Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 13 octobre 2004.
Endroit : Manège militaire Charles-Michel de Salaberry, pièce Chabale, 2100 boulevard le Carrefour, Laval (QC).
Chefs d’accusation:
• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 117f) LDN, un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129(2) LDN, un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats:
• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Retiré. Chef d’accusation 2 : Coupable.
• SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 500$.

Contenu de la décision

Page 1 de 7 Citation : R. c. Sergent C.G. Duhamel,2004 CM 32 Dossier : V200432 COUR MARTIALE PERMANENTE CANADA QUÉBEC MANÈGE MILITAIRE CHARLES-MICHEL DE SALABERRY Date : 15 octobre 2004 SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M. SA MAJESTÉ LA REINE c. SERGENT C.G. DUHAMEL (Accusé) VERDICT (Oralement) [1] Cette cour ayant permis le retrait du premier chef d'accusation, elle devait se prononcer uniquement sur le deuxième chef d'accusation. Ce chef d'accusation est porté aux termes du paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale, soit un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour avoir utilisé une carte de crédit Master Card du Gouvernement du Canada pour des fins personnelles en contravention de la DAOD 1016-1 et ce, le ou vers le 3 août 2002. [2] La seule question en litige devant cette cour peut être formulée de la façon suivante : Le sergent Duhamel était-il justiciable du code de discipline militaire, aux termes de l'article 60 de la Loi sur la défense nationale, au moment de la commis­sion de l'infraction telle qu'alléguée aux détails du deuxième chef d'accusation? [3] Afin de circonscrire le débat, tous les éléments essentiels de l'accusation ont été admis par la défense qui concède du même coup que l'infraction aura été prouvée hors de tout doute raisonnable si la cour conclut que l'accusé était justiciable du code de discipline militaire lorsqu'il a commis, le 3 août 2002, l'acte qui lui est repro­ché. [4] La preuve devant cette cour consiste de la prise de connaissance judiciaire des faits et des questions contenus dans la règle 15 des Règles militaires de la
Page 2 de 7 preuve et plus particulièrement la teneur du chapitre 204 des Directives sur la rémuné­ration et les avantages sociaux portant sur la solde des officiers et militaires du rang en service de réserve autre que celui de classe «C», ainsi que l'instruction du QGDN SMA (PER) 2/93 qui traite de l'administration du service de réserve de classe «A», classe «B» et classe «C» de même que ses annexes A, B et C. Ces documents ont d'ailleurs été déposés devant la cour. Ces pièces portent les numéros 11 à 14 inclusivement. La cour a également pris connaissance judiciaire que le 3 août 2002 était un samedi. [5] La preuve consiste également des pièces 3 à 10 ainsi que d'admissions verbales de la défense. Il n'y a pas lieu ici de faire une description détaillée de cette preuve compte tenu de la position de la défense qui admet tous les faits pertinents. La preuve est complétée par les témoignages du capitaine Carrier, du capitaine St-Denis et du sergent Thériault. [6] La cour tient à souligner que la preuve qui se dégage des divers témoi­gnages et de l'ensemble de la preuve ne lui permettrait pas de conclure que le sergent Duhamel accomplissait, le samedi 3 août 2002, des fonctions militaires sur les lieux de travail de son unité ou ailleurs ou qu'il avait reçu une instruction spécifique à cet égard de la part d'un supérieur. Les témoignages du capitaine Carrier et du capitaine St-Denis ne permettent pas de valider une telle hypothèse. Au surplus, ces témoignages ne permettent pas à la cour de tirer une inférence raisonnable que le sergent Duhamel aurait être sur les lieux de travail du 4 e Bataillon Royal 22 e Régiment le samedi 3 août 2002. [7] Considérant la position de la poursuite, l'absence d'une telle preuve ne serait pas fatale. Pour les fins d'analyse, les seuls faits pertinents à l'examen de la question en litige sont les suivants : le sergent Duhamel a accepté d'accomplir du service de réserve de classe «B» pour la période qui débutait le 1 er avril 2002 et qui devait se terminer au 31 octobre 2002. Le 5 août 2002, le sergent Duhamel demandait à son commandant de mettre fin à son contrat de service de classe «B», et ici je réfère à la pièce 8 et également au paragraphe 9 de la pièce 10, et cette demande lui fut accordée. Le contrat de classe «B» a pris fin le 13 août 2002. L'acte reproché a été commis le 3 août 2002. En résumé, le sergent Duhamel a commis l'acte qui lui est reproché alors qu'il était en service de classe «B», c'est-à-dire alors qu'il accomplissait du service à plein temps. [8] Les parties s'entendent pour affirmer que le type de service de réserve de classe «B» qu'accomplissait le sergent Duhamel lors de la durée de son contrat est celui qui est visé par le sous-alinéa 9.07(1)c) des ORFC. [9] La position des parties peut être résumée de la manière suivante. D'une part, la poursuite soumet que le sergent Duhamel était justiciable du code de discipline militaire au moment de la commission de l'infraction parce qu'il avait accepté d'être
Page 3 de 7 engagé pour accomplir du service à plein temps, soit du service de réserve classe «B», entre avril 2002 et la fin de son contrat le 13 août 2002. Selon la poursuite, une per­sonne qui accomplit du service de réserve de classe «B» tombe sous le régime du sous-alinéa 60(1)c)(vi) parce qu'elle a été appelée en service ou, comme on dit dans la version anglaise, called out on service, et qu'à ce titre cette personne peut être assimilée à une personne de la force régulière. La poursuite invoque l'article 15 et l'article 33 de la Loi sur la défense nationale au soutien de son argumentation. [10] D'autre part, la défense soumet qu'il ne peut en être ainsi. Selon sa théorie, le sens à donner à l'expression « appelés en service » au sous-alinéa 60(1)c)(vi) ne vise que les situations particulières et exceptionnelles que l'on retrouve essentielle­ment dans le cadre d'opérations domestiques comme la crise du Verglas, les inondations au Manitoba ou l'écrasement du vol de la SwissAir pour ne nommer que quelques exemples. La défense soumet que le législateur a choisi spécifiquement d'assujettir les membres de la force de réserve au code de discipline militaire lorsqu'ils sont en service dans une unité de la force régulière aux termes du sous-alinéa 69(1)c)(x) qui est le 10 en chiffre romain. Il invite la cour à se pencher sur la pièce 13, notamment le paragraphe 4 b., pour ajouter que la situation visée par ce paragraphe traite justement de la situation du service de classe «B» au soutien des activités essentielles de la force régulière. Ainsi, selon les prétentions de la défense, si le législateur avait voulu que les réservistes en service de réserve de classe «B» qui accomplissent leur service à plein temps au sein d'une unité de la réserve soient assujettis au code de discipline militaire, il l'aurait fait expressément et de la même manière qu'au sous-alinéa (x), c'est-à-dire, 10 en chiffre romain. [11] Il est clair que c'est à la poursuite qu'incombe l'obligation d'établir selon son fardeau de persuasion, soit hors de tout doute raisonnable, que la cour a compétence de juger une personne accusée, c'est-à-dire que la personne était justiciable du code de discipline militaire aux termes de l'article 60 de la Loi, au moment de la commission des infractions alléguées et ce en plus de devoir s'acquitter de son fardeau de prouver chacun des éléments essentiels des accusations et ce hors de tout doute raisonnable. [12] Une cour martiale est un tribunal statutaire et contrairement à une cour supérieure siégeant en matière criminelle, la cour martiale ne peut présumer qu'elle a compétence pour juger un accusé. Cette compétence doit être prouvée. La cour martiale n'aura compétence de juger une personne pour une infraction qu'elle aurait commise que si elle était justiciable du code de discipline militaire au moment de la commission de l'infraction. L'article 60 de la Loi sur la défense nationale énumère les situations dans lesquelles une personne pouvant être jugée par un tribunal militaire. La liste est exhaustive. Dans le cas des officiers ou militaires du rang de la force de réserve, comme c'est le cas de l'accusé, ces militaires sont justiciables du code de discipline militaire lorsqu'ils tombent dans l'une ou l'autre des situations prévues à l'alinéa 60(1)c). Un militaire pourra être justiciable pour plus d'une raison à la fois. Par exemple, s'il était en uniforme, à bord d'un véhicule des Forces canadiennes alors qu'il est en service dans
Page 4 de 7 une unité de la force régulière. Cela importe peu. Le statut de justiciable existe à partir de l'existence d'une seule des situations visées par l'alinéa 60(1)c). [13] La poursuite a traité de l'article 15 de la Loi sur la défense nationale et d'ailleurs le paragraphe 15(3) de la Loi sur la défense nationale se lit comme suit : (3) Est mis sur pied un élément constitutif des Forces canadiennes, appelé « force de réserve », formé d'officiers et de militaires du rang enrôlés mais n'étant pas en service continu et à plein temps lorsqu'ils ne sont pas en service actif. [14] Il est opportun également de constater qu'aux termes du paragraphe 33(2) de la Loi sur la défense nationale : (2) La force de réserve, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, peu­vent être : a) astreints à l'instruction pour les périodes fixées par règlement du gouverneur en conseil; b) soumis à l'obligation de service légitime autre que l'instruction, aux époques et selon les modalités fixées par le gouverneur en conseil par règlement ou tout autre voie. [15] Les modalités dont il est question ici, à l'article 33, figurent au chapitre 9 des ORFC intitulé « SERVICE DE RÉSERVE ». La force de réserve comprend trois classes de service et la classe de service permet de déterminer le taux de la solde qui sera versée aux réservistes ainsi que la nature du service, soit à temps partiel ou à temps plein. Les réservistes peuvent servir dans plus d'une classe au cours de leur service dans la Réserve. Par exemple, les réservistes embauchés en service de réserve de classe «A» et de classe «B» sont rémunérés selon les taux de solde de la réserve, soit 85 pour cent des taux de la force régulière. Les réservistes en service de classe «C» sont rémunérés au même titre que les militaires de la force régulière. Ceci découle du chapitre 9 des ORFC qui traite du service de réserve et du chapitre 204 de la directive sur la rémunéra­tion et les avantages sociaux dont la cour a pris connaissance judiciaire. [16] Comme je l'ai déjà mentionné, les parties s'entendent sur le fait qu'au moment de la commission de l'acte reproché, le sergent Duhamel était dans l'une des situations visées au sous-alinéa 9.07(1)c) des ORFC et qu'il accomplissait du service à plein temps ou full-time service. [17] Le procureur de la poursuite soumet que cette cause n'est pas différente
Page 5 de 7 de la décision d'une cour martiale permanente présidée par le juge militaire Ménard en avril 1999 dans La Reine c. Dumont relativement au traitement de la question en litige, soit le caractère de justiciable de l'accusé. Dans ladite affaire, le major Dumont était en service de réserve de classe «B» et avait été suspendu de ses fonctions militaires. Alors qu'il était toujours suspendu, il était entré en contact, et ce hors des limites de son unité, avec certaines personnes contrairement à un ordre qu'il avait reçu d'un officier supé­rieur. Bien que la question en litige dans cette cause était fort différente, il n'était nullement contesté que le major Dumont était en service de réserve de classe «B» au moment de sa suspension. La particularité de l'affaire Dumont résidait dans le fait que l'acte reproché avait été commis alors qu'il était toujours sous le coup de ladite suspen­sion. [18] Le juge militaire Ménard émettait alors le commentaire suivant, aux lignes 10 et 11 de la page 60 des notes sténographiques, et ce relativement au statut de justiciable de l'accusé du fait de son service de réserve de classe «B» et je cite : Il remplissait ainsi la condition stipulée au sous-alinéa 60(1)c)(vi) de la Loi sur la défense nationale. [19] C'est sur ce simple constat que s'appuie la poursuite alors que la défense soumet respectueusement que cet énoncé est erroné. [20] La poursuite semble suggérer qu'un militaire en service de réserve de classe «B» est comparable à un militaire de la force régulière et qu'ainsi il est en service 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Cela est erroné. Un militaire de la force régulière est soumis en permanence à l'obligation de service légitime et il est vrai que son service est continu, contrairement à un réserviste. La continuité de ce service est importante, par exemple, pour des fins d'éligibilité au régime de pension des Forces canadiennes. Le militaire de la force régulière n'est pas pour autant en devoir 24 heures sur 24. De toute façon, ces comparaisons et ce genre de raisonnement sont non seulement peu utiles, mais ils ne sont pas pertinents pour régler la question en litige. [21] La poursuite a soumis que la cour ne doit pas faire l'analyse du statut de justiciable de l'accusé sur la foi d'un examen unique de l'article 60, mais en ayant recours entre autres aux articles 15 et 33. Je ne suis pas d'accord avec une telle approche parce qu'elle ne respecte pas la structure législative de la Loi sur la défense nationale et qu'elle irait au-delà d'une analyse contextuelle. [22] Le fait qu'un militaire de la force régulière soit justiciable du code de discipline militaire en tout temps découle uniquement du libellé de l'alinéa 60(1)a) de la Loi sur la défense nationale. La compétence des Forces canadiennes en matière disciplinaire à l'égard de l'officier ou du militaire du rang de la force régulière ne découle pas de l'article 15 ou de l'article 33. Le code de discipline militaire constitue une partie distincte à la Loi sur la défense nationale, c'est-à-dire la partie III. Force est
Page 6 de 7 de constater que la compétence d'un tribunal militaire ne peut trouver sa source à l'extérieur des limites de la section 1 de la partie III de la Loi. Cette section 1 délimite de façon exhaustive les paramètres applicables pour qu'une personne, militaire ou civile, soit justiciable du code, mais elle prévoit également dans quelles circonstances une personne assujettie au code de discipline militaire pourra faire valoir des motifs qui affecte la compétence du tribunal militaire de pouvoir juger cet accusé. [23] D'un autre côté, la cour ne peut être convaincue par les arguments du procureur de la défense, même s'ils sont efficaces et formulés avec conviction. Selon une telle approche, un supérieur pourrait évidemment donner un ordre par téléphone à un subordonné en service de réserve de classe «B» au sein d'une unité de réserve, l'enjoignant, par exemple, de se présenter sur les lieux de travail le lendemain matin, mais, selon une telle approche, le militaire en service de réserve de classe «B» pourrait faire fi de cet ordre puisqu'il n'encourrait aucune mesure disciplinaire ou qu'il ne serait passible d'aucune mesure disciplinaire parce qu'il ne serait pas justiciable du code de discipline militaire et ce, même s'il a accepté volontairement d'être appelé en service pour une période temporaire, quoique spécifique mais surtout à plein temps. Une telle situation diffère de celle d'un militaire en service de réserve de classe «A». [24] Souscrire au raisonnement de la défense signifierait qu'un réserviste dans une telle situation pourrait dire : « Mon trente-sept heures et demie est fait pour la semaine, on se verra lundi matin! » Une telle situation serait tout à fait aberrante dans le cadre d'un régime la personne s'engage volontairement à servir à plein temps pour une période déterminée. Servir à plein temps au sein des Forces canadiennes n'équivaut pas à servir uniquement selon un horaire de travail pré-établi. [25] La personne qui accomplit du service de réserve de classe «B» dans une unité de réserve, et ce après avoir accepté l'appel en service émis par une autorité compétente pour une période déterminée aux termes du sous-alinéa 9.07(1)c) est justiciable du code de discipline militaire aux termes du sous-alinéa 60(1)c)(vi) de la Loi. La cour partage, sur cette question, la conclusion du juge militaire Ménard dans la cause R. c. Major Dumont. [26] Ayant conclu que le sergent Duhamel était justiciable du code de disci­pline militaire aux termes du sous-alinéa 60(1)c)(vi) de la Loi pour la période comprise entre avril et août 2002, soit son contrat de service de réserve de classe «B» au sein de son unité de réserve, la cour est satisfaite que la poursuite a prouvé tous les éléments essentiels de l'infraction puisqu'ils ont été admis par la défense. La cour est également satisfaite que cet acte constitue un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Il s'agit d'une part d'un cas la poursuite a choisi de bénéficier de la présomption du paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale en alléguant la contravention à un ordre et d'autre part d'une admission par la défense ayant choisi d'admettre l'existence de l'ordre, la suffisance de sa publication et de sa notification de même que la connais­sance de cet ordre par l'accusé.
Page 7 de 7 [27] Sergent Duhamel, veuillez-vous lever. Donc, compte tenu des motifs que je viens d'expliquer et en conséquence de ces raisons, la cour vous trouve coupable du deuxième chef d'accusation. Vous pouvez vous asseoir. LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M. Avocats: Major G. Roy, Procureur militaire régional, Région de l'est Avocat de la poursuivante Capitaine N.M.M.F. Dorais-Pagé, DND Bureau du conseiller légal des Forces canadien­nes Avocate adjointe de la poursuivante Major J.A.M. Côté, la Direction du service d'avocats de la défense Avocat du Sergent C.G. Duhamel
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