Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 11 mai 2015.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON).

Chef d’accusation :

• Chef d’accusation 1 : Art. 90(1) LDN, s’est absenté sans permission.

Résultats :

• VERDICT : Chef d’accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

Référence : R. c. Farrant, 2015 CM 4008

Date : 20150511

Dossier : 201436

Cour martiale permanente

Base des Forces canadiennes de Petawawa

Petawawa (Ontario) Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

- et -

Caporal L.J. Farrant, accusé

Devant : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE FONDÉE SUR L’ABSENCE DE PREUVE PRIMA FACIE CONTRE L’ACCUSÉ À L’ÉGARD D’UNE ACCUSATION

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

(Prononcée de vive voix)

INTRODUCTION

[1]               Le caporal Farrant fait face en l’espèce à une accusation d’absence sans permission aux termes de l’article 90 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour ne s’être pas présenté à son poste au bâtiment Y-101 de la Garnison Petawawa le 7 mai 2014. Son absence s’est prolongée jusqu’à 0745 heures le lendemain, le 8 mai 2014.

LA PREUVE

[2]               La poursuite a appelé quatre témoins avant d’informer la Cour que la présentation de sa preuve était terminée. Les superviseurs ont déclaré que le 6 mai 2014, soit la veille de son absence, le caporal Farrant avait indiqué qu’il ne serait pas à l’unité à Petawawa le lendemain, soit le 7 mai, parce qu’il avait un rendez-vous à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa. C’est sur la foi de cette déclaration que son absence a été autorisée et qu’il a été dispensé de se présenter à 0800 heures le 7 mai au bâtiment Y-101. Cependant, plus tard ce matin-là, un fonctionnaire provincial a contacté le capitaine-adjudant de l’unité pour s’enquérir du caporal Farrant, car il avait été informé qu’il se trouvait à Smiths Falls (Ontario). Cette information a amené le personnel chargé de l’unité à appeler différents fonctionnaires pour effectuer des vérifications, en conséquence de quoi la chaîne de commandement a été avisée que le caporal Farrant n’avait pas pris la navette quotidienne allant de la Garnison Petawawa à Ottawa et que rien n’indiquait qu’il s’était présenté à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa. À ce stade, l’exercice d’établissement des faits s’est transformé en enquête disciplinaire au sein de l’unité. Le caporal Farrant a été mis en examen et interrogé le 8 mai par un superviseur qui lui a posé un certain nombre de questions auxquelles il a refusé de répondre, sur les conseils de son avocat. Le 9 mai 2014, un autre superviseur lui a réclamé des explications et la preuve de sa présence au rendez-vous du 7 mai. Le caporal Farrant a déclaré à nouveau qu’il refusait de discuter de l’affaire conformément aux conseils de son avocat. Le même superviseur lui a ensuite ordonné de faire la preuve qu’il était allé à un rendez-vous, ce à quoi il a répondu qu’il n’avait pas de rendez-vous.

LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE L’ACCUSATION

[3]               Les éléments essentiels d’une accusation d’absence sans permission aux termes de l’article 90 de la LDN sont les suivants :

a)                  l’identité de l’accusé comme auteur de l’infraction;

b)                  la date, l’heure et le lieu où il devait gagner son poste;

c)                  l’accusé savait ou aurait dû savoir où et quand il devait gagner son poste;

d)                 l’accusé était absent et la durée de l’absence;

e)                  l’absence n’était pas autorisée, c.-à-d. c’était une absence sans permission.

POSITION DES PARTIES

[4]               Lorsque la poursuite a terminé de présenter sa preuve, conformément au paragraphe 112.05 des ORFC, l’accusé a présenté une requête fondée sur l’absence de preuve prima facie à l’égard de l’accusation au motif que la poursuite n’avait pas présenté la moindre preuve concernant l’élément essentiel de l’identité du caporal Farrant  comme auteur de l’infraction. La défense fait d’ailleurs valoir qu’aucun des témoins n’a identifié le caporal Farrant dont il était question dans leur témoignage comme étant la personne assise dans la salle d’audience à côté de l’avocat de la défense.

[5]               La poursuite a répliqué très succinctement qu’aucun témoin n’avait effectivement désigné l’accusé assis à côté de l’avocat de la défense comme le caporal Farrant, en ajoutant que cet exercice était un détail technique et qu’il n’était pas formellement nécessaire. Le procureur a ajouté que l’accueil de la requête fondée sur l’absence de preuve prima facie et l’acquittement de l’accusé pour ce motif jetteraient le discrédit sur l’administration de la justice.

[6]               Après que le procureur a présenté cet argument, la Cour lui a demandé de son propre chef de s’avancer sur la question de savoir si une preuve prima facie avait été établie contre l’accusé relativement au cinquième élément essentiel de l’infraction, à savoir que l’absence était autorisée, ou plus exactement en l’espèce si l’autorisation accordée de se rendre à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa le 7 mai 2014 avait été annulée du fait que l’accusé ne s’y est pas présenté à la date dite. La Cour était préoccupée par l’absence de preuve quant à la question de savoir si l’accusé était allé à l’Institut de cardiologie. La poursuite n’a pas eu de commentaires à offrir sur ce point.

LE DROIT APPLICABLE

[7]               Comme je l’ai mentionné, le droit régissant les requêtes fondées sur l’absence de preuve prima facie en cour martiale est énoncé au paragraphe 112.05(13) des ORFC. La note (B) se rapportant à cette disposition et relative à cette question prévoit :

(B) Une preuve prima facie est établie si la preuve, qu’on y ajoute foi ou non, suffit, en l’absence de toute autre preuve, à prouver tous les éléments essentiels de l’infraction de sorte que l’accusé pourrait raisonnablement être reconnu coupable à ce stade-ci du procès en l’absence de toute autre preuve. Il n’est tenu compte ni de la crédibilité des témoins, ni du poids accordé à la preuve pour établir une preuve prima facie. La doctrine du doute raisonnable ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de décider si une preuve prima facie est établie.

[8]               Cette note exprime en substance la règle applicable à l’égard des verdicts de non-culpabilité imposés lorsque la poursuite a terminé de présenter sa preuve, telle qu’elle a été acceptée par la Cour suprême du Canada. Le critère à appliquer a été énoncé par le juge Fish, qui a rendu la décision au nom de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Fontaine, 2004 CSC 27, au paragraphe 53 :

[L]a preuve contre l’accusé ne peut être soumise au jury que si le dossier renferme des éléments de preuve permettant à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure rationnellement que l’accusé est coupable hors de tout doute raisonnable.

Cette règle a récemment été réitérée sous un angle différent par le juge Binnie, qui s’exprimait au nom de la majorité de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Barros, 2011 CSC 51, au paragraphe 48 :

Le juge ne peut imposer un verdict s’il existe un quelconque élément de preuve directe ou circonstancielle admissible qui, s’il était accepté par un jury correctement instruit agissant de manière raisonnable, justifierait une déclaration de culpabilité.

[9]               La Cour ne peut tenir compte de la qualité de la preuve pour déterminer si la poursuite a présenté des éléments de preuve relativement aux éléments essentiels de chaque accusation de telle manière à ce qu’un jury correctement instruit puisse raisonnablement trancher la question : pas qu’il « trancherait » ou qu’il « devrait » trancher, mais simplement qu’il « puisse » la trancher.

QUESTION À TRANCHER

[10]           J’estime que la poursuite a présenté des éléments de preuve établissant la date, l’heure et le lieu du poste, que l’accusé savait où et quand il devait prendre son poste et qu’il s’est absenté de son unité jusqu’au lendemain.

[11]           Comme l’a fait valoir la défense, la seule question à laquelle la Cour doit donc répondre est de savoir si le dossier contient des éléments de preuve sur la base desquels un tribunal de la Cour martiale générale ayant reçu des instructions appropriées puisse rationnellement conclure que l’accusé est coupable au-delà de tout doute raisonnable, en ce qui a trait à l’élément essentiel de l’identité.

[12]           Quant à l’élément de l’absence d’autorisation qu’a soulevé la Cour, à savoir que l’accusé avait été autorisé à s’absenter pour autant qu’il se rendît à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, la poursuite était obligée de prouver que cette autorisation était invalidée par le défaut de l’accusé de se rendre à l’Institut. La question devient alors de savoir si un tribunal de la Cour martiale générale correctement instruit pourrait conclure que l’accusé était absent de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa.

ANALYSE

[13]           Pour pouvoir trancher la question que m’a soumise la défense, je dois déterminer si celle-ci a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun élément de preuve n’a permis d’établir un lien entre la personne que les témoins désignaient comme le caporal Farrant et l’accusé assis dans la salle d’audience. Quoique cet élément soit celui de l’identification, le véritable enjeu du débat est ici la reconnaissance, puisque les quatre témoins de la poursuite ont dû avoir des interactions avec le caporal Farrant avant l’infraction alléguée et qu’ils le connaissaient. Il reste que la Cour n’a entendu aucun d’eux déclarer qu’ils reconnaissaient le caporal Farrant comme étant l’homme assis à côté de l’avocat de la défense. La poursuite ne nie pas cette absence de preuve. Par conséquent, il est clair que la défense s’est acquittée de son fardeau quant à l’absence de preuve d’identification.

[14]           La poursuite soutient que d’acquitter l’accusé sur la base d’une telle question technique jetterait le discrédit sur l’administration de la justice. Si tel est le cas, c’est qu’il faut faire plus d’efforts pour faire prendre conscience à la communauté militaire des exigences strictes relatives aux infractions à prouver au-delà de tout doute raisonnable devant les tribunaux militaires. Le fait est que l’un des éléments essentiels en l’espèce n’est pas prouvé. Cette absence totale de preuve ne laisse aucun choix à la Cour, si ce n’est de s’acquitter de son obligation de statuer en stricte conformité avec la loi. En agissant autrement, c’est la Cour qui risquerait de jeter le discrédit sur l’administration de la justice.

[15]           Dans ce pays, toute personne faisant face à des accusations criminelles ou pénales est d’ailleurs présumée innocente jusqu’à ce que la poursuite prouve sa culpabilité au‑delà de tout doute raisonnable. Ce fardeau incombe à la poursuite tout au long du procès et n’est jamais transféré. Il n’incombe jamais à l’accusé de prouver qu’il est innocent. Il s’agit là d’un principe fondamental et non d’un simple détail technique.

[16]           Le tribunal reconnaît les difficultés auxquelles les responsables de l’unité ont eu à faire face dans cette affaire. Le personnel responsable de l’unité a reçu des renseignements troublants concernant l’endroit où se trouvait le caporal Farrant, qui appelaient des mesures. Une enquête a été menée, et a permis de mettre le caporal Farrant en face de l’allégation crédible selon laquelle il avait obtenu l’autorisation de s’absenter de son poste sous un faux prétexte. Les témoignages entendus par la Cour révèlent que des efforts ont été déployés pour obtenir des informations de sources diverses et accorder au caporal Farrant son droit d’être représenté par un avocat et de garder le silence, droits que certaines personnes mal informées pourraient qualifier de points de détail, mais qui sont en vérité des droits fondamentaux. En l’espèce, l’accusé a exercé ses droits et décidé de garder le silence.

[17]           Il est clair que l’absence d’aveu de l’accusé a rendu difficile la tâche de la poursuite, qui était de prouver au-delà de tout doute raisonnable que l’accusé ne s’était pas rendu à l’Institut de cardiologie. Pourtant, ce n’est pas une tâche impossible. Les témoins qui ont été appelés à déposer n’ont pas pu présenter un témoignage admissible portant que l’accusé ne se trouvait pas à l’Institut de cardiologie puisqu’ils tenaient simplement cette information d’autres sources, par téléphone. Les personnes à l’autre bout du fil auraient pu fournir des déclarations. Selon toute vraisemblance, elles étaient en possession de documents montrant que l’accusé n’était pas où il prétendait être; elles auraient pu être appelées à témoigner et introduire ces documents en preuve. Cette preuve n’a pas été présentée. Par conséquent, même si la Cour disposait d’un élément de preuve sous la forme d’une déclaration de l’accusé selon laquelle il ne pouvait obéir à l’ordre de prouver son rendez-vous parce qu’il n’en avait pas un, il n’y absolument aucune preuve admissible établissant que l’accusé ne s’est pas rendu à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, qu’il ait eu ou non un rendez-vous.

CONCLUSION

[18]           Je conclus que le caporal Farrant a démontré selon la prépondérance des probabilités qu’aucune preuve n’a été produite pour établir qu’il était la personne ayant commis l’infraction. Par ailleurs, l’absence de preuve liée au défaut de l’accusé de se présenter à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa signifie que rien ne prouve que l’autorisation de s’absenter de son poste au bâtiment Y‑101 obtenue par l’accusé n’était plus valide.

[19]           Caporal Farrant, veuillez vous lever. J’ai décidé qu’aucune preuve prima facie n’avait été établie contre vous relativement à la seule accusation figurant sur l’acte d’accusation.

 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[20]           FAIT DROIT à la demande;

[21]           VOUS DÉCLARE non coupable de l’accusation.

 

Avocats :

 

Major V. Ohanessian, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major D. Hodson, Direction du Service d’avocats de la défense

Avocat de caporal Farrant

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