Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CACM 485 - Appel accordé en partie

Date de l’ouverture du procès : 2 novembre 2004.
Endroit : 14e Escadre Greenwood, édifice Annapolis, Greenwood (NÉ).
Chefs d’accusation :
• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, faux (art. 367 C. cr.).
• Chef d’accusation 2 : Art. 130 LDN, emploi d’un document contrefait (art. 368 C. cr.).
• Chefs d’accusation 3, 6 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.
• Chefs d’accusation 4, 5: Art. 98a) LDN, simulation.
Résultats:
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 6 : Coupable. Chefs d’accusation 4, 5 : Retirés.
• SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 30 jours et destitution du service de Sa Majesté.

Contenu de la décision

Page 1 de 7 Référence : R. c. Sous-lieutenant D. Baptista, 2004 CM 23 Dossier : F200423 COUR MARTIALE PERMANENTE CANADA NOUVELLE-ÉCOSSE 14 e ESCADRE GREENWOOD Date : 3 novembre 2004 PRÉSIDENT : CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, juge militaire SA MAJESTÉ LA REINE c. SOUS-LIEUTENANT D. BAPTISTA (Accusé) VERDICT (Prononcées oralement) TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE [1] Sous-lieutenant Baptista, la présente Cour vous déclare coupable du premier chef daccusation de faux et du deuxième chef daccusation demploi dun document contrefait. [2] Le prévenu, le sous-lieutenant Baptista, est accusé de deux infractions visées par larticle 130 de la Loi sur la défense nationale. Cet article fait de la violation dune loi fédérale une infraction dordre militaire pour lapplication du Code de discipline militaire. En lespèce, il est accusé de linfraction criminelle de faux et de celle demploi dun document contrefait en contravention du Code criminel. Ces chefs daccusation découlent de ses manipulations dune proposition relative à la fourniture de matériaux de construction. [3] Dans une poursuite devant une cour martiale, comme dans toute poursuite pénale devant un tribunal canadien, il incombe à la poursuite de prouver la culpabilité de laccusé hors de tout doute raisonnable. Dans un contexte juridique, il sagit dun terme technique ayant une signification consacrée. Si la preuve ne permet pas détablir la culpabilité de laccusé hors de tout doute raisonnable, celui-ci ne doit pas être déclaré coupable de linfraction. Le fardeau de la preuve incombe toujours à la poursuite. Laccusé na jamais le fardeau de prouver. En fait, laccusé est présumé innocent à
Page 2 de 7 toutes les étapes de la procédure, jusquà ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable, compte tenu de la preuve admissible. [4] Le doute raisonnable ne signifie pas une certitude absolue : il nest pas suffisant de prouver seulement une culpabilité probable. Si la cour est plutôt convaincue que laccusé est plus probablement coupable que non coupable, cela ne suffit pas pour le déclarer coupable hors de tout doute raisonnable; dans ce cas, laccusé doit être acquitté. De fait, la norme « hors de tout doute raisonnable » est beaucoup plus proche de la certitude absolue quelle ne lest de la « culpabilité probable ». Cependant, le doute raisonnable nest pas un doute futile ou imaginaire. Il ne se fonde pas sur la sympathie ou les préjugés. Cest un doute fondé sur la raison et le bon sens, qui découle de la preuve présentée ou de labsence de preuve. [5] La preuve hors de tout doute raisonnable sapplique à chacun des éléments de linfraction reprochée. En dautres termes, si la preuve ne permet pas de prouver chacun des éléments de linfraction hors de tout doute raisonnable, laccusé doit être acquitté. [6] Le principe du doute raisonnable sapplique également à la crédibilité des témoins dans une affaire comme la présente alors que la preuve révèle différentes versions des faits importants ayant une incidence directe sur les questions. La démarche permettant darriver à établir ce qui sest passé na rien à voir avec la préférence pour lune des versions données par un témoin. La Cour peut considérer quun témoin dit la vérité ou quil nen est rien. Mais la Cour peut conclure aussi que seules certaines parties du témoignage sont véridiques et exactes. [7] Si la preuve avancée par laccusé sur les questions en litige ou sur les aspects importants de la présente affaire est accepté, il sensuit quil nest pas coupable de linfraction. Mais même si cette preuve nest pas acceptée, si la Cour a toujours un doute raisonnable, laccusé doit être acquitté. Même si la preuve avancée par laccusé ne laisse pas la Cour avec un doute raisonnable, celle-ci doit tenir compte de tous les éléments de preuve quelle accepte comme étant crédibles et fiables pour déterminer si la culpabilité de laccusé est établie hors de tout doute raisonnable. [8] La plupart des faits importants que révèle la preuve en lespèce ne sont pas contestés. Au printemps 2002, laccusé a décidé de se mettre à construire des maisons. Il a présenté le plan dune maison à M. Clyde Forsyth, un employé du Palmer Home Hardware Building Centre de Berwick, en Nouvelle-Écosse, et ce dernier lui a préparé une proposition écrite des prix au comptant des matériaux nécessaires pour construire la maison. Ce document est versé en preuve comme pièce 4 de linstance. Il sagit de dix pages qui énumèrent les nombreux articles nécessaires pour construire la maison, la quantité requise de chacun deux, leur prix unitaire et le coût. Selon ce document, le coût total se montait à 30 082,25 $. [9] Le nom, ladresse et les numéros de téléphone du Palmer Home Hardware Building Centre figuraient en haut, au centre de chaque page sur ce qui semble être une
Page 3 de 7 partie déjà imprimée du formulaire. Dans le coin supérieur gauche de chaque page, on voit le logo du « Home Building Centre ». De plus, le nom, ladresse et le numéro de téléphone du « Palmer Home Hardware Bldg Centre » semblent dactylographiés sous le logo préimprimé. Sous la rubrique « prix au comptant » de chaque page, on peut voir certains renseignements sur lidentité du client qui serait Dean Baptista. Le bas de chaque page est relié au haut de la page suivante par une bande perforée. [10] Naturellement, laccusé voulait obtenir les meilleurs prix sur le marché pour les matériaux de construction. Il sest rendu au magasin de Central Home Improvement à Windsor, en Nouvelle-Écosse, et a parlé à M. Terry Chisholm. Ce dernier lui a aussi fait une proposition pour les matériaux de construction et les prix. Laccusé et M. Chisholm ont également discuté de la politique de Central Home Improvement qui prétendait battre les prix de ses concurrents. Lorsque laccusé a mentionné à M. Chisholm que certains articles de sa proposition étaient plus chers que ceux de la concurrence, ce dernier a demandé à pouvoir vérifier une copie papier des prix du concurrent avant que Central nhonore sa politique sur la concurrence. [11] Par la suite, M. Chisholm a reçu une télécopie de laccusé. Ce document a été versé en pièce à linstance (pièce 5). À première vue, il semble avoir été envoyé par télécopieur le 3 mai 2002 à partir dun numéro de télécopieur utilisé par laccusé. Il ressemble beaucoup au document obtenu de Palmer Home Hardware (pièce 4). Il sagit de dix pages contenant des renseignements identifiant le client comme étant Dean Baptista. De plus, dans la section réservée aux renseignements identifiant le client, figure le numéro demployé de M. Forsyth, W-21. [12] Le document télécopié dresse la liste des mêmes matériaux que ceux qui étaient dans la proposition de Palmer Home Hardware. Le logo de Home Building Centre figure au coin supérieur gauche de chaque page de la télécopie. Toutefois, le nom, ladresse et les numéros de téléphone de Palmer Home Hardware ont été oblitérés au haut de chaque page de la télécopie. De plus, la police de caractère utilisée pour présenter les matériaux de construction répertoriés nest pas la même que celle utilisée dans la proposition de Palmer Home Hardware. Tous les prix unitaires offerts pour les matériaux de construction sont moins chers que les prix offerts Palmer Home Hardware, sauf un, et le coût total des matériaux dans le document télécopié est de 24 543,31 $. [13] M. Chisholm a porté la télécopie à lattention de son supérieur, Blair Weatherbee. Certains des prix indiqués dans le document télécopié étaient beaucoup moins élevés que les prix offerts par Central et feraient disparaître tout profit dans lopération projetée, ce qui suscitait des inquiétudes. M. Weatherbee a fait quelques recherches afin de savoir qui, dans lindustrie du bâtiment, avait offert de si bas prix. Le 15 mai 2002, il a parlé à M. Mike Lavergne de Palmer Home Hardware et lui a transmis par télécopieur le document que lui avait fait parvenir laccusé. Il a aussi parlé à laccusé qui lui a dit avoir obtenu ces prix de divers autres concurrents et les avoir tous
Page 4 de 7 réunis sur une même proposition. Finalement, M. Weatherbee a décidé de fermer le compte de laccusé. [14] Laccusé a témoigné. Il a confirmé avoir fait affaires avec M. Chisholm de Central et que ce dernier lui avait demandé de la documentation afin de lui offrir le même prix que ceux que laccusé avait réussi à obtenir des concurrents. Il a indiqué quil avait passé la proposition de Palmer Home Hardware au lecteur optique pour le verser dans son ordinateur. En se servant dun programme informatique, il a alors modifié les prix et les coûts sur la proposition de Palmer afin dindiquer les prix les plus bas quil avait trouvés sur le marché pour chacun des matériaux de construction précisés. [15] Il a avancé que son document informatique répertoriait chacun des fournisseurs qui lui avaient la meilleure offre pour chaque article. Il a ensuite envoyé ce document (pièce 5), par télécopieur, à M. Chisholm après avoir oblitéré tout renseignement permettant didentifier Palmer Home Hardware. Il a affirmé que le document quil a télécopié était simplement une compilation des meilleurs prix quil avait pu trouver pour chaque article répertorié dans la proposition et que M.Chisholm et M. Weatherbee savaient tous deux que le document quil envoyait était juste une liste de prix. [16] Il a affirmé que, bien que, dans son document informatique, le prix de chaque article était lié au nom dun fournisseur, ce renseignement ne figurait pas dans le document télécopié parce que le document informatique était trop volumineux. Lorsquil a appris quon enquêtait sur son compte à propos de ces infractions, il a remplacé son ordinateur et, maintenant, la liste des fournisseurs avec les prix les plus bas de chaque article est perdue. [17] Linfraction de faux réunit les éléments suivants : 1. Laccusé a fait un faux document; 2. Laccusé savait que le document était faux lorsquil la fait; 3. Laccusé avait lintention de faire croire que le document était authentique; 4. Laccusé avait lintention de tromper une autre personne qui traiterait le document comme étant authentique. [18] Les termes « document » et « faux document » sont tous deux définis à larticle 321 du Code criminel. Il ne fait aucun doute que la pièce 5 est un document. Le sens à donner au fait de faire un faux document est élargi par le par. 366(2) du Code criminel et comprend « laltération, en quelque partie essentielle, dun document authentique ». Selon moi, quand laccusé a passé la proposition de Palmer's Home Hardware au lecteur
Page 5 de 7 optique pour lintégrer dans son ordinateur et entrer de nouvelles données dans les champs « prix » et « coût », il a altéré un document authentique. [19] Ce nest pas toutes les déclarations inexactes de fait sous forme de document qui constitue un faux document. La fausseté du document doit être telle quelle leurre le lecteur quant à la nature du document. Dans ce sens, un document qui ment à propos de lui-même est un faux document. [20] En lespèce, la pièce 5 semble à première vue être une proposition faite par Home Building Centre selon laquelle une longue liste de matériaux de construction seront vendus à un prix total qui est considérablement inférieur à celui auquel Palmer's Home Hardware acceptait de vendre ces matériaux à laccusé. En réalité, il ne sagissait pas dune proposition de Home Building Centre, même si cest exactement sous cette forme que laccusé la présentée lorsquil la envoyée par télécopieur à lentreprise Central Home Improvement de Windsor, en Nouvelle-Écosse. Je conclus que la pièce 5 est un faux document. [21] Laccusé soutient que le document quil a créé était simplement une liste des meilleurs prix quil pouvait obtenir des autres fournisseurs, relativement à chacun des nombreux matériaux de construction précisés. Il semble quil ait adopté cette position face à M. Weatherbee. Je naccepte pas son témoignage lorsquil affirme que le document quil a créé était simplement une liste des meilleurs prix quil pouvait obtenir des autres fournisseurs pour chacun des nombreux matériaux de construction précisés. Il a fourni ce document pour répondre à la déclaration de M. Chisholm selon laquelle la politique descompte ne sappliquait quaprès vérification dune copie papier de la proposition dun concurrent fournie à Central Home Improvement. Le document que laccusé a transmis ne répondait pas à cette demande sauf si le lecteur interprète ce document comme une proposition faite par Home Hardware Building Centre, ce qui nétait pas le cas daprès ce que prétend laccusé. Deuxièmement, laccusé reconnaît, de son propre aveu, avoir en réalité obtenu des propositions dautres fournisseurs aux prix inférieurs indiqués dans ce document (pièce 5), mais rien ne prouve que quoi que ce soit de ce document, qui aurait répondu à la demande de M. Chisholm, a été fourni à Central Home Improvement. [22] Même si, selon laccusé, ces renseignements sont maintenant perdus, rien ne prouve que ceût été le cas au moment laccusé a dit à M. Weatherbee que le document était simplement une liste de prix offerts par dautres concurrents dont le nom nétait pas indiqué. M. Chisholm et M. Weatherbee ont tous deux considéré que le document était une proposition dun vendeur inconnu de Home Building Centre et je conclus quils ont tous deux agi raisonnablement en traitant le document (pièce 5) de cette manière.
Page 6 de 7 [23] Laccusé savait que le document était faux. Cest lui qui la préparé en passant au lecteur optique un document authentique pour le verser dans son ordinateur et en modifiant pratiquement tous les chiffres des colonnes « prix » et « coût ». [24] Je conclus que laccusé voulait que le document, la pièce 5, soit traité comme un document authentique. Il voulait que lentreprise Central Home Improvement le considère comme une proposition authentique de Home Building Centre, soit afin de négocier un prix inférieur pour des produits fournis par Central Home Improvement, soit afin de faire appliquer la politique descompte de Central. Lun ou lautre résultat se serait traduit par un avantage financier à son égard. [25] Il sensuit que laccusé avait lintention de leurrer Central quant aux prix auxquels il pouvait obtenir les matériaux de construction de Home Building Centre. Par conséquent, laccusé est coupable de linfraction de faux qui lui est reproché dans le premier chef daccusation. [26] Selon le deuxième chef daccusation, on reproche à laccusé davoir employé un document contrefait. Le paragraphe 368(1) du Code criminel est ainsi libellé : Quiconque, sachant quun document est contrefait, selon le cas : a) sen sert, le traite, ou agit à son égard; b) fait, ou tente de faire, accomplir lun des actes visés à lalinéa a), comme si le document était authentique, est coupable de linfraction demploi dun document contrefait. [27] Jai déjà conclu que la pièce 5 est un document contrefait et que laccusé savait quil sagissait dun faux. Laccusé sest servi et a agi à légard du document contrefait lorsquil la envoyé par télécopieur à Central Home Improvement le 3 mai 2002. Ce faisant il a tenté dinciter soit M. Chisholm soit quelquun dautre de Central Home Improvement à traiter le document comme sil sagissait dune proposition authentique faite par Home Hardware. Par conséquent, il est coupable de linfraction demploi dun document contrefait. CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, juge militaire Conseils : Le major R.F. Holman, procureur militaire régional (Atlantique) Procureur de Sa Majesté la Reine
Page 7 de 7 Le major J. A. M. Côté, Avocat du sous-lieutenant D. Baptista
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