Cour martiale
Informations sur la décision
Résumé :
Date de l’ouverture du procès : 17 août 2005.
Endroit : Manège militaire Jefferson, 11630 - 109e rue, Edmonton (AB).
Chefs d’accusation:
• Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 : Art. 130 LDN, trafic (art. 5(1) LRCDAS).
Résultats:
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 8, 9 : Non coupable. Chefs d’accusation : 2, 3, 4, 5, 6, 7 : Coupable.
• SENTENCE : Emprisonnement pour une période de neuf mois.
Contenu de la décision
Page 1 de 7 Référence : R. c. L’ex-caporal D.D. Beek, 2005CM32 Dossier : C200532 COUR MARTIALE PERMANENTE CANADA EDMONTON, ALBERTA 1 er RÉGIMENT DE GÉNIE Date : le 24 septembre 2006 SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M. SA MAJESTÉ LA REINE c. L’EX-CAPORAL D.D. BEEK DÉCISION SUR UNE DEMANDE D’ANNULATION DE CITATIONS À COMPARAÎTRE TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE [1] La cour est saisie d’une demande en vue de faire annuler deux citations à comparaître délivrées aux termes de la Loi sur la défense nationale. [2] L’ex-Caporal Beek est accusé d’un certain nombre d’infractions à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui sont également des infractions d’ordre militaire conformément à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale. À son procès devant la cour martiale permanente, et avant d’enregistrer son plaidoyer, il a présenté un avis de demande visant à faire déclarer inopérant l’article 165.14 de la Loi sur la défense nationale pour cause d’incompatibilité avec l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, et pour faire annuler l’ordre de convocation ou, de manière subsidiaire, pour ordonner l’arrêt des procédures. [3] L’article 165.14 de la LDN permet au directeur des poursuites militaires (DPM) de déterminer : [...] le type de cour martiale devant juger l’accusé[...].
Page 2 de 7 En fait, de déterminer s’il s’agira d’une cour martiale permanente, générale ou disciplinaire. Cette décision doit être prise au moment où le DPM porte une accusation à être instruite par une cour martiale. [4] L’avis de la demande écrit a été versé au dossier comme pièce M1-1. Il est daté du 9 mars 2006 et annonçait la présentation de la demande devant cette cour le 23 mai 2006, à Edmonton. [5] Le 10 mai 2006, l’avocat de la défense a demandé que deux témoins soient cités à comparaître en vertu de l’article 249.22 de la Loi sur la défense nationale pour venir témoigner de vive voix relativement à la demande de son client. Ces témoins étaient le Capitaine de vaisseau MacDougall, le directeur des poursuites militaires, et le Lieutenant-colonel Fullerton, le directeur-adjoint des poursuites militaires [6] Le 23 mai 2006, lorsque l’audience s’est ouverte comme prévu, M e Barber, un avocat du ministère fédéral de la Justice, a comparu et a informé la cour qu’il représentait le procureur général du Canada et qu’il avait reçu instruction de demander à la cour d’annuler les citations à comparaître du Capitaine de vaisseau MacDougall et du Lieutenant-colonel Fullerton. Indépendamment des objections de la défense, la cour a décidé le 25 mai 2006 qu’elle entendrait les observations de M e Barber au sujet de sa demande d’annulation des citations à comparaître. [7] Le 25 mai et le 5 juin, la cour a procédé à l’audition des arguments relatifs à la demande, et le 6 juin, elle a décidé d’annuler les citations des deux témoins en question, en reportant le prononcé des motifs de sa décision. Voici maintenant les motifs de cette décision. [8] Le tribunal peut citer tout témoin à comparaître : [TRADUCTION] La constitution reconnaît à tout sujet du royaume ayant une cause devant les tribunaux le droit incontestable de citer un concitoyen à témoigner des faits dont il a connaissance dans cette affaire; et toute personne a l’obligation de témoigner, à moins d’une exemption spéciale ou que l’information recherchée soit confidentielle au regard de la loi 1 . [9] Dans les instances pénales, les deux parties peuvent obtenir une assignation à comparaître pour contraindre les témoins nécessaires à comparaître. Ce pouvoir se trouve à l’article 698 du Code criminel dont le paragraphe (1) est ainsi rédigé : 1 Voir le M.R. Smith dans l’arrêt Butler v. Moore, telle que citée dans l’ouvrage de Mewett et Sankoff intitulé Witnesses, 2005, p. 5-2.
Page 3 de 7 698. (1) Lorsqu’une personne est susceptible de fournir quelque preuve substantielle dans une procédure visée par la présente loi, une assignation peut être lancée conformément à la présente partie lui enjoignant d’être présente afin de témoigner. [10] Dans toute procédure entreprise sous le régime du Code de discipline militaire prévu à la Loi sur la défense nationale, un témoin peut être cité à comparaître devant une cour martiale conformément au paragraphe 249.22(1) qui prévoit 2 : 249.22 (1) Quiconque est tenu de témoigner devant la cour martiale peut être cité à comparaître par un juge militaire, l’administrateur de la cour martiale ou la cour martiale. [11] Aucune norme fixée par une loi ou un règlement ne régit la délivrance à un témoin d’une citation à comparaître aux termes de la LDN et, en pratique, la citation est généralement délivrée par l’administrateur de la cour martiale à la demande d’une partie. Cependant, il est évident que le pouvoir de délivrer une citation existe afin d’obtenir le témoignage d’un témoin qui est pertinent en ce qui concerne une affaire dont est saisi le tribunal, et que ce pouvoir ne peut être utilisé de façon arbitraire ou pour une fin illégitime. [12] Toute assignation délivrée aux termes du Code criminel est susceptible d’être annulée à moins que le témoin ne soit visiblement en mesure d’offrir un témoignage utile 3. Dans ce cas, « utile » veut tout simplement dire « pertinent » 4 . Dès lors qu’une assignation est contestée, il appartient à la partie qui en a demandé la délivrance d’établir l’existence d’une prépondérance de probabilités que le témoignage sera pertinent 5. [13] La cour estime que le critère applicable pour annuler une citation à comparaître aux termes de la LDN est le même que celui qui est prévu à l’article 698 pour les infractions au Code criminel. L’avocat de l’accusé reconnaît d’ailleurs dans sa plaidoirie écrite que la question soulevée par cette demande d’annulation est de savoir si les témoins sont susceptibles de fournir un témoignage pertinent 6 . [14] Dans sa plaidoirie, l’avocat de l’accusé précise les domaines dans lesquels il souhaite poser des questions aux deux témoins. Ces domaines sont 2 Voir les Ordonnances et règlements royaux applicables aux forces canadiennes, art.111.09 3 R. c. Harris (1994) 93 C.C.C. (3d) 478 (C.A. de l’Ont.) autorisation de pourvoi devant la CSC refusée. 4 R. c. Regan (1997) 113 C.C.C. (3d) 237 (C.A. de la N.-É.) 5 R. c. Yarema (1996) 27 O.R. (3d) 177 (C.J.O. Div. gén.) 6 Pièce M1-3, Réponse de la défense à la demande du DPM et du DPMA pour obtenir l’annulation de leurs citations à comparaître, page 3.
Page 4 de 7 reliés de façon très générale aux politiques et aux pratiques de la DPM lorsqu’elle décide du type de cour martiale à constituer dans un cas particulier, et notamment toute politique législative ou directive adressée à la DPM, de même que les politiques spécifiques et toute considération utilisées par la DPM pour décider du type de cour martiale à constituer. De plus, l’avocat de la défense souhaite examiner si les critères utilisés sont objectifs ou subjectifs et s’il existe une politique relativement à la possibilité d’offrir à l’accusé le choix du type de cour martiale appelée à le juger. La défense souhaite aussi interroger les témoins relativement à un énoncé de politique portant le numéro 16/06, la pièce M1-5 du dossier de la cour, apparemment entré en vigueur après que ce tribunal a été constitué en cour martiale permanente, à toute garantie instituée pour prévenir un abus de ce pouvoir et à toute instruction donnée aux procureurs militaires sur l’application de la nouvelle politique. La défense désire savoir si certains facteurs tels que la probabilité d’obtenir une condamnation ou le coût et l’utilité sont pris en compte, et comment les observations de l’accusé sont évaluées par la poursuite. Elle désire aussi savoir si la nouvelle politique a été appliquée dans la présente affaire, ou dans d’autres affaires présentement en cours, et, si ce n’est pas le cas, pourquoi? Enfin, elle désire savoir si la pratique en vigueur dans d’autre pays a été prise en compte dans l’élaboration de la politique actuelle et quelle est la pertinence, le cas échéant, du grade de l’accusé, de la gravité de l’infraction et de la peine recherchée, et, si ces facteurs sont pertinents, la façon dont ils interviennent dans la décision prise sous le régime de l’article 165.14. [15] Le témoignage anticipé du Lieutenant-colonel Fullerton porterait sur les mêmes questions que la cour vient tout juste d’énumérer. Qui plus est, l’avocat informe la cour que le Lieutenant-colonel Fullerton pourrait témoigner sur les critères utilisés dans la décision de procéder devant une cour martiale permanente dans la présente affaire. [16] L’expertise des témoins proposés dans les questions soulevées n’est aucunement contestée. Mais la question qui se pose est celle de savoir si les questions soulevées ont quelque pertinence dans la contestation de la constitutionnalité de l’article 165.14. [17] La pertinence de celles-ci dépend des questions soulevées dans l’avis de demande. En l’espèce, la demande invoque les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’article 7 de la Charte et le droit à un procès équitable garanti par l’alinéa 11f) de la Charte. Les questions fondamentales sont donc de savoir si le pouvoir conféré par l’article 165.14 se trouve à violer un principe de justice fondamentale ou le droit à un procès équitable. S’il y a violation de la Charte, le demandeur s’adresse à la cour pour faire annuler son ordre de convocation, ou pour arrêter les procédures. La question ici est de savoir si les réparations demandées sont justes et adaptées, compte tenu de l’ensemble des circonstances.
Page 5 de 7 [18] Au soutien des citations à comparaître dans cette affaire, on prétend, en citant l’arrêt Mackay c. Manitoba 7 qu’il n’est pas possible d’invoquer une violation de la Charte en l’absence de tout contexte factuel. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada devait examiner une disposition législative provinciale prévoyant le remboursement à même les fonds publics d’une partie des dépenses électorales d’un candidat si celui-ci ou son parti recueillait un nombre suffisant de votes. On plaidait que le financement de certains partis politiques ayant reçu un certain nombre de votes se trouvait à violer la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte. La Cour fit remarquer qu’on ne lui avait pas soumis la moindre preuve quant aux effets nocifs, s’il y a lieu, que cette disposition aurait pu avoir sur l’exercice par le demandeur de sa liberté d’expression et elle s’abstint de se prononcer sur sa validité constitutionnelle en l’absence d’une preuve à cet effet. [19] La cour estime que le principe très large énoncé dans l’arrêt Mackay ne s’applique pas en l’espèce. En effet, il n’est nullement prétendu qu’il est question des effets de la loi sur l’exercice des droits que la Charte garantit à l’accusé. Et même si tel était le cas, personne ne prétend que les témoins proposés pourraient offrir un témoignage pertinent sur la question. [20] La cour est d’accord avec l’avocat des témoins proposés pour dire que la politique de la DPM relativement aux circonstances dans lesquelles et à propos desquelles elle choisira un type de cour martiale plutôt qu’un autre n’a aucune pertinence lorsque vient le moment de trancher la question de la validité constitutionnelle du pouvoir de décision conféré par l’article 165.14. [21] Aucune politique ou pratique administrative, aussi équitable son application soit-elle, ne saurait valider une loi que cette politique aurait pour but de mettre en oeuvre, si cette loi était elle-même invalide pour le motif qu’elle se trouverait à violer un droit garanti par la Charte. Ainsi, dans l’arrêt R. c. Smith 8 , la Cour suprême du Canada s’est penché sur la protection offerte par la Charte contre tous traitements ou peines cruels et inusités et elle a invalidé une disposition de la Loi sur les stupéfiants qui prévoyait une peine minimale d’emprisonnement de sept ans pour l’importation d’un stupéfiant. Le juge Lamer, alors juge à la Cour suprême, à l’opinion duquel le juge en chef Dickson avait souscrit, s’inquiétait tout particulièrement de l’application de la peine minimale au cas hypothétique d’un jeune contrevenant à sa première infraction qui entrerait au Canada en possession d’un seul joint de marijuana et qui se retrouverait passible, en vertu de cette disposition, d’une peine aussi disproportionnée. Le ministère public a tenté de justifier cette disposition législative en plaidant que, dans un tel cas, la poursuite utiliserait son pouvoir discrétionnaire de poursuivre l’accusé pour une 7 8 [1989] 2 R.C.S. 357. [1987] 1 R.C.S. 1045
Page 6 de 7 infraction plus légère, de façon à éviter l’application de la peine minimale. Le juge Lamer a répondu à cet argument de la façon suivante, au paragraphe 68 : 68. Dans son mémoire, le ministère public soutient que de telles violations éventuelles peuvent être évitées, et le sont vraiment, par l’utilisation appropriée du pouvoir discrétionnaire du ministère public d’inculper pour une infraction moindre. 69. À mon avis, l’article ne peut pas être sauvegardé en invoquant ce pouvoir discrétionnaire qu’a le ministère public de ne pas appliquer la loi dans les cas où il estime que son application entraînerait une violation de la Charte. Ce serait là ignorer totalement l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui porte que la Constitution rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit et les tribunaux ont le devoir de déclarer qu’il en est ainsi; ils ne peuvent laisser ni au ministère public ni à personne d’autre le soin d’éviter une violation. [22] À l’inverse, aucun énoncé de politique ou pratique administrative, aussi foncièrement mauvais, arbitraire, inéquitable ou mal inspirée pourrait-t-il être ne saurait rendre invalide une mesure législative qui est par ailleurs conforme à la constitution. Ainsi, dans l’arrêt R. c. Smythe 9 , la Cour suprême du Canada s’est interrogée sur la constitutionnalité d’une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu qui permettait au procureur général, dans un cas d’évasion fiscale, de choisir, conformément au paragraphe 132(2), de procéder par voie de déclaration sommaire de culpabilité comportant une peine minimale de deux mois d’emprisonnement. L’accusé invoquait plusieurs dispositions de la Déclaration canadienne des droits garantissant à tous l’égalité devant la loi pour contester la loi. On prétendait que la loi attribuait à la poursuite un pouvoir discrétionnaire illimité de décider du mode de poursuite et que la loi en question ne prévoyait aucune norme pour encadrer ce pouvoir discrétionnaire illimité de traiter différemment des affaires différentes. Rendant la décision au nom de la Cour, le juge en chef Fauteux avait confirmé la validité de la loi, statuant, à la page 370, que : A mon avis, les vues de l’appelant ne reconnaissent pas que l’art. 132(2) n’établit en soi aucune distinction entre une personne ou classe de personnes particulière et quelque autre membre de la société et que ses dispositions, qui s’appliquent assurément sans distinction à tout le monde, confèrent simplement au procureur général du Canada le pouvoir de décider, selon son propre jugement et dans tous les cas, le mode de poursuite des infractions décrites à l’art. 132(1). Les arguments de l’appelant ne reconnaissent pas non plus que la façon dont un ministre de la Couronne exerce un pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le législateur pour la bonne administration d’un loi n’entre pas en jeu lorsqu’on examine la question de savoir si cette loi, en soi, porte atteinte au principe de l’égalité devant la loi. (Non souligné dans l’original.) 9 (1971) 3 C.C.C. (2d) 366 (SCC)
Page 7 de 7 [23] La cour estime que le témoignage susceptible d’être offert par les témoins n’a aucune incidence sur la question de savoir si l’article 165.14 de la Loi sur la défense nationale enfreint l’article 7 ou l’alinéa 11d) de la Charte. La cour n’est pas convaincue que ces témoignages pourraient être pertinents. [24] La citation à comparaître adressée au Lieutenant-colonel Fullerton est également contestée sur la base du secret professionnel. Comme la cour s’est déjà prononcée sur la pertinence du témoignage que pourrait offrir le témoin dans cette affaire, elle n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si ce témoignage pourrait être visé par le secret professionnel. [25] Par conséquent, la cour annule pour ces motifs les citations à comparaître du Capitaine de vaisseau MacDougall et du Lieutenant-colonel Fullerton. LE CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M Avocats : M e Peter Barber, CD1, Ministère de la Justice Canada, Contentieux des affaires civiles et des services de consultation, région des Prairies, 211, 10199 - 101 Street, Edmonton, Alberta Avocat des demandeurs Le Capitaine D.G. Curliss, Directeur des poursuites militaires Procureur de Sa Majesté la Reine Le Major J.B. Cloutier, Directeur des poursuites militaires Procureur de Sa Majesté la Reine Le Major S.E. Turner, Direction du service d’avocats de la défense Avocat de l’ex-Caporal D.D. Beek
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