Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 9 novembre 2004.
Endroit : CMR Kingston, Kingston (ON).
Chef d’accusation:
• Chef d’accusation 1 : Art. 97 LDN, ivresse.
Résultats:
• VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
• SENTENCE : Une réprimande.

Contenu de la décision

Page 1 de 12 Référence : R. c. Le major B.L. Murray, 2004 CM 51 Dossier : F200451 COUR MARTIALE PERMANENTE CANADA ONTARIO COLLÈGE MILITAIRE ROYAL DE KINGSTON Date : 12 novembre 2004 PRÉSIDENT : COLONEL K.S. CARTER, J.M. SA MAJESTÉ LA REINE c. LE MAJOR B.L. MURRAY (Accusé) VERDICT (Prononcé oralement) TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE [1] Major Murray, la Cour vous déclare coupable de linfraction divresse relativement à des actes perpétrés aux premières heures du 4 juillet 2003, à savoir que, sous linfluence de lalcool, vous avez eu une conduite répréhensible en frappant le caporal Lincoln. [2] La Cour vous permet, ainsi quà votre escorte, de rompre et de vous asseoir auprès de votre avocat pendant quelle présente les motifs de sa décision en lespèce. [3] Il est toujours utile de rappeler brièvement les principes applicables par les cours martiales et dans tous les procès criminels du Canada. En lespèce, comme dans tous les procès criminels ou ayant lieu devant une cour martiale au Canada, un accusé est présumé non coupable, est présumé innocent, et il incombe au ministère public détablir tous les éléments de linfraction hors de tout doute raisonnable. Ces deux principes ont été définis par la Cour suprême du Canada dans larrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320. [4] Un accusé est présumé innocent tout au long de son procès, et cette présomption continue à sappliquer à légard de laccusé depuis le début du procès
Page 2 de 12 jusquà ce que tous les éléments de preuve aient été entendus et jusquà ce que le juge des faits soit convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de laccusé. Le fait quune personne soit accusée ne présume en rien de sa culpabilité. Il nincombe pas à laccusé détablir son innocence. Si le tribunal a un doute raisonnable que laccusé a commis linfraction qui lui est reprochée, il faut lui accorder le bénéfice du doute et lacquitter du chef daccusation en question. [5] Un doute raisonnable sentend dun doute qui subsiste après un examen juste, minutieux et impartial de lensemble de la preuve présentée au tribunal. Cette norme est plus élevée que celle utilisée dans le processus décisionnel normal. Le doute raisonnable est défini comme une norme exigeante, létablissement dune preuve hors de tout doute raisonnable constitue une norme de preuve qui est rarement appliquée dans la vie de tous les jours. [6] Bien que la Cour ait examiné la preuve dans son ensemble pour déterminer si la culpabilité du major Murray avait été prouvée hors de tout doute raisonnable, il incombe au ministère public de prouver chaque élément constitutif de linfraction hors de tout doute raisonnable. Sil subsiste un doute raisonnable sur un seul élément constitutif de linfraction, il faudra alors accorder le bénéfice du doute au major Murray. Toutefois, la norme de preuve sapplique à lensemble de la preuve sur laquelle se fonde le ministère public. [7] La preuve peut prendre différentes formes, mais la plupart du temps il sagit du témoignage sous serment ou de la déclaration solennelle orale que font les témoins au tribunal. Il nest pas rare que certains témoignages se contredisent. Souvent les témoins ont des souvenirs différents des événements. Le tribunal doit déterminer les témoignages quil juge plausibles et fiables. Le témoin fiable est celui dont le tribunal considère quil apporte un témoignage sincère et plausible. Même un témoin sincère, sefforçant honnêtement de dire la vérité, peut faire une déposition non fiable. [8] Le tribunal doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité dun témoin, notamment la possibilité dobserver qua eue le témoin, ce qui incite le témoin à se souvenir, par exemple, si les événements étaient remarquables, inhabituels et frappants, ou au contraire, insignifiants, et par conséquent, tout naturellement plus difficiles à se remémorer. Il doit aussi se demander si lissue du procès peut présenter un avantage pour le témoin, c'est-à-dire si celui-ci a des raisons de favoriser le ministère public ou la défense, ou sil est impartial. Ce dernier facteur sapplique aussi, mais de façon différente, à laccusé. Même si lon peut raisonnablement présumer quun accusé a intérêt à être acquitté, du fait de la présomption dinnocence dont jai parlé plus haut, on ne peut conclure quun accusé qui choisirait de parler risque de mentir. [9] Un autre élément permet de déterminer la crédibilité : la capacité apparente du témoin à se souvenir. Des restrictions émotives peuvent fausser la
Page 3 de 12 crédibilité du témoin : celui-ci peut se trouver dans un tel état de peur, de colère ou dexaltation que son état affecte ses capacités dobservation; il peut aussi être sous linfluence de lalcool ou de drogues quil prend sur ordonnance ou non. Ce dernier point joue un rôle important en lespèce. [10] On peut également observer lattitude du témoin pour évaluer sa crédibilité; il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises ou évasives, hésitantes ou argumentées. Enfin, un point relativement important en lespèce, il faut déterminer si son témoignage était cohérent et correspondait aux faits incontestés. Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires, mais cela ne doit pas nécessairement conduire à lécarter. Il en va autrement dun mensonge, qui constitue toujours un acte grave et risque de fausser lensemble dun témoignage. [11] Le tribunal nest pas obligé de retenir tous les témoignages. En revanche, il doit retenir ceux quil juge plausibles. En dautres termes, le tribunal doit considérer a priori les témoignages comme dignes de foi à moins quil ait des motifs de ne pas y accorder crédit. [12] En lespèce, le major Murray a choisi de témoigner, et, en de telles circonstances, la Cour suprême du Canada a défini comment le tribunal devait procéder. Dans larrêt R. c. W.(D), [1991] 1 S.C.R. 742, la Cour suprême du Canada a établi la procédure que doit suivre le tribunal. Dabord, le tribunal doit se demander sil croit ou non laccusé. Si le tribunal croit laccusé, cette analyse reposant implicitement sur le témoignage disculpatoire, laccusé doit alors être acquitté. Mais si le tribunal ne croit pas laccusé, et que néanmoins ce témoignage fait naître un doute raisonnable, il doit aussi déclarer laccusé non coupable. Enfin, si le témoignage de laccusé nest pas fiable et ne suscite pas de doute raisonnable, mais que subsiste un doute raisonnable sur le fondement des éléments de preuve acceptés par le tribunal, celui-ci devra aussi déclarer laccusé non coupable. Ce nest que dans le cas le tribunal na de doute raisonnable sur aucun des éléments constitutifs dune infraction quil déclarera laccusé coupable. En lespèce, il faut appliquer cette approche de façon un peu différente, car la Cour na pas conclu que le témoignage du major Murray quelle accepte était de nature disculpatoire. [13] La procédure à suivre est précisée au paragraphe 41 de larrêt R. c. Mah [2002] N.S.J. No. 349, rendu par la Cour dappel de la Nouvelle-Écosse : [TRADUCTION] […] Dans larrêt W.D., la Cour décrit le lien entre lévaluation de la crédibilité et la question du doute raisonnable. Le juge ne doit pas simplement se contenter de choisir l'une des différentes versions […] L'arrêt W.(D.) nous rappelle au contraire que, dans un procès pénal, le juge n'a pas à trancher la vaste question des faits, de ce qui s'est passé. Le rôle du juge est plus limité : il consiste à se demander si les éléments essentiels d'un chef d'accusation ont été prouvés hors de tout doute raisonnable […] La
Page 4 de 12 question fondamentale que se pose le juge n'est pas de savoir s'il accorde partiellement ou totalement foi aux déclarations de l'accusé ou à celles du plaignant. Dans un procès pénal, à la fin de la journée, le juge ne s'interroge pas sur la crédibilité mais sur le doute raisonnable. [14] Comme en lespèce il sagit dune accusation divresse définie à larticle 97 de la Loi sur la défense nationale, le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable non seulement lidentité de laccusé, la date et le lieu de linfraction, mais aussi quil y avait un état divresse correspondant à lune des situations mentionnées. En lespèce, le ministère public a accusé le major Murray davoir eu une conduite répréhensible sous linfluence de lalcool. Larticle en question ne donne pas de définition de la conduite répréhensible, aussi la Cour applique à cette expression son sens normal. Selon le Concise Oxford Dictionary, cela signifie agir de manière à troubler la paix. [15] Le procureur a soutenu que la preuve présentée à la Cour permettait détablir tous les éléments constitutifs de linfraction reprochée. Il déclare que lidentité, la date, le lieu et la consommation dalcool par le major Murray, qui constitue lélément moral de linfraction, sont établis non seulement par la preuve présentée par le ministère public mais aussi par le témoignage du major Murray lui-même. [16] Il qualifie lincident survenu dans le parc de stationnement denchaînement malheureux dévénements que lon aurait pu éviter. De lavis du ministère public, à lexception probablement du caporal Wolf, le caporal Lincoln était le seul autre témoin qui nétait pas sous linfluence de lalcool, et son témoignage devrait être considéré comme le plus fiable. Le ministère public a reconnu quil avait limpression que tous les témoins sefforçaient dapporter un témoignage plausible, mais que la Cour devrait se pencher sur lexactitude des souvenirs relatés plutôt que sur leur caractère sincère. Il soutient que les propos comme les actes du major Murray constituaient une conduite répréhensible et que la consommation préalable dalcool combinée à la nature de ces actes permet détablir un lien de cause à effet entre lalcool consommé et la conduite répréhensible. [17] La défense na pas contesté que les éléments concernant lidentité, la date et le lieu étaient établis hors de tout doute raisonnable. Toutefois, lavocat de la défense a soutenu que lon navait pas établi que le major Murray avait eu une conduite répréhensible, ou à supposer quelle lait été, on navait pas établi quelle était due à leffet de lalcool sur le major Murray. [18] La défense a soutenu que lensemble de la preuve démontrait que le major Murray avait volontairement consommé une quantité modérée dalcool ce soir-là. Selon elle, le major Murray est la personne qui a apporté le témoignage le plus plausible et le plus fiable. Lavocat de la défense a avancé que le caporal Prosser nétait ni fiable ni digne de foi parce quil se trouvait, pendant lincident, dans un état débriété avancé
Page 5 de 12 et cherchait à minimiser ce quil avait fait. La défense a aussi soutenu que le caporal Lincoln avait essayé de minimiser son inconduite. Elle a ajouté que, dans leurs témoignages, les capitaines de vaisseau Duffy et Pellerin et le soldat Beemer avaient décrit le major Murray comme un homme dont la consommation dalcool est modérée et la victime, comme une personne agressive. [19] Le major Boutin a reconnu que lon pourrait croire que le major Murray avait pris la mauvaise décision lorsquil a frappé le caporal Lincoln, mais que le major avait agi ainsi parce quil avait limpression quon menaçait sa femme et non parce quil avait consommé de lalcool. [20] En résumé, la défense a avancé que le major Murray sétait comporté comme un pilote et un officier professionnel dans la situation il sest trouvé aux premières heures du 4 juillet 2003. [21] Comme la Cour la indiqué plus tôt, lune de ses tâches les plus importantes est de décider quel est le témoignage quelle considère comme plausible et fiable et de motiver sa décision. Dans une large mesure, il est possible dy parvenir en évaluant les témoignages des personnes impliquées dans lincident, par rapport au témoignage de personnes impartiales non-impliquées et de renseignements neutres tels que des rapports, des cartes et des schémas du lieu indiquant notamment les distances, les édifices, la luminosité et les conditions météorologiques au moment de lincident, si ces données sont présentées à la Cour. [22] En lespèce, la Cour a entendu les dépositions de sept témoins. Le caporal Wolf, qui est un policier militaire, est un témoin qui a été impliqué dans laffaire après lincident. La Cour a estimé que ce policier était un témoin fort crédible et fiable, qui navait aucune raison de favoriser un protagoniste plutôt quun autre et qui ne souffrait daucune déficience physiologique ou émotionnelle. En particulier, la Cour a trouvé utiles les observations quil a faites sur létat et lattitude des différents protagonistes dans les minutes qui ont suivi lincident au parc de stationnement. [23] La Cour a estimé que les capitaines de vaisseau Duffy et Pellerin, témoins cités à charge, étaient fiables même si leurs sens étaient dans une certaine mesure affaiblis par linfluence de lalcool quils avaient consommé ce soir-là. Notamment, leur témoignage a permis dapprécier comment leur groupe dofficiers, de pilotes et damis a perçu le comportement qua eu ce soir-là le caporal Prosser ainsi que la nature et le ton de ses commentaires. [24] La Cour reconnaît que le soldat Beemer a peu de souvenirs en raison de sa consommation dalcool et du temps écoulé depuis lincident; toutefois, elle considère comme fiable la partie de son témoignage concernant les moments de la soirée dont le soldat se souvient.
Page 6 de 12 [25] Comme on sentend généralement sur le contexte dans lequel se sont déroulés ces incidents, la Cour se servira comme toile de fond des faits quelle a constatés. [26] Le soir du jeudi 3 juillet 2003, plusieurs groupes se sont rendus au restaurant Eat at Joe's, situé sur la Base des Forces canadiennes Cold Lake, en Alberta, pour diverses raisons. Un groupe constitué de pilotes, de membres de leurs familles et de leurs amis sétait rassemblé pour dire au revoir aux personnes postées à lextérieur, notamment au capitaine de vaisseau Duffy et à sa femme. Ce groupe de dix à douze personnes est arrivé de façon dispersée après 19 heures pour souper, bavarder et prendre des verres. Il est apparu que le noyau du groupe était formé par le capitaine de vaisseau Duffy et son épouse, les deux capitaines de vaisseau Pellerin, et le major Murray et sa femme. Au cours de la soirée, toutes ces personnes ont, de leur plein gré, consommé plus ou moins dalcool. Les membres du groupe ont quitté le restaurant à sa fermeture, vers une heure du matin, le 4 juillet 2003. [27] Un deuxième groupe, formé principalement de techniciens du 441 e Escadron, avait décidé daller prendre une bière à la fin dun quart. Ce groupe était un peu plus important que celui des « pilotes et amis ». On a identifié dans ce groupe, le caporal Prosser, repérable à son équipement de cycliste, notamment à son casque, le caporal-chef McGuire, le soldat Beemer (alors dénommée Lefebvre) et le caporal Lincoln. Il a été dit que, dans ce groupe, seul le caporal Lincoln ne buvait pas. [28] Il y avait aussi semble-t-il un autre groupe, le groupe de léquipe de hockey de la base, et on ne sait pas exactement si certaines personnes étaient venues avec plusieurs groupes. [29] À un moment donné, tard dans la soirée, le capitaine de vaisseau Laverdiere, pilote du 441 e Escadron, sest joint au groupe des « pilotes et amis ». Même avant cet instant, le capitaine de vaisseau Duffy avait entendu certains propos dénigrants tenus par le groupe des « techniciens du 441 e », notamment par le caporal Prosser, à légard des pilotes. Après larrivée du capitaine de vaisseau Laverdiere, le caporal Prosser a tenu des propos, selon lui humoristiques, à légard du capitaine de vaisseau, lequel a rétorqué. Il semble juste affirmer que certains membres du groupe des « pilotes et amis » nont pas trouvé les commentaires du caporal Prosser humoristiques. Toutefois, rien nindique que le major Murray a entendu ces commentaires. [30] Au moment un certain nombre de personnes allaient payer leur addition, le caporal Prosser et Laverdiere ont échangé des commentaires près de la caisse enregistreuse. Peu après, dans le parc de stationnement, alors que les Duffy, les Pellerin et le capitaine de vaisseau Laverdiere montaient dans le fourgon pour partir, le caporal Prosser a lancé une autre remarque depuis la fenêtre du fourgon. Le caporal Prosser la présente comme la suite des plaisanteries échangées entre lui-même et lindividu quil connaissait sous son sobriquet « Happy or Lavy », mais dont il ne
Page 7 de 12 connaissait pas, et ne connaît toujours pas, le nom véritable. Le capitaine de vaisseau Duffy, qui avait entendu les dernières remarques les a jugées provocantes, offensantes et irrespectueuses, notamment en raison de lemploi de lexpression [TRADUCTION] « maudit trou du cul ». Le capitaine de vaisseau Duffy a alors empêcher le capitaine de vaisseau Laverdiere de sortir du fourgon pour aller affronter le caporal Prosser. [31] En bref, les échanges entre le caporal Prosser, du moins, et le groupe des « pilotes et amis », ont été semble-t-il perçus par le caporal Prosser comme de bonnes plaisanteries humoristiques et, peut-être, par dautres membres de son groupe, comme des plaisanteries qui nétaient pas déplacées, mais leurs destinataires les ont interprétés dune toute autre façon. Cet élément est important, car il permet dexpliquer des témoignages apparemment contradictoires. Ce que le caporal Prosser, et ce que ses amis ont cru quil disait, nétait pas ce que dautres ont entendu. Une telle situation nest pas rare, même lorsque la consommation dalcool ne constitue pas un facteur. [32] À aucun moment avant lincident dans le parc de stationnement, il ny a eu déchanges entre le major Murray et le caporal Prosser ni aucun membre du groupe des « techniciens du 441 e ». En substance, avant cet incident, le major Murray et sa femme profitaient dune soirée avec des amis. Par ailleurs, le caporal Prosser avait pris part à des séries déchanges verbaux avec au moins un pilote et avait donné limpression quil faisait preuve dirrespect au moins envers une autre personne, le capitaine de vaisseau Duffy, cherchant à le provoquer et à laffronter. [33] Quelques minutes après lincident du parc de stationnement, le caporal Wolf a observé, que le major Murray était visiblement sous linfluence de lalcool, car il parlait dune voix pâteuse, vacillait et sentait lalcool, mais il collaborait et ne cherchait pas querelle. Madame Murray avait bu, mais elle était si bouleversée et elle pleurait tant que le caporal Wolf na pu dire à quel point. Le caporal-chef McGuire se refusait à toute coopération. Le caporal Prosser était en état débriété, irritable et agressif envers le major Murray, le traitant de [TRADUCTION] « trou du cul ». Cette expression est très semblable à celle que le capitaine de vaisseau Duffy a entendu proférer plus tôt le caporal Prosser à légard du capitaine de vaisseau Laverdiere. La Cour est portée à croire que cette expression ne peut être qualifiée de plaisanterie humoristique. Le caporal Wolf a indiqué quelle avait menacer le caporal Prosser de larrêter pour ivresse afin de le contenir. [34] Les appréciations portées, avant et après lincident, sur lattitude et les actes, notamment, du major Murray et du caporal Prosser sont importantes pour évaluer la fiabilité de leurs témoignages respectifs. À la lumière de lappréciation objective du caporal Wolf, la Cour conclut que pendant lincident, le major Murray et le caporal Prosser étaient tous deux sous linfluence de lalcool, bien que le major Murray lait été beaucoup moins. La Cour conclut également quavant et après lincident, le caporal Prosser était agressif, quil jurait et se faisait provocateur.
Page 8 de 12 [35] La Cour a dabord examiné soigneusement le témoignage du major Murray, comme lexige larrêt R. c. W.(D.). Vers 19 heures ou 19 h 30, le jeudi 3 juillet 2003, le major Murray et sa femme ont retrouvé quelques amis au Eat at Joe's pour passer la soirée en leur compagnie, c'est-à-dire pour souper et consommer ensuite quelques bières. Selon son habitude, le major Murray avait décidé, avant de commencer à consommer de lalcool, quil rentrerait chez lui à pieds et non en voiture. Au cours des cinq heures qui ont suivi, lui et sa femme ont mangé, bu, de la bière à la pression en ce qui concerne le major, et discuté avec leur groupe damis. Pendant la soirée, bien quil ait remarqué, au restaurant, une personne portant des vêtements de cycliste, il navait pas limpression quil se passait quelque chose dinhabituel, que lon tenait des propos désobligeants ou quil y avait des tensions. À la fin de la soirée, alors que sa femme montrait des photographies de leur nouveau domicile à une serveuse, il a décidé de daller lattendre à lextérieur. , il a vu ses amis auxquels il sétait contenté de dire au revoir lorsquils étaient sortis pour monter dans le fourgon et rentrer chez eux. Il a décliné leur proposition de le reconduire, lui et sa femme. Alors que le fourgon démarrait, il sest mis à observer lhomme portant des vêtements de cycliste, qui se trouvait être le caporal Prosser comme il la appris plus tard, et qui contournait, avec des mouvements visiblement exagérés, lavant dune voiture garée à côté du fourgon et a saisi le mot « pilotes » dans un amas de propos inintelligibles. Le major Murray en a conclu que ce propos lui était adressé alors même quil ne reconnaissait pas cet individu, quil navait pas mentionné quil portait le moindre vêtement ou insigne indiquant quil était militaire ou pilote, et quil se trouvait à une quinzaine de pieds de lindividu. Le major Murray a senti quil devait répondre immédiatement à ce propos en grande partie inintelligible en adressant à cet inconnu la question suivante : [TRADUCTION] « Quavez-vous à dire sur les pilotes? ». [36] Le caporal Prosser, qui montait dans lautre véhicule au moment le major Murray a réagi, a rétorqué : [TRADUCTION] « Ne mobligez pas à me déplacer ». Le caporal Prosser est alors sorti du véhicule, sest dirigé vers le major Murray et, sans un mot, a poussé le major Murray. Ce dernier est tombé en arrière et sest retrouvé sur le dos, son coude droit et son crâne heurtant la chaussée. Le major Murray sest relevé immédiatement. Pendant ce temps un autre individu, qui a par la suite été identifié comme le caporal-chef McGuire, immobilisait le caporal Prosser et lentraînait du côté du véhicule opposé à celui par lequel tous deux étaient sortis. Un autre individu, sorti du fourgon et également inconnu du major Murray, ainsi que la femme du major Murray, tout juste arrivée sur les lieux, ont essayé de calmer le major. Celui-ci était alors en colère et il employait le mot [TRADUCTION] « tabernac » dans les questions quil adressait au caporal Prosser. Le caporal Lincoln, identifié plus tard, a essayé de sinterposer entre le major Murray et le caporal Prosser et de calmer le major Murray. Il sest tenu sur le chemin du major Muray pour lempêcher de se rapprocher du caporal Prosser qui se trouvait à 15 ou 20 pieds. Le major Murray a admis que la personne identifiée par la suite comme le caporal Lincoln essayait sincèrement de calmer les esprits et déviter que laffrontement entre lui-même et le caporal Prosser ne se
Page 9 de 12 prolonge. À plusieurs reprises, le major Murray a demandé, en criant, son nom au caporal Prosser, et en labsence de réponse, il a demandé son nom au caporal Lincoln qui lui a répondu : « Tyrone Lincoln ». Le major Murray a continué à interroger le caporal Lincoln pour quil lui dise le nom du caporal Prosser; il a aussi essayé de faire dire son nom au caporal Prosser et de sapprocher de lui. Le major Murray et le caporal Lincoln se faisaient face à environ deux pieds, et la femme du major Murray se trouvait entre eux, une main posée sur la poitrine de chacun deux. Le major Murray ne se souvient pas si sa femme disait quelque chose, mais il a senti que la conversation entre lui-même et le caporal Lincoln sest soudainement échauffée. Il a entendu le caporal Lincoln dire : [TRADUCTION] « ôte tes mains de moi, espèce de pute », sur un ton quil a senti menaçant à légard de sa femme, et il a décelé un mouvement, aussi sa réaction a été de gifler le caporal Lincoln. Le major Murray ne se souvient pas si le caporal est tombé au sol ni davoir été frappé par le caporal Lincoln et il ne se rend même pas compte quil a oublié quelques secondes de laffrontement. Le souvenir suivant du major Murray est quil a vu que sa femme était très contrariée et avait terriblement besoin quil soccupe delle, aussi ils sont tous deux retournés au restaurant lun deux a demandé à une serveuse dappeler la police militaire. [37] Selon les souvenirs du major Murray, cet incident a été très bref : entre la première remarque du caporal Prosser et le moment le major a frappé le caporal Lincoln et ce dernier lui a rendu son coup, il ne sest écoulé quune ou deux minutes. [38] En résumé, daprès son témoignage même, le major Murray a bu de cinq à huit bières à la pression pendant la soirée. Il sagissait dune soirée de détente, dune sortie agréable entre amis. Pendant quil attend que sa femme sorte du restaurant et après le départ de ses amis, il saisit une remarque globalement inintelligible comprenant le mot « pilotes » et proférée à une quinzaine de pieds par un étranger qui semble sapprêter à monter dans un véhicule. Le major Murray ne connaît pas cet individu et ne se trouve pas dans une situation il est identifié comme pilote. Il est possible que lindividu qui a lancé la remarque soit ou pas membre des Forces canadiennes, que la remarque soit malveillante ou pas et quelle ait ou pas visé le major Murray. Quoi quil en soit, il est environ une heure dans le parc de stationnement de cet établissement agréé lorsque le major Murray se sent tenu de relever le propos. Ensuite, selon le major Murray, se produit une réaction extrêmement bizarre et violente, et alors quil reconnaît que sa femme et dautres personnes bien intentionnées essaient de le calmer, il hurle des insultes, essaie de sapprocher de lhomme qui la frappé pour obtenir de lui une explication et lui faire dire son nom. Le major Murray se trouvait sur une base relevant de la compétence de la police militaire que le personnel encore à lintérieur de létablissement aurait pu appeler. Il se trouvait face à trois individus la Cour en a vu deux, et ce sont plutôt des géants qui sortaient dun véhicule encore garé dans le parc de stationnement et portant une plaque dimmatriculation quil aurait pu mémoriser. Ces individus portent une coupe de cheveux militaire et sont en âge de servir larmée. Le major Murray a affirmé quil pensait que si cétait des militaires et quil déclinait son identité de major, laffaire serait close. Selon le major Murray, à un moment donné,
Page 10 de 12 sa femme et une personne bien intentionnée essayaient de le calmer, et le major a précisé quil navait pas décliné son identité, quil ne sétait pas calmé, quil avait considéré quun nom et une plaque dimmatriculation ne suffisait pas à identifier une personne, quil navait même pas écouté les inquiétudes exprimées par sa femme. Quand soudain il a senti sa femme menacée par la personne qui avait tenté de le calmer, il a immédiatement écarté sa femme de son chemin, sest interposé entre elle et cette personne ou a essayé de maîtriser cette personne. Le major Murray a giflé le caporal Lincoln, un jeune géant en pleine forme. [39] La Cour conclut quelle peut retenir la plupart des éléments du témoignage du major Murray sur ce qui sest passé, mais quelle ne peut accepter la justification de ses choix le jour en question, lestimant irrationnelle et illogique. La Cour estime que lexplication fournie dans son témoignage par le major Murray pour justifier ses actes, constitue une démarche sincère et bien intentionnée, mais quil était finalement inutile dessayer dexpliquer de façon rationnelle et logique une série de choix insensés lorsquon nest pas sous linfluence de lalcool, ce qui nétait alors pas le cas du major Murray lors de lincident. Il ressort du témoignage même du major Murray que celui-ci a eu conduite répréhensible due à linfluence de lalcool, notamment par le coup porté au caporal Lincoln. [40] Cette analyse respecte les trois étapes exposées dans larrêt R. c. W.(D.). Pour simplifier, le témoignage du major Murray prouve que celui-ci a volontairement consommé de lalcool, élément moral constitutif de linfraction, quil sest ensuite conduit de façon répréhensible; la seule déduction raisonnable, surtout compte tenu du fait que son ami le capitaine de vaisseau Duffy la décrit comme un homme jovial et accommodant, est que sa conduite était due à linfluence de lalcool. [41] Toutefois, la Cour va poursuivre et commenter les témoignages des caporaux Prosser et Lincoln et du soldat Beemer et justifier comment ces témoignages, associés à ceux du capitaine de vaisseau Duffy et du caporal Wolf permettraient également détablir hors de tout doute raisonnable les éléments constitutifs de linfraction. [42] Bien que le soldat Beemer ait peu de souvenir de lincident et ait été effectuée par la consommation dalcool quelle avait faite, la Cour retient quelle a vraiment entendu le caporal Prosser dire avant de sortir du véhicule et de frapper le major Murray : [TRADUCTION] « Ne mobligez pas à me déplacer ». Elle retient également de son témoignage que la femme du major Murray se démenait, demandait leurs noms à chacun et, quen sortant du restaurant le fait de voir son mari à terre à la suite du coup porté par le caporal Prosser la visiblement contrariée. [43] La Cour conclut que le caporal Prosser nétait pas un témoin très fiable non seulement en raison de son état débriété avancé ce soir-là, mais aussi de lattitude agressive et provocante observée chez lui. La Cour conclut quelle ne peut se fier aux
Page 11 de 12 souvenirs qua le caporal Prosser de ses échanges avec le capitaine de vaisseau Laverdiere, quil a qualifié de plaisanteries humoristiques et dont il considère quils ont été bien reçus. Notamment, le capitaine de vaisseau Duffy a entendu le caporal Prosser employer lexpression [TRADUCTION] « maudit trou du cul » et a remarqué ses remarques et ses gestes agressifs; puis, sans subir dinfluence, le caporal Wolf a remarqué lattitude agressive du caporal Prosser envers le major Murray et la entendu traiter ce dernier de [TRADUCTION] « trou du cul »; toutes ces remarques, sajoutant à la déclaration entendue par le major Murray et le soldat Beemer [TRADUCTION] « Ne mobligez pas à me déplacer », ont donné limpression que le caporal Prosser était dans un état tel quil cherchait une occasion de provoquer quelquun. Il est vraiment malheureux que le caporal Prosser ait agi ainsi. Par conséquent, la Cour conclut quelle ne peut accorder foi à son souvenir des paroles quil a prononcées, pas plus quà son souvenir et à son appréciation des attitudes et des actes à son endroit les jugeant extrêmement déformés et douteux en raison de son état débriété et de sa conduite agressive. [44] Le caporal Lincoln, pour sa part, entre dans une autre catégorie. La Cour admet quil navait pas bu dalcool ce soir-là et que, par conséquent, sa perception de lincident du parc de stationnement nest pas altérée par les mêmes déficiences que celle des autres témoins. Toutefois, il ne peut donner dinformations que sur une partie de la soirée, car il sest absenté à certains moments pour reconduire des gens chez eux. Bien quil ny ait aucun doute de son implication dans lincident et quil sagisse dun collègue, et même dun ami, du caporal Prosser, la Cour juge plausible et fiable le témoignage du caporal Lincoln concernant la période écoulée entre le premier échange entre le major Murray et le caporal Prosser et le coup que lui a donné le major Murray. À cet égard, son témoignage appuie dans une large mesure celui du major Murray, et, sur certains points, la Cour estime quil y apporte des éclaircissements. La Cour conclut que le caporal Lincoln a décrit avec franchise les actes, vraisemblables ou pas, quil a fait ce soir-là. La Cour se fonde sur le témoignage du caporal Lincoln et retient que le major Murray a adressé des remarques supplémentaires au caporal Prosser au début de lincident, dont lune comportait le mot « ralentir ». La Cour retient également, la tenant pour fiable, sa relation des actes perpétrés par le major Murray et sa femme pendant quil essayait de calmer le major Murray et de désamorcer la situation. Par conséquent, la Cour retient que le major Murray sest vraiment présenté, mais quil na pas dit son grade au caporal Lincoln. La Cour considère aussi comme plus fiable lévaluation plus complète fournie par le caporal Lincoln, dans laquelle il a indiqué que lincident sétait déroulé sur un lapse de temps plus long. [45] Se fondant sur les témoignages du capitaine de vaisseau Duffy, du caporal Lincoln, du soldat Beemer et du caporal Wolf, la Cour pourrait également conclure que le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable que le major Murray a eu une conduite répréhensible parce quil était sous leffet de lalcool. Comme la déjà dit la Cour, cest ce quelle est en mesure de conclure, et conclut effectivement, à lappui du témoignage de laccusé quelle retient de laccusé lui-même.
Page 12 de 12 COLONEL K.S. CARTER, J.M. Avocat : Le capitaine de vaisseau K.A. Reichert, directeur des Poursuites militaires, Procureur de Sa Majesté la Reine Le major L. Boutin, Direction du service d'avocats de la défense, Avocat du major B.L. Murray Le capitaine de vaisseau A.H. Bolik, Direction du service d'avocats de la défense, Avocat adjoint du major B.L. Murray
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