Page 2 de 7 toutes les étapes de la procédure, jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable, compte tenu de la preuve admissible. [4] Le doute raisonnable ne signifie pas une certitude absolue : il n’est pas suffisant de prouver seulement une culpabilité probable. Si la cour est plutôt convaincue que l’accusé est plus probablement coupable que non coupable, cela ne suffit pas pour le déclarer coupable hors de tout doute raisonnable; dans ce cas, l’accusé doit être acquitté. De fait, la norme « hors de tout doute raisonnable » est beaucoup plus proche de la certitude absolue qu’elle ne l’est de la « culpabilité probable ». Cependant, le doute raisonnable n’est pas un doute futile ou imaginaire. Il ne se fonde pas sur la sympathie ou les préjugés. C’est un doute fondé sur la raison et le bon sens, qui découle de la preuve présentée ou de l’absence de preuve. [5] La preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments de l’infraction reprochée. En d’autres termes, si la preuve ne permet pas de prouver chacun des éléments de l’infraction hors de tout doute raisonnable, l’accusé doit être acquitté. [6] Le principe du doute raisonnable s’applique également à la crédibilité des témoins dans une affaire comme la présente alors que la preuve révèle différentes versions des faits importants ayant une incidence directe sur les questions. La démarche permettant d’arriver à établir ce qui s’est passé n’a rien à voir avec la préférence pour l’une des versions données par un témoin. La Cour peut considérer qu’un témoin dit la vérité ou qu’il n’en est rien. Mais la Cour peut conclure aussi que seules certaines parties du témoignage sont véridiques et exactes. [7] Si la preuve avancée par l’accusé sur les questions en litige ou sur les aspects importants de la présente affaire est accepté, il s’ensuit qu’il n’est pas coupable de l’infraction. Mais même si cette preuve n’est pas acceptée, si la Cour a toujours un doute raisonnable, l’accusé doit être acquitté. Même si la preuve avancée par l’accusé ne laisse pas la Cour avec un doute raisonnable, celle-ci doit tenir compte de tous les éléments de preuve qu’elle accepte comme étant crédibles et fiables pour déterminer si la culpabilité de l’accusé est établie hors de tout doute raisonnable. [8] La plupart des faits importants que révèle la preuve en l’espèce ne sont pas contestés. Au printemps 2002, l’accusé a décidé de se mettre à construire des maisons. Il a présenté le plan d’une maison à M. Clyde Forsyth, un employé du Palmer Home Hardware Building Centre de Berwick, en Nouvelle-Écosse, et ce dernier lui a préparé une proposition écrite des prix au comptant des matériaux nécessaires pour construire la maison. Ce document est versé en preuve comme pièce 4 de l’instance. Il s’agit de dix pages qui énumèrent les nombreux articles nécessaires pour construire la maison, la quantité requise de chacun d’eux, leur prix unitaire et le coût. Selon ce document, le coût total se montait à 30 082,25 $. [9] Le nom, l’adresse et les numéros de téléphone du Palmer Home Hardware Building Centre figuraient en haut, au centre de chaque page sur ce qui semble être une
Page 3 de 7 partie déjà imprimée du formulaire. Dans le coin supérieur gauche de chaque page, on voit le logo du « Home Building Centre ». De plus, le nom, l’adresse et le numéro de téléphone du « Palmer Home Hardware Bldg Centre » semblent dactylographiés sous le logo préimprimé. Sous la rubrique « prix au comptant » de chaque page, on peut voir certains renseignements sur l’identité du client qui serait Dean Baptista. Le bas de chaque page est relié au haut de la page suivante par une bande perforée. [10] Naturellement, l’accusé voulait obtenir les meilleurs prix sur le marché pour les matériaux de construction. Il s’est rendu au magasin de Central Home Improvement à Windsor, en Nouvelle-Écosse, et a parlé à M. Terry Chisholm. Ce dernier lui a aussi fait une proposition pour les matériaux de construction et les prix. L’accusé et M. Chisholm ont également discuté de la politique de Central Home Improvement qui prétendait battre les prix de ses concurrents. Lorsque l’accusé a mentionné à M. Chisholm que certains articles de sa proposition étaient plus chers que ceux de la concurrence, ce dernier a demandé à pouvoir vérifier une copie papier des prix du concurrent avant que Central n’honore sa politique sur la concurrence. [11] Par la suite, M. Chisholm a reçu une télécopie de l’accusé. Ce document a été versé en pièce à l’instance (pièce 5). À première vue, il semble avoir été envoyé par télécopieur le 3 mai 2002 à partir d’un numéro de télécopieur utilisé par l’accusé. Il ressemble beaucoup au document obtenu de Palmer Home Hardware (pièce 4). Il s’agit de dix pages contenant des renseignements identifiant le client comme étant Dean Baptista. De plus, dans la section réservée aux renseignements identifiant le client, figure le numéro d’employé de M. Forsyth, W-21. [12] Le document télécopié dresse la liste des mêmes matériaux que ceux qui étaient dans la proposition de Palmer Home Hardware. Le logo de Home Building Centre figure au coin supérieur gauche de chaque page de la télécopie. Toutefois, le nom, l’adresse et les numéros de téléphone de Palmer Home Hardware ont été oblitérés au haut de chaque page de la télécopie. De plus, la police de caractère utilisée pour présenter les matériaux de construction répertoriés n’est pas la même que celle utilisée dans la proposition de Palmer Home Hardware. Tous les prix unitaires offerts pour les matériaux de construction sont moins chers que les prix offerts Palmer Home Hardware, sauf un, et le coût total des matériaux dans le document télécopié est de 24 543,31 $. [13] M. Chisholm a porté la télécopie à l’attention de son supérieur, Blair Weatherbee. Certains des prix indiqués dans le document télécopié étaient beaucoup moins élevés que les prix offerts par Central et feraient disparaître tout profit dans l’opération projetée, ce qui suscitait des inquiétudes. M. Weatherbee a fait quelques recherches afin de savoir qui, dans l’industrie du bâtiment, avait offert de si bas prix. Le 15 mai 2002, il a parlé à M. Mike Lavergne de Palmer Home Hardware et lui a transmis par télécopieur le document que lui avait fait parvenir l’accusé. Il a aussi parlé à l’accusé qui lui a dit avoir obtenu ces prix de divers autres concurrents et les avoir tous
Page 4 de 7 réunis sur une même proposition. Finalement, M. Weatherbee a décidé de fermer le compte de l’accusé. [14] L’accusé a témoigné. Il a confirmé avoir fait affaires avec M. Chisholm de Central et que ce dernier lui avait demandé de la documentation afin de lui offrir le même prix que ceux que l’accusé avait réussi à obtenir des concurrents. Il a indiqué qu’il avait passé la proposition de Palmer Home Hardware au lecteur optique pour le verser dans son ordinateur. En se servant d’un programme informatique, il a alors modifié les prix et les coûts sur la proposition de Palmer afin d’indiquer les prix les plus bas qu’il avait trouvés sur le marché pour chacun des matériaux de construction précisés. [15] Il a avancé que son document informatique répertoriait chacun des fournisseurs qui lui avaient la meilleure offre pour chaque article. Il a ensuite envoyé ce document (pièce 5), par télécopieur, à M. Chisholm après avoir oblitéré tout renseignement permettant d’identifier Palmer Home Hardware. Il a affirmé que le document qu’il a télécopié était simplement une compilation des meilleurs prix qu’il avait pu trouver pour chaque article répertorié dans la proposition et que M.Chisholm et M. Weatherbee savaient tous deux que le document qu’il envoyait était juste une liste de prix. [16] Il a affirmé que, bien que, dans son document informatique, le prix de chaque article était lié au nom d’un fournisseur, ce renseignement ne figurait pas dans le document télécopié parce que le document informatique était trop volumineux. Lorsqu’il a appris qu’on enquêtait sur son compte à propos de ces infractions, il a remplacé son ordinateur et, maintenant, la liste des fournisseurs avec les prix les plus bas de chaque article est perdue. [17] L’infraction de faux réunit les éléments suivants : 1. L’accusé a fait un faux document; 2. L’accusé savait que le document était faux lorsqu’il l’a fait; 3. L’accusé avait l’intention de faire croire que le document était authentique; 4. L’accusé avait l’intention de tromper une autre personne qui traiterait le document comme étant authentique. [18] Les termes « document » et « faux document » sont tous deux définis à l’article 321 du Code criminel. Il ne fait aucun doute que la pièce 5 est un document. Le sens à donner au fait de faire un faux document est élargi par le par. 366(2) du Code criminel et comprend « l’altération, en quelque partie essentielle, d’un document authentique ». Selon moi, quand l’accusé a passé la proposition de Palmer's Home Hardware au lecteur
Page 5 de 7 optique pour l’intégrer dans son ordinateur et entrer de nouvelles données dans les champs « prix » et « coût », il a altéré un document authentique. [19] Ce n’est pas toutes les déclarations inexactes de fait sous forme de document qui constitue un faux document. La fausseté du document doit être telle qu’elle leurre le lecteur quant à la nature du document. Dans ce sens, un document qui ment à propos de lui-même est un faux document. [20] En l’espèce, la pièce 5 semble à première vue être une proposition faite par Home Building Centre selon laquelle une longue liste de matériaux de construction seront vendus à un prix total qui est considérablement inférieur à celui auquel Palmer's Home Hardware acceptait de vendre ces matériaux à l’accusé. En réalité, il ne s’agissait pas d’une proposition de Home Building Centre, même si c’est exactement sous cette forme que l’accusé l’a présentée lorsqu’il l’a envoyée par télécopieur à l’entreprise Central Home Improvement de Windsor, en Nouvelle-Écosse. Je conclus que la pièce 5 est un faux document. [21] L’accusé soutient que le document qu’il a créé était simplement une liste des meilleurs prix qu’il pouvait obtenir des autres fournisseurs, relativement à chacun des nombreux matériaux de construction précisés. Il semble qu’il ait adopté cette position face à M. Weatherbee. Je n’accepte pas son témoignage lorsqu’il affirme que le document qu’il a créé était simplement une liste des meilleurs prix qu’il pouvait obtenir des autres fournisseurs pour chacun des nombreux matériaux de construction précisés. Il a fourni ce document pour répondre à la déclaration de M. Chisholm selon laquelle la politique d’escompte ne s’appliquait qu’après vérification d’une copie papier de la proposition d’un concurrent fournie à Central Home Improvement. Le document que l’accusé a transmis ne répondait pas à cette demande sauf si le lecteur interprète ce document comme une proposition faite par Home Hardware Building Centre, ce qui n’était pas le cas d’après ce que prétend l’accusé. Deuxièmement, l’accusé reconnaît, de son propre aveu, avoir en réalité obtenu des propositions d’autres fournisseurs aux prix inférieurs indiqués dans ce document (pièce 5), mais rien ne prouve que quoi que ce soit de ce document, qui aurait répondu à la demande de M. Chisholm, a été fourni à Central Home Improvement. [22] Même si, selon l’accusé, ces renseignements sont maintenant perdus, rien ne prouve que c’eût été le cas au moment où l’accusé a dit à M. Weatherbee que le document était simplement une liste de prix offerts par d’autres concurrents dont le nom n’était pas indiqué. M. Chisholm et M. Weatherbee ont tous deux considéré que le document était une proposition d’un vendeur inconnu de Home Building Centre et je conclus qu’ils ont tous deux agi raisonnablement en traitant le document (pièce 5) de cette manière.
Page 6 de 7 [23] L’accusé savait que le document était faux. C’est lui qui l’a préparé en passant au lecteur optique un document authentique pour le verser dans son ordinateur et en modifiant pratiquement tous les chiffres des colonnes « prix » et « coût ». [24] Je conclus que l’accusé voulait que le document, la pièce 5, soit traité comme un document authentique. Il voulait que l’entreprise Central Home Improvement le considère comme une proposition authentique de Home Building Centre, soit afin de négocier un prix inférieur pour des produits fournis par Central Home Improvement, soit afin de faire appliquer la politique d’escompte de Central. L’un ou l’autre résultat se serait traduit par un avantage financier à son égard. [25] Il s’ensuit que l’accusé avait l’intention de leurrer Central quant aux prix auxquels il pouvait obtenir les matériaux de construction de Home Building Centre. Par conséquent, l’accusé est coupable de l’infraction de faux qui lui est reproché dans le premier chef d’accusation. [26] Selon le deuxième chef d’accusation, on reproche à l’accusé d’avoir employé un document contrefait. Le paragraphe 368(1) du Code criminel est ainsi libellé : Quiconque, sachant qu’un document est contrefait, selon le cas : a) s’en sert, le traite, ou agit à son égard; b) fait, ou tente de faire, accomplir l’un des actes visés à l’alinéa a), comme si le document était authentique, est coupable de l’infraction d’emploi d’un document contrefait. [27] J’ai déjà conclu que la pièce 5 est un document contrefait et que l’accusé savait qu’il s’agissait d’un faux. L’accusé s’est servi et a agi à l’égard du document contrefait lorsqu’il l’a envoyé par télécopieur à Central Home Improvement le 3 mai 2002. Ce faisant il a tenté d’inciter soit M. Chisholm soit quelqu’un d’autre de Central Home Improvement à traiter le document comme s’il s’agissait d’une proposition authentique faite par Home Hardware. Par conséquent, il est coupable de l’infraction d’emploi d’un document contrefait. CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, juge militaire Conseils : Le major R.F. Holman, procureur militaire régional (Atlantique) Procureur de Sa Majesté la Reine
Page 7 de 7 Le major J. A. M. Côté, Avocat du sous-lieutenant D. Baptista