Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CACM 490 - Appel abandonné

Date de l’ouverture du procès : 22 février 2005.

Endroit : BFC Kingston, édifice Genet, édifice C-31, Kingston (ON).

Chefs d’accusation :

• Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, méfait public (art. 140(1)c) C. cr.).
• Chef d’accusation 3 : Art. 90 LDN, s’est absentée sans permission.
• Chefs d’accusation 4, 5 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats:

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable. Chefs d’accusation 3, 4, 5 : Coupable.
• SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1500$.

Contenu de la décision

Référence:R. c. Soldat A.G. Doling,2005CM14

Dossier:F200514 COUR MARTIALE PERMANENTE CANADA ONTARIO BASE DES FORCES CANADIENNES KINGSTON

Date:18 juillet 2005 PRÉSIDENT:COLONEL K.S. CARTER, J.M. SA MAJESTÉ LA REINE c. SOLDAT A.G. DOLING (Accusé)

VERDICT (Prononcé verbalement)

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE [1] Pour commencer, il serait bien de passer en revue les infractions qui sont reprochées au soldat Doling, en l’occurrence, deux infractions de méfait public, de même que ce que la poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable. En ce qui a trait au premier chef d’accusation, la poursuite doit établir, hors de tout doute raisonnable, qu’entre le 8 mars et le 6 avril 2004, à la BFC Trenton et à Napanee, le soldat Doling, dans l’intention de tromper, a fait en sorte que le Caporal Parsons entreprenne ou poursuive une enquête en rapportant qu’une infraction d’agression sexuelle avait été commise alors que ce n’était pas le cas et qu’elle l’ait fait avec la mens rea requise, c’est-à-dire qu’elle a sciemment et volontairement posé ce geste dans l’intention de tromper. Concernant le second chef d’accusation, les éléments essentiels que la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable sont ceux ayant eu lieu entre le 8 mars et le 6 avril à la Base des Forces canadiennes Trenton et à Napanee,

Page 1 de 21

Page 2 de 21 alors que le soldat Doling, dans l’intention de tromper, a incité le Caporal-chef Decoeur et le Sergent Bolduc de la police militaire à entreprendre ou poursuivre une enquête en rapportant qu’une infraction de vol avait été commise alors que tel n’était pas le cas et, une fois de plus, que ce geste avait été posé avec la mens rea requise, c’est-à-dire, sciemment, volontairement et dans l’intention de tromper.

[2] Les principales questions dans le cas présent sont, premièrement, si la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que les infractions d’agression sexuelle et de vol n’avaient effectivement pas été commises; deuxièmement, si le soldat Doling était au courant de ce fait, mais que, néanmoins, dans l’intention de tromper, elle ait rapporté ces infractions; et, troisièmement, si le rapport du soldat Doling a fait que la police militaire a entrepris ou poursuivi ses enquêtes relativement à une agression sexuelle et un vol.

[3] Tel qu’il a été prouvé durant ce procès, la question de la mens rea, en l’occurrence, l’état d’esprit du soldat Doling au moment les infractions auraient eu lieu, s’avère très importante. Bien qu’au début dudit procès, la défense ait présenté une requête afin d’évaluer l’aptitude du soldat Doling à subir son procès, c’est-à-dire si sa santé mentale le lui permettait, aucune défense de troubles mentaux n’a été soulevée en vertu de l’article 202.13 paragraphe (1) de la Loi sur la défense nationale ou de l’article 119.33 des Ordonnances et règlements royaux, selon lesquels, au moment ces infractions se seraient produites, le soldat Doling souffrait de trouble mental qui la rendait incapable d’apprécier la nature et la gravité de l’acte allégué ou de se rendre compte qu’elle se conduisait mal. En un mot, il n’a pas été soutenu que le soldat Doling était aliénée, temporairement ou autre, lors de ces infractions. Néanmoins, au Canada, même si un trouble mental n’est pas soulevé dans pareil contexte, notre droit pénal, qui comprend le droit militaire tel qu’appliqué en cours martiales, exige qu’une preuve de l’état d’esprit et de la capacité de l’accusé à former la mens rea nécessaire ou d’un état d’esprit qui soit comparable au moment les infractions ont été commises soit requise.

[4] Le méfait public est une infraction d’intention spécifique dans laquelle l’accusé doit signaler l’affaire avec l’intention de tromper. Il se peut que ce ne soit pas la seule ou en réalité la première raison qui ait poussé l’accusé à poser ces gestes, mais la poursuite doit établir, hors de tout doute raisonnable, que la personne accusée de méfait public a agi, non seulement en connaissance de cause et volontairement, soit sans contrainte ni menace, mais qu’elle l’a également fait dans l’intention de tromper. S’il subsiste, à la fin d’un procès, un doute raisonnable selon lequel l’accusé a agi avec l’intention de tromper, celui-ci ne doit pas être déclaré coupable. L’état d’esprit ou la capacité mentale de l’accusé au moment les gestes qui constituent les fondements pour les infractions ont été posés doivent, par conséquent, être pris en considération .

[5] Puisque cette cour martiale s’est échelonnée sur plusieurs mois, il serait utile de résumer son déroulement. Les accusations portent sur des événements qui ont eu lieu entre le 20 février et le 6 avril 2004. Les accusations ont été portées le

Page 3 de 21 10 décembre 2004. La cour martiale a été convoquée le 5 janvier 2005 pour entamer le procès le 22 février 2005 à la BFC Saint-Jean. Une demande de la défense au nom du soldat Doling en vue d’un renvoi devant le tribunal d’une autre circonscription territoriale, soit de Saint-Jean à Kingston, a été soumise le 21 février 2005. Une preuve médicale a alors été présentée et la demande a été accordée. La cour martiale a commencé à la BFC Kingston le jeudi 22 février 2005 une demande faite par la défense pour le soldat Doling visant à obtenir une ordonnance d’évaluation quant à son aptitude à subir son procès a été entendue. La preuve était constituée de témoignages de divers médecins et d’autres personnes. Une ordonnance a été faite le 23 février et une évaluation a été effectuée et remise à la cour le 3 mars. Il ressort nettement du fait que le procès a bel et bien été instruit que, selon l’évaluation, le soldat Doling était apte à subir son procès. Les plaidoyers ont été enregistrés le 3 mars et l’accusée a alors plaidé coupable aux troisième, quatrième et cinquième accusations d’absence sans permission et aux deux infractions pour un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Pendant la principale partie du procès, la poursuite a appelé 10 témoins : le Caporal-chef Parsons, un agent de police militaire; le Caporal Rancourt, un membre du Service national des enquêtes; le Caporal-chef Decoeur, également membre du Service national des enquêtes; madame Beattie, membre du peloton du PAI, c’est-à-dire du Personnel en attente d’instruction à la BFC Saint-Jean durant la prériode comprise entre février et mars 2004; le Capitaine Lussier, un aumônier à la BFC Saint-Jean au cours du mois de mars 2004; le Caporal Azpiroz, un membre des Forces canadiennes et conjoint du soldat Doling à Trenton pour la période de 2003-2004; le Sergeant Pelanconi, le commandant-adjoint d’un peloton à la Base des Forces canadiennes Saint-Jean auquel appartenait le soldat Doling aux mois de janvier et de février 2004; le Commissionnaire Brousseau, qui a travaillé au poste de garde de la Base des Forces canadiennes Saint-Jean au mois de mars 2004; le Maître de 2 e classe Malenfant qui, pour ceux portant un uniforme de l’armée, est un adjudant, commandant de peloton du Personnel en attente d’instruction à la Base des Forces canadiennes Saint-Jean, était postée le soldat Doling en février 2004; le Maître de 1 re classe Carbonneau, un enquêteur du Service national des enquêtes qui a été impliqué dans l’enquête concernant les gestes du soldat Doling lors du rapport d’une agression sexuelle; enfin, le Sergent Lavoie, un enquêteur du Service national des enquêtes qui était le partenaire du Maître de 1 re classe Carbonneau au cours de cette enquête relative au rapport du soldat Doling.

[6] La défense a appelé deux témoins : le soldat Doling, de même qu’un témoin expert, madame Mauri, docteure en psychologie, qui traite le soldat Doling depuis l’été 2004.

[7] En raison de l’ordonnance d’évaluation ainsi que des horaires des divers témoins et des autres participants à ce procès, les audiences ont été tenues aux dates suivantes : les 22 et 23 février 2005, les 3 et 4 mars 2005, les 16, 17 et 18 mars 2005, du 2 au 6 mai 2005, et, subséquemment, aujourd’hui. Les retards dans cette affaire l’ont certainement rendue plus difficile pour tous ceux qui y ont été impliqués et peut-être plus complexe qu’à l’habitude pour une cour martiale qui, traditionnellement, débute et

Page 4 de 21 se poursuit jusqu’à sa conclusion. En fait, les défis dans le cas présent peuvent mettre en évidence le bien-fondé de ce processus.

[8] Après avoir passé en revue l’historique de l’affaire, je crois qu’il serait utile d’expliquer les principes fondamentaux qui s’appliquent à tout les procès criminel de civils dans toutes les cours martiales au Canada. En effet, ces principes sont bien connus des avocats, mais possiblement moins des autres participants de même que des autres personnes présentes dans la salle d’audience. Les deux principes fondamentaux sont : la présomption d’innocence et la preuve hors de tout doute raisonnable. Ils ont été décrits à la Cour suprême du Canada par le juge Cory dans la décision Lifchus, qui se trouve dans (1997), 118 C.C.C. (3d) 1. À la page dix de cette décision, le juge Cory énonce :

Si la présomption d’innocence est le fil d’or de la justice pénale, alors la preuve hors de tout doute raisonnable en est le fil d’argent, et ces deux fils sont pour toujours entrelacés pour former la trame du droit pénal.

Un accusé est présumé innocent tout au long de son procès. En fait, il bénéficie de cette présomption du début de l’affaire jusqu’à ce que toutes les preuves aient été entendues et prises en considération et que le juge des faits, que ce soit un tribunal militaire, un jury de civils ou un juge, ait été convaincu, hors de tout doute raisonnable, de sa culpabilité. Le fait qu’une personne ait été accusée n’indique en rien qu’elle soit coupable du crime dont on l’accuse. Le fardeau de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable repose sur la poursuite. L’accusé, quant à lui, n’a pas à prouver son innocence. Si la cour a un doute raisonnable que ce dernier a commis l’infraction pour laquelle il est accusé, alors le bénéfice du doute doit lui être accordé et il doit être innocenté de cette accusation portée contre lui.

[9] La Cour suprême du Canada a expliqué, toujours dans le cas Lifchus, ce qu’est un doute raisonnable. Je résumerai maintenant ce qui était écrit à la page 13 de cette décision : un doute raisonnable est un doute fondé sur la logique et le bon sens et non pas sur la sympathie et les préjugés. Il doit logiquement découler de la preuve présentée ou de l’absence de preuve et non d’un doute imaginaire ou futile. Même s’il ne s’agit pas de prouver la culpabilité avec une certitude absolue, le doute raisonnable exige plus qu’une simple preuve qu’un accusé est probablement coupable.

[10] J’ajouterai que, si la cour conclut seulement qu’un accusé est probablement coupable, c’est-à-dire selon toute vraisemblance, elle doit alors innocenter ce dernier. La probabilité ne signifie pas « hors de tout doute raisonnable ». Dans l’arrêt Lifchus, un doute raisonnable est décrit comme étant un doute qui subsiste après un examen juste, approfondi et impartial de toutes les preuves rapportées devant la Cour. La norme de preuve dans le cadre d’un procès criminel, y compris une cour martiale, est plus élevée que celle exigée dans les jugements quotidiens ou ceux concernant les affaires au civil, les gens se poursuivent entre eux, ou encore dans les décisions rendues relativement à des questions administratives. Elle a une signification

Page 5 de 21 unique dans l’acte judiciaire. Il s’agit d’une norme de preuve exigeante que l’on trouve rarement dans la vie de tous les jours. Tandis que la cour considère la preuve dans son ensemble en vue de déterminer si la culpabilité de l’accusé a été prouvée hors de tout doute raisonnable, le fardeau de prouver chaque élément essentiel de l’infraction au-delà de tout doute raisonnable incombe à la poursuite. S’il y a un doute raisonnable relativement à un seul de ces éléments essentiels de l’accusation, l’accusé doit obtenir le bénéfice du doute. Toutefois, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas aux éléments constitutifs de la preuve pris isolément et sur lesquels se fonde la poursuite, mais plutôt à la preuve dans sa globalité utilisée par la poursuite. Une preuve peut prendre différentes formes : documents, photos, cartes, etc. Souvent, elle consistera en un témoignage oral fait sous serment ou encore en la comparution de témoins à la cour. Il n’est pas inhabituel que certains éléments de preuve présentés devant la cour soient contradictoires. En effet, il arrive souvent que des témoins aient un souvenir différent des événements. La cour doit alors déterminer quel témoignage lui semble crédible. Il faut savoir que crédibilité n’est pas synonyme de vérité et que l’absence de crédibilité n’implique pas mensonge. En termes simples, un témoin sincère qui s’efforce honnêtement de dire la vérité peut tout de même fournir des éléments de preuve qui soient peu dignes de foi. De nombreux facteurs influencent l’évaluation de la cour en ce qui a trait à la crédibilité d’un témoin. Parmi ceux-ci se trouvent la possibilité d’observer qu’a eue le témoin, ce qui l’incite à se souvenir, par exemple, si les événements étaient remarquables, inhabituels, frappants ou, au contraire insignifiants et, par conséquent, plus difficiles à se remémorer. Est-ce que le témoin a un quelconque intérêt dans l’issue du procès? Si tel était le cas, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique également à l’accusé, mais d’une manière quelque peu différente. Même si l’on peut raisonnablement présumer que l’accusé a intérêt à être acquitté, la présomption d’innocence, dont j’ai précédemment fait mention, ne permet pas de conclure que l’accusé mentira s’il choisit de témoigner.

[11] L’apparente capacité du témoin à se souvenir constitue un autre facteur pour déterminer sa crédibilité. Des restrictions émotionnelles peuvent également affecter sa crédibilité. En effet, il peut être si nerveux, apeuré, en colère ou exulté que sa capacité d’observer s’en trouve affectée. Un témoin peut aussi être sous l’influence de l’alcool ou d’un médicament sous ordonnance ou non. Le comportement du témoin représente un autre facteur permettant d’évaluer sa crédibilité, par exemple, ses réponses étaient-elles précises ou évasives, hésitantes ou argumentées? Enfin, et ce qui est très important dans le présent cas, son témoignage était-il cohérent et correspondait-il aux faits incontestés? Des contradictions mineures peuvent survenir en toute innocence, mais elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être rejeté. Toutefois, il en va autrement d’une fausse information donnée délibérément, qui constitue toujours un acte grave pouvant entacher l’ensemble du témoignage effectué par le témoin. Une cour n’est pas obligée de retenir tous les témoignages, en revanche, elle doit retenir ceux qu’elle juge plausibles. En d’autres termes, elle doit

Page 6 de 21 considérer a priori les témoignages comme dignes de foi, à moins qu’elle ait des motifs de ne pas y accorder de crédit.

[12] Maintenant, dans le cas présent, l’accusée, en l’occurrence le soldat Doling, a choisi de témoigner et la Cour suprême du Canada a énoncé ce que la cour doit faire en de telles circonstances. Dans l’affaire R. c. W.(D.) répertoriée au (1991), 63 C.C.C. (3d) 397, la Cour suprême du Canada a établi un processus auquel la présente cour doit se conformer. Premièrement, elle doit analyser si l’on a ou non accordé foi à l’accusé et il y a, implicitement, un postulat selon lequel le témoignage de l’accusé pourra le disculper si on l’a cru, ce qui est assurément le cas ici. Toutefois, si l’on ne croit pas l’accusé, mais que son témoignage soulève néanmoins un doute raisonnable, la cour doit, une fois de plus, le déclarer non coupable. Enfin, si le témoignage de l’accusé n’est pas cru et ne soulève pas de doute raisonnable, mais qu’il subsiste encore un doute raisonnable sur les fondements de la preuve reçue par la cour, cette dernière doit encore innocenter l’accusé. Ce n’est seulement que si la cour n’a pas de doute raisonnable relativement à l’un ou l’autre des éléments de l’accusation qu’elle doit déclarer l’accusé coupable.

[13] Il y a un très grand nombre de faits sur lesquels s’entendent les différents témoins dans cette affaire, qui sont essentiellement incontestés et que la cour croit devoir passer brièvement en revue avant d’aborder les questions ayant suscité divers comptes rendus ou perceptions des événements qui se sont produits. Lorsque la cour qualifie des faits comme incontestés, cela inclut des situations le compte rendu de tout témoin, y compris celui du soldat Doling, est simplement « Je ne m’en souviens pas. » Cette affirmation ne contredit en rien un compte rendu. En procédant à cette chronologie, la cour indiquera qu’elle a trouvé crédibles les témoignages du Caporal Azpiroz, du Sergent Pelanconi, du Maître de 2 e classe Malenfant, de madame Beattie, du Caporal-chef Parsons, du Caporal Rancourt, du Caporal-chef Decoeur, du Maître de 1re classe Carbonneau, du Sergent Lavoie et du Commissionnaire Brousseau. À l’exception du Caporal Azpiroz, qui était en union de fait avec le soldat Doling, tous étaient des particuliers qui, s’ils avaient à traiter avec le soldat, le faisaient à titre professionnel. Ils étaient honnêtes dans leur témoignage et n’ont manifesté aucune intention contre le soldat Doling ou en faveur de la Couronne. Ils étaient logiques et imperturbables pendant leur témoignage. De plus, même s’il est manifeste que les agents de police militaire qui ont enquêté sur l’incident s’en sont rapidement fait une opinion, cette dernière était fondée sur des preuves photographiques et documentaires de même que sur des reconstitutions raisonnables. La majorité des témoignages de la police militaire était également constituée d’enregistrements d’appels téléphoniques et d’entretiens. La cour allègue que ces enregistrements auraient pu être de meilleure qualité. Il était nécessaire de les écouter plusieurs fois et, à vrai dire, les transcriptions des entretiens à elles seules n’étaient pas toujours dignes de foi. Néanmoins, les enregistrements fournissaient la preuve de l’approche professionnelle de la police militaire dans cette affaire et qu’au moins jusqu’à l’entretien du 6 avril 2004, ses agents ont adopté une attitude de soutien quand ils devaient traiter directement avec le soldat

Page 7 de 21 Doling, malgré le fait que, dans le preuve présentée devant la cour, le 16 mars 2004, ils avaient déjà décidé que sa plainte ferait l’objet d’une enquête en tant que plainte pour méfait public.

[14] Laissez-moi maintenant passer en revue, en ordre chronologique, les faits que la cour considère incontestés. Le premier de ces faits est que le soldat Doling a grandi dans l’Est de l’Ontario et qu’elle habite toujours dans ce secteur, tout comme sa famille et, semble-t-il, ses beaux-parents. Elle était mariée à James Doling qui vit à Stirling, Ontario, une petite ville située au nord et à l’est de Belleville. Ils se sont séparés peu avant le printemps 2003. À un moment donné, Madame Doling a commencé à travailler comme femme de ménage à la Base des Forces canadiennes Trenton. Puis, au printemps 2003, alors qu’elle portait encore le nom de Doling, elle a commencé à vivre avec le Caporal Azpiroz sur cette même base. Elle était âgée, à cette époque, de 30 ou 31 ans. Madame Doling a présenté une demande pour joindre les Forces canadiennes en 2003, laquelle a été acceptée et elle a commencé sa formation comme soldat à la BFC Saint-Jean, Québec, dans le grand édifice connu sous le nom de Mégastructure, au début de janvier 2004. Dès la deuxième semaine de ce cours, elle avait déjà des problèmes médicaux et avait pris du retard, ce qui a entraîné son échec relatif au test d’aptitude. Son rendement en général a été évalué comme étant faible. Au début du mois de février 2004, le soldat Doling racontait à certaines personnes de son peloton qu’un de ses fils avait été impliqué dans un accident et qu’il était dans le coma dans un hôpital de Toronto. Les autorités du peloton l’ont questionnée à ce sujet et lui ont demandé si elle avait besoin d’un congé pour raisons familiales afin de faire face à ce problème. Elle a décliné l’offre de rencontrer l’aumônier pour obtenir un congé. Il semble évident que, si elle avait pris quatre ou cinq jours de congé, elle aurait alors être transférée au Personnel en attente d’instruction, le peloton PAI, et redoubler son cours. À la septième semaine de son cours élémentaire, soit vers le milieu de février 2004, le soldat Doling avait échoué à son test de reprise concernant son aptitude physique, son test sur le maniement des armes et son test de drill. Elle a donc redoubler. Elle a été transférée au peloton PAI et on l’a envoyée voir un aumônier relativement à son fils qui était dans le coma dans un hôpital de Toronto.

[15] Le soldat Doling a obtenu une autorisation de congé de la part de l’aumônier; soit une semaine pour lui permettre de partir et de s’occuper de ce problème. Il est également incontesté que le fils du soldat Doling n’avait pas eu d’accident ni qu’il était dans un hôpital de Toronto ni qu’il se trouvait alors dans le coma. En fait, pendant son congé pour des raisons familiales, le soldat Doling s’est rendue à la BFC Trenton, à la résidence qu’elle partageait avec le Caporal Azpiroz elle a passé neuf jours au total. À la fin de son congé, elle est retournée à la Base des Forces canadiennes Saint-Jean au volant d’une des voitures appartenant au Caporal Azpiroz et que ce dernier lui avait prêtée. Elle est arrivée à la Base des Forces canadiennes Saint-Jean un dimanche soir et, le jour suivant, soit le lundi 1 er mars 2004, elle a rencontré un autre aumônier. Elle lui a alors expliqué qu’elle avait besoin d’un autre congé pour raisons familiales afin de faire face à d’importants problèmes liés au

Page 8 de 21 fait que son fils était dans le coma dans un hôpital de Toronto. L’aumônier Lussier a fait quelques recherches et a découvert que le fils du soldat Doling ne se trouvait pas dans un hôpital de Toronto et qu’il ne figurait pas sur la liste des patients. Ce jour-là, le 1 er mars 2004, l’aumônier Lussier a eu deux rencontres avec le soldat Doling, dont la dernière a pris fin vers 16 h 30. Au cours du second entretien, le soldat Doling a appelé son conjoint dans le but de s’informer de l’accident inexistant, du séjour à l’hôpital et du coma. L’aumônier Lussier a exprimé des soupçons quant à ce que lui avait expliqué le soldat Doling. Il ne lui a pas accordé d’autre congé pour raisons familiales et lui a donné jusqu’au lendemain matin pour lui fournir des renseignements supplémentaires à propos de la situation. Le même jour, le soldat Doling a dit à un membre du peloton PAI que son fils était toujours dans le coma, qu’elle n’avait pas obtenu de congé de la part de l’aumônier qu’elle avait rencontré et qu’elle devait partir. Le 1 er mars 2004, à 19 h 45, le soldat Doling a retiré 400 $ d’un guichet automatique situé à l’intérieur de la Mégastructure. À 20 h 06, la voiture du Caporal Azpiroz était photographiée quittant la guérite principale du Grand Bernier de la Base des Forces canadiennes Saint-Jean. Puisque des tests ultérieurs ont montré qu’il y avait une minute d’écart entre l’horloge du guichet de la banque et la caméra de la guérite, le temps total écoulé entre ces deux actions était de 22 minutes. La Base des Forces canadiennes Saint-Jean a reçu un appel du Caporal Azpiroz qui était à la recherche du soldat Doling puisqu’il était sans nouvelles d’elle. À la suite de cet appel, fait le vendredi 5 mars 2004, les autorités de la Base des Forces canadiennes ont noté que le soldat Doling s’était absentée sans autorisation. Elles ont décidé d’attendre au lundi suivant, soit le 8 mars 2004, pour voir si elle arriverait au lieu de remplir les papiers d’usage ce vendredi. Le lundi 8 mars 2004, le Caporal Azpiroz a appelé la police militaire à la Base des Forces canadiennes Trenton pour signaler la disparition du soldat Doling. Un peu plus tard dans la journée, le Caporal-chef Parsons, un membre de la police militaire à la Base des Forces canadiennes Trenton, a contacté le beau-père du soldat Doling à Stirling dans le but de s’informer à propos du soldat Doling. Vers 11 h 20, ce lundi soir 8 mars 2004, cette dernière a appelé le Caporal-chef Parsons. D’après sa teneur, le principal objectif de cet appel était d’informer la PM qu’elle allait bien, qu’elle n’était pas prête à retourner dans les Forces canadiennes ni à la Base des Forces canadiennes Saint-Jean et qu’elle voulait que le Caporal Azpiroz arrête d’appeler les membres de sa famille élargie. Au cours de cet appel, elle a également rapporté qu’elle avait été agressée sexuellement le soir elle avait quitté Saint-Jean, à l’extérieur de la Mégastructure, dans une zone réservée aux fumeurs. Le 9 mars 2004, vers 2 h 30, le soldat Doling a rappelé le Caporal-chef Parsons pour lui demander de la conduire de la résidence de son ex-mari à Stirling jusqu’à un refuge pour femmes situé à Napanee.

[16] Le Caporal-chef Parsons a conduit de Trenton à Stirling et a amené le soldat Doling au refuge à Napanee. Le lendemain soir, mercredi 10 mars 2004, le soldat Doling a été interrogée par le Sergent Bolduc et par le Caporal-chef Decoeur pendant environ trois heures et demi. Même si, au début de l’entretien, le soldat Doling hésitait à donner de nombreux détails, les paroles de soutien et d’encouragement du Caporal-chef Decoeur l’ont, par la suite, incitée à fournir des détails très précis. En fait, cet entretien

Page 9 de 21 a révélé quatre comptes rendus d’un incident survenu le 1er mars 2004 et dont les détails variaient de façon plutôt significative. Le 11 mars 2004, la tenue de combat du soldat Doling, qu’elle a identifiée comme étant celle qu’elle portait le 1 er mars 2004, est récupérée à la résidence de son ancien mari à Stirling. En fin de compte, aucun analyse d’ADN n’a été effectuée sur ces vêtements. Simultanément, le soldat Doling est soumise à un examen médical dans un hôpital de Napanee l’on constate divers problèmes physiques. Le premier est une douleur ressentie lorsqu’une pression est exercée sur la clavicule et le second est la présence d’ecchymoses sur le dessus de ses pieds. De plus, depuis le 11 mars 2004, le soldat Doling se trouve en congé de maladie prescrit par les autorités médicales de la BFC Kingston jusqu’au 22 mars 2004.

[17] Le 11 mars 2004, le Maître de 1re classe Carbonneau et le Sergent Lavoie se sont aussi activement impliqués dans l’enquête. Le 12 mars, le Commissionnaire Brousseau, à la demande du Sergent Lavoie, vérifie les caméras de la guérite de sortie Grand Bernier à Saint-Jean pour la période comprise entre 18 h et 23 h. Le 13 mars 2004, il a identifié un véhicule quittant la base à 20 h 06 et susceptible d’intéresser le Sergent Lavoie. Après avoir examiné les données chronologiques présentées dans les rapports du soldat Doling, après avoir passé en revue l’entretien qu’elle avait eu, le 11 mars, avec le Sergent Bolduc et le Caporal-chef Decoeur et après avoir interrogé quelques témoins à la BFC Saint-Jean, le mardi 16 mars 2004, les deux principaux enquêteurs, le Maître de 1re classe Carbonneau et le Sergent Lavoie, étaient convaincus qu’aucune agression sexuelle n’avait eu lieu, que le soldat Doling avait inventé toute cette histoire pour justifier son absence sans autorisation. En réalité, le Sergent Lavoie a indiqué, dans son témoignage, qu’il avait d’abord éprouvé certains doutes relatifs au comte rendu du 12 mars lorsqu’il a obtenu l’information de la part du Commissionnaire Brousseau sur l’heure de départ du véhicule. Le 16 mars, la teneur de l’enquête a complètement changé pour devenir une enquête concernant un méfait public. Selon le Sergent Lavoie, la reconstitution du 18 mars relativement aux agissements du soldat Doling, d’après les indications de temps qu’elle avait fournies, visait à réfuter le fait qu’une agression sexuelle ait pu se produire. Après le 16 mars 2004, l’enquête à propos de l’allégation d’agression sexuelle du soldat Doling est devenue, tel que mentionné, une enquête sur un méfait public. Selon les témoignages présentés à la cour, toutes les étapes de l’enquête qui ont suivi cette date, telles que la visite au Caporal Azpiroz à Trenton, étaient en vue de l’enquête sur un méfait public et non pas de celle sur une agression sexuelle.

[18] Les 22 et 23 mars 2004, le soldat Doling est retournée à la Base des Forces canadiennes Saint-Jean on lui a fourni un logement spécial et le soutien dont elle avait besoin conformément aux recommandations médicales reçues de la base Kingston. Du 24 au 28 mars 2004, le soldat Doling était en congé de maladie. Depuis le 28 mars 2004, elle était à Kingston elle travaillait à temps partiel au centre de recrutement.

[19] Le 6 avril 2004, le soldat Doling était interrogée par le Maître de 1 re

Page 10 de 21 classe Carbonneau sous mise en garde. Cet entretien a duré environ trois heures et demi. Après avoir été confrontée aux résultats de l’enquête de ce dernier et du Sergent Lavoie, le soldat Doling a dit qu’elle n’avait pas été victime d’agression sexuelle en mars 2004, soit le 1er mars 2004, dans une zone réservée aux fumeurs à l’extérieur de la Mégastructure, mais plutôt au cours d’une fin de semaine de congé passée dans un Holiday Inn. Elle a rapporté que cet incident s’était produit peut-être une semaine et demie avant qu’elle ne retourne à Trenton le 20 février 2004. Le soldat Doling a avoué, lors de l’entretien, qu’elle avait menti au sujet de l’agression sexuelle du 1 er mars 2004 parce qu’elle avait peur. Elle avait besoin de sortir de la Mégastructure et ne voulait pas retourner à Saint-Jean, elle disait que, si elle y retournait, elle se suiciderait. L’enquête lancée en mars concernant l’allégation d’agression sexuelle, laquelle est devenue une enquête sur un méfait public, semble avoir pris fin le 6 avril 2004 et aucune étape d’enquête n’a été entreprise en vue de faire des recherches sur l’allégation relative au Holiday Inn.

[20] Je passerai maintenant brièvement en revue les présentations de la poursuite et de la défense dans la présente affaire. La poursuite a fait une déclaration d’ouverture qui, en de nombreux points, ressemblait aux conclusions finales. Elle a révisé les faits tels que déposés par les témoins qu’elle avait appelés et a fait valoir que tous les témoins de la poursuite avaient établi, hors de tout doute raisonnable, l’ensemble des éléments essentiels relatifs aux deux infractions. En particulier, la poursuite a présenté que la bande sonore des conversations des 8 et 9 mars que le Caporal-chef Parsons a rapportées avoir eu lieu dans une voiture alors qu’il roulait vers Napanee, établissait que ce dernier avait, sans équivoque, informé le soldat Doling qu’à cette époque, il prenait les mesures nécessaires pour enquêter sur l’infraction d’agression sexuelle dont elle lui avait fait part. La poursuite a fait valoir que la première infraction avait effectivement été commise entre le 8 et le 9 mars, mais que des actions subséquentes effectuées essentiellement par le soldat Doling jusqu’au 6 avril maintenaient l’infraction. La poursuite a allégué que la preuve la plus probante que les infractions rapportées par le soldat Doling ne s’étaient pas produites est que cette dernière a admis, le 6 avril 2004, avoir menti à propos de l’agression sexuelle. Cet aveu, selon la poursuite, est indirectement corroboré par les témoignages du Maître de 1 re classe Carbonneau et du Sergent Lavoie et de leur reconstitution des faits. Le procureur a fait valoir que de nombreuses contradictions internes, contenues dans les divers comptes rendus du soldat Doling, concernant ce qui s’était passé ne faisaient pas d’elle un témoin crédible. Il a appuyé son propos de quelques exemples, en particulier, les contradictions ayant trait au compte rendu du soldat Doling relativement à sa relation avec le Caporal Azpiroz, les contradictions sur la manière dont s’est produite l’agression et, aussi, les contradictions concernant ses expériences pendant les premières étapes de son cours à la BFC Saint-Jean. En outre, le procureur a dit que le soldat Doling n’était pas un témoin crédible en raison d’un certain nombre de problèmes, y compris sa crainte à l’égard de la police militaire à la BFC Saint-Jean et le vol du portefeuille vert, et que son témoignage n’était tout simplement pas rationnel.

Page 11 de 21 [21] La poursuite a affirmé qu’il ne s’agisssait que d’une affaire le soldat Doling avait inventé une histoire dans le but de se protéger des conséquences de son absence sans autorisation et de profiter des avantages du statut de victime. La position de la poursuite en ce qui a trait à la seconde accusation est que, au cours de l’entretien du 10 mars qu’ont eu le Sergent Bolduc et le Caporal-chef Decoeur avec le soldat Doling, cette dernière avait rapporté le vol de divers articles pour expliquer ses agissements. Selon la poursuite, ce rapport a fait en sorte que la police militaire a mené une enquête plus approfondie sur ce présumé vol. La poursuite a fait valoir que la cour ne devrait accorder que peu d’importance au témoignage de Madame Mauri puisque les faits sur lesquels elle s’appuie ne proviennent que du soldat Doling et également parce qu’elle ne peut pas être considérée comme un témoin impartial en raison de son obligation, selon une perspective thérapeutique, de croire le soldat Doling, ce qui constitue un élément de leur relation médicale alors en cours.

[22] La défense a mis de l’avant deux principales réponses. Premièrement, elle a fait valoir que la poursuite n’avait pas réussi à prouver, hors de tout doute raisonnable, que le rapport d’une agression sexuelle était faux, c’est-à-dire que le rapport effectué le 8 mars 2004 auprès du Caporal-chef Parsons faisait référence à un incident qui ne s’était pas produit. La défense a dit que cette affirmation s’appuyait sur le témoignage du soldat Doling devant la cour alléguant qu’elle avait été victime d’une agression sexuelle le 1 er mars 2004; sur la preuve médicale confirmant que des blessures avaient été constatées lors de l’examen fait le 12 mars, preuve qu’on trouve à la pièce 13; et sur le témoignage de Madame Mauri, selon laquelle le soldat Doling éprouvait des symptômes de SSPT, soit un syndrome de stress post-traumatique, tels que des flashbacks, correspondant au fait d’être victime d’une agression sexuelle. De plus, la défense a fait valoir que, étant donné l’état psychique de détresse du soldat Doling le 8 mars 2004, cette dernière n’avait nullement l’intention d’induire le Caporal-chef Parsons en erreur. La défense a indiqué que les entretiens du 10 mars et du 6 avril 2004, qui contiennent des incohérences et dont le fil de la pensée est illogique, constituent des preuves relatives au fait que le soldat Doling était aux prises avec de graves problèmes psychologiques et ils illustrent les problèmes de perte de mémoire que Madame Mauri avait, par la suite, diagnostiqués et indiqués qu’ils étaient typiques d’une victime de syndrome de stress post-traumatique. Il s’agit ici de la seconde principale réponse présentée par la défense : le soldat Doling n’avait pas la mens rea requise pour commettre ces infractions.

[23] Maintenant, en ce qui concerne la seconde accusation, la défense a, une fois de plus, fait valoir que la preuve présentée par la poursuite n’établissait pas, hors de tout doute raisonnable, que l’infraction de vol n’avait pas été commise. Toutefois, même si la cour est convaincue que ce fait a été établi, il n’en demeure pas moins que le soldat Doling doit être perçue comme étant sujette à de fausses perceptions et qu’elle n’essaie pas ni n’a l’intention de tromper les enquêteurs de la police militaire. Essentiellement, la défense, dans le contexte de la mens rea, a soutenu que le soldat Doling croyait honnêtement, mais à tort, que ces infractions avaient été commises. Elle

Page 12 de 21 a également souligné qu’un doute raisonnable doit être tranché en faveur du soldat Doling.

[24] Tel que la cour l’a précédemment mentionné, de nombreuses questions sont incontestées dans le présent cas. De la même manière, il y en a quelques-unes, plus étroites, qui, de manière significative, demeurent non résolues. Précisément, ces questions sont : est-ce que le soldat Doling a été agressée sexuellement le 1 er mars 2004 à Saint-Jean et des effets personnels, dont une photo de ses enfants, ont-ils été volés dans sa chambre à la Base des Forces canadiennes Saint-Jean entre le 20 et le 29 février 2004? À cet égard, la cour doit prendre en considération le compte rendu fourni par le soldat Doling. Tel qu’il est énoncé dans l’arrêt R. c. W.(D.), si l’on croit le soldat Doling, la cour doit alors l’innocenter. Si on ne la croit pas, mais que son témoignage soulève un doute raisonnable, la cour doit également la déclarer non coupable. Le soldat Doling a présenté au moins quatre comptes rendus de ce qui était arrivé pendant l’agression sexuelle et trois de ce qui s’était produit relativement au vol des articles. Ces comptes rendus sont la conversation du 8 mars qu’elle a eue avec le Caporal-chef Parsons, sa déclaration faite au Sergent Bolduc et au Caporal-chef Decoeur le 10 mars 2004, celle qu’elle a faite au Maître de 1 re classe Carbonneau le 6 avril et, enfin, son témoignage devant la cour en mai 2005. Les comptes rendus présentés sont incohérents en eux-mêmes, incohérents entre eux et contredits par la preuve formée de documents photographiques et de la reconstitution physique des événements. Les contradictions sont si nombreuses qu’il est difficile de les rassembler en un plus petit groupe, mais il importe de montrer clairement pourquoi la cour estime que le compte rendu du soldat Doling n’est pas crédible ou digne de foi.

[25] Donc, laissez-moi commencer par les détails de l’agression sexuelle. Dans la conversation du 8 mars 2004 qu’elle a eue avec le Caporal-chef Parsons, le soldat Doling explique que l’agression s’est produite après son passage au guichet automatique situé dans une zone pour fumeurs dans le secteur bleu de la BFC Saint-Jean. À cet endroit, elle a été agrippée par derrière, elle n’a donc pu voir le visage de l’agresseur, mais elle a vu qu’il s’agissait d’un homme portant une tenue de combat de couleur verte, réservée aux élèves. Elle a décrit en ces mots ce qui est arrivé : « Il a fait ce qu’il avait à faire. » Elle a continué en disant qu’il l’avait tournée sur le ventre, de sorte que son visage étouffait dans la neige. Après l’incident, elle a vu une fille qui lui a demandé si elle allait bien. Elle a couru jusqu’à sa chambre, pris ses clefs et fui Saint-Jean. Ce qui la préoccupait alors, c’est qu’elle ne voulait pas devenir enceinte.

(26) Les comptes rendus qu’elle a faits le 10 mars au Sergent Bolduc et au Caporal-chef Decoeur sont, en fait, constitués de quatre différents comptes rendus. Dans le premier, elle dit au Sergent Bolduc qu’elle croit que son assaillant lui a cassé la clavicule; que cette attaque s’est produite après qu’elle est allée au guichet de la banque et qu’elle s’est dirigée vers une zone pour fumeurs; qu’elle s’y était assise pour fumer quand elle a été poussée au sol; que la personne a alors saisi son visage et l’a enfoui dans la neige et la boue; que cette personne a ensuite pris sa ceinture, l’a détachée, a

Page 13 de 21 baissé son pantalon, fait ce qu’elle avait à faire, puis qu’elle est partie; qu’elle, le soldat Doling, levait la tête et essayait de crier, « Non, arrête! », et que l’agresseur lui a dit, « Ferme ta gueule, salope! » et lui a baissé la tête encore une fois; qu’il avait une alliance; qu’il portait un manteau de recrue; le soldat Doling a déclaré qu’elle ne savait pas si elle avait couru à l’étage, mais elle pense qu’elle a le faire; qu’elle a pris son sous-vêtement et d’autres affaires et les a jetés à la poubelle; qu’elle a dévalé les escaliers; qu’elle est montée dans sa voiture et elle a par la suite ajouté que, selon elle, son assaillant avait un accent français.

[27] Très peu de temps après, lorsqu’on lui a demandé de raconter à nouveau ce qui s’était passé, le soldat Doling a donné une deuxième version des faits qui différait de la première quant à l’ordre des événements et à leurs détails. Ce qui a amené le Caporal-chef Decoeur à entrer dans sa chambre, soit celle dans laquelle elle était interrogée pas le Sergent Bolduc, et à avoir une conversation avec elle. Essentiellement, dans cette conversation, le Caporal-chef Decoeur, même s’il était compatissant, lui a fait savoir qu’il ne croyait pas qu’elle disait la vérité. De plus, le Sergent Bolduc a dit au soldat Doling qu’elle croyait que cette dernière cachait quelque chose, quelque chose qu’elle ne voulait pas révéler et le soldat Doling, après une certaine hésitation, a rapporté le vol de sa carte d’indentité militaire, de ses papiers de la Croix-Rouge, des renseignements sur ses enfants de même que leurs photos et de ses documents d’union de fait. De toute cette affaire, elle conclut que son agresseur savait qui elle était. Elle a ensuite fourni une troisième version des événements dans laquelle celui qui l’a attaquée avait prononcé son nom, soit Angie. Une fois de plus, après avoir été interrogée et durant le même entretien, elle présente cette fois une quatrième version, plus détaillée, de ce qui est arrivé et dans laquelle l’agresseur a parlé de ses enfants et que, si elle racontait toute cette histoire à la police militaire, il le saurait. Ainsi, en date du 10 mars, il existe cinq versions des événements survenus le 1 er mars 2004. [28] Le 6 avril 2004, après avoir été avisée que la police militaire la souçonnait d’avoir menti au sujet de l’agression sexuelle, le soldat Doling revit encore l’incident et explique ce qui s’est passé au début de son entretien avec le Maître 1 re classe Carbonneau. Elle a dit avoir retiré de l’argent au guichet automatique, puis d’être allée au Canex environ cinq minutes et, enfin, d’avoir fumé une cigarette. Elle est ensuite allée porter son argent à l’étage avant de redescendre fumer une autre cigarette. C’est alors qu’elle a vu une botte tachée de calcium devant la porte et c’est à ce moment qu’elle a été attaquée. Elle est ensuite retournée à l’étage, s’est lavée le visage, a pris ses clefs et son portefeuille, s’est déshabillée et a pris une douche. Elle a remis ses vêtements et elle est descendue rapidement vers la même sortie, c’est-à-dire, celle devant laquelle elle avait été assaillie. Puis, elle a quitté l’établissement, non sans avoir d’abord vérifié si quelqu’un se trouvait là. Dehors, elle a vu un homme avec un chien. Apeurée, elle a couru vers sa voiture et s’y est enfermée. Elle est restée à pleurer, puis, l’homme avec le chien est passé à côté et, craignant que ce ne soit un agent de la police militaire venu l’arrêter, elle est partie rapidement au volant de sa voiture.

Page 14 de 21 [29] Après avoir fait ce compte rendu, le soldat Doling est confrontée par le Maître de 1re classe Carbonneau qui affirme que les événements n’ont pas pu se dérouler ainsi et voici l’information que nous détenons qui en explique les raisons. À ce moment, le soldat Doling a dit : « J’ai menti. Je l’ai fait parce que vous n’auriez pas cru ce qui s’est réellement passé. » Elle a confirmé qu’elle n’avait pas été agressée à cet endroit, de cette façon et ce jour-là. Elle a aussi indiqué que quelqu’un avait raconté à Mike, qui est le Caporal Azpiroz, quelque chose qui s’était produit environ une semaine et demie plus tôt, c’est-à-dire une semaine et demie avant qu’elle ne soit partie pour Trenton au début de février, et elle a mentionné alors une attaque survenue pendant un permis; soit une période donnée pendant laquelle elle était autorisée à quitter la Base des Forces canadiennes Saint-Jean, que cette agression avait eu lieu dans un Holiday Inn et elle a clairement affirmé qu’elle savait qu’elle avait eu des rapports sexuels au cours de cet événement. Donc, à la fin de l’entretien du 6 avril 2004, dans son compte rendu le plus récent, le soldat Doling faisait savoir que l’événement du 1 er mars 2004 ne s’était pas produit, mais qu’il y avait eu une attaque perpétrée plus tôt dans un Holiday Inn en février 2004, pendant laquelle elle sait qu’elle a été agressée puisqu’elle sait qu’elle a eu une relation sexuelle. Curieusement, dans son témoignage, Madame Mauri n’indique aucunement connaître l’existence de cette agression du Holiday Inn. Dans son témoignage direct devant la cour, le soldat Doling mentionne qu’elle ne se souvient pas des détails de l’agression. Elle maintient toujours qu’elle a été agressée et que cela est arrivé à la Mégastructure, mais elle a dit dans les circonstances « je ne m’en souviens pas. » Dans le contre-interrogatoire mené par la poursuite, le soldat Doling affirme que les deux incidents ont eu lieu, mais que, maintenant, elle n’était pas certaine d’avoir effectivement été agressée à cet Holiday Inn. La question de l’agression n’est pas le seul cas le soldat Doling a fourni des comptes rendus contradictoires. En effet, il y en a dans tous ses divers entretiens et pendant son témoignage relativement à un certain nombre de sujets et la cour n’en a sélectionné que quelques-uns afin de mettre l’accent sur les raisons qui font qu’elle ne peut pas accorder de crédibilité au soldat Doling.

[30] Dans l’entretien du 10 mars, le soldat Doling rapporte que le Caporal Azpiroz est venu la chercher avec son véhicule le 20 février. Dans l’entretien du 6 avril, elle dit cette fois qu’elle avait sa voiture le jour du 20 février. Dans l’entretien du 8 mars, elle affirme qu’elle ne se soucie pas du tout du sort de ses affaires qui se trouvent chez Mike et qu’ils peuvent faire une vente de garage. Dans l’entretien du 10 mars, elle dit qu’elle doit revenir dans la semaine du 1 er mars pour prendre ses affaires chez le Caporal Azpiroz et c’est pourquoi elle s’est absentée sans permission. Le 6 avril, dans l’entretien avec le Maître de 1 re classe Carbonneau, le soldat Doling a indiqué qu’elle avait, en fait, mis beaucoup de choses dans des boîtes durant la semaine elle est retournée auprès du Caporal Azpiroz, soit la semaine du 20 au 28 février. Dans le contre-interrogatoire pour la cour, le soldat Doling a affirmé qu’elle avait pris tout ce qu’elle voulait dans la maison du Caporal Azpiroz et qu’elle avait ramené ces choses avec elle à la BFC Saint-Jean. Dans l’entretien du 8 mars, alors qu’elle parlait du Caporal Azpiroz, le soldat Doling a dit : « Mike ne voudra pas de moi quand il apprendra » et elle a aussi fait remarquer qu’elle voulait que la police militaire veille à

Page 15 de 21 ce qu’il n’appelle plus parce qu’il la met en colère. Dans l’entretien du 10 mars, elle rapporte qu’elle a peur du Caporal Azpiroz et qu’elle veut s’éloigner de lui. Dans l’entretien du 6 avril, le soldat Doling a dit que Mike, soit le Caporal Azpiroz, lui a parlé le 29 février et qu’il souhaitait qu’elle le quitte. Le soldat Doling n’a pas fait de lien, mais il est évidemment fait mention, dans l’entretien du 6 avril, à un autre moment, et dans l’appel du 8 mars que, pour certaines raisons, le Caporal Azpiroz ne voulait plus d’elle et, dans l’esprit du soldat Doling, ceci semble être lié au fait qu’il soit au courant de l’incident du Holiday Inn.

[31] Dans l’entretien du 6 avril, le soldat Doling a dit très clairement que sa clavicule était cassée au début du cours. Lors du contre-interrogatoire, elle a affirmé tout aussi clairement qu’elle n’était pas cassée et qu’elle n’avait pas dit qu’elle l’était. Dans l’entretien du 8 mars, elle a fait savoir qu’elle était heureuse pendant son instruction de base jusqu’au 1 er mars, date de l’agression sexuelle. Dans l’entretien du 10 mars, elle rapporte qu’elle n’était pas stressée au cours de son instruction de base. Dans l’entretien du 6 avril, elle raconte la même chose. Lors du contre-interrogatoire, elle dit qu’elle était harcelée et qu’elle avait peur durant son instruction de base, dès les premières semaines. Dans l’interrogatoire principal, alors qu’elle témoignait devant la cour, elle a dit qu’elle était malheureuse après ses premières semaines d’instruction de base, mais elle ne savait pas pourquoi. Par contre, elle appréciait vraiment le cours et elle aimait apprendre, nettoyer et aider les gens avec leur équipement. Au cours du contre-interrogatoire, elle a avoué ne pas savoir pourquoi elle était malheureuse, que des lettres de menace avaient été glissées sous son oreiller et qu’elle avait des pensées suicidaires. De plus, elle a également dit, toujours lors du contre-interrogatoire, qu’elle trouvait stressant le fait d’aider les autres avec leur équipement parce qu’il était possible qu’elle fasse des erreurs.

[32] Le soldat Doling semble tout simplement incapable de faire un compte rendu cohérent de presque tous les sujets dont elle a parlé. À l’occasion, il semble, lorsqu’elle est confrontée à un fait tel que celui d’avoir menti en disant que son fils avait eu un accident et qu’il était maintenant dans le coma, qu’elle reconnaisse ce fait. Cependant, elle explique ensuite qu’il lui fallait mentir parce qu’elle sentait qu’elle devait s’en aller et que c’était la seule façon pour elle de pouvoir le faire. La cour a examiné très attentivement si la preuve médicale présentée, c’est-à-dire la clavicule sensible et les ecchymoses sur ses pieds constatées à l’hôpital de Napanee, pouvait servir à confirmer et à renforcer la crédibilité du témoignage du soldat Doling et la cour a statué que non. La blessure à la clavicule correspond à la blessure confirmée auparavant et les ecchymoses correspondent à plusieurs choses, ce qui veut dire qu’on ne connaît pas la source. Le plus important, selon la cour, et comme elle l’a indiqué précédemment, c’est que, peu importe la version à laquelle on se réfère, les comptes rendus relatifs au 1 er mars sont incompatibles avec le calendrier des événements tel qu’il a été établi. Il s’agit, en l’occurence, du retrait effectué au guichet et du départ du soldat Doling de la BFC Saint-Jean. Essentiellement, la seule façon d’accueillir le compte rendu du soldat Doling est de mettre de côté la logique et la raison. La cour conclue

Page 16 de 21 donc qu’elle ne peut pas croire le compte rendu du soldat Doling et, à cause des incohérences et des contradictions qu’il contient, il ne peut soulever de doute raisonnable quant à l’autre preuve.

[33] Toutefois, la cour passe maintenant à l’étape suivante qui est d’examiner tous les éléments de preuve et elle commencera avec la seconde accusation. Pour cette seconde accusation, la cour retient qu’un rapport au sujet d’un vol a été fait au Sergent Bolduc et au Caporal-chef Decoeur le 10 mars et qu’il l’a été au cours de leur entretien avec le soldat Doling au sujet de l’agresssion sexuelle. La preuve présentée à la cour est qu’il n’y a, en fait, qu’une enquête en cours, celle concernant l’agression sexuelle alléguée par le soldat Doling, qui est effectivement devenue, le 16 mars 2004, une enquête sur un méfait public pour de fausses allégations d’agression sexuelle. Il n’y a rien qui permette à la cour de croire qu’il y avait une enquête distincte sur la question du vol. Ni que les mesures prises pour se pencher sur le cas du vol s’inscrivaient à la suite de l’enquête sur l’agression sexuelle au-delà de laquelle ces mesures se seraient poursuivies, selon les premières allégations du soldat Doling. Certaines mesures ont été prises pour enquêter au sujet du vol, mais elles s’inscrivaient toujours dans le contexte général de l’enquête sur l’agression sexuelle et l’enquête sur le vol ne s’est pas poursuivie après que celle sur l’agression sexuelle a pris fin le 6 avril 2004. Par conséquent, la cour déclare que la poursuite n’a pas établi hors de tout doute raisonnable l’actus reus, c’est-à-dire que ce que le soldat Doling a raconté au Caporal-chef Decoeur et au Sergent Bolduc les a poussés à entreprendre ou à poursuivre une enquête.

[34] En ce qui a trait à la première accusation, la cour considère que la poursuite a établi l’actus reus, soit que le soldat Doling a bel et bien rapporté au Caporal Parsons qu’une agression sexuelle avait eu lieu et que cette agression n’avait pas été commise. La cour indiquera cependant que, relativement au calendrier des événements, tel que mentionné précédemment, il est évident qu’après le 16 mars 2004, aucune mesure n’a été prise en vue d’enquêter sur ladite agression et que, par conséquent, il ne peut s’agir d’une action qui se serait poursuivie jusqu’au 6 avril 2004. La question essentielle, selon la cour, est de savoir quel était l’état d’esprit du soldat Doling, c’est-à-dire sa mens rea à ce moment, soit la prériode comprise entre le 8 et le 16 mars 2004 et, très précisément, si elle fait cette déclaration au Caporal Parsons dans l’intention de tromper. À cet égard, la cour a examiné attentivement le témoignage de Madame Mauri. Cette dernière était le seul expert appelé à témoigner devant la cour et elle n’a pas été contestée au sujet de son évaluation globale des problèmes psychologiques du soldat Doling autres que son diagnostic de syndrome de stress post-traumatique qu’elle croit ou qu’elle a évalué être causé par l’agression sexuelle subie à Saint-Jean.

[35] Madame Mauri a témoigné qu’elle traitait le soldat Doling depuis la fin de l’été 2004; son traitement a commencé environ quatre mois ou plus après l’agression sexuelle qui aurait été commise le 1 er mars 2004. Madame Mauri a très clairement fait

Page 17 de 21 savoir que son rôle en tant que psychologue professionnelle et thérapeute chargée de traiter le soldat Doling était très différent de celui de la cour. En effet, elle n’a pas à juger sa cliente ou à défier la véracité de tous ses dires. L’évaluation psychologique de Madame Mauri est que le soldat Doling souffre du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) qu’elle attribue à une agression sexuelle et par « elle », je fais référence à la fois au soldat Doling et à Madame Mauri qui a été informée de l’agression par le soldat Doling. L’évaluation révèle aussi que cette dernière a certains troubles de la personnalité. Ces troubles comprennent une personnalité évitante; un trouble de la personnalité limite, qu’on voit souvent chez les gens qui ont été maltraités alors qu’ils étaient enfants et qui se manifeste, chez l’individu, par de l’impulsivité, de possibles envies suicidaires ou des passages à l’acte que Madame Mauri explique comme étant essentiellement le fait d’agir sans réfléchir et qu’elle qualifie de cauchemar pour un clinicien. Toujours selon Madame Mauri, le soldat Doling a reçu un diagnostic de schizoïdie et de trouble dissociatif, qui consiste à oublier des choses en dehors de leur cours normal. En fait, dans son témoignage, Madame Mauri dit qu’elle a évalué le soldat Doling et conclu qu’elle souffrait de dissociation sur le plan pathologique et que cette dissociation affecte sa perception et ne la rend pas nécessairement capable de penser, de raisonner ou d’éprouver des sentiments tout à la fois, particulièrement dans des situations stressantes. Tel que la cour l’a mentionné, le SSPT est attribué par Madame Mauri à un incident d’agression sexuelle, qui est l’incident du 1 er mars, parce que, comme il a été indiqué précédemment, Madame Mauri n’est pas au courant de l’incident du Holiday Inn. Elle a toutefois énoncé que le SSPT peut être attribué à ou causé par un important groupe de stresseurs. Cependant, le rapport qu’elle entretenait avec le soldat Doling était tel qu’elle a orienté son travail en partant du principe que l’agression sexuelle de Saint-Jean était l’élément déclencheur du SSPT.

[36] On a demandé à Madame Mauri comment pouvait agir ou réagir une personne dans un état de conscience dissociatif. Elle a répondu qu’une personne dans un tel état était susceptible de changer des détails significatifs ou de rétracter les déclarations qu’elle a faites concernant des incidents. Elle a ajouté qu’il était parfois difficile de faire la distinction entre quelqu’un qui simule et quelqu’un qui souffre de trouble dissociatif puisque les deux pouvaient être vagues et évasifs. Madame Mauri a également parlé d’un phénomène appelé trouble fictif, caractérisé par le fait qu’une personne, croyant fermement que quelque chose est arrivé, présente les symptômes qui y sont liés même si l’incident ne s’est pas produit. Madame Mauri affirme que cet individu n’est pas, en soi, un menteur. Selon toutes vraisemblances, le traitement ne change en rien, d’un point de vue médical, si le diagnostic est associé à un trouble réel ou fictif, c’est-à-dire que le traitement reste essentiellement le même.

[37] La cour a déclaré que Madame Mauri était un témoin crédible et que la seule faiblesse qui existait était la source de son information. En effet, il était évident que dans tous les cas, elle se fiait entièrement au soldat Doling en tant que source de renseignements et il s’agit d’un élément dont la cour doit tenir compte au moment

Page 18 de 21 d’évaluer la portée du témoignage de Madame Mauri. Cette dernière a eu affaire au soldat Doling dans le cadre d’une relation de soutien, tel qu’elle l’a mentionné, jusqu’au moment de son témoignage pour une période oscillant entre 60 et 80 heures. Comme je l’ai indiqué dans le syndrome de stress post-traumatique, son évaluation était basée sur le témoignage du soldat Doling ou sur la déclaration que celle-ci lui avait faite à propos de ce qui était survenu. Elle a dit que, même s’il s’agissait d’un événement qui ne s’était pas produit alors, comme j’en ai précédemment fait état, si la personne souffrait d’un trouble fictif, les symptômes seraient identiques et le traitement serait essentiellement le même.

[38] Le témoignage de Madame Mauri est essentiel quant à la question de la mens rea et la cour revient à l’obligation qu’a la poursuite de prouver la mens rea hors de tout doute raisonnable. Dans ce cas-ci, la poursuite doit établir que le soldat Doling a bel et bien fait les allégations, en l’occurence, dans le cas présent, l’allégation dans la première accusation avec l’intention de tromper la police militaire. Il ne suffit pas à la poursuite d’établir que cela est plus probable ou qu’il s’agit d’une situation raisonnable, mais elle doit l’établir hors de tout doute raisonnable. La cour, tel qu’il est indiqué, est convaincue, d’après la preuve qu’on lui a présentée, que l’agression sexuelle du 1er mars 2004 n’a pas eu lieu. La cour doit maintenant se pencher sur la question suivante : quand le soldat Doling a rapporté cet incident le 8 mars 2004, savait-elle, à ce moment, que ce qu’elle disait était faux et a-t-elle fait le rapport dans l’intention de tromper. La cour a pris en considération le fait que le soldat Doling a l’habitude de mentir pour son propre avantage et sans le témoignage de Madame Mauri, la cour pourrait facilement conclure que c’est ce qui s’est également produit dans ce cas-ci. Également, la cour peut conclure que le soldat Doling est essentiellement une menteuse très transparente, c’est-à-dire que, même lorsqu’elle dit quelque chose, par exemple que son fils est dans le coma, l’affirmation est plutôt facile à réfuter. En outre, comme l’a indiqué la cour, le soldat Doling arrive à peine à préserver la cohérence de son récit d’heure en heure, encore moins d’un jour à l’autre. Elle possède, et ceci semblerait être une partie de l’état dissociatif décrit par Madame Mauri, une grande capacité d’ignorer la réalité s’il s’agit de quelque chose qu’elle ne veut pas voir. Et la cour reprendra quelques passages de son témoignage pour examiner ce fait. Selon ses propres termes, elle était normale avant de se joindre aux Forces canadiennes, mais, en même temps, elle a dit venir d’une famille dysfonctionnelle son père buvait et se droguait, elle était maltraitée et suicidaire. En ce qui concerne le Caporal Azpiroz, il est parfois décrit comme un homme qui l’opprimait et, à d’autres moments, elle manifeste de l’inquiétude quand elle se demande s’il voudra toujours d’elle et même lorsqu’il l’opprimait, elle lui rendait visite.

[39] La question du portefeuille vert est peut-être plus intéressante. Le soldat Doling a expliqué, relativement aux articles qui lui ont été dérobés, comment sa carte d’identité militaire ou la carte qu’elle croyait être sa carte d’identité militaire, se trouvait dans un portefeuille vert qui a été volé. Lorsque le procureur lui a fait remarquer que, dans l’entretien du 10 mars 2004 qui avait été filmé, elle avait en réalité

Page 19 de 21 son portefeuille vert et qu’elle l’avait ouvert, le soldat Doling s’est emportée et commencé à parler de divers sujets sans jamais aborder à nouveau la question du portefeuille vert; ainsi, à la fin de son témoignage, elle ignorait simplement le fait qu’il était là.

[40] La cour a également été très consciente du fait qu’elle voyait le soldat Doling au printemps 2005 et que le soldat Doling qui est apparu à la salle d’audience semblait être une personne beaucoup moins en possession de ses moyens que le soldat Doling qu’on a pu voir dans les entretiens, c’est-à-dire que les capacités du soldat Doling dans certains domaines semblent avoir considérablement diminué. Il est difficile d’expliquer pourquoi cela est arrivé. Elle a été éloignée des pressions de Saint-Jean. Son allégation d’agression sexuelle a mené à un traitement médical compatissant et de soutien et elle semble actuellement occuper un emploi à temps partiel qui soit bien rémunéré. Dans les entretiens de 2004, elle est beaucoup plus cohérente, ses pensées sont mieux organisées et elle s’avère davantage en possession de ses facultés mentales. La cour indiquera qu’il ne fait aucun doute qu’elle semble maintenant croire que l’agression sexuelle s’est produite, mais n’est pas la question. La question que doit trancher la cour est de savoir si elle croit qu’au mois de mars, précisément mars 2004, plus particulièrement, la poursuite a-t-elle convaincu la cour hors de tout doute raisonnable que, subjectivement, le soldat Doling, en mars 2004, savait qu’elle n’avait pas été agressée sexuellement le 1er mars. La poursuite a soumis que la preuve la plus convaincante était la propre déclaration du soldat Doling le 6 avril 2004, dans son entretien elle a avoué avoir menti en affirmant avoir été agressée sexuellement dans le but de justifier le fait de ne pas retourner à la Mégastructure de Saint-Jean. En résumé, la poursuite a allégué que la preuve la plus convaincante était une déclaration du soldat Doling. La cour est confrontée à la question concernant les raisons qui pourraient expliquer pourquoi cette déclaration serait davantage digne de foi que toutes les autres déclarations faites par le soldat Doling. Elle est clairement sujette aux mêmes lacunes que ses autres déclarations, c’est-à-dire que la rétractation n’est pas plus fiable que le reste de son témoignage particulièrement à la lumière de celui de Madame Mauri dans lequel celle-ci disait que les personnes aux prises avec des troubles dissociatifs peuvent bien se rétracter si elles évitent des sujets ou si elles font de la dissociation.

[41] La cour a pris en considération la possibilité que l’on s’attende à ce que le soldat Doling, soit quelqu’un dans son état en mars 2004, puisse raisonnablement souhaiter les conséquences naturelles de ses actes. Encore une fois, le témoignage de Madame Mauri rapporte que le soldat Doling, en situation de stress, n’agit pas toujours de façon rationnelle, mais plutôt de manière impulsive. Quelle est l’incidence des problèmes psychologiques constants du soldat Doling, et la cour reconnaît qu’ils sont constants, en l’occurrence, sa personnalité évitante, sa personnalité limite et sa dissociation pathologique, sur son intention de tromper?

[42] La cour a de nouveau examiné très attentivement les entretiens des 8 et

Page 20 de 21 10 mars et constate la présence d’une certaine constante. En premier lieu, le soldat Doling a affirmé qu’elle ne se souvenait pas des détails. Ensuite, on lui fait penser, sur un ton bienveillant dans les deux entretiens, que de se souvenir des détails pourrait aider à résoudre son important problème d’absence sans permission. Elle est fortement encouragée à faire d’autres déclarations par le Caporal-chef Parsons et le Sergent Bolduc de même que par le Caporal-chef Decoeur. Le soldat Doling a essentiellement répété dans les deux entretiens que les agents de police pouvaient faire ce qu’ils voulaient. Il est évident qu’elle a réagi aux stimuli, soit le soutien et la chaleur et de se faire dire que ce n’était pas de sa faute, peu importe ce qu’elle avait fait, elle était maintenant une victime. Par inadvertance, la police militaire touchait toutes les bonnes cordes du soldat Doling. Le soldat Doling, posiblement de la même manière, touchait, de son côté, toutes les bonnes cordes de la police militaire en étant la victime d’une agression sexuelle, c’est-à-dire quelqu’un que ses agents traiteront avec des soins spéciaux et une attention particulière. Toutefois, le soldat Doling est vulnérable. Tel que l’a mentionné Madame Mauri, elle a une personnalité évitante et des troubles de dissociation et, particulièrement avec la dissociation, la cour tient compte du fait que le soldat Doling n’entend pas nécessairement ce qui est dit, mais plutôt ce qu’elle veut bien entendre.

[43] La cour souscrit à une évaluation faite par le Sergent Lavoie dans laquelle il identifie correctement un problème qu’il a immédiatement détecté dans l’entretien du 11 mars avec le soldat Doling, soit un problème concernant le fait qu’on puisse la croire ou non. Sans le témoignage de Madame Mauri, la cour conclurait que le soldat Doling, tel que l’a fait valoir la poursuite, ment simplement et consciemment pour se protéger des conséquences de son absence sans permission. Toutefois, en ayant examiné le témoignage de Madame Mauri et ayant accepté que les problèmes du soldat Doling soient de longue durée, la cour n’est pas convaincue hors de tout doute raisonnable que le soldat Doling, lorsqu’elle a fait, les 8 et 10 mars, les rapports au sujet de l’agression sexuelle, elle les ait faits avec l’intention de tromper.

[44] Soldat Doling, veuillez vous lever s’il vous plaît. Soldat Doling, la Cour vous déclare non coupable relativement au premier chef d’accusation et non coupable quant au second chef d’accusation. Veuillez vous asseoir.

COLONEL K.S. CARTER, JMC. Avocats : Le Major M. Trudel, procureur militaire régional, Région de l’Est

Page 21 de 21 Procureur de Sa Majesté la Reine Le Major L. Boutin, Direction du service d’avocats de la défense Avocat du soldat A.G. Doling

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.