Page 1 de 15 Référence : R. c. Caporal M.T.H. Desjardins , 2005CM10 Dossier : V200510 COUR MARTIALE PERMANENTE UNITÉ DE SOUTIEN DE SECTEUR ST-JEAN ST-JEAN-SUR-RICHELIEU (438 e ESCADRON TACTIQUE D’HÉLICOPTÈRES, ST-HUBERT) Date : 9 mars 2005 SOUS LA PRÉSIDENCE DU: LIEUTENANT-COLONEL MARIO DUTIL, JUGE MILITAIRE LA REINE, c. CAPORAL M.T.H. DESJARDINS, (Accusée) JUGEMENT (Rendu oralement) Introduction [1] Le caporal Desjardins est accusée, d’une part, aux termes de l'alinéa 125 (c) de la Loi sur la défense nationale, d’avoir fait disparaître des documents gardés à des fins militaires, soit des documents intitulés « Avertissement écrit » et « Correction of Deficiencies », et ce dans l’intention d’induire en erreur. D’autre part, la poursuite a porté une accusation subsidiaire qui allègue une négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline, aux termes de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, pour avoir omis de remettre dans son dossier personnel des documents gardés à des fins militaires, soit les mêmes documents qui font l’objet du premier chef d’accusation. La preuve [2] La preuve devant cette cour martiale est constituée essentiellement des éléments suivants :
Page 2 de 15 Les témoignages entendus, et ce dans l’ordre de leur comparution devant la cour, soit celui du caporal-chef Caroline Demers, du sergent Michel Trudel, du maître de 1 re classe Michel Roy, du caporal Marie-Claude Ouellet et du caporal Myriam Desjardins, l’accusée dans la présente cause; la preuve devant cette cour est également constituée de la connaissance judiciaire prise par la cour des faits et questions qui sont du domaine de la règle 15 des Règles militaires de la preuve. Les faits [3] Les faits entourant cette cause gravitent donc essentiellement autour d’événements qui ont eu lieu à l’unité de l’accusé entre le 24 mars et le 26 mars 2003 à St-Hubert, province de Québec. Selon la preuve entendue, le ou peu avant le 24 mars 2004, le caporal Desjardins avait fait la demande auprès des autorités de son unité de pouvoir consulter son dossier personnel afin de pouvoir y faire des photocopies de certains documents SS principalement des rapports de cours SS afin de pouvoir obtenir des qualifications académiques auprès des autorités civiles. Le sergent Trudel, son superviseur, contacte donc le personnel de la salle des rapports de l’unité pour faire venir le dossier personnel du caporal Desjardins. Selon la pratique en vigueur, les dossiers personnels des membres de la Force régulière de l’unité étaient gardés à Montréal, alors que ceux des membres de la Force de réserve étaient gardés à l’unité. Le dossier personnel du caporal Desjardins, militaire de la Force régulière depuis plus de 20 ans, devait donc être transféré de Montréal vers St-Hubert afin qu’elle puisse le consulter et y faire les photocopies qui lui étaient nécessaires. Il va de soi qu’une fois la consultation complétée, ledit dossier devait être retourné à Montréal. Elle se présente donc à la salle des rapports de son unité le 24 mars 2003, vers la fin de l’après-midi, entre 1500 et 1530 heures, pour y consulter son dossier personnel. Elle y rencontre le caporal-chef Demers, commis d’administration. Cette dernière l’informe à l’effet qu’il est tard dans la journée. Le caporal Desjardins consulte néanmoins brièvement son dossier personnel en présence du caporal-chef Demers qui est assise en face d’elle. Le dossier personnel du militaire est généralement composé d’une foule de documents personnels de formats variés et qui sont retenus ensemble en ordre chronologique descendant, par une attache de type « Acco Fastener » à deux trous. Elle constate alors que trois documents, qui selon elle ne devraient pas y être, sont présents dans son dossier personnel de l’unité. Ces documents sont les suivants : un avertissement écrit qui lui fut signifié le 24 février 1997, une note de service intitulée « Correction of Deficiencies » en date du 8 février 2001 à l’effet qu’elle a su surmonter les lacunes qui lui ont valu l’avertissement écrit et, finalement, un rapport d’évaluation de rendement intérimaire de l’année 1996. Le caporal Desjardins fait état de sa stupéfaction et elle indique alors au caporal-chef Demers que ces documents ne devraient pas y être. Selon la version du caporal-chef Demers, elle indique au caporal Desjardins ne pas savoir quoi faire dans une telle situation et elle lui dit : « On ne
Page 3 de 15 touche à rien, on n’enlève rien ». Le caporal-chef Demers qui est d’un retour d’un long congé de 15 mois, veut s’enquérir auprès de son supérieur et commis-chef, le maître de 1 ère classe Roy, maître de 2 e classe à l’époque, de la démarche à suivre dans de telles circonstances. Selon le caporal-chef Demers, le caporal Desjardins lui demande alors de ne pas en parler au commis-chef de cette affaire. La rencontre dure tout au plus 10 minutes après quoi le caporal-chef Demers invite le caporal Desjardins à revenir à la salle des rapports à partir de 0900 heures le lendemain matin. Le caporal Desjardins quitte peu après et le caporal-chef Demers range le dossier personnel du caporal Desjardins en lieu sûr avant de quitter pour le reste de la journée. Selon la preuve entendue, le caporal Desjardins a fait une déclaration spontanée au sergent Trudel lorsqu’elle est retournée à son lieu de travail après avoir consulté son dossier personnel, elle lui dit alors : « Mon dossier est clean ». Il semble que cette affirmation ait été à ce point surprenante qu’elle a retenu l’attention du sergent Trudel à ce moment. [4] Le matin du 25 mars 2003, le caporal-chef Demers rencontre son commis-chef, le matelot de 2 e classe Roy, pour lui faire part de la situation entourant la présence de documents litigieux au dossier personnel du caporal Desjardins, même si cette dernière lui avait demandé de ne pas le faire. Selon la preuve entendue, les témoins Demers et Roy consultent alors l’Ordre administratif des Forces canadiennes 26-17 qui fait état, entre autres, qu’un « Avertissment écrit » doit être versé en permanence au dossier du militaire à son unité. En d’autres mots, ce genre de document ne peut être détruit ou enlevé du dossier personnel du militaire. Selon le caporal-chef Demers, le caporal Desjardins retourne à la salle des rapports en début d’après-midi pour consulter son dossier à nouveau. Selon l’accusée, cette visite aurait eu lieu le matin. Le caporal-chef Demers lui remet alors le dossier. Le caporal-chef Demers était très occupée ce matin-là. Le caporal Desjardins lui fait part à nouveau de son insatisfaction relativement à la présence des documents en question et elle l’informe qu'une certaine madame Mooney, du bureau responsable de la protection de la vie privée à Ottawa, lui aurait dit qu’elle pouvait enlever l’avertissement écrit de son dossier. Le caporal-chef Demers lui indique alors que l’OAFC 26-17 fait état du contraire et elle lui montre la disposition pertinente. Selon la version du caporal-chef Demers, le caporal Desjardins consulte alors son dossier personnel qu’elle lui remet après 20 ou 25 minutes. Le caporal-chef Demers a témoigné à l’effet qu’elle a perdu contact avec le caporal Desjardins durant cette période et qu’elle ne sait pas ce que le caporal Desjardins a fait avec son dossier durant cette période. Cette dernière a témoigné à l’effet qu’elle ne s’est pas préoccupé du caporal Desjardins durant cette période parce qu’elle était très occupée. Selon la version de l’accusé, elle a demandé au caporal-chef Demers de lui fournir des autocollants pour marquer les documents qu’elle voulait photocopier et cette dernière l’aurait fait. Elle s’affère par la suite à identifier les documents dont elle veut obtenir copie au moyen des autocollants qui lui ont été fournis par le caporal-chef Demers. Le caporal Desjardins soutient également avoir demandé au caporal-chef Demers de lui faire des photocopies des documents qui avait été identifiés, mais cette dernière l’invite plutôt à le faire elle-même en se servant de la photocopieuse située au fond de la pièce. Cette version des faits n’a pas été soumise
Page 4 de 15 par la défense lors du contre-interrogatoire du caporal-chef Demers, ni lors de son interrogatoire. Le caporal-chef Demers a de plus indiqué lors de son témoignage que les militaires ne peuvent pas prendre leur dossier personnel pour en faire des copies. Le sergent Trudel a cependant témoigné à l’effet que le lendemain de la deuxième rencontre entre le caporal Desjardins et le caporal-chef Demers, celle-ci lui a dit que le caporal Desjardins a bel et bien fait des photocopies. Une telle affirmation n’est pas incompatible avec la version de l’accusé sur ce point. Elle soulève à tout le moins un doute sur le degré de supervision qu’aurait dû exercer le caporal-chef Demers lors de la consultation de son dossier personnel par le caporal Desjardins et de la connaissance personnelle du caporal-chef Demers à l’effet que le caporal Desjardins avait fait des photocopies de documents à partir de son dossier personnel contrairement à l’affirmation du caporal-chef Demers à l’effet qu’elle a perdu contact avec le caporal Desjardins durant cette période et qu’elle ne sait pas ce que le caporal Desjardins a fait avec son dossier durant cette période. [5] Le caporal Desjardins a décrit la manière qu’elle a utilisé pour faire des photocopies de certains documents contenus à son dossier personnel. Selon sa version des faits, elle s’est donc rendue à la photocopieuse en marge de la salle des rapports avec son dossier. Elle retire le système « Acco Fastener » qui maintient le dossier personnel ensemble. Le caporal Desjardins nous dit qu’elle ne sait pas si les documents qui forment le contenu de son dossier personnel sont placés par ordre chronologique parce qu’elle n’a pas regardé. Elle s’affère donc à retirer les documents séparément de peine et de misère sans aucune méthode précise. Elle était toujours fâchée parce que les documents tels que l’avertissement écrit et la note de service intitulé « Correction of Deficiencies » n’auraient pas dû être dans son dossier personnel de l’unité, mais plutôt dans son dossier personnel gardé au Quartier général de la Défense nationale à Ottawa. En contre-interrogatoire, le caporal Desjardins a ajouté qu’elle est normalement une personne minutieuse, consciencieuse et diligente. Cette affirmation est d’ailleurs entièrement compatible avec son métier de technicienne spécialisée et son expérience de plus de vingt ans au sein des Forces canadiennes. Néanmoins, le caporal Desjardins a témoigné à l’effet qu’avant de procéder à la photocopie des documents qu’elle avait identifiés avec les autocollants, elle a tout sorti et elle était mêlée. Selon la version de l’accusé, elle aurait pris près d’une demi-heure pour faire les photocopies des documents dont une quinzaine de rapports de cours ainsi que les documents qui font l’objet des accusations devant cette cour. Le caporal Desjardins nous a dit avoir photocopier ces documents un à la fois alors qu’elle était toujours fachée. Lorsque les copies étaient faites, elle les replaçait dans son dossier personnel sans égard à l’ordre dans lequel ils se trouvaient dans son dossier personnel. Le caporal Desjardins ajoute qu’elle a fait des copies de l’avertissement écrit, de la note de service et du rapport d’évaluation parce qu’elle voulait clarifier la situation avec les autorités militaires responsable de la salle des rapports de Montréal où son dossier était gardé en permanence et elle voulait y faire valoir son point de vue. Ces documents étaient d’un format 8.5 X 11 et selon la version du caporal Desjardins, cette démarche était justifiée parce que le personnel administratif de son unité était fortement composé
Page 5 de 15 de militaires de la Force de réserve et elle n’était pas satisfaite que soit leur expérience ou soit leur compétence en matière administrative était adéquat selon ce qu’elle avait personnellement observé jusque là. Elle a ajouté en contre-interrogatoire que la présence de l’avertissement écrit dans son dossier personnel ne faisait pas son affaire. Le caporal Desjardins a témoigné également qu’elle avait éparpillé les documents. Certains se retrouvent donc sur le plateau de la photocopieuse, alors que d’autres se retrouvent à côté du plateau et sur la petite table située près de l’appareil. [6] Selon la version du caporal Desjardins, elle ramasse donc les documents qui sont éparpillés pour les remettre au dossier. Elle replace alors les originaux des rapports de cours qui mesuraient 8.5 X 14 dans son dossier personnel, mais les documents de dimension 8.5 X 11 restent là. C’est à ce moment que le caporal Ouellet lui dit, alors qu’elle passait par-là, de ne pas oublier de ramasser ses papiers qui sont sur ou près de la photocopieuse. Ceci est d’ailleurs corroboré par le caporal Ouellet. Le caporal Desjardins a témoigné à l’effet qu’elle prend à ce moment tous les papiers qui traînent sans les regarder et les mets dans une enveloppe qu’elle amène chez elle. Le caporal Desjardins reconnaît qu’elle aurait pu manipuler son dossier personnel avec plus de soin en prenant le soin d’ajouter qu’elle était dépassée par la montagne de papiers que constituait son dossier personnel. [7] La preuve indique qu’une fois les copies complétées, le caporal-chef Demers a rangé le dossier personnel du caporal Desjardins. Elle discute encore une fois avec le maître de 1 ère classe Roy au sujet des évènements de la veille, soit la découverte par le caporal Desjardins des trois documents qui selon cette dernière n’auraient pas dû y être. Le caporal-chef Demers était particulièrement mal à l’aise ou confuse par la demande du caporal Desjardins de ne pas soulever cette question avec son commis-chef. Le commis-chef Roy demande alors au caporal-chef Demers de vérifier le dossier personnel du caporal Desjardins afin de découvrir si certains documents spécifiques, dont l’avertissement écrit, étaient manquants. Le caporal-chef Demers constate alors que c’est bien le cas et elle en avise son commis-chef. La chaîne de commandement du caporal Desjardins en est informée, soit le sergent Trudel, l’adjudant-maître Slater et l’adjudant Audet. Elle est donc convoquée le lendemain à une rencontre avec ces trois individus. Il ressort de cette rencontre que le caporal Desjardins est avisée sans équivoque que des documents ont disparu de son dossier personnel. Bien que la preuve n’indique pas de façon satisfaisante que le caporal Desjardins ait été traitée de « voleuse » durant cette rencontre, sa version des événements indique qu’elle a dit à ses supérieurs que personne n’allait la traiter de voleuse. C’est alors qu’elle a quitté la rencontre, à sa demande ou celle de ses supérieurs, pour se rendre chez-elle et ramener SS 10 à 15 minutes plus tard SS une enveloppe qui contenait une foule de documents dont les originaux de l’avertissement écrit et de la note de service « Correction of Deficiencies ». [8] De façon générale, les témoignages du caporal-chef Demers et du maître de 1 ère classe Roy, respectivement commis et commis-chef de l’unité à l’époque des
Page 6 de 15 incidents qui entourent cette affaire, nous indiquent que les dossiers personnels des militaires sont créés à l’enrôlement et qu’ils contiennent une foule de documents personnels en passant par les rapports de cours, les rapports d’évaluation de rendement et même des réclamations. Le dossier personnel est composé de documents de formats variés. Il est gardé ensemble au moyen d’un système à deux trous, c’est-à-dire que chaque document est perforé en haut avant que n’y soit inséré une attache de type « Acco-Fastener ». Les dossiers personnels ne sont accessibles qu’aux personnes préalablement désignées et le militaire ne peut consulter son dossier personnel que s’il en fait la demande. Ceci complète donc le résumé des faits qui entourent cette affaire tel que révélé par la preuve. Le droit applicable et les éléments essentiels des accusations Le 1 er chef d’accusation (Alinéa 125 (c) de la Loi sur la défense nationale) [9] Quant au 1 er chef d’accusation, soit celui d’avoir fait disparaître des documents gardés à des fins militaires dans l’intention d’induire erreur contrairement à l'alinéa 125 (c) de la Loi sur la défense nationale, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable outre l’identité de l’accusé, la date et le lieu tels qu’ils sont allégués à l’acte d’accusation, que : a) le caporal Desjardins a fait disparaître de son dossier personnel des documents, plus particulièrement un document intitulé « Avertissement écrit » et un autre intitulé « Correction of Deficiencies »; b) que les documents en question étaient gardés pour des fins militaires; c) que l’action qui lui est reprochée a été faite dans l’intention d’induire en erreur. Le 2 ième chef d’accusation (Article 129 de la Loi sur la défense nationale) [10] Quant au 2 ième chef d’accusation (subsidiaire au premier chef), soit d’avoir commis une négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline aux termes de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, outre l’identité de l’accusé, la date et le lieu, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable : a) la négligence reprochée à l’accusée, soit dans ce cas précis d’avoir omis de remettre dans son dossier personnel des documents gardés à des fins militaires, soit des documents
Page 7 de 15 intitulés « Avertissement écrit » et « Correction of Deficiencies »; b) que si l’omission du caporal Desjardins constituait une négligence au sens de Loi, celle-ci était, dans les circonstances, préjudiciable au bon ordre et à la discipline; et, finalement c) l’intention coupable de l’accusé où l’infraction est alléguée avoir été commise. Présomption d’innocence et doute raisonnable [11] Avant d’appliquer le droit aux faits de la cause, il est opportun de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable qui est une composante essentielle de cette présomption d’innocence. [12] Qu’il s’agisse d’accusations portées aux termes du code de discipline militaire devant un tribunal militaire ou de procédures qui se déroulent devant un tribunal pénal civil pour des accusations criminelles, une personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Ce fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès. Une personne accusée n’a pas à prouver son innocence. La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels d’une accusation. La preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas aux éléments de preuve individuels ou aux différentes parties de la preuve; elle s'applique à tout l'ensemble de la preuve sur laquelle s'appuie la poursuite pour prouver la culpabilité. Le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l'accusé. [13] Un tribunal devra trouver l’accusé non coupable s’il a un doute raisonnable à l’égard de sa culpabilité après avoir évalué l’ensemble de la preuve. L'expression «hors de tout doute raisonnable» est utilisée depuis très longtemps. Elle fait partie de l'histoire et des traditions de notre système judiciaire. Dans l’arrêt R. c. Lifchus (1997) 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a établie la façon d'expliquer le doute raisonnable dans un exposé au jury et les principes de l’arrêt Lifchus ont été appliqués dans plusieurs pourvois subséquents. Essentiellement, un doute raisonnable n'est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne peut être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il doit reposer plutôt sur la raison et le bon sens. Il doit logiquement découler de la preuve ou de l'absence de preuve. [14] Dans l’arrêt R. v. Starr (2000) 2 R.C.S. 144, au paragraphe 242, le juge Iacobuci, pour la majorité, a indiqué « ... qu'une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la
Page 8 de 15 certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités. » Il est toutefois opportun de rappeler qu'il est virtuellement impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue, et que la poursuite n'est pas tenue de le faire. Une telle norme de preuve n’existe pas en droit. La poursuite ne doit prouver la culpabilité de l’accusée, le caporal Desjardins en l’espèce, que hors de tout doute raisonnable. [15] Comme je l’ai indiqué plus tôt, l’approche appropriée relativement à la norme de preuve consiste à évaluer l’ensemble de la preuve et non d’évaluer des éléments de preuve individuels séparément. Il est donc essentiel d’évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoignages à la lumière de l’ensemble de la preuve. [16] La norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’applique également aux questions de crédibilité. La Cour n’a pas à décider d’une manière définitive de la crédibilité d’un témoin ou d’un groupe de témoin. Au surplus, la Cour n’a pas à croire en la totalité du témoignage d’une personne ou d’un groupe de personnes. [17] Si la Cour a un doute raisonnable relativement à la culpabilité du caporal Desjardins qui découle de la crédibilité des témoins, elle doit l’acquitter. [18] Dans de telles circonstances, le droit exige que la Cour trouve l’accusé non-coupable : a) premièrement, si la Cour croit la version de l’accusé, et b) deuxièmement, même si la Cour ne croit pas l’accusé, mais qu’elle a un doute raisonnable en conséquence du témoignage de l’accusé, après avoir examiné la déposition de l'accusé dans le contexte de l'ensemble de la preuve. Finalement, si la Cour, après avoir évalué l’ensemble de la preuve, ne sait pas qui croire ou a un doute raisonnable quant à qui croire, elle doit faire bénéficier ce doute à l’accusé et l’acquitter. [19] C’est à l’arrêt R. c. W.(D.) [1991] 1 R.C.S., 742 à la page 758, que le juge Cory proposa une approche à trois volets lorsque le juge du procès pourrait avoir à donner des directives aux jurés au sujet de la crédibilité dans le contexte de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, et je cite : a Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement. b Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.
Page 9 de 15 Troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la c suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé. [20] Donc, après ces quelques propos sur la présomption d’innocence et la norme de preuve hors de tout doute raisonnable SS y compris lorsqu’elle s’applique aux questions de crédibilité SS la Cour va maintenant se pencher sur les faits révélés par la preuve en fonction du droit applicable. Les questions en litige Le 1 er chef d’accusation (Alinéa 125 (c) de la Loi sur la défense nationale) [21] En ce qui concerne le 1 er chef d’accusation porté aux termes de l'alinéa 125 (c) de la Loi sur la défense nationale, soit d’avoir fait disparaître des documents gardés à des fins militaires, les parties s’entendent à dire que la seule question en litige gravite autour de l’élément essentiel de l’intention ou de la mens rea requise. L’intention requise aux termes de l'alinéa 125 (c) de la Loi en est une qui est spécifique. La poursuite s’appuie principalement sur la preuve circonstancielle fournie notamment par une déclaration de l’accusée faite à son supérieur à son retour de la salle des rapports après avoir consulté son dossier personnel à l’effet que son « dossier est clean ». La poursuite s’appuie également sur certaines contradictions ou divergences entre le témoignage du caporal-chef Demers et du caporal Desjardins qui affecteraient de manière importante la crédibilité de l’accusée pour soutenir sa thèse. De son côté, la défense soutient que la prise des documents par le caporal Desjardins n’avait pour but que de faire des copies des documents contestés et que c’est par inadvertance que les originaux n’ont pas été remis dans le dossier personnel. La défense soumet que l’action de l’accusé ne peut constituer celle de « faire disparaître de son dossier personnel des documents gardés à des fins militaires. » Selon les prétentions de la défense, l’omission de l’accusé d’avoir remis les documents dans son dossier personnel, dans les circonstances de cette affaire et aux termes de l’ensemble de la preuve, ne peut servir de fondement pour satisfaire l’élément essentiel de cette infraction qui est celui de vouloir induire en erreur. Le 2 ième chef d’accusation (Article 129 de la Loi sur la défense nationale) [22] Les parties s’entendent généralement sur les questions en litige relativement au 2 ième chef d’accusation porté aux termes de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, soit « Négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline » D’entrée de jeu, les éléments essentiels de l’infraction qui portent sur l’identité de l’accusée, la date et le lieu de l’infraction et le fait que le caporal Desjardins a omis de remettre dans son dossier personnel des documents gardés à des fins militaires, soit des
Page 10 de 15 documents intitulés « Avertissement écrit » et « Correction of Deficiencies » ne sont pas contestés. D’une part, la poursuite soutient que si la Cour croit la version de l’accusée, la cour devrait la trouver coupable de ce 2 ième chef d’accusation parce que la preuve démontre hors de tout doute raisonnable qu’elle a été négligente en ne manipulant pas son dossier personnel avec toute la diligence requise par le standard applicable en la matière et que la négligence de l’accusée en l’espèce était préjudiciable au bon ordre et à la discipline. D’autre part, la défense admet que l’actus reus de l’infraction a été prouvée, mais que la poursuite ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve relativement au standard exigé d’une personne dans de telles circonstances. La Cour n’est toutefois pas convaincue que la défense va aussi loin en admettant l’actus reus si l’on considère l’ensemble de sa plaidoirie. J’aborderai cette question lors de mon analyse relativement à ce 2 ième chef d’accusation. [23] L’ensemble de la preuve devant cette cour et les divergences qui existent entre la version de l’accusée et celle des autres témoins sur certaines questions considérées importantes par la cour, comme l’interaction entre le caporal-chef Demers et le caporal Desjardins lors de leurs deux rencontres, font en sorte que la Cour est d’avis que l’examen de la crédibilité des témoins entendus devant cette cour est particulièrement significatif pour déterminer si la poursuite s’est acquittée de son fardeau de preuve. Décision Analyse de crédibilité des témoins [24] La Cour a examiné attentivement tous les témoignages à la lumière de l’ensemble de la preuve. Il n’existe aucune formule magique pour décider de la crédibilité d’un témoignage ou de la valeur qu’il faut y accorder. La Cour a entre autres porté attention à l'intégrité et l'intelligence de chacun des témoins, leur faculté d’observation et leur capacité de rapporter ces observations devant la cour. La Cour a considéré leur capacité de se souvenir des évènements en tenant compte que certains événements ou certains faits peuvent marquer chaque personne de manière différente. La Cour a observé si les témoins en prêtant attention à des facteurs comme si le témoin tente honnêtement de dire la vérité, s'il est sincère et franc ou s'il est partial, réticent et évasif. Dans l’évaluation de la crédibilité de chacun des témoins, la Cour s’est posé plusieurs questions. Le témoin semblait-il honnête? Avait-il une raison particulière de ne pas dire la vérité? Le témoin avait-il un intérêt dans le résultat de l’affaire ou une raison de présenter une preuve favorisant une partie plutôt qu'une autre? Le témoin était-il en mesure de présenter des observations exactes et complètes au sujet de
Page 11 de 15 l’événement? A-t-il eu l’occasion de le faire? Dans quelles circonstances les observations ont-elles été faites? Dans quel état se trouvait le témoin? S’agissait-il d’un événement ordinaire ou hors de l’ordinaire? Le témoin a-t-il donné l’impression d’avoir une bonne mémoire? Le témoin a-t-il une raison de se souvenir des événements au sujet desquels il a témoigné? L’incapacité ou la difficulté du témoin à se souvenir des événements semblait-elle véritable ou était-elle utilisée comme une excuse pour éviter de répondre aux questions? Les témoignages étaient-ils cohérents en soi et entre eux? Le témoin a-t-il précédemment dit ou fait quelque chose de différent? Les contradictions dans le témoignage sont-elles si sérieuses qu’elles rendent moins crédibles ou moins fiables ses principaux aspects? La contradiction est-elle importante ou mineure? S’agit-il d’une erreur de bonne foi ou d’un mensonge délibéré? La contradiction résulte-t-elle d’une déclaration différente du témoin ou d’une omission de sa part? Peut-elle être expliquée? L’explication a-t-elle du sens? Comment se comportait le témoin lorsqu’il témoignait, sans pour autant y attacher trop d’importance car les apparences sont parfois trompeuses. [25] Témoigner n’est pas une expérience courante. Les gens réagissent et se présentent différemment. Ils possèdent des capacités, des valeurs et des expériences de vie différentes. Il y a tout simplement trop de variables pour que le comportement d’un témoin constitue le seul facteur ou le facteur le plus important pour prendre une décision. [26] Le caporal Desjardins a témoigné devant cette cour. La Cour ne peut conclure, d’après l’ensemble de la preuve, que le témoignage du caporal Desjardins doit être écarté entièrement. La Cour est convaincue qu’elle exagère lorsqu’elle décrit comment elle était perdue et mêlée lorsqu’elle faisait des photocopies de documents contenus à son dossier personnel. Il s’agit d’une personne d’expérience qui accomplit des tâches quotidiennes nécessitant un calme et une maîtrise de soi au-dessus de la normale. Elle a témoigné également d’une manière ferme et calme en dépit de la nervosité apparente attribuable au stress relié directement aux émotions d’une personne accusée qui témoigne devant un tribunal. La Cour ne la croit pas lorsqu’elle fait état de son état de total désarroi lorsqu’elle faisait des photocopies. Elle était fâchée et elle n’était pas familière avec le fonctionnement de la photocopieuse, mais de là à perdre tous ses moyens comme elle l’a elle-même décrit est incompatible avec sa propre version relativement à ses propres qualités notamment la minutie et le professionnalisme et avec la preuve relativement à l’interaction qu’elle a eue avec le caporal-chef Demers où elle était en contrôle de tous ses moyens, même si elle était fâchée. [27] Le caporal-chef Demers n’a pas d’intérêt dans cette affaire. Elle est généralement crédible. L’écoulement du temps a certes contribué à affecter sa mémoire sur certaines questions. La Cour a néanmoins certaines réserves quant à certaines
Page 12 de 15 portions de son témoignage. D’une part, elle nous indique que les gens ne sont pas autorisés à faire des photocopies. Hors, le sergent Trudel a témoigné à l’effet que le lendemain de la deuxième rencontre entre le caporal Desjardins et le caporal-chef Demers, celle-ci lui dit que le caporal Desjardins a bel et bien fait des photocopies. Comment peut-elle affirmer cela si elle dit ne pas savoir ce que faisait le caporal Desjardins, pourtant assise devant elle, durant une période de 20 à 25 minutes. L’ensemble de la preuve permet de conclure, à tout le moins, qu’elle a donné au caporal Desjardins son accord tacite pour faire des photocopies, même si on rejetait la version de l’accusé sur cette question. Le témoignage du caporal-chef Demers est toutefois généralement crédible et non-contesté. [28] Le Sergent Trudel a témoigné d’une façon honnête et au meilleur de sa connaissance malgré une nervosité apparente. Son témoignage n’est pas contesté et généralement fiable. [29] Le rôle du maître de 1 ière classe Roy dans cette affaire est primordial. N’eut été de son intervention auprès du caporal-chef Demers, les évènements qui ont suivi la disparition des documents n’auraient pas eu lieu. Il n’a toutefois aucun intérêt personnel à ce que l’accusée soit trouvée coupable ou qu'elle soit acquittée. Il a témoigné d’une manière directe et ne s’est jamais montré évasif. Il n’a pas tenté de justifier ses actes ou ceux de son employée, le caporal-chef Demers. Son témoignage est crédible et fiable. [30] Le caporal Ouellet est un témoin fiable et honnête. Son témoignage ne sert qu’à illustrer et corroborer le fait que le caporal Desjardins ait éparpillé certains documents lorsqu’elle a effectué des photocopies et qu’elle lui a dit de ne pas oublier ses papiers laissés sur la photocopieuse ou près de celle-ci alors qu’elle passait par-là. Le caporal Ouellet avait l’impression que le caporal Desjardins était en train de ramasser ses documents, mais elle n’a pas élaboré sur cette question, ni fut-elle invitée à le faire. Son témoignage ne permet toutefois pas de corroborer la version de l’accusée relativement à l’état émotif qu’elle démontrait lorsqu’elle s’afférait à faire des photocopies. Analyse du droit à la lumière des faits Le 1 er chef d’accusation (Alinéa 125 (c) de la Loi sur la défense nationale) [31] En ce qui concerne le 1 er chef d’accusation porté aux termes de l'alinéa 125 (c) de la Loi sur la défense nationale, la seule question en litige gravite autour de l’élément essentiel de l’intention ou de la mens rea requise. La poursuite s’appuie principalement sur la preuve circonstancielle fournie notamment par la déclaration de l’accusée faite à son supérieur à son retour de la salle des rapports après avoir consulté son dossier personnel à l’effet que son « dossier est clean. » La poursuite s’appuie également sur certaines contradictions ou divergences entre le témoignage du caporal-chef Demers et du caporal Desjardins qui affecteraient de manière importante la
Page 13 de 15 crédibilité de l’accusée pour soutenir sa thèse. La Cour est satisfaite que la preuve indique hors de tout doute raisonnable que l’accusée a sciemment retiré de son dossier personnel les documents décrits aux détails du premier chef d’accusation. La Cour a toutefois un doute raisonnable sur l’élément essentiel qui se rattache à l’intention d’induire en erreur. Une conclusion contraire obligerait la cour à rejeter complètement la version de l’accusée, un pas que cette cour ne peut franchir à la lumière de l’ensemble de la preuve. La version de l’accusé indique qu’elle était profondément contrariée de voir les documents en question dans son dossier personnel. Elle voulait les voir retirer de son dossier. Elle avait pris des renseignements en ce sens auprès du bureau responsable de la protection de la vie privée et elle voulait contester cette situation auprès des personnes responsables de la salle des rapports à Montréal qui avaient la garde permanente de son dossier personnel. Si elle avait voulu faire disparaître ces documents dans le but d’induire en erreur les autorités militaires, pourquoi en aurait-elle fait des copies ou même prendre les originaux pour les emmener à Montréal afin de faire valoir son point de vue auprès des autorités? Il aurait été beaucoup plus facile de les détruire sur-le-champ au moment même où elle était laissée à elle-même alors qu’elle faisait des photocopies. Même si la preuve démontrait hors de tout doute raisonnable que le caporal Desjardins avait l’intention de prendre les originaux pour les soumettre aux autorités de la salle des rapports et contester leur présence dans son dossier personnel, une telle preuve ne pourrait pas permettre à cette cour de conclure qu’une telle manœuvre équivaut à « faire disparaître dans l’intention d’induire en erreur ». Même si la notion de « faire disparaître » signifie entres autres le fait de soustraire à la vue, d’enlever ou de cacher, l’infraction reprochée à l’accusée requiert que l’acte ait été posé dans le but d’induire en erreur. La preuve circonstancielle sur laquelle s’appuie la poursuite à la lumière de la preuve retenue par la cour ne permet pas d’établir hors de tout doute que l’acte de l’accusé aurait des conséquences permanentes sur l’existence de ces documents et leur présence au dossier personnel du caporal Desjardins. En conséquence, la cour a un doute raisonnable et la cour doit en faire bénéficier l’accusée. Le 2 ième chef d’accusation (Article 129 de la Loi sur la défense nationale) [32] En ce qui concerne le 2 ième chef d’accusation, la Cour a souligné plus tôt le fait que le procureur de la défense semble vouloir admettre que l’ actus reus de l’infraction a été prouvée en ajoutant que la poursuite ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve relativement au standard exigé d’une personne dans de telles circonstances. Cette cour a ajouté qu’elle n’était toutefois pas convaincue que la défense allait aussi loin si l’on considère l’ensemble de sa plaidoirie. En ce qui concerne
Page 14 de 15 l’élément essentiel de cette accusation portant sur le préjudice au bon ordre et à la discipline, il fallait que la poursuite démontre hors de tout doute raisonnable qu’il existait une norme objective de comportement exigée de l’accusée. D’une part, la poursuite a voulu établir la norme du comportement exigée de l’accusée par la preuve du caporal-chef Demers et du maître de 1 ière classe Roy en ce qui concerne la manipulation et l’accès de dossiers personnels par les commis d’administration et les personnes autorisées à consulter les documents qui les composent. La poursuite s’est afférée également à tenter d’établir les normes minimales de soin qu’une personne devrait respecter lorsqu’elle manipule des dossiers personnels pour y faire des copies ou autrement en faisant reconnaître à l’accusée qu’elle aurait dû prendre plus de soin dans la manipulation de son dossier personnel. La défense a soumis d’autre part qu’on ne peut imposer une norme d’utilisation dans la manutention de documents et la photocopie de documents à quiconque dont ce n’est pas la tâche principale. [33] Aux termes de la preuve entendue, quelle est la norme qui était imposée à l’accusée dans les circonstances de cette affaire? Pour répondre à cette question, il est opportun de retourner aux détails de l’accusation qui fait l’objet du 2 ième chef d’accusation et qui reproche à l’accusée d’avoir omis de remettre dans son dossier personnel des documents spécifiques directement liés à un avertissement écrit qu’elle avait reçu en 1997 soit l'avertissement écrit lui-même et le document intitulé « Correction of Deficiencies ». Dans le contexte de cette affaire, la poursuite reproche à l’accusée d’avoir omis de remettre au dossier donc l’avertissement écrit et le document intitulé « Correction of Deficiencies ». L’ordre administratif des Forces canadiennes 26-17, dont la cour a pris connaissance judiciaire aux termes de la règle 15 des Règles militaires de la preuve, prévoit spécifiquement qu’un avertissement écrit doit être versé en permanence au dossier du militaire à son unité. Malgré l’opinion de l’accusée à l’effet contraire, le caporal-chef Demers a directement et explicitement informé le caporal Desjardins de cette directive et de ce fait. La norme du comportement exigée de l’accusée dans les circonstances n’est donc rien d’autre que celle qui consiste à veiller à ce qu’un avertissement écrit ou un document qui s’y rattache directement demeure au dossier en permanence. Bien que la simple photocopie et la remise immédiate au dossier de l’original d’un tel document ne feraient pas perdre le caractère permanent de sa présence au dossier, la norme de conduite a pour corollaire que tout individu qui manipule de tels documents doit prendre des mesures minimales pour qu’ils ne soient ni égarés, perdus ou détruits. Si l’accusée était trop désemparée pour préserver le caractère permanent de ces documents en ne prenant pas les mesures nécessaires et minimales pour les préserver et que c’est pour cette raison que les originaux se sont
Page 15 de 15 retrouvés chez-elle dans un sac, cela ne constitue pas une excuse. La preuve est d’ailleurs abondante pour établir que l’accusée a agi de manière négligente et désordonnée en n’agissant pas avec un minimum de soin ou de prudence. Selon son expérience militaire depuis 20 ans, il ne fait aucun doute qu’elle connaissait l’importance de son dossier personnel et qu’elle ne s’est pas préoccupé du risque et de la nécessité de prendre des soins appropriés dans la manipulation de son dossier personnel. Le fait qu’elle ait été fâchée par la présence des documents en question à son dossier personnel n’est pas suffisant en l’absence de toute autre preuve pour nier la mens rea. Selon la preuve entendue devant cette cour, y compris le témoignage de l’accusée, la Cour est convaincue qu’elle possédait la capacité requise pour évaluer les risques ou les conséquences d’une manipulation négligente de documents qui devaient demeurer au dossier en permanence. La Cour est satisfaite dans les circonstances que la négligence de l’accusée a porté préjudice au bon ordre et à la discipline. [34] Dans l’hypothèse où la preuve permettrait de conclure hors de tout doute raisonnable qu’elle avait pris la décision de prendre ces documents temporairement et sans autorisation afin de les amener elle-même à la salle des rapports de Montréal, cela constituerait une violation beaucoup plus sérieuse de la norme de comportement exigée d’elle dans les circonstances. Cette preuve n’a toutefois pas été établie hors de tout doute raisonnable. Dispositif [35] Caporal Desjardins, veuillez-vous lever. Pour les motifs exprimés par cette cour, celle-ci vous trouve non-coupable du premier chef d’accusation et coupable du deuxième chef d’accusation. LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M. Avocats : Major M. Trudel, Procureure militaire régional de l'Est Avocate de la poursuivante Major L. Boutin, Direction du service d'avocats de la défense Avocat du caporal Desjardins