Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CACM 492 - Appel accordé

Date de l’ouverture du procès : 5 avril 2005.

Endroit : 14e Escadre Greenwood, édifice Annapolis, Greenwood (NÉ).

Chefs d’accusation

• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 114 LDN, a commis un vol, étant, par son emploi, chargé de la garde ou de la distribution de l’objet volé ou d’en avoir la responsabilité.
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 114 LDN, a commis un vol, étant, par son emploi, chargé de la garde ou de la distribution de l’objet volé ou d’en avoir la responsabilité.
• Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d’accusation 5 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3, 4, 5 : Non coupable. Chef d’accusation 2 : Coupable.
• SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

Référence :R. c. Caporal R.D. Parsons,2005cm3022

 

Dossier :200516

 

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

ONTARIO                                        

14E ESCADRE GREENWOOD

 

 

Date :—22 octobre 2005

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

CAPORAL R.D. PARSONS

(Accusé)

 

DÉCISION RELATIVEMENT À UNE APPLICATION EN VERTU DU PARAGRAPHE 24(2) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

[1]                                         Il sagit dune demande présentée en application du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés en vue de faire exclure des éléments de preuve obtenus par suite dune violation du droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Le demandeur, le caporal Parsons, est accusé de vol et de possession irrégulière de certains articles de biens publics. Des enquêteurs de la police militaire ont exécuté un mandat de perquisition en vertu du Code criminel à la résidence du demandeur et ont saisi trois articles. La demande soulève des questions sur la légalité et le caractère raisonnable de la perquisition, ainsi que sur la recevabilité des éléments de preuve obtenus par suite de la perquisition.

 

[2]                                         Le procès devant une cour martiale a commencé le 5 avril 2005. Au cours de linterrogatoire principal du premier témoin de la poursuite, le caporal David Comer, les trois articles en litige ont été présentés et cotés comme pièces. À la demande de lavocat, la Cour a tenu un voir-dire pour déterminer la recevabilité des articles et, après avoir entendu les arguments sur la question, jai jugé que la défense pouvait contre-interroger le caporal Comer sur la demande.


[3]                                         Le 22 juin 2005, jai statué sur la demande en laccueillant en partie. Jai dit à ce moment que je fournirai des motifs de décision en temps opportun; les voici donc.

 

[4]                                         Daprès les éléments de preuve, le caporal Comer est agent de police militaire depuis 2001. Il a été désigné pour enquêter sur la perte dun appareil photo numérique de marque Nikon du service dapprovisionnement de la 14e Escadre à la Base des Forces canadiennes Greenwood que lon disait avoir disparu entre le 8 et le 10 juillet 2003. Larticle aurait été reçu au Hangar 2, où le demandeur était employé comme technicien en approvisionnement, et mis dans un camion pour être transporté en vue dêtre remis au caporal-chef Brace, au Centre Hornell. La perte a été déclarée à la police militaire le 7 août 2003.

 

[5]                                         Au cours de son enquête, le caporal Comer a parlé à un grand nombre de personnes. Il sest surtout intéressé aux employés travaillant aux hangars 10 et 11. Il a remis des questionnaires dobservation aux employés du Hangar 11. Il semble que ces questionnaires sont utilisés par la police militaire pour permettre de centrer les enquêtes sur les personnes soupçonnées. Il semble que le demandeur, le caporal Parsons, nétait pas soupçonné à cette étape de lenquête.

 

[6]                                         Le 27 janvier 2004, le caporal Lawrence McVeigh a remis une déclaration écrite au caporal Comer. Le caporal McVeigh était employé à titre de technicien en imagerie au 14e Escadre Greenwood. Il a déclaré, au sujet du demandeur, le caporal Parsons, quau cours de lété 2003, un technicien en approvisionnement était passé à la section des services de photo; celui-ci espérait pouvoir changer de spécialité et sétait dit prêt à acheter un « Nikon D1X ». Le technicien en approvisionnement savait où se trouvait un Nikon D1X dans la chaîne dapprovisionnement et il avait manipulé un appareil photo de ce modèle la veille. Plus tard, le caporal McVeigh a appris la disparition dun appareil photo comme celui-là, ce qui a éveillé ses soupçons à lencontre du demandeur pour cette perte.

 

[7]                                         Le caporal McVeigh a déclaré à la police militaire quil avait eu une conversation avec le demandeur au cours de la deuxième semaine de janvier 2004. Le demandeur avait dit au caporal McVeigh quil [TRADUCTION] « avait son nouvel appareil photo D1X », mais quil ne savait pas comment sen servir. Du fait de ses soupçons, le caporal McVeigh a offert au demandeur de laider avec son nouvel appareil photo, et ce, afin de pouvoir voir son numéro de série. Dans sa déclaration écrite, le caporal McVeigh a dit à lenquêteur quil était allé chez le demandeur et quil avait vérifié lappareil photo. Il avait vu les que les trois derniers chiffres du numéro de série étaient 148 et que le numéro de série comportait deux fois le chiffre « 5 ». Il semble que le caporal Comer ne connaissait pas alors le numéro de série de lappareil photo déclaré manquant au service dapprovisionnement de la 14e Escadre .

 


[8]                                         Le caporal McVeigh a aussi dit à la police que, pendant quil était dans la résidence du demandeur, il avait aussi vu un ordinateur portatif Panasonic.

 

[9]                                         Le caporal Comer a parlé au caporal McVeigh une autre fois le 31 janvier 2004. Bien quil nait pas pris de notes, il se souvient que, dans la conversation, le caporal McVeigh a décrit lordinateur portatif comme étant de couleur noire ou grise. Le caporal Comer a déclaré avoir parlé avec un autre agent de police militaire, le caporal Leblanc, le 30 janvier 2004, et avoir appris quun ordinateur portatif noir et gris Panasonic avait disparu du service dapprovisionnement. En contre-interrogatoire, le caporal Comer a déclaré ne pas pouvoir se souvenir précisément à quel moment il avait eu connaissance de la perte de lappareil Panasonic, ou sil avait lui-même mentionné un tel article au caporal McVeigh avant que ce dernier ne fasse sa déclaration à propos de larticle quil aurait censément vu dans la résidence du demandeur.

 

[10]                                     Le 3 février 2004, le caporal Comer a fait une dénonciation sous serment, en vue dobtenir un mandat de perquisition, devant madame le juge Crawford de la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse. Le mandat délivré en vertu de larticle 487 du Code criminel a été décerné le même jour. Il autorisait les agents de la paix de la police militaire de la 14e Escadre à pénétrer dans la résidence du demandeur au 12Croissant, 14e Escadre , Greenwood (Nouvelle-Écosse), pour chercher et saisir [TRADUCTION] « une trousse dappareil photo Nikon D1X », y compris un appareil photo Nikon noir, deux batteries Nikon, un chargeur de batterieNikon et un [TRADUCTION] « flash ultra compact de 512 macroblocs », ainsi qu « un ordinateur portatif Panasonic CF50A9KNBDM portant le numéro de série3AMTAO1003 ».

 

[11]                                     Les motifs pour lesquels le mandat a été demandé ont été énoncés en six paragraphes dans la dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition, de la manière suivante :

 

[TRADUCTION]

Que je suis le cpl David Comer de la police militaire de la 14e Escadre Greenwood, Kings County (Nouvelle-Écosse) et que joccupe cette fonction depuis deux ans, que je suis actuellement affecté à la section des patrouilles et que jai été chargé denquêter sur des infractions à des lois fédérales et provinciales.

 

Que, le 7 août 2003, ladjudant Deborah Allen, employée comme technicienne en approvisionnement au service dapprovisionnement de la 14e Escadre, Hangar 2, voie Ad Astra, Greenwood (N.-É.) a communiqué avec le service de police militaire et a déclaré le vol dun appareil photo numérique Nikon D1X du service dapprovisionnement de la 14e Escadre, situé au Hangar 2, voie Ad Astra, Greenwood (N.-É.).

 


Que, le 27 janvier 2004, le cpl David Lawrence McVeigh, technicien en imagerie au 14e Escadre , Greenwood (N.-É.), qui occupe ce poste depuis trois ans et demi et a reçu une formation de trois mois sur les appareils photo numériques Nikon, et qui est instructeur en ce qui concerne lutilisation de ce modèle précis, soit un appareil photo numérique Nikon D1X, a communiqué avec le service de police militaire pour déclarer quau cours de la deuxième semaine de janvier 2004, pendant quil était à lhôpital de la 14e Escadre Greenwood, il avait rencontré le cpl Dwayne Parsons, qui lui avait dit avoir un D1X (appareil photo numérique Nikon), mais ne pas savoir comment lutiliser. Le cpl Dwayne Parsons avait mentionné avoir acheté une lentille et un flash pour son nouvel appareil photo. (Lappareil photo Nikon D1X qui avait été volé au service dapprovisionnement de la 14e Escadre ne comportait pas de lentille ou de flash). Le cpl McVeigh avait offert son aide au cpl Dwayne Parsons pour lutilisation dun appareil photo Nikon. Le cpl David McVeigh a découvert quun appareil photo Nikon avait été volé au service dapprovisionnement de la 14e Escadre lorsquil a communiqué avec le technicien en imagerie du 404e Escadron en vue demprunter leur appareil photo numérique Nikon D1X. Le cpl David McVeigh sétait rendu à la résidence du cpl Dwayne Parsons au numéro 21 du 12e Croissant et il avait vu que le cpl Dwayne Parsons avait en sa possession un appareil photo numérique Nikon D1X noir qui correspondait à la description de lappareil photo Nikon D1X volé au service dapprovisionnement de la 14e Escadre, Hangar 2, voie Ad Astra, Greenwood (N.-É.). (Un appareil photo numérique Nikon D1X neuf coûte 6 154,97 $). Le cpl Dwayne Parsons avait dit au cpl McVeigh quil avait payé son appareil photo Nikon D1X 3 800 $ et ne semblait pas sûr du prix. Le cpl David Comer a montré au cpl McVeigh une photo de lappareil photo volé, et le cpl McVeigh avait dit quil ressemblait à celui que le cpl Dwayne Parsons avait à sa résidence. Le cpl McVeigh a déclaré que lappareil photo semblait tout neuf. Le cpl McVeigh a aussi dit avoir vu un ordinateur portatif Panasonic dans la résidence du cpl Dwayne [sic]. Le caporal McVeigh a précisé que lordinateur portatif était de couleur noire ou grise.

 

Que, le 30 janvier 2004, j’ai reçu des renseignements de la part du cpl Jeff Leblanc, membre du service de police militaire de la 14e Escadre, actuellement affecté aux patrouilles à la 14e Escadre Greenwood (N.-É.), quant au vol intervenu entre le 14 et le 31 mars 2003, d’un ordinateur portatif noir et gris Panasonic CF50A9KNBDM portant le numéro de série 3AMTAO1003 au service d’approvisionnement de la 14e Escadre, Hangar 2, voie Ad Astra, Greenwood (N.-É.). Cet ordinateur portatif avait été laissé sur un chariot dans l’entrepôt du service d’approvisionnement de la 14e Escadre, Hangar 2. Le cpl Dwayne Parsons a accès à la zone de l’entrepôt où l’ordinateur portatif Panasonic avait été placé.

 


Que moi, le Cpl David Comer du service de police militaire de la 14e Escadre, Greenwood (N.-É.), j’ai vérifié que le cpl Dwayne Parsons est employé à titre de technicien en approvisionnement au service d’approvisionnement de la 14e Escadre, Hangar 2, voie Ad Astra, Greenwood (N.-É.) et qu’il manipule les articles qui sont reçus de l’extérieur du secteur de la 14e Escadre Greenwood. Le cpl Dwayne Parsons a accès à l’entrepôt et il a les clés du dépôt réservé à l’entreposage des articles attrayants où l’appareil photo a été mis en sûreté; il est l’une des personnes chargées de remplir les formalités administratives en ce qui concerne les articles reçus au service d’approvisionnement de la 14e Escadre, Hangar 2, voie Ad Astra, Greenwood (N.-É.) et de placer ces articles sur les étagères des clients en vue de leur ramassage. Le cpl Dwayne Parsons a accès à toutes les zones de l’entrepôt et il est chargé d’envoyer des articles à d’autres services à l’intérieur du secteur de la 14e Escadre Greenwood.

 

Quune vérification a été faite auprès du Centre dinformation de la police canadienne en ce qui concerne le cpl Dwayne Parsons et quelle a permis détablir quil avait déjà fait lobjet dune accusation de méfait public.

 

[12]                  Le mandat délivré par le juge Crawford autorisait l’entrée entre 8 h et 13 h, le 4 février 2004. Un peu après 7 h, ce matin-là, le caporal Comer a donné un briefing à un certain nombre de ses collègues agents de police militaire qui devaient prendre part à l’exécution du mandat de perquisition. Le briefing a porté sur les renseignements contenus dans le mandat et les articles à rechercher. Le caporal Comer a aussi informé les agents sur un certain nombre d’autres articles qui avaient été pris au Hangar 2 au cours des précédentes années de sorte que les agents aient connaissance de ces autres articles s’ils venaient à les trouver lorsqu’ils rechercheraient ceux qui figuraient au mandat de perquisition. Parmi ces autres articles, il y avait un téléphone sans fil à 40 canaux portant le numéro de série 10003068.

 

[13]                  Le caporal Comer a déclaré s’être présenté à la résidence de Parsons peu après 8 h avec quatre autres agents de police militaire. Le caporal MacEachern a été envoyé à la porte à l’arrière de la résidence. Le caporal Comer a frappé à la porte de devant, et c’est Mme Yetman, la conjointe du demandeur, qui a ouvert. Le demandeur était là, en vêtements de nuit, et il a été autorisé à s’habiller. Sa conjointe et lui ont été priés de s’asseoir dans le salon. Le caporal MacEachern est resté avec eux dans le salon pour les surveiller et assurer la sécurité des agents. Il semble qu’ils ont tous deux été tenus sous observation en permanence, même lorsqu’ils sont allés aux toilettes, et ce, pour assurer la sécurité des agents.

 

[14]                  Les autres agents de police, notamment le caporal Comer, ont commencé à perquisitionner la résidence au sous-sol. Ils sont ensuite passés au rez-de-chaussée et ont découvert dans le salon l’appareil photo et l’ordinateur portatif qui ont été présentés en preuve . L’appareil photo était dans un sac noir, et l’ordinateur portatif était en train de se recharger sur une étagère derrière le sofa. À ce moment-là, la perquisition a pris fin, et le demandeur, ainsi que Mme Yetman, ont été arrêtés.

 

[15]                  Avant la découverte des articles dans le salon, un certain nombre d’autres articles ont été saisis dans la résidence par la police. Ils sont détaillés dans un rapport du mandat au juge de paix fait par le caporal Comer à la suite de l’exécution du mandat de perquisition comme l’exige le Code criminel. Un de ces articles est le téléphone sans fil qui a été trouvé et saisi par le sergent Brown. Il était fixé au mur de la cuisine.


[16]                  En tout, selon la déclaration, 19 articles ont été saisis, dont 16—ont, semble-t-il, été retournés au demandeur à un certain moment après l’exécution du mandat et avant le procès. Les trois articles restants sont les pièces présentées au tribunal, soit l’appareil photo numérique, l’ordinateur portatif et le téléphone sans fil.

 

[17]                  Le demandeur allègue que la police militaire n’avait pas de motifs raisonnables de croire la preuve des infractions relatives au vol d’un appareil photo numérique et d’un ordinateur portatif se trouverait dans sa résidence, et que le mandat de perquisition a été délivré en l’absence d’un fondement probatoire suffisant. De plus, le demandeur allègue que des faits importants ont été omis ou déformés dans la demande de mandat de perquisition faite auprès du juge Crawford. Par ailleurs, le demandeur allègue que le mandat de perquisition a été exécuté d’une manière abusive et que la découverte et la saisie du téléphone cellulaire sans fils étaient illégales et en violation du droit prévu par l’article 8.

 

[18]                  L’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit ce qui suit :

 

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

 

[19]                  Il incombe au demandeur qui veut avoir un redressement fondé sur la Charte d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que son droit a été enfreint ou nié. Si ce qui est en cause est le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives et que le demandeur réussisse à faire la preuve que la perquisition était faite sans mandat, la charge de persuasion passe à la poursuite qui doit montrer, selon la prépondérance des probabilités, que la perquisition n’était toutefois pas abusive[1].

 

[20]                  Je traiterai un par un les trois articles présentés en preuve par la poursuite.

 

[21]                  En ce qui concerne l’appareil photo numérique Nikon, le demandeur avance deux grands arguments. Il est allégué, premièrement, que le mandat de perquisition a été demandé et accordé de façon irrégulière et, deuxièmement, que la perquisition en vertu du mandat a été menée d’une manière abusive. Je traiterai ces deux arguments dans cet ordre.

 


[22]                  Le premier argument avancé par le demandeur se rapporte au caractère suffisant et au bien-fondé de la dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition à la suite de laquelle le mandat de perquisition a été accordé. La droit à appliquer à l’examen d’un mandat de perquisition en ce qui concerne le caractère suffisant des renseignements sur lesquels il a été délivré est bien établi.

 

[23]                  Dans l’arrêt R. c. Garofoli [2], la Cour suprême du Canada a examiné le critère à appliquer dans les cas où une allégation d’atteinte au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti à l’article 8 de la Charte comporte la contestation d’une méthode d’enquête autorisée par un juge. Dans cette affaire, la police a obtenu une autorisation judiciaire pour intercepter des communication privées en vertu du Code criminel dans le cadre d’une enquête sur une infraction en matière de drogue. Le juge Sopinka, s’exprimant au nom de la majorité, a déclaré que, pour déterminer si la perquisition autorisée par un juge était raisonnable au sens de l’article 8, le tribunal d’examen devait examiner si les exigences légales en ce qui concerne la délivrance de l’autorisation avaient été remplies et que si le tribunal d’examen concluait, d’après les éléments de preuve qui lui étaient présentées, que le juge qui a accordé l’autorisation pouvait le faire à bon droit, le tribunal d’examen ne devait pas intervenir, et l’autorisation devait être maintenue. Il a écrit ce qui suit au paragraphe 56 :

 

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l'autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l'autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision conclut que le juge qui a accordé l'autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d'être nécessaires à la révision leur seul effet est d'aider à décider s'il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l'autorisation.

 

[24]                  L’affaire Garofoli visait une autorisation judiciaire pour intercepter des communication privées , mais il est clair que le critère adopté par le juge Sopinka s’applique aussi à l’examen d’un mandat de perquisition délivré en vertu de l’article 487 du Code criminel. Dans l’arrêt R. c  Grant[3], la Cour suprême du Canada a examiné la validité d’un mandat de perquisition prévu au Code criminel ayant été délivré, en partie, sur le fondement de constatations faites par la police au cours d’une perquisition périphérique sans mandat et, par conséquent, inconstitutionnelles. Le juge Sopinka a réitéré le critère qu’il avait déjà énoncé dans l’arrêt Garofoli et il a poursuivi dans les termes suivants (au paragraphe 50) :

 


Dans l'arrêKokesch, précité[4], notre Cour a statué que les éléments de preuve obtenus au cours d'une perquisition menée en vertu d'un mandat devaient être exclus en vertu du par. 24(2) de la Charte dans le cas où le mandat a été obtenu sur la foi d'une dénonciation relatant des faits dont la police n'a pu être au courant que par suite d'une violation de la Charte. Toutefois, dans des circonstances comme en l'espèce où la dénonciation faisait état d'autres faits que ceux obtenus en contravention de la Charte, le tribunal qui siège en révision doit examiner si le mandat aurait été décerné sans la mention, dans la dénonciation faite sous serment aux fins de l'obtention du mandat, des faits obtenus d'une façon abusive : Garofoli, précité. De cette façon, le ministère public ne peut profiter des actes illégaux des policiers, sans être forcé de renoncer à des mandats de perquisition qui auraient été décernés de toute façon.

 

[25]                  Quelles sont alors les exigences légales pour que soit décerné un mandat de perquisition en vertu de l’article 487 du Code criminel? Dans la mesure où il s’applique à la preuve présentée dans le cadre de cette demande, le paragraphe 487(1) se lit comme suit :

 

Un juge de paix qui est convaincu, à la suite dune dénonciation faite sous serment selon la formule 1, quil existe des motifs raisonnables de croire que, dans un bâtiment, contenant ou lieu, se trouve, selon le cas :

 

aune chose à légard de laquelle une infraction à la présente loi, ou à toute autre loi fédérale, a été commise ou est présumée avoir été commise;

 

bune chose dont on a des motifs raisonnables de croire quelle fournira une preuve touchant la commission dune infraction ou révélera lendroit où se trouve la personne qui est présumée avoir commis une infraction à la présente loi, ou à toute autre loi fédérale;

 

[...]

 

peut à tout moment décerner un mandat autorisant un agent de la paix ...

 

d)  dune part, à faire une perquisition dans ce bâtiment, contenant ou lieu, pour rechercher cette chose et la saisir ...

 

[26]                  Ainsi, les conditions légales préalables à la délivrance d’un mandat de perquisition en vertu de l’article 487 du Code criminel sont des motifs raisonnables de croire, premièrement, qu’une infraction ait été commise, et, deuxièmement, que la chose à l’égard de laquelle l’infraction a été commise, ou une preuve de l’infraction, peut se trouver dans un lieu précis.

 

[27]                  En l’espèce, rien ne donne à penser que la dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition, faite sous serment par le caporal Comer, ne divulguait pas des motifs raisonnables de croire qu’une infraction avait été commise. L’opposition, en l’espèce, vise le caractère suffisant de la dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition pour appuyer la conclusion que la preuve de l’infraction, autrement dit, que les articles volés eux-mêmes, puissent se trouver dans la résidence du demandeur.

 


[28]                  Quels sont les éléments grâce auxquels le juge saisi de la demande de mandat peut être convaincu qu’un mandat de perquisition devrait être délivré? Un simple soupçon ne constitue pas un fondement suffisant pour permettre la délivrance d’un mandat de perquisition. Ce n’est que lorsque les renseignements obtenus dans le cadre de l’enquête vont au-delà du simple soupçon, à l’égard de la norme de la « probabilité fondée sur la crédibilité », que les intérêts de l’État dans l’application de la loi l’emportent sur l’intérêt privé du particulier de ne pas être importuné. La norme de la « probabilité fondée sur la crédibilité » en ce qui concerne la délivrance d’un mandat de perquisition est bien antérieure à la Charte[5], mais cette norme revêt maintenant une importance constitutionnelle[6].

 

[29]                  L’examen d’une dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition devrait tenir compte de la nature et de l’objet du processus de perquisition mandaté par un juge. Dans sa décision rendue en Ontario dans l’arrêt R. c. Sanchez[7] , le juge Hill a proposé des directives en matière d’examen, savoir :

 

[TRADUCTION]

Les mandats de perquisition sont des outils denquête autorisés par la loi qui sont délivrés le plus souvent avant que des procédures pénales [ne soient] intentées. Pratiquement toujours, lagent de la paix prépare le mandat de perquisition et la dénonciation sans avoir dun avis juridique. La spécificité et la précision juridiques à laquelle on sattend dans la rédaction des actes de procédure à létape du procès ne sont pas au niveau de la qualité exigée dans une dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition : (jurisprudence citée) ...

 

La démarche appropriée en ce qui concerne lexamen dune dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition consiste à examiner lensemble du document, et non pas à se limiter à un passage ou à un paragraphe isolé. Le renvoi à lensemble des données qui figurent sur la dénonciation permet davoir le contexte juste et raisonnable en ce qui concerne les affirmations en cause : (jurisprudence citée) . . .

 


Lauteur ou le déposant dune dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition est tenu de déclarer les faits obtenus dans le cadre de lenquête dune manière suffisante pour établir des motifs raisonnables de croire quune infraction a été commise, que les choses à rechercher fourniront une preuve et que les choses en cause seront découvertes dans un lieu précis. Le juge saisi de la demande de mandat est en droit de tirer des conclusions raisonnables des faits déclarés, et linformateur nest pas tenu de souligner ce qui est évident : (jurisprudence citée) ... À cet égard, il conviendrait de faire montre dune certaine retenue à légard de la capacité dun agent de la paix formé de tirer des conclusions et de faire des déductions qui pourraient bien dépasser celles dune personne inexpérimentée : (jurisprudence citée) ... La cause probable ne découle toutefois pas dun récit purement constitué de conclusions. Une dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition nest pas un mémoire de la Couronne, et le déposant nest pas tenu de consigner chaque mesure prise dans le cadre de lenquête : (jurisprudence citée).

 

[30]                  En plus de ces directives, le tribunal d’examen devrait tenir compte de ces principes. L’omission de divulguer au juge qui a accordé l’autorisation chacun des aspects d’une enquête policière en cours n’est pas fatale[8]. Ce que le tribunal d’examen doit apprécier, c’est le caractère substantiel ou non des faits omis.

 

[31]                  La bonne foi, ou l’absence de bonne foi, de la part de l’agent qui signe la dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition constitue aussi un facteur important dans l’évaluation de l’effet de l’omission de divulguer. Dans l’arrêt R. c. Grant[9], par exemple, au paragraphe 51, l’agent a omis de divulguer une des perquisitions périphériques. La non-divulgation de bonne foi n’a pas alors été considérée comme fatale pour la validité du mandat de perquisition.

 

[32]                  En tenant compte de ces directives et de ces principes, je passe à l’examen de la dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition qui a été présentée à madame le juge Crawford lorsque celle-ci a délivré le mandat de perquisition dans cette affaire. Je le répète, mon rôle n’est pas de juger si j’aurais accordé un mandat de perquisition sur la foi des renseignements qui étaient présentés au juge Crawford. En revanche, je le répète, je dois établir si, au vu de l’ensemble de la preuve qui m’a été soumise, il continue d’exister un fondement qui aurait permis au juge ayant accordé l’autorisation de décerner le mandat à bon droit.

 

[33]                  Tout d’abord, et eu égard seulement aux renseignements divulgués dans la dénonciation sous serment en vue dobtenir un mandat de perquisition, le juge qui a accordé l’autorisation, madame le juge Crawford, aurait-elle pu estimer qu’il existait une probabilité fondée sur la crédibilité que l’appareil photo manquant se trouve dans la résidence du demandeur?

 


[34]                  Selon ce qui est stipulé dans la dénonciation, le demandeur était en possession d’un appareil photo Nikon D1X dont il ne savait pas se servir, et ce, quelques mois seulement après qu’un appareil de ce modèle eut disparu du service dapprovisionnement de la 14Escadre. En raison du poste qu’il occupait, le demandeur avait accès à l’appareil photo volé. L’appareil coûtait très cher, mais selon le caporal McVeigh, le demandeur semblait ne pas être certain du prix qu’il l’avait payé. Selon le caporal McVeigh, qui avait été formé pour utiliser ce type d’appareil, rien ne pouvait distinguer l’appareil photo volé, comme le montrait une photographie, de celui qu’il avait vu dans la résidence du demandeur. À mon avis, le juge qui a accordé l’autorisation avait le droit de conclure que, d’après l’ensemble de ces circonstances, la question passe du simple soupçon à une probabilité que l’appareil photo qui avait été volé au service dapprovisionnement de la 14e Escadre soit celui qui se trouvait dans la résidence du demandeur.

 

[35]                  Les éléments de preuve présentés dans le cadre du voir-dire traitent de l’état de l’enquête, selon ce qu’en savait le caporal Comer au moment où il a demandé et obtenu le mandat de perquisition. Les éléments de preuve montrent que les déclarations qu’il a faites dans la dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition correspondent précisément aux renseignements qu’il avait au moment où il a présenté sa demande de mandat de perquisition.

 

[36]                  Je conclus, d’après l’ensemble des témoignages, que le caporal Comer a agi de bonne foi en présentant la dénonciation au juge Crawford. Il est vrai que la dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition ne comprend pas tous les faits pertinents qui étaient alors connus du caporal Comer, mais ce n’est pas un critère. La dénonciation précisait, de façon juste, sur quel fondement le mandat était demandé. En réalité, il y avait des faits connus du caporal Comer qui n’étaient pas précisés dans la dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition et qui auraient pu justifier encore mieux de décerner un mandat. Par exemple, il semble que le caporal Comer ait su qu’un témoin avait vu le demandeur mettre l’appareil photo dans un camion, et l’appareil photo n’a plus jamais réapparu.

 

[37]                  Le demandeur signale plusieurs faits dans la preuve au moment de la demande qui n’avaient pas été présentés au juge Crawford au moyen de la dénonciation sous serment en vue dobtenir un mandat de perquisition faite par le caporal Comer. Par exemple :

 

1.         dans le cadre d’une conversation entre le caporal McVeigh et le demandeur qui a eu lieu au cours de l’été où l’appareil photo est disparu, le demandeur avait déclaré qu’il voulait changer de spécialité pour devenir technicien en photographie et qu’il désirait s’acheter un appareil photo Nikon D1X;

 

2.         les lentilles et le flash pour un appareil photo Nikon D1X sont vendus séparément;

 

3.         le demandeur n’était pas soupçonné par la police au début de l’enquête.

 


[38]                  Selon moi, les faits que le caporal Comer n’a pas inclus dans la dénonciation présentée au juge Crawford n’ont pas une importance telle qu’ils puissent miner le fondement sur lequel s’appuie la délivrance du mandat de perquisition. Le caporal Comer n’a pas sciemment omis de renseignements afin d’induire en erreur le juge saisi de la demande de mandat, et le juge Crawford n’a pas été induite en erreur sur un point important.

 

[39]                  Il est vrai aussi que la dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition en l’espèce n’est pas un modèle de rédaction juridique. Sur certains points, elle est incorrecte sur le plan grammatical, et les renseignements qui y sont présentés ne sont pas bien organisés. Toutefois, je ne peux pas statuer que cela témoigne d’une certaine indifférence ou insouciance de la part de l’enquêteur qui rende le mandat vicié.

 

[40]                  Enfin, le juge saisi de la demande de mandat avait le droit de se fonder sur les renseignements obtenus par le caporal Comer auprès du caporal McVeigh. Les renseignements du caporal McVeigh étaient détaillés et provenaient d’une observation directe, dénuée d’une raison apparente d’induire l’enquêteur en erreur.

 

[41]                  Je conclus donc que le mandat de perquisition a été adéquatement délivré pour ce qui est de l’appareil photo numérique Nikon et des accessoires.

 

[42]                  Le deuxième point du demandeur porte sur les actes des agents de police au moment d’exécuter le mandat de perquisition. La défense prétend que le processus de délivrance des mandats de perquisition était un stratagème pour mener un interrogatoire à l’aveuglette, en général, sur tous les biens volés au service dapprovisionnement de la 14e Escadre qui auraient pu être découverts dans la résidence du demandeur. Pour appuyer cette observation, le demandeur fait référence au nombre d’agents qui se sont livrés à la recherche de deux articles et à la séance d’information préalable à la saisie au cours de laquelle la disparition de certains articles a été expressément signalée aux agents.

 

[43]                  Je ne peux pas conclure, d’après l’ensemble des témoignages, que les agents de police aient obtenu un mandat pour l’appareil photo et l’ordinateur portatif, qui leur aurait donné carte blanche pour chercher tous les articles constituant censément des biens volés. Une telle conclusion aurait été incompatible avec la preuve évidente que j’ai acceptée et selon laquelle, dès que les articles visés par le mandat eurent été trouvés, la perquisition a cessé. Du fait qu’ils ont trouvé les articles visés par le mandat, les agents n’ont pas perquisitionné l’étage supérieur de la résidence.

 


[44]                  Selon moi, les éléments de preuve permettent de conclure que les agents devaient seulement être au courant de l’existence d’autres biens éventuellement volés, mais que le but visé de la perquisition était d’exécuter le mandat pour les deux articles décrits. Même si les agents soupçonnaient que d’autres biens volés pourraient être découverts dans le cadre de l’exécution du mandat de perquisition, j’estime que ces soupçons, de la part des policiers responsables de la fouille, ne rendent pas illégale ou abusive une perquisition légale visant à trouver les articles visés par le mandat[10].                      

 

[45]                  Le demandeur prétend que les circonstances entourant l’exécution du mandat portaient atteinte à ses droits et que la perquisition n’avait donc pas été menée de manière non abusive. L’avocat attire mon attention sur le nombre d’agents ayant pris part à l’exécution du mandat, sur leur conduite à l’égard du demandeur et de sa conjointe au cours de la perquisition et sur l’ordre dans lequel la perquisition a été menée.

 

[46]                  Je ne crois pas que ces plaintes, qu’elles soient individuelles ou collectives, permettent de qualifier la perquisition d’abusive dans les circonstances en l’espèce. Le nombre d’agents ayant pris part à l’exécution du mandat visant à perquisitionner une résidence de trois étages pour trouver un appareil photo et un ordinateur portatif n’était pas excessif. Les agents ayant participé à l’exécution du mandant semblent, selon moi, avoir eu des fonctions assignées qui étaient raisonnables, bien que ces fonctions aient pu se chevaucher ou varier à mesure que se déroulait la perquisition.

 

[47]                  Les agents étaient en droit de maintenir les occupants de la résidence sous surveillance raisonnable à mesure que se déroulait la perquisition[11], et c’est tout ce qui s’est produit en l’espèce.

 

[48]                  J’estime qu’à la fin de la perquisition et de la saisie, les agents avaient une justification suffisante pour arrêter tant le demandeur que Mme Yetman pour l’infraction de possession de biens volés. Je ne vois pas pourquoi je conclurais que Mme Yetman avait été arrêtée pour intimider le demandeur d’une certaine manière.

 

[49]                  Je ne trouve rien d’abusif voire d’inhabituel à avoir commencer la perquisition pour trouver les articles visés par le mandat au sous-sol qui, apparemment, était utilisé pour entreposer du matériel. La perquisition s’est déroulée de manière ordonnée et méthodique et elle a cessé lorsque les articles visés par le mandat ont été trouvés.

 


[50]                  Seize articles ont été pris dans la résidence, en plus des trois en cause dans la présente demande. À une ou plusieurs reprises depuis la saisie, ces articles ont apparemment été retournés au demandeur, mais les circonstances ne m’ont pas été communiquées en preuve. D’après les éléments de preuve que j’ai entendus, je ne suis pas convaincu que la saisie de ces autres articles ait été abusive au point de rendre la perquisition abusive elle aussi.

 

[51]                  En conclusion, je conclus que la manière dont la perquisition de la résidence a été effectuée n’était pas abusive, compte tenu de toutes les circonstances.

 

[52]                  Par conséquent, il n’y a eu aucune violation du droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives pour ce qui est de l’appareil photo Nikon D1X et des accessoires. En conséquence, cet article est admissible à titre d’élément de preuve dans le cadre du procès.

 

[53]                  Les éléments de preuve portés à la connaissance du juge Crawford concernant l’ordinateur portatif étaient, en réalité, peu nombreux. La dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition appuie suffisamment la conclusion qu’un ordinateur portatif noir et gris de marque Panasonic portant le numéro de série précisé avait été volé en mars 2003 après avoir été laissé sur un chariot dans l’entrepôt du service dapprovisionnement de la 14e Escadre, Hangar 2, lieu auquel le demandeur avait accès. Toutefois, la dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition ne fournit pas d’élément pour conclure que l’ordinateur portatif noir et gris de marque Panasonic que le caporal McVeigh avait vu dans la résidence du demandeur était bel et bien celui qui avait été volé dans le Hangar 2.

 

[54]                  Les témoignages entendus dans le cadre de la présente demande sont tout aussi insuffisants pour appuyer une telle conclusion. Je conclus qu’il n’y avait aucun motif raisonnable pour conclure que le demandeur était en possession de l’ordinateur portatif volé au moment où le mandat de perquisition a été demandé et obtenu et, par conséquent, aucun mandat n’aurait dû être délivré concernant l’ordinateur portatif. Le demandeur a prouvé qu’il y avait eu violation de son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, un droit garanti par la Charte, pour ce qui est de l’ordinateur portatif.

 

[55]                  Cette conclusion ne vise en rien la validité du mandat de perquisition dans la mesure où il permettait la perquisition, la fouille et la saisie en ce qui concerne l’appareil photo Nikon D1X et ses accessoires. Selon moi, la doctrine de la divisibilité s’applique puisque la partie invalide du mandat concernant l’ordinateur portatif est clairement divisible de la partie valide concernant l’appareil photo Nikon[12].

 


[56]                  Un téléphone portatif a été saisi au cours de l’exécution du mandat de perquisition et présenté en preuve dans le présent voir-dire. Il n’était pas question du téléphone portatif dans le mandat de perquisition décerné par le juge Crawford ou dans la dénonciation en vue dobtenir un mandat de perquisition. Ainsi, la saisie du téléphone portatif était une saisie sans mandat, et il incombe donc à la poursuite de prouver que la saisie de cet objet n’était pas abusive[13]. Une saisie sans mandat sera jugée non abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même est raisonnable et si la saisie a été effectuée de manière non abusive[14].

 

[57]                  La poursuite allègue que le téléphone portatif a été saisi parce qu’il était bien en vue. La théorie des objets bien en vue permet la saisie d’un article si un agent de police est légalement présent sur les lieux où l’élément de preuve a été découvert et s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’article peut être lié à une activité criminelle[15]. De plus, l’article découvert doit être immédiatement évident pour le policier responsable de la saisie, et la découverte doit avoir lieu par inadvertance[16].

 

[58]                  Le seul élément de preuve concernant la saisie du téléphone portatif a été fourni par le caporal Comer. Selon le témoignage du caporal, le téléphone portatif aurait été découvert au mur de la cuisine de la résidence du demandeur. Le caporal Comer a vu le sergent Brown examiner le téléphone pour y trouver le numéro de série, et le sergent Brown a ensuite saisi le téléphone. Selon le caporal Comer, le numéro de série du téléphone correspondait à celui du téléphone portatif déclaré volé.

 

[59]                  Le sergent Brown n’a pas été cité à témoigner dans le cadre de la demande. Aucun élément de preuve n’a été présenté sur la justification que le sergent Brown croyait avoir quand il a saisi le téléphone portatif . En l’absence d’un élément de preuve à cet effet, je ne peux pas conclure que le sergent exerçait son pouvoir de common law, savoir celui de saisir un objet bien en vue.

 

[60]      L’article 489 du Code criminel est énoncé de la manière suivante :

 

(1) Quiconque exécute un mandat peut saisir, outre ce qui est mentionné dans le mandat, toute chose quil croit, pour des motifs raisonnables :

 

a) avoir été obtenue au moyen dune infraction à la présente loi ou à toute autre loi fédérale;

 

b) avoir été employée à la perpétration dune infraction à la présente loi ou à toute autre loi fédérale;

 

c) pouvoir servir de preuve touchant la perpétration dune infraction à la présente loi ou à toute autre loi fédérale.


(2) Lagent de la paix ou le fonctionnaire public nommé ou désigné pour lapplication ou lexécution dune loi fédérale ou provinciale et chargé notamment de faire observer la présente loi ou toute autre loi fédérale qui se trouve légalement en un endroit en vertu dun mandat ou pour laccomplissement de ses fonctions peut, sans mandat, saisir toute chose quil croit, pour des motifs raisonnables :

 

a) avoir été obtenue au moyen dune infraction à la présente loi ou à toute autre loi fédérale;

 

b) avoir été employée à la perpétration dune infraction à la présente loi ou à toute autre loi fédérale;

 

c) pouvoir servir de preuve touchant la perpétration dune infraction à la présente loi ou à toute autre loi fédérale.

 

[61]                  Cette disposition pourrait aussi autoriser la saisie du téléphone portatif en l’espèce. Une fois de plus, toutefois, en l’absence de tout élément de preuve sur la justification que le sergent Brown croyait avoir quand il a saisi le téléphone portatif , je ne peux pas conclure qu’il s’appuyait sur ce pouvoir légal pour procéder à la saisie[17].

 

[62]                  Je conclus que la poursuite n’a pas réussi à faire la preuve de la justification avec laquelle la saisie sans mandat du téléphone portatif a été faite. Il y a donc eu violation du droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives pour ce qui est du téléphone portatif.

 

[63]                  Le demandeur cherche à faire exclure l’élément de preuve concernant l’ordinateur portatif et le téléphone portatif, et ce, à titre de réparation pour la violation du droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, un droit garanti par la Charte. L’article 24 de la Charte prévoit ce qui suit :

 

(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

 

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

 


[64]                       C’est à la personne victime de la violation ou de la négation des droits ou libertés qui demande réparation qu’il incombe de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice aux yeux d’une personne raisonnable qui est impartiale et bien informée des circonstances de l’affaire.

 

[65]                  Les tribunaux tiennent compte de trois types de facteurs lorsqu’ils rendent une décision en vertu du paragraphe 24(2)[18]. Le premier ensemble de facteurs porte sur l'effet de l'utilisation de la preuve sur l'équité du procès. Lorsque la preuve en cause existait indépendamment de la violation du droit garanti par la Charte, son utilisation en preuve aura rarement une incidence sur l’équité du procès. Mais lorsque la preuve est obtenue en mobilisant l'accusé contre lui-même, il y a un effet direct sur l'équité du procès. Une preuve sera classée comme une preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui-même lorsque « laccusé, en violation de ses droits garantis par la Charte, est forcé de sincriminer sur lordre de lÉtat au moyen dune déclaration, de lutilisation de son corps ou de la production de substances corporelles »[19]. Selon moi, ni l’ordinateur portatif ni le téléphone sans fil ne peuvent être classés comme une preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui-même, et je dois maintenant examiner les deux autres groupes de facteurs.

 

[66]                  À mon avis, la fouille, la perquisition et la saisie de l’ordinateur portatif constituait une violation grave du droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, un droit garanti par la Charte. Il n’y avait aucun motif raisonnable de croire que l’ordinateur serait trouvé dans la résidence du demandeur. Aucun mandat de perquisition n’aurait dû être délivré concernant cet article.

 

[67]                  Dans le même ordre d’idées, j’estime que l’absence total de motif formulé de manière appropriée pour justifier la saisie du téléphone sans fil est grave. Il est vrai que les agents de police se trouvaient légalement à l’intérieur de la résidence du demandeur lorsque la saisie a été effectuée. Ainsi, le droit à la protection de la vie privée du demandeur, qui est protégé par le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, était déjà restreint, et ce, de manière légale. Néanmoins, le demandeur avait le droit de jouir en toute sécurité de ses effets personnels, à moins que la poursuite n’apporte une justification légale pour brimer ce droit, et jusqu’à ce qu’elle le fasse.

 


[68]                  Le troisième groupe de facteurs concerne l’effet de l’exclusion de la preuve. Ce principe reconnaît que l’exclusion de la preuve est, en soi, susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, surtout lorsque la preuve est indispensable ou capitale pour prouver des accusations criminelles graves. En l’espèce, l’exclusion de la preuve pour ce qui est de l’ordinateur portatif et du téléphone sans fil entraînera l’acquittement du demandeur sur les accusations concernant ces deux articles. L’infraction de vol est une infraction grave, mais les faits en l’espèce, comme ils sont établis dans la preuve présentée dans le cadre de la présente demande, montrent que l’infraction de vol de l’ordinateur portatif ne compte pas parmi les cas de vol graves. Les infractions de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, savoir la possession inappropriée de biens publics, ont une gravité moindre en quelque sorte.

 

[69]                  Après examen de tous ces facteurs, j’en conclus que l’administration de la justice serait davantage déconsidérée si l’on accueillait en preuve l’ordinateur portatif et le téléphone sans fil que si on les excluait.                      

 

[70]                  Pour ces motifs, j’ai rendu, en date du 22 juin 2005, une ordonnance visant à accueillir la demande, en partie, et j’ai statué que l’ordinateur portatif et le téléphone portatif devaient être exclus de la preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

 

 

 

                                                               CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M

 

Avocats :                    

 

Major J.J. Samson, Procureur militaire régional, Atlantique

Procureur de Sa Majesté la Reine

Major S.D. Richards, Procureur militaire régional, Atlantique

Procureur de Sa Majesté la Reine

Major R.F. Holman, Procureur militaire régional, Ottawa.

Procureur adjoint de Sa Majesté la Reine

Major A.E. Appolloni, Direction du service davocats de la défense

Avocat du caporal R.D. Parsons

Lieutenant de vaisseau Reesink, Direction du service davocats de la défense

Avocat du caporal R.D. Parsons

 



[1] R. c. Collins 1987 1 R.C.S. 265, page 278.

[2] 1990 2 R.C.S. 1421.

[3] 1993 3 R.C.S. 223. Voir aussi R. c. Wiley 1993 3 R.C.S. 263.

[4] R. c. Kokesch 1990 3 R.C.S. 3.

[5] Voir Renvoi : Église de scientologie et la Reine (1987) 31 C.C.C. (3d) 449, à la page 504 (C.A. Ont.) (Autorisation de pourvoi devant la CSC refusée 1987 1 R.C.S. (vii).

[6] Hunter c. Southam Inc.1984 2 R.C.S. 145, page 167.

[7] (1995) 93 C.C.C. (3d) 357, page 364.

[8] R. c Breton (1994) 93 C.C.C. (3d) 171 (C.A. Ont.)

[9] Précité, note de bas de page 3.

[10] R. c. Annett (1984) 17 C.C.C. (3d) 332 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée le 4 mars 1985.

[11] Levitz c. Ryan (1972) 9 C.C.C. (2d) 182 (C.A. Ont.).

[12] Grabowski c. La Reine 1985 2 R.C.S. 434, page 453; Re Regina and Johnson and Franklin Wholesale Distributors (1971) 3 C.C.C. (2d) 484 (C.A.C.-B.).

[13] R. c. Kokesch, précité, note de bas de page 4.

[14] R. c. Collins 1987 1 R.C.S. 265, page 278, par le juge Lamer.

[15] R. c. Spindloe (2001) 154 C.C.C. (3d) 8 (C.A. Sask.).

[16] R. c. Fawthrop (2002) 166 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.).

[17] Ibid.

[18] R. c. Collins 1987 1 R.C.S. 265.

[19] R. c. Stillman [1997] 1 R.C.S. 607, paragraphe 80.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.