l’espèce, quelles étaient les causes du délai et les explications justifient-elles le délai eu égard aux circonstances? La preuve présentée à la cour sur cette question est abondante. Examinons les délais inhérents à l’affaire : toutes les infractions comportent certaines exigences inhérentes en matière de délais qui retardent inévitablement l’affaire. La complexité du procès est une exigence qui a souvent été mentionnée, et plus une affaire est compliquée, plus elle demandera de temps de préparation à l’avocat et plus le procès durera longtemps une fois qu’il sera commencé. Il faut également tenir compte du fait qu’on ne peut s’attendre que l’avocat de la poursuite et celui de la défense consacrent leur temps exclusivement à une affaire, et comme l’a dit la Cour suprême, les juges de première instance ont toute la compétence voulue pour déterminer le temps qu’il convient d’accorder aux avocats. Mais les délais inhérents à une affaire ne se limitent pas à la complexité de celle-ci.

[63] En l’espèce, il ressort de la preuve qu’il s’agissait d’une affaire qui n’était, somme toute, pas très complexe, mais qu’il fallait trouver les témoins et les interroger. La preuve indique que l’enquêteur n’avait pas l’autorisation de déposer des accusations et que l’affaire devait être renvoyée aux autorités de l’unité pour qu’il y soit donné suite. L’autorité disciplinaire du commandant du détachement dentaire à Halifax soulevait une question juridique qui requérait un examen juridique, lequel a finalement mené à des modifications des ordres permanents de l’unité, et il s’agissait donc d’un véritable problème. En même temps, la nature de l’enquête et le statut de l’enquête de la police militaire requéraient un examen préalable au dépôt des accusations et un examen postérieur au dépôt des accusations par le conseiller juridique de l’unité. L’affaire a être transmise à l’autorité de renvoi, soit

Page 17 of 19 (SMA(RH-Mil) à Ottawa, laquelle a consulté les échelons les plus élevés du Groupe des services médicaux des Forces canadiennes ainsi que le directeur des Services de santé généraux, et cette mesure, selon la cour, était entièrement indiquée dans le système de justice disciplinaire. La question a alors été renvoyée, selon les règlements, au directeur des poursuites militaires, qui a déposé des accusations le 23 janvier 2004.

[64] En ce qui concerne les actions de l’accusé : il ne faut pas interpréter cette partie des raisons du délai comme si elle blâmait l’accusé d’une partie quelconque de ce délai. Il n’est pas nécessaire d’imputer des motivations irrégulières à l’accusé pour considérer ce facteur. Cette rubrique comprend notamment toutes les actions prises par l’accusé qui peuvent avoir entraîné un délai et y avoir contribué. En l’espèce, ou dans l’affaire dont la cour est saisie, la cour estime que l’accusé est responsable du délai qui va du 16 mars jusqu’au 14 avril 2004. L’avocat de la défense a demandé que le procès ait lieu durant la semaine du 19 avril 2004, car il n’était pas disponible avant cette date ayant déjà trois procès prévus pour mars ainsi qu’un rendez-vous médical important. La poursuite était disponible pour le procès et un juge était également disponible pour entendre l’affaire. Dans ces circonstances, le délai doit être imputé à l’accusé.

[65] Les actions de la poursuite : comme pour la conduite de l’accusé, ce facteur ne vise pas à jeter un blâme. Ce facteur sert seulement à voir quelles actions de la poursuite ont retardé le procès. La preuve indique que le conseiller juridique de l’unité a donné des conseils juridiques et qu’il a procédé aux examens qui devaient être faits avant et après le dépôt des accusations. La preuve indique également que le conseiller juridique de l’unité a fait preuve de diligence, de même que les personnes qui ont participé à l’affaire, de la personne qui a déposé les accusations jusqu’au (SMA(RH-Mil). Quant au directeur des poursuites militaires, encore, cette personne a agi avec promptitude et diligence dès que le dossier lui a été renvoyé par le (SMA(RH-Mil) en octobre 2003. Il y a lieu de distinguer d’une situation dans laquelle l’enquêteur a le pouvoir de déposer des accusations et dans laquelle le pouvoir discrétionnaire de la chaîne de commandement de l’accusé y compris de l’autorité de renvoi est, dans de tels cas, plus limitée.

[66] Passons maintenant aux limites des ressources institutionnelles, la cour est convaincue que les ressources étaient suffisantes et que toute limite de ces ressources n’a pas contribué au délai. Par ailleurs, il n’y a en l’espèce aucun élément de preuve susceptible de relever de la catégorie des autres motifs pouvant expliquer le délai. Ainsi, la cour, ayant pris en compte les explications avancées par la poursuite telles qu’elles ressortent du témoignage du Major Hedley, ainsi que des pièces VD1-1, V-D6 et VD-7, à la lumière des directives marquées comme pièces VD1-4 et VD1-5 et les exigences obligatoires imposées aux divers intervenants dans le processus disciplinaire, non seulement au chapitre 107 des ORFC, mais aussi aux chapitres 108, 109 et 110 des ORFC, est convaincue qu’un délai de 8 mois, soit un délai de 9 mois dont on a soustrait le mois qui doit être imputé aux actions de l’accusé, à

Page 18 of 19 savoir les actions de son avocat quant au fait qu’il ne pouvait être disponible pour procéder au cours de la semaine du 16 mars 2004, se trouve à la limite la plus élevée de ce qui doit être considérée comme raisonnable dans les circonstances. Par conséquent, la cour n’a pas à poursuivre son enquête plus à fond.

[67] La cour a examiné la longueur du délai dans le cadre du processus judiciaire que suppose l’alinéa 11b), et qu’on désigne comme étant un processus de pondération. Eu égard aux autres facteurs, la cour, après avoir tenu compte des principes juridiques et avoir appliqué ces principes à la preuve, conclut que la longueur du délai n’est pas déraisonnable.

[68] En ce qui concerne la deuxième partie de la présente demande dans laquelle la défense soutient qu’il y a eu violation du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité du Capitaine Khan qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte et qu’il y aurait lieu d’accorder un arrêt des procédures comme réparation, la cour n’est pas convaincue que la preuve étaye cette prétention. La cour est persuadée que l’enquête n’était pas, à toute fin pratique, terminée en août 2002, mais bien plutôt en mai 2003. Dans le scénario le plus favorable à l’accusé, l’enquête n’aurait pas pu être terminée avant le 13 mars 2003, date à laquelle la police militaire en service à Toronto a fait suivre au Sergent Hallett, à la demande de ce dernier, l’information obtenue du Premier maître de 2 e classe Tremblay. Les faits de l’espèce peuvent être distingués de ceux de l’affaire Larocque. De plus, il ne faut pas oublier que, dans l’affaire Larocque, la majorité n’était pas convaincue, malgré les faits, que les droits de l’accusé en vertu de l’article 7 avaient été violés.

[69] La cour a déjà fait une distinction entre la présente espèce et l’affaire R. c. Perrier, dans laquelle l’accusé avait été suspendu de ses fonctions dès le début de l’enquête, avait subi des pertes financières et avait été stigmatisé en raison des mesures prises par son unité. La cour répète que le Capitaine Khan n’a jamais été suspendu de ses fonctions, n’a jamais été arrêté, n’a jamais été mis sous garde et qu’aucune restriction à sa liberté ne lui a été imposée. Il a continué à travailler sans interruption à un poste correspondant à son rang et à son expérience et a été payé en conséquence, avec tous les avantages que cela implique.

[70] Dans le contexte criminel, l’atteinte que l’État porte à l’intégrité physique et la tension psychologique causée par l’État constituent une violation de la sécurité de la personne. Dans ce contexte, il a été statué que la sécurité de la personne concerne l’intégrité physique et psychologique de la personne. Les atteintes de l’État à l’intégrité psychologique d’une personne ne font pas toutes intervenir l’art. 7. Lorsque l’intégrité psychologique d’une personne est en cause, la sécurité de la personne se limite à la tension psychologique grave causée par l’État.

[71] Premièrement, le préjudice psychologique doit être causé par l’État, c’est-à-dire qu’il doit résulter d’un acte de l’État. Deuxièmement, le préjudice psychologique doit être grave.

Page 19 of 19 Pour que la sécurité de la personne soit en cause en l’espèce, l’acte reproché à l’État doit avoir eu des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique du défendeur. La Cour doit inférer des observations faites par la défense que la preuve, selon la défense, démontre des répercussions graves et profondes sur la santé physique et émotionnelle de l’accusé et des répercussions graves et profondes sur sa carrière professionnelle en tant qu’officier dentiste dans les Forces canadiennes, quoiqu’il n’ait pas été clair à ce sujet.

[72] En appliquant ces principes, ou les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission) [2000] 2 R.C.S. 307 et, à la lumière de la décision de la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire Langlois, la cour n’est pas convaincue que le droit à la sécurité du Capitaine Khan en vertu de l’article 7 a été violé. Ceci ne signifie pas que l’anxiété et le stress qu’il a subis jusqu’à maintenant ne sont pas réels. Ils sont certainement liés au fait d’être suspect et finalement d’être accusé d’actes de caractère frauduleux, en particulier lorsqu’on est officier. La cour a déjà mentionné qu’elle estimait que le stress et l’anxiété de l’accusé avaient certainement contribué au comportement quelque peu regrettable qu’il a eu pendant son témoignage devant elle au cours de ce voir-dire, mais la preuve présentée à la cour ne suffit pas à démontrer que les actions reprochées à l’État ont eu des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique du Capitaine Khan relativement à sa vie personnelle et professionnelle, qui serait visé par l’article 7 de la Charte.

CONCLUSION [73] Par conséquent, la Cour conclut que les droits du Capitaine Khan en vertu de l’article 7 n’ont pas été violés et, pour ces motifs, la partie de la demande de la défense qui se rapporte à l’article 7 de la Charte est également rejetée.

LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J. M. Avocats : Major R. Holman, Directeur des poursuites militaires, région de l’Atlantique Lieutenant de vaisseau G.M. Connor, Juge avocat adjoint Halifax, procureur adjoint Procureurs de Sa Majesté la Reine Major J.D.M. Côté, Direction du Service d’avocats de la défense Avocat du Capitaine Khan

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