Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 4 octobre 2005.
Endroit : 22e Escadre North Bay, édifice 33, 33 rue Manston, Hornell Heights (ON).
Chef d’accusation:
• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
Résultats:
• VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
• SENTENCE : Une amende au montant de 200$.

Contenu de la décision

Page 1 of 45 Citation : R. c. Caporal R.P. Joseph, 2005 CM 41 Dossier : C200541 COUR MARTIALE PERMANENTE CANADA ONTARIO BASE DES FORCES CANADIENNES NORTH BAY ______________________________________________________________________ Date :10 janvier 2006 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M. ______________________________________________________________________ SA MAJESTÉ LA REINE c. CAPORAL R.P. JOSEPH (Accusé-requérant) ______________________________________________________________________ DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L'ALINÉA 112.05(5)e) DES ORDONNANCES ET RÈGLEMENTS ROYAUX APPLICABLES AUX FORCES CANADIENNES RELATIVEMENT À UNE VIOLATION DE L'ALINÉA 11d) DE LA CHARTE CANADIENNE. (Rendue oralement) ______________________________________________________________________

TRADUCTION OFFICIELLE FRANÇAISE INTRODUCTION [1] Il s’agit d’une requête présentée en vertu de l’alinéa 112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes au motif que la Cour martiale permanente n’est pas un tribunal indépendant au sens de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), parce que les juges militaires qui président ces cours martiales n’ont pas des garanties suffisantes d’indépendance judiciaire. La requête est l’une des trois demandes similaires qui ont été adressées à des cours martiales permanentes présidées par ce juge militaire. Les autres causes sont celles de la cour martiale permanente du Caporal H.P. Nguyen qui a débuté le 12 octobre 2005 à Sherbrooke, Québec, et celle de la cour martiale permanente de l’ex-Matelot de 1 er classe Lasalle qui a débuté le 1 er novembre à Gatineau au Québec, le 1 er novembre 2005. [2] Ces requêtes soulèvent, pour la première fois depuis les arrêts R. c. Lauzon [1998] A.C.A.C. n o 5 et R. C. Bergeron [1999] A.C.A.C. n o 3, la question

Page 2 of 45 de l’indépendance judiciaire des cours martiales à la lumière de l’alinéa 11d) de la Charte, à la suite des modifications apportées à la Loi sur la défense nationale et à ses règlements d’application depuis 1998. Dans l’arrêt récent Assoc. des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick c. Nouveau Brunswick (Ministre de la Justice); Assoc. des juges de l’Ontario c. Ontario (Conseil de gestion); Bodner c. Alberta; Conférence des juges du Québec c. Québec (Procureur général); Minc c. Québec (Procureur général) 2005, CSC 44, au paragraphe 4, la Cour suprême nous rappelait que :

[l]e principe de l’indépendance de la magistrature tire ses origines à la fois de la common law et de la Constitution canadienne; voir Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, p. 70-73; Ell c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 857, 2003 CSC 35, par. 18-23. On a qualifié l’indépendance de la magistrature d’« élément vital du caractère constitutionnel des sociétés démocratiques » (Beauregard, p. 70) qui « existe au profit de la personne jugée et non des juges » (Ell, par. 29). [...]

La présente cour croit fermement que ces principes s’appliquent aux cours martiales au Canada. Malgré leurs fonctions importantes, les juges militaires qui président aux cours martiales ont une compétence plus limitée que celle des juges des cours supérieures ou provinciales. Les juges militaires statuent sur des affaires pénales ou disciplinaires relatives à des personnes, civiles ou militaires, justiciables du Code de discipline militaire, au Canada ou à l’étranger. La cour reconnaît que leur rôle de protecteur de la Constitution est plus restreint que celui de leurs homologues des cours supérieures et provinciales. Par conséquent, des conditions moins rigoureuses sont vraisemblablement suffisantes pour satisfaire à leur indépendance judiciaire. Cependant, l’examen de la structure de la cour martiale doit non seulement prendre en compte leur contexte historique et législatif, mais il doit reconnaître en outre leur relation d’ensemble avec d’autres cours et tribunaux au pays.

[3] La question de l’indépendance judiciaire a fait l’objet de nombreuses décisions depuis l’arrêt Valente c. La Reine [1985] 2 R.C.S., 673, dans lequel le juge Le Dain écrit à la page 692 :

[l]es idées ont évolué au cours des années sur ce qui idéalement peut être requis, sur le plan du fond comme sur celui de la procédure, pour assurer une indépendance judiciaire [...] Les opinions diffèrent sur ce qui est nécessaire ou souhaitable, ou encore réalisable [...]

[4] Il est incontestable que l’indépendance judiciaire a évolué au cours du temps, en ce qui a trait aussi bien à ses éléments fondamentaux - soit l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative - qu’à son application à un large éventail de tribunaux existants. L’indépendance judiciaire comporte deux dimensions. L’une est individuelle et a trait à l’indépendance du juge lui-même, et l’autre est institutionnelle et concerne l’indépendance de la cour dans laquelle le juge siège. Ces dimensions dépendent des normes objectives qui protègent le rôle de la magistrature (Valente, page 687, Beauregard, page 70 et Ell, paragraphe 28). La Cour suprême a

Page 3 of 45 réitéré le contenu et les conditions de l’indépendance judiciaire dans l’arrêt Ell c. Alberta [2003] 1 R.C.S., 857, aux paragraphes 28 à 31, dans lesquels le juge Major écrit au nom de la Cour :

28 Comme nous l’avons vu, l’indépendance judiciaire comporte à la fois un aspect individuel et un aspect institutionnel. Le premier aspect concerne l’indépendance du juge lui-même, et le deuxième, l’indépendance du tribunal judiciaire il siège. Chacun de ces aspects est tributaire de l’existence de conditions ou garanties objectives destinées à soustraire le pouvoir judiciaire à toute influence ou à toute intervention extérieure : voir Valente, précité, p. 685. Les garanties nécessaires sont l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative : voir le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, par. 115.

29 La principale question qui se pose en l’espèce est de savoir si la destitution des intimés par la législature portait atteinte à leur inamovibilité. En examinant cette question, il faut considérer que les conditions d’indépendance sont censées protéger les intérêts du public. L’indépendance judiciaire est non pas une fin en soi, mais un moyen de préserver notre ordre constitutionnel et de maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice : voir le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, par. 9. Ce principe existe au profit de la personne jugée et non des juges. Si les conditions d’indépendance ne sont pas « interprété[e]s en fonction des intérêts d’ordre public qu’[elles] visent à servir, il y a danger que leur application compromette la confiance du public dans les tribunaux, au lieu de l’accroître » : voir l’arrêt Mackin, précité, par. 116, le juge Binnie dissident.

30 La manière de remplir les conditions essentielles de l’indépendance varie selon la nature du tribunal judiciaire ou administratif et les intérêts en jeu. Voir les arrêts Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, par. 83, le juge en chef Lamer, et Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, 2001 CSC 35, par. 65, la Cour a préconisé une approche contextuelle en matière d’indépendance judiciaire :

. . . bien que ce puisse être souhaitable, il n’est pas raisonnable de poser comme exigences constitutionnelles les conditions les plus rigoureuses et élaborées de l’indépendance judiciaire parce que l’al. 11d) de la Charte canadienne est susceptible de s’appliquer à une grande diversité de tribunaux. Ces conditions essentielles devront plutôt respecter cette diversité et être interprétées de façon souple. Ainsi, il ne saurait être question d’imposer une norme uniforme ou de dicter une formule législative particulière qui devrait prévaloir. Il suffira que l’essence de ces conditions soit respectée . . .

31 Le degré d’inamovibilité constitutionnellement requis dépend du contexte particulier du tribunal judiciaire ou administratif. Les juges des cours supérieures ne peuvent être destitués que sur adresse conjointe de la Chambre des communes et du Sénat, comme le prévoit l’art. 99 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce degré d’inamovibilité reflète la position traditionnelle et contemporaine que les cours supérieures occupent en leur qualité de composante fondamentale de la structure judiciaire canadienne et de principales gardiennes de la primauté du droit. Des conditions moins rigoureuses s’appliquent dans le cas des cours provinciales, qui sont constituées par des lois, mais qui accomplissent néanmoins des tâches constitutionnelles importantes. Voir l’arrêt Mackin, précité, par. 52 :

Page 4 of 45 . . . la magistrature provinciale est investie d’importantes fonctions constitutionnelles, notamment en ce qu’elle est habilitée à faire : respecter la primauté de la Constitution en application de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982; accorder réparation pour violation de la Charte, en vertu de l’art. 24; appliquer les art. 2, et 7 à 14 de la Charte; veiller au respect du partage des pouvoirs au sein de la fédération en vertu des art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867; et rendre des décisions relatives aux droits des peuples autochtones protégés par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Bien que les intimés soient investis de fonctions importantes, leur compétence est beaucoup plus limitée que celle des juges des cours provinciales. Leur rôle de protecteur de la Constitution a une portée plus restreinte. Par conséquent, des conditions moins rigoureuses sont nécessaires pour respecter leur inamovibilité.

[5] Le concept d’indépendance judiciaire est une condition préalable à l’impartialité du juge et il convient de l’évaluer objectivement. La cour doit déterminer si une personne raisonnable, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur contexte historique et des traditions qui les entourent, après avoir envisagé la question de manière réaliste et pratique, conclurait que cette cour martiale permanente est indépendante. De plus, la loi requiert que l’accent soit mis sur l’existence du statut indépendant de la cour ou du tribunal et que la cour martiale permanente soit raisonnablement perçue comme indépendante. Par conséquent, la perception importe. Dans l’arrêt Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick, [2002]1 R.C.S., 405, le juge Gonthier, pour la majorité, ajoute aux paragraphes 38 à 40 :

38 ... L’accent est mis sur l’existence d’un statut indépendant, car non seulement faut-il qu’un tribunal soit effectivement indépendant, il faut aussi qu’on puisse raisonnablement le percevoir comme l’étant. L’indépendance de la magistrature est essentielle au maintien de la confiance du justiciable dans l’administration de la justice. Sans cette confiance, le système judiciaire canadien ne peut véritablement prétendre à la légitimité, ni commander le respect et l’acceptation qui lui sont essentiels. Afin que cette confiance soit établie et assurée, il importe que l’indépendance des tribunaux soit notoirement « communiquée » au public. Par conséquent, pour qu’il y ait indépendance au sens constitutionnel, il faut qu’une personne raisonnable et bien informée puisse conclure non seulement à l’existence de l’indépendance dans les faits, mais également constater l’existence de conditions suscitant une perception raisonnable d’indépendance. Seules des garanties juridiques objectives sont en mesure de satisfaire à cette double exigence.

39 Comme l’expliquent l’arrêt Valente, p. 687, et le Renvoi : Juges de la Cour provinciale, par. 118 et suiv., l’indépendance d’un tribunal donné comprend une dimension individuelle et une dimension institutionnelle. La première s’attache plus particulièrement à la personne du juge et intéresse son indépendance vis-à-vis de toute autre entité, alors que la seconde s’attache au tribunal auquel il appartient et intéresse son indépendance vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif du gouvernement. Les règles attachées à ces deux dimensions découlent d’ailleurs d’impératifs quelque peu différents. L’indépendance individuelle s’attache aux fonctions purement juridictionnelles des juges, car le tribunal doit être indépendant pour trancher un litige donné de façon juste et équitable, alors que l’indépendance

Page 5 of 45 institutionnelle s’attache davantage au statut du judiciaire en tant qu’institution gardienne de la Constitution et reflète par le fait même un profond engagement envers la théorie constitutionnelle de la séparation des pouvoirs. Néanmoins, dans chacune de ses dimensions, l’indépendance vise à empêcher toute ingérence indue dans le processus de décision judiciaire, lequel ne doit être inspiré que par les exigences du droit et de la justice.

40 Au sein de ces deux dimensions s’inscrivent les trois caractéristiques essentielles à l’indépendance judiciaire énoncées dans Valente, soit la sécurité financière, l’inamovibilité et l’indépendance administrative. Ensemble, elles établissent la relation d’indépendance qui doit exister entre un tribunal et toute autre entité. Leur maintien conforte également la perception générale d’indépendance du tribunal. D’ailleurs, ces trois caractéristiques doivent elles aussi être perçues comme étant garanties. En somme, la protection constitutionnelle de l’indépendance judiciaire requiert à la fois l’existence en fait de ces caractéristiques essentielles et le maintien de la perception qu’elles existent. Ainsi chacune d’elles doit être institutionnalisée au travers de mécanismes juridiques appropriés.

Comme nous l’avons déjà dit, l’analyse doit être faite en tenant compte de la nature de la Cour martiale permanente et des intérêts en jeu.

LA PREUVE [6] La preuve qui a été présentée à la cour est constituée des éléments suivants :

1) les faits et les questions du domaine de la connaissance judiciaire aux termes de la règle 15 des Règles militaires de la preuve;

2) les faits et les questions du domaine de la connaissance judiciaire aux termes de la règle 16 des Règles militaires de la preuve;

3) les pièces déposées devant la cour avec le consentement des parties aux fins limitées exprimées par celles-ci;

4) la soumission conjointe des faits déposée devant la cour. LA POSITION DES PARTIES Le requérant [7] Le requérant soutient que certaines dispositions de la Loi sur la défense nationale et des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) n’offrent pas les garanties nécessaires et suffisantes pour s’assurer que cette cour martiale permanente constitue un tribunal indépendant et impartial au sens de l’alinéa 11d) de la Charte. Bref, le requérant allègue qu’un juge militaire, nommé aux termes de la législation actuelle, ne jouit pas de garanties importantes et

Page 6 of 45 suffisantes d’indépendance judiciaire au chapitre de l’inamovibilité, de la sécurité financière et de l’indépendance institutionnelle. Le requérant soutient que la cour doit s’écarter des arrêts R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259; R. c. Ingebritson [1990] 5 C.A.C.M. 87; R. c. Edwards, [1995] A.C.A.C. no 10; et R. c. Lauzon, [1998] A.C.A.C. no 5 qui traitaient tous de l’indépendance et de l’impartialité judiciaires, mais ce, avant les modifications apportées à la Loi sur la défense nationale par la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, ch. 35, adoptée le 10 décembre 1998 et en vigueur le 1 er septembre 1999, parce qu’elles ne correspondent plus à l’état du droit canadien en matière d’indépendance judiciaire. Le requérant fait valoir que la justice militaire n’est pas statique et qu’elle continue d’évoluer. Il soutient qu’il n’y a pas de raison de supposer que les conditions et les garanties objectives essentielles en ce qui a trait à l’indépendance judiciaire ne devraient pas continuer d’évoluer à l’instar d’autres domaines de la justice militaire. Le requérant soutient que tenir un procès dans de telles circonstances violerait le droit de l’accusé à un procès impartial et indépendant et que cette violation ne pourrait se justifier au regard de l’article premier de la Charte.

[8] Le requérant demande une série de réparations, en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, relativement à diverses dispositions de la Loi sur la défense nationale et des ORFC portant sur le processus de nomination et de révocation des juges militaires, de renouvellement de leur mandat et de détermination de leur rémunération. Il demande également des réparations similaires relativement à certains articles de Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes et à des dispositions portant sur des questions organisationnelles, les griefs et la suspension des fonctions militaires. En particulier, le requérant demande que la cour rende plusieurs ordonnances déclarant les dispositions suivantes inopérantes :

1) le paragraphe165.21(2) de la Loi sur la défense nationale et les articles 101.13 et 101.14 des ORFC;

2) les paragraphes 165.21(3) de la Loi sur la défense nationale et les articles 101.15, 101.16, et 101.17 des ORFC;

3) le paragraphe 165.21(4) de la Loi sur la défense nationale et l’article 101.175 des ORFC;

4) les articles 173 et 174 de la Loi sur la défense nationale; 5) l’alinéa 12(3)a) de la Loi sur la défense nationale et les articles 204.22, 204.23, 204.24, 204.25, 204.26 et 204.27 des ORFC;

6) l’article 29.11 et le paragraphe 29.13(1) de la Loi sur la défense nationale et les articles 7.08 et 7.14(2) des ORFC;

Page 7 of 45 7) les paragraphes 2.07(2) et 3.21(1) des ORFC; 8) les paragraphes (2) et (3) de l’article 19.75 des ORFC; 9) les sous-alinéa (2)c)(iii) de l’article 18 de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes ainsi qu’une ordonnance donnant une interprétation atténuée du paragraphe 49(4) de cette Loi.

Le requérant demande que la cour mette fin aux procédures contre lui. Enfin, il demande que, si elle devait ordonner une suspension temporaire de l’invalidité des diverses dispositions, la cour rende une ordonnance accordant un sursis de l’instance en vertu de l’article 24(1) de la Charte.

Inamovibilité Mandat fixe pour une durée de cinq ans [9] Le requérant soumet que les juges militaires qui président les cours martiales ne jouissent pas de garanties importantes et suffisantes en ce qui a trait aux deux dimensions de leur inamovibilité. Selon le requérant, le mandat pour un terme fixe n’est pas inconstitutionnel en soi, comme cela a été déclaré dans l’arrêt Généreux. Cependant, il fait valoir que le rôle et les fonctions des juges militaires doivent être examinés dans leur contexte approprié. Selon lui, les juges militaires peuvent statuer sur les questions les plus graves du droit criminel, à l’instar des juges des cours supérieures et des cours provinciales. Ils président les cours martiales et ont compétence pour juger toutes les infractions prévues par le Code de discipline militaire, y compris, par incorporation, tout acte ou toute omission punissable aux termes du Code criminel ou de toute autre loi fédérale. Dans certaines circonstances, cela inclut le meurtre. De plus, les juges militaires peuvent imposer une peine d’emprisonnement à perpétuité.

[10] Malgré ces similarités, seuls les juges militaires peuvent demander un renouvellement de leur mandat, étant donné que les juges des cours supérieures et des cours provinciales sont nommés soit à titre inamovible soit jusqu’à l’âge fixe de la retraite prévu par la loi ou les règlements. Selon le requérant, le fait que le juge militaire doive demander un renouvellement de mandat met objectivement en péril la perception de l’indépendance judiciaire, car l’inamovibilité fait défaut. Cela soulève la perception raisonnable que le juge militaire puisse rendre des décisions d’une manière susceptible de favoriser le renouvellement de son mandat ou de lui permettre d’obtenir, au terme de son mandat, un poste plus avantageux ou de l’avancement. Le requérant soutient que la durée du mandat des juges militaires devrait être similaire à celle des juges des cours provinciales ou supérieures, car leurs tâches judiciaires et les décisions qu’ils doivent rendre montrent que les juges militaires exercent plusieurs responsabilités judiciaires comparables à celles des cours supérieures et des cours provinciales. Par exemple, selon le requérant, les juges militaires ont des pouvoirs judiciaires qui incluent les suivants :

Page 8 of 45 présider les cours martiales générales et disciplinaires qui comprennent des tribunaux semblables aux procès devant jury (paragraphes 167(1) et 170(1) de la Loi sur la défense nationale respectivement); présider les cours martiales générales spéciales qui portent sur des procès de civils sur lesquels elles ont compétence en vertu de la Loi sur la défense nationale (article 176 de la Loi sur la défense nationale); ordonner la prise d’échantillons de substances corporelles aux fins d’analyses génétiques (article 196.14 de la Loi sur la défense nationale) et ordonner à un accusé de subir une évaluation pour déterminer s’il est inapte à subir son procès.

[11] Le requérant fait également valoir que les cours martiales ne sont pas des tribunaux administratifs. Selon lui, il s’agit des cours pénales au sens on entend généralement ce terme, les juges militaires étant habilités à rendre des décisions judiciaires en bonne et du forme. De plus, les juges militaires sont appelés, de manière fréquente, à rendre des décisions relatives à des violations de la Charte et à des réparations, ce qui par définition constitue un examen et une évaluation des atteintes portées par le gouvernement aux droits et les libertés de la personne protégés par la Constitution. Cette tension inhérente entre les actions du gouvernement (ou de ses agents responsables) et les droits de la personne reconnus par la Charte requiert nécessairement que les juges militaires aient, et soient perçus comme ayant, une autonomie complète pour décider d’une affaire, en étant exempt de toute perception d’influence ou d’ingérence de l’exécutif. Selon le requérant, le processus de rémunération prévu pour les juges militaires ainsi que le résultat des travaux antérieurs du Comité d’examen de la rémunération des juges militaires peuvent servir d’analogie pour confirmer que la durée du mandat requise pour les juges militaires ne devrait pas, à tout le moins, être inférieure à celle des juges des cours provinciales.

Révocation [12] Le requérant fait valoir en outre que le processus de révocation prescrit à l’article 101.04 des ORFC devrait être prévu dans une loi et non dans des règlements, car il est ainsi plus susceptible d’être sujet aux caprices de l’exécutif sans l’examen du Parlement.

Retrait des fonctions militaires [13] L’inamovibilité des juges militaires est aussi compromise, selon le requérant, du fait que le chef d’état-major de la défense pourrait, en vertu de l’article 19.75 des ORFC, relever un juge militaire de ses fonctions militaires. Cela serait incompatible avec le processus de révocation.

Âge de la retraite

Page 9 of 45 [14] Le requérant prétend également que l’inamovibilité et la sécurité financière des juges militaires sont touchées parce que les règlements actuels placent les juges militaires dans une situation précaire. Il soutient que, dans l’état actuel des choses, l’exécutif dispose d’une marge de manœuvre considérable pour manipuler l’âge obligatoire de la retraite (AOR) des juges militaires. Selon le requérant, une politique des FC ne peut être considérée comme une garantie objective, car elle est trop susceptible de manipulation et de modification. Le requérant allègue que l’on devrait donner aux juges militaires une protection adéquate relativement à l’AOR, au moyen d’une loi et non d’un règlement, en particulier lorsqu’il existe un pouvoir discrétionnaire qui permet, en vertu de l’article 15.17, de ne même pas offrir d’appliquer le tableau H de cet article à l’égard du juge militaire.

Renouvellement [15] Le requérant fait valoir que le processus de renouvellement est inconstitutionnel. Il soutient qu’un examen attentif de la composition du comité de renouvellement et du processus de renouvellement montre que les protections, conditions et garanties objectives sont insuffisantes et que cette composition est, par conséquent, irrémédiablement viciée du point de vue de l’indépendance judiciaire. Le premier problème vient du fait que les critères se trouvent dans les règlements et non dans une loi. Il s’ensuit que l’ensemble du régime est sujet aux caprices de l’exécutif, car des modifications peuvent y être facilement apportées sans examen du Parlement. Le deuxième problème est que, selon l’alinéa 101.15(2)c) des ORFC, le troisième membre du comité de renouvellement, pourrait être tout membre des FC sauf un juge-avocat général ou un membre de la police militaire. Il s’ensuit, selon le requérant, que le troisième membre pourrait être éventuellement le CEMD, un commandant ou même un membre qui a été déclaré coupable et dont la peine a été prononcée dans une cour martiale par le même juge qui veut obtenir le renouvellement de son mandat. Voilà qui, selon le requérant, soulèverait toutes sortes de conflits d’intérêt éventuels. Il s’interroge en outre sur la validité du règlement portant sur la composition du comité de renouvellement, car ce règlement ne précise pas ce qui constitue un quorum. Le requérant soutient que l’opportunité objective que l’exécutif tire parti de cette présumée omission, particulièrement lorsque l’on considère qui le troisième membre de ce comité pourrait éventuellement être, met en danger l’indépendance judiciaire. Sur cette question particulière, la cour n’aurait qu’à renvoyer les parties à l’article 22 de la Loi d’interprétation, qui traite précisément de ce qui constitue un quorum.

[16] Le requérant soutient que le processus de renouvellement est vicié parce que la décision de renouveler un mandat ne relève pas d’un conseil de la magistrature, comme cela devrait être le cas, mais plutôt de l’exécutif. De plus, l’exécutif n’est pas lié par la recommandation. Enfin, le requérant fait valoir que la recommandation n’a pas à être rendue publique, pas davantage que la décision du gouverneur en conseil.

Page 10 of 45 [17] Le requérant ajoute que les facteurs énumérés à l’article 101.17 des ORFC qui doivent être pris en compte par le comité d’examen aux termes de l’article 101.17 des ORFC ne donnent pas de garanties suffisantes et importantes d’indépendance. Premièrement, la liste des facteurs n’est pas exhaustive. Selon lui, elle laisserait la porte ouverte à la possibilité que des facteurs externes, subjectifs et non pertinents soient considérés. Deuxièmement, pris individuellement, les facteurs sont vagues, imprécis, non pertinents ou ne contiennent pas de garanties objectives suffisantes pour protéger les juges militaires contre ce qui pourrait être perçu comme des raisons détournées de l’exécutif. Enfin, le requérant soutient que ces facteurs sont tous trop sujets à des changements au gré de l’exécutif puisqu’ils sont énoncés dans les règlements et non dans la loi habilitante.

Sécurité financière [18] Le requérant soulève aussi l’absence de sécurité financière. La première préoccupation du requérant concerne le fait que les dispositions relatives à la rémunération énoncées aux articles 204.22, 204.23, 204.24, 204.25, 204.26 et 204.27 des ORFC et prescrites par le Conseil du Trésor en vertu du paragraphe 12(3) de la Loi sur la défense nationale devraient toutes être énoncées dans une loi. Il ajoute que, dans le contexte un juge se trouve face à l’éventualité de ne pas voir son mandat renouvelé, il risque de voir sa rémunération considérablement réduite par son retour au statut d’avocat militaire. Selon le requérant, cette absence de sécurité financière créerait la perception selon laquelle un juge militaire pourrait, particulièrement à l’approche de la fin de son mandat, être à la merci de pressions externes parce qu’il serait préoccupé par la nécessité de gagner la faveur des diverses autorités, soit pour obtenir un nouveau mandat, soit pour obtenir la nouvelle nomination qu’il préférerait obtenir ailleurs dans les Forces ou à un autre poste gouvernemental. Le requérant soutient également que la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes ne donne pas suffisamment de garanties dans le contexte de la sécurité financière parce qu’elle crée la possibilité que les juges négocient des avantages financiers, en particulier des prestations de retraite. Premièrement, il mentionne le pouvoir discrétionnaire du ministre, quoique ce soit à l’option du rentier, de consentir à une rente immédiate pour les personnes de la Force régulière qui ont servi pendant dix ans ou plus et qui ont obligatoirement pris leur retraite de la Force régulière sans avoir atteint l’âge de la retraite aux termes du paragraphe 18(2) de la Loi. Deuxièmement, il soulève le scénario dans lequel parce que le Conseil des pensions militaires créé en vertu de l’article 49 de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes détermine la raison de la retraite dans le cas de tout contribuable qui a pris sa retraite de la Force régulière, le juge militaire à la retraite se retrouverait, selon le requérant, à adresser des observations au Conseil des pensions militaires pour déterminer les prestations les plus justes et appropriées. Le requérant soutient que cela serait une autre forme de négociation avec le ministre ou son représentant pour les prestations de retraite les plus appropriées.

Indépendance institutionnelle

Page 11 of 45 [19] Selon le requérant, l’indépendance institutionnelle ou administrative des juges militaires est aussi insuffisante pour satisfaire aux exigences de l’indépendance judiciaire. L’argumentation du requérant se fonde sur la structure organisationnelle du Cabinet du juge militaire en chef. Il se réfère à des documents d’ordre organisationnel tels que le document MOO 2000007 émis par le ministre de la Défense nationale et le document CFOO 3763 émis sous l’autorité du chef d’état-major de la Défense, qui autorisent l’établissement du Cabinet du juge militaire en chef. Il se réfère en outre à l’article 4.091 des ORFC, qui prévoit que le juge militaire en chef possède les pouvoirs et la compétence d’un officier commandant un commandement. Le requérant soutient que le chef d’état-major de la Défense conserve encore un pouvoir discrétionnaire à l’égard du juge militaire en chef en vertu de l’article 3.21 des ORFC. Un autre exemple du manque d’indépendance institutionnelle, selon le requérant, est le fait que le chef d’état-major de la Défense pourrait utiliser ses pouvoirs en vertu de l’article 19.75 et démettre un juge militaire de ses fonctions militaires. Le requérant soutient en outre que le processus de griefs prévu pour les juges militaires compromet les deux dimensions de l’indépendance institutionnelle ainsi que la sécurité financière parce que le chef d’état-major agit à titre d’autorité finale. Par conséquent, le requérant soutient qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur contexte historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique - et après l’avoir étudiée en profondeur - conclurait qu’un juge militaire présidant une cour martiale ne jouit pas des garanties importantes et suffisantes pour chacune des trois composantes de l’indépendance judiciaire, ou les trois caractéristiques de l’indépendance judiciaire, à savoir l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance institutionnelle.

Réparations [20] Le requérant demande donc à la cour de rendre une série d’ordonnances en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, ainsi qu’une ordonnance visant à mettre fin à l’instance. Il soumet en outre que, si elle devait ordonner une suspension temporaire de l’invalidité des diverses disposions, la cour devrait rendre une ordonnance portant l’arrêt des procédures en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

L’intimée [21] L’intimée soutient que la Cour martiale permanente est un tribunal indépendant parce que :

1) le juge militaire qui préside une cour martiale est inamovible; 2) le juge militaire qui préside une cour martiale jouit d’une sécurité financière;

Page 12 of 45 3) le juge militaire qui préside une cour martiale jouit d’une indépendance administrative individuelle et institutionnelle.

L’intimée soutient également que si la présente cour concluait qu’une Cour martiale permanente n’est pas un tribunal indépendant, toute réparation accordée devrait consister en des déclarations d’invalidité suspendues ou en une interprétation aménageant des garanties additionnelles propres à faire en sorte que les juges militaires et les cours martiales permanentes puissent continuer d’exercer leur juridiction en attendant que le Parlement édicte des mesures appropriées pour assurer le respect des droits et libertés du requérant.

Inamovibilité Mandat fixe pour cinq ans [22] L’intimée soutient que le demandeur ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve et qu’il n’a pas réussi à démontrer qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique et après l’avoir étudié en profondeur, conclurait qu’un juge militaire présidant une cour martiale ne jouit pas d’une inamovibilité propre à lui permettre de juger des affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision.

[23] L’alinéa 11d) de la Charte ne garantit pas, selon l’intimée, un degré idéal d’indépendance. Le critère à appliquer pour déterminer si un tribunal donné possède les caractéristiques de l’indépendance doit plutôt être appliqué d’une manière souple et contextuelle qui tient compte des circonstances particulières d’un tribunal. Le critère à appliquer est objectif et porte sur les structures juridiques qui soutiennent les caractéristiques de l’indépendance des juges militaires : une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique et après l’avoir étudiée en profondeur, conclurait-elle qu’un juge militaire présidant une cour martiale constitue un tribunal capable de rendre une décision indépendante? S’appuyant sur les décisions de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Généreux et de la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt R. c. Lauzon, l’intimée soutient que, dans le contexte du système de justice militaire, l’inamovibilité n’exige pas qu’un juge militaire soit nommé jusqu’à un âge de retraite préétabli. Il suffit que le juge militaire soit nommé pour un mandat à durée déterminée pendant lequel il ne peut être révoqué que pour un motif valable. Elle soutient en outre que les dispositions législatives qui prévoient une durée fixe de cinq ans du mandat du juge militaire, pendant laquelle celui-ci ne peut être révoqué que pour un motif valable lié à sa capacité d’exécuter ses fonctions judiciaires et à la suite d’une enquête judiciaire donnent des garanties objectives que les juges militaires jouissent de l’inamovibilité durant la durée de leur

Page 13 of 45 mandat. Elle soutient en outre que la préoccupation soulevée par le requérant en ce qui a trait aux juges militaires qui retournent à la pratique du droit au sein des Forces canadiennes n’est pas fondée. Selon l’intimée, il ne s’agit pas d’une question qui pourrait avoir une incidence sur l’indépendance du juge militaire actif dans l’esprit d’une personne raisonnable et bien informée, quoique l’intimée convienne qu’il s’agit certainement d’une question éthique, qui est régie par les règles d’éthique et les codes de bonne pratique de la profession juridique. De plus, le retour éventuel d’un ancien juge militaire à la pratique du droit au sein des Forces canadiennes n’affecterait pas la sécurité financière du juge militaire pendant qu’il exerce ses fonctions de juge militaire.

Révocation [24] En réponse aux allégations du requérant que le processus de révocation prévu à l’article 101.14 des ORFC devrait être prévu dans la loi et non dans les règlements, l’intimée fait valoir que, bien qu’il soit peut-être désirable ou même idéal d’inscrire les caractéristiques fondamentales de l’indépendance militaire dans la loi habilitante, ce régime n’est pas requis de par la Constitution.

Âge de la retraite [25] En ce qui concerne la question de l’âge de la retraite des juges militaires, l’intimée soutient que l’âge de la retraite prévu par le régime législatif est indiqué objectivement parlant, étant donné que les exigences physiques imposées aux juges militaires par l’exécution de leurs fonctions sont similaires à celles qui sont imposées à tout autre officier des Forces canadiennes. Selon l’intimée, il serait déraisonnable de craindre que les juges militaires soient influencées dans leurs prises de décision par la possibilité que le gouverneur en conseil modifie l’âge de la retraite pour tous les officiers des Forces canadiennes qui ont le même grade. Cependant, l’intimée reconnaît qu’il ne serait pas approprié que l’exécutif exerce son pouvoir discrétionnaire, en vertu de l’article 15.17 des ORFC, pour faire en sorte que le tableau H de cet article s’applique aux juges militaires, mais elle ajoute qu’il s’agit d’une question qui concerne l’égalité, non l’indépendance judiciaire.

Renouvellement [26] L’intimée répond à la question du renouvellement en affirmant que l’existence de la possibilité qu’un juge militaire soit reconduit dans ses fonctions de juge militaire à l’expiration d’un premier mandat fixe, ou d’un mandat fixe subséquent, peut être compatible avec l’inamovibilité si le processus de renouvellement du mandat se déroule d’une manière propre à assurer que le juge militaire est libre de toute pression qui pourrait influencer le résultat de futures décisions. Quoique la décision de renouveler le mandat incombe en dernier ressort à l’exécutif, la décision ne doit être faite qu’à la suite de la réception d’une recommandation d’un organisme indépendant. Selon l’intimée, il est interdit au Comité d’examen de considérer le dossier des

Page 14 of 45 décisions judiciaires du juge militaire. Cette interdiction, ainsi que la présomption que les membres du Comité agiront conformément à la loi, garantirait que le juge militaire est libre de toute pression qui pourrait influencer le résultat de ses décisions. Cependant, l’intimée reconnaît que les règlements ont permis à l’exécutif, c’est-à-dire au ministre de la défense nationale et au ministre de la Justice, de nommer la majorité des membres du Comité d’examen.

[27] L’intimée a répondu à plusieurs questions de la cour relativement aux critères ou aux facteurs qui doivent être pris en compte par le Comité d’examen avant de faire sa recommandation au gouverneur en conseil. Selon ses prétentions, ils sont tous pertinents, suffisamment précis et objectif. Elle ajoute qu’il n’est pas nécessaire que la liste soit exhaustive, quoique la loi empêche le comité d’examen de considérer tout facteur ou élément matériel non pertinent. L’intimée soutient que le processus menant à la décision du gouverneur en conseil de renouveler le mandat d’un juge militaire comporte des garanties objectives suffisantes pour éliminer toute crainte raisonnable qu’un juge militaire en fonction décide autrement que sur son fond d’une affaire qui lui est soumise. Quoique le gouverneur en conseil ne soit pas requis d’accepter la recommandation du Comité d’examen, l’existence de la recommandation ainsi que l’indépendance du Comité l’engagent à une certaine retenue. Selon l’intimée, si le gouverneur en conseil déroge de la recommandation du Comité, alors il doit le faire pour des motifs légitimes et rationnels. Enfin, l’intimée fait valoir que, considérées dans leur ensemble, les dispositions législatives qui prévoient la possibilité du renouvellement du mandat d’un juge militaire comportent des garanties objectives qu’un juge militaire est inamovible durant son mandat.

Sécurité financière [28] En ce qui a trait à la caractéristique essentielle de l’indépendance judiciaire qu’est la sécurité financière, l’intimée soutient qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique et après l’avoir étudiée en profondeur, conclurait qu’un juge militaire présidant une cour martiale jouit d’une sécurité financière propre à lui permettre de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision. L’intimée soutient en outre qu’essentiellement la sécurité financière, c’est d’avoir le droit à un salaire et à une pension établis soit par la loi soit par un règlement mais à l’abri de toute intervention arbitraire de l’exécutif d’une manière qui pourrait nuire à l’indépendance judiciaire. Les salaires et les avantages des juges ne font pas l’objet de négociations, mais doivent être fixés à la suite de la réception d’une recommandation par une commission indépendante. Elle ajoute que le principe de la sécurité financière s’applique aux juges militaires durant la période pendant laquelle ils prennent des décisions judiciaires. Le fait qu’un ancien juge militaire puisse toucher une rémunération inférieure à celle qu’il

Page 15 of 45 touchait lorsqu’il exerçait ses fonctions n’a rien à voir avec la question de savoir s’il jouissait de la sécurité financière en tant que juge militaire.

[29] En ce qui a trait aux prestations de retraite, l’intimée soutient que le fait que les prestations de retraite applicables aux juges militaires soient identiques à celles qui s’appliquent à tous les autres membres des Forces canadiennes n’a aucune incidence sur une condition essentielle de la sécurité financière. Enfin, l’intimée conclut ses observations en soutenant que le requérant n’a pas réussi à démontrer qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique et après l’avoir étudiée en profondeur, conclurait qu’un juge militaire présidant une cour martiale ne jouit pas d’une sécurité financière propre à lui permettre de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’une personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision.

Indépendance institutionnelle [30] L’intimée a également présenté ses observations sur la question de l’indépendance institutionnelle des juges militaires. Elle soutient encore une fois qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur contexte historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique et après l’avoir étudiée en profondeur, conclurait que le juge militaire en chef et un juge présidant une cour martiale jouit de l’indépendance administrative propre à lui permettre de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision. En s’appuyant sur Valente, l’intimée soutient que l’essence de l’indépendance administrative est le contrôle judiciaire des décisions administratives qui ont une incidence directe et immédiate sur l’exercice de la fonction judiciaire d’un tribunal. Ces questions comprennent l’assignation des juges aux causes, les séances de la cour et le rôle de la cour. Elles ne comprennent pas des questions comme le pouvoir d’établir les budgets ou la nomination et la supervision du personnel. L’intimée soutient que les documents d’ordre organisationnel qui créent le Cabinet du juge militaire en chef et qui ont été délivrés par le ministre de la Défense nationale et sous l’autorité du chef de l’état-major de la Défense ne visent que des fins organisationnelles. Pour cette raison, rien dans ces documents ne devrait être considéré comme une ingérence dans l’indépendance institutionnelle du juge militaire en chef ou d’un juge militaire. L’intimée soutient que ces arrêtés et ordonnances prévoient la mise à disposition par les Forces canadiennes et la supervision par le juge militaire en chef d’employés de soutien et d’une infrastructure logistique pour permettre aux juges militaires d’exercer leurs fonctions judiciaires. Le juge militaire en chef de même que l’administrateur de la cour martiale, qui exerce ses fonctions sous sa direction générale tirent leur autorité administrative non pas d’une ordonnance d’organisation des Forces canadiennes mais de la Loi sur la défense nationale et des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Selon l’intimée, l’exercice de cette autorité administrative est

Page 16 of 45 facilité par l’existence des arrêtés et ordonnances. Cependant, même si ceux-ci étaient abrogés, il n’y aurait aucun motif raisonnable de craindre qu’un juge militaire puisse être influencé dans l’exercice de ses fonctions judiciaires.

[31] L’intimée fait valoir également que l’article 19.75 des ORFC qui prévoit le mécanisme et le pouvoir pour retirer un officier ou un militaire du rang de l’exécution de ses fonctions militaires ne pourrait pas être utilisé par le chef de l’état-major de la Défense ou le juge militaire en chef pour retirer un juge militaire actif. Elle fait valoir que ce règlement doit être interprété d’une manière conforme aux dispositions de la Loi sur la défense nationale et aux règlements pris par le gouverneur en conseil. La loi prévoit qu’un juge militaire ne peut être retiré de ses fonctions que pour des motifs valables à la suite d’une enquête judiciaire.

[32] En ce qui a trait à la prétention du requérant selon laquelle le processus de grief ne protège pas l’indépendance institutionnelle des juges militaires, l’intimée fait valoir que, en sa capacité d’autorité finale en matière de griefs, le chef d’état-major de la Défense constitue un comité fédéral, une commission ou un autre tribunal et que ses décisions sont, à ce titre, assujetties au contrôle judiciaire de la Cour d’appel fédérale. L’intimée fait valoir que, en toutes les circonstances, il n’existe aucune justification raisonnable pour craindre qu’un juge militaire, même un juge qui aurait déposé un grief relativement à une décision déterminée, il n’y a aucune raison de craindre que les prises de décision de ce juge pourraient être influencées par le fait que le CEMD a un pouvoir de décision relativement à son grief.

Réparations [33] L’intimée soutient que le requérant n’a pas réussi à démontrer qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur contexte historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique et après l’avoir étudiée en profondeur, conclurait qu’une Cour martiale permanente présidée par un juge militaire en vertu du régime législatif actuel n’est pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l’alinéa 11d) de la Charte. Par conséquent, selon l’intimée, aucune réparation n’est requise. Cependant, elle ajoute que si elle en arrivait à la conclusion que l’une quelconque des dispositions contestée en vertu de la présente requête était incompatible avec l’alinéa 11d) de la Charte, la cour devrait procéder prudemment pour formuler une réparation qui soit aussi fidèle que possible, conformément aux exigences de la Constitution, au régime édicté par et sous l’autorité du Parlement. Par conséquent, si la cour devait prononcer des déclarations d’invalidité qui feraient perdre aux juges militaires leur compétence pour présider aux cours martiales, l’intimée soutient que de telles déclarations devraient être suspendues pendant la période requise pour permettre au Parlement de concevoir une mesure législative qui garantissent le respect des droits et des libertés des accusés comparaissant devant les cours martiales. Elle fait valoir en outre qu’une telle suspension serait nécessaire pour garantir la primauté du droit au sein des Forces

Page 17 of 45 canadiennes et pour protéger le public. Selon l’intimée, en l’absence d’un système de cours martiales fonctionnel, l’ensemble du régime de discipline des Forces canadiennes serait vulnérable à un chaos juridique qui aurait des répercussions préjudiciables sur la capacité du gouvernement du Canada à mettre en oeuvre ses politiques en matière d’affaires étrangères, de défense et de sécurité au profit de toute la population canadienne. Finalement, l’intimée soutient qu’un arrêt des procédures accordé en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés n’est pas approprié dans la présente affaire. Si la cour conclut que les dispositions contestées ne sont pas compatibles avec la Constitution, le requérant n’a pas réussi à démontrer une limitation individuelle quelconque de ses droits qui justifierait une telle réparation. Si la cour conclut qu’une réparation en vertu du paragraphe 52(1) est nécessaire, alors, selon l’intimée, la réparation individuelle supplémentaire demandée par le requérant est superflue. Bref, telles sont les positions des parties.

DÉCISION [34] Passons maintenant de la décision de la cour. La cour commencera par lire l’article 2 de la Loi sur la défense nationale, que voici :

« cour martiale » La cour martiale pouvant siéger sous les différentes appellations de cour martiale générale, cour martiale générale spéciale, cour martiale disciplinaire ou cour martiale permanente.

Les modifications apportées à la Loi sur la défense nationale par la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, chapitre 35, sanctionnée le 10 décembre 1998, ont entraîné des changements dans le système de justice militaire, modernisé le Code de discipline militaire et contribué à améliorer l’intégrité et l’impartialité du système. Il importe de relever que tous les arrêts importants qui ont porté sur l’indépendance des cours martiales en vertu de la Charte, soit R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259 (cour martiale générale); R. c. Ingebritson [1990] 5 C.A.C.M. 87 (cour martiale permanente); R. c. Edwards, [1995] A.C.A.C. 10 (cour martiale disciplinaire); R. c. Lauzon [1998] A.C.A.C. 5 (cour martiale permanente); et, R. c. Bergeron, [1999] A.C.A.C. 3 (cour martiale permanente), ont été rendus sur le fondement de la législation existante avant l’entrée en vigueur des modifications de 1998 à la Loi sur la défense nationale. La cour va faire un bref survol de ces décisions importantes.

[35] Dans l’arrêt R. c. Généreux, la Cour suprême avait déjà indiqué que les exigences relatives à l’indépendance judiciaire pouvaient être modulées dans le cas de circonstances particulières, comme dans le cas de la justice militaire. Cependant, l’examen portait sur la Cour martiale générale telle qu’elle existait à l’époque. L’ancien juge en chef Lamer s’exprimait ainsi, aux paragraphes 62 à 66 :

62 Cela n’est pas suffisant en soi pour constituer une violation de l’al. 11d) de la Charte. À mon avis, la Charte ne vise pas à miner l’existence d’organismes qui veillent

Page 18 of 45 eux-mêmes au maintien d’une discipline, comme, par exemple, les Forces armées canadiennes et la Gendarmerie royale du Canada. L’existence d’un système parallèle de droit et de tribunaux militaires, pour le maintien de la discipline dans les Forces armées, est profondément enracinée dans notre histoire et elle est justifiée par les principes impérieux analysés plus haut. C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial que garantit à l’accusé l’al. 11d) de la Charte.

63 À cet égard, je souscris à la conclusion tirée par James B. Fay dans la partie IV de son étude approfondie du droit militaire canadien ("Canadian Military Criminal Law: An Examination Of Military Justice" (1975), 23 Chitty’s L.J. 228, à la p. 248) :

[TRADUCTION] Dans une organisation militaire, comme les Forces canadiennes, il ne peut jamais y avoir de justice militaire vraiment indépendante, et ce, parce que les officiers des Forces doivent participer à l’administration de la discipline à tous les échelons. L’un des points forts du système actuel de justice militaire réside dans le fait que la fonction judiciaire au sein des cours martiales est confiée à des officiers spécialement formés, qui sont aussi des avocats. Si ce lien devait être rompu (et si l’indépendance véritable ne pouvait être atteinte que grâce à cette rupture), l’avantage que représente l’indépendance du juge qui pourrait être ainsi obtenue serait plus que contrebalancée par l’inconvénient de la perte éventuelle des connaissances et de l’expérience militaires du juge qui aident ce dernier à l’heure actuelle à s’acquitter de sa tâche efficacement. Ni les Forces, ni l’accusé ne bénéficieraient d’une telle dissociation.

64 À mon avis, toute interprétation de l’al. 11d) doit se faire dans le contexte des autres dispositions de la Charte. Sous ce rapport, j’estime qu’il est approprié que l’al. 11f) de la Charte indique que le contenu de certaines garanties juridiques pourra varier selon l’institution en cause:

11. Tout inculpé a le droit: ... f) sauf s’il s’agit d’une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d’un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l’infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave;

65 L’alinéa 11f) révèle, à mon sens, que la Charte prévoit l’existence d’un système de tribunaux militaires ayant compétence sur les affaires régies par le droit militaire. C’est donc en ayant cela à l’esprit qu’il faut interpréter les garanties de l’al. 11d). Le contenu de la garantie constitutionnelle d’un tribunal indépendant et impartial peut très bien différer selon qu’il s’agit du contexte militaire ou de celui d’un procès criminel ordinaire. Toutefois, un tel système parallèle est lui-même assujetti à un examen fondé sur la Charte et, si son organisation mine les principes fondamentaux de l’al. 11d), il ne peut survivre à moins que les atteintes soient justifiables en vertu de l’article premier.

66. Par conséquent, la première étape de notre examen doit consister à déterminer si les procédures de la cour martiale générale ont porté atteinte aux droits garantis à l’appelant par l’al. 11d) de la Charte. Pour déterminer si la cour martiale générale possède les caractéristiques essentielles d’un tribunal indépendant et impartial, il faut examiner

Page 19 of 45 objectivement le statut de cette institution, tel qu’il ressort des dispositions législatives et réglementaires qui régissaient sa constitution et ses procédures au moment du procès de l’appelant. Cet examen doit être fait en ayant à l’esprit le critère qu’il convient d’appliquer en vertu de l’al. 11d), savoir: une personne raisonnable, bien au fait de la constitution et de l’organisation de la cour martiale générale, conclurait-elle que le tribunal jouit des protections nécessaires à l’indépendance judiciaire?

Et le juge en chef Lamer ajoute au paragraphe 86 : 86 Cependant, je ne considère pas que l’al. 11d) exige que les juges militaires occupent leur charge à titre inamovible jusqu’à l’âge de la retraite comme c’est le cas pour les juges des cours criminelles ordinaires. Les officiers qui occupent la charge de juge militaire font partie des Forces armées et ne voudront probablement pas voir compromises leurs chances d’avancement dans le service. Il ne serait donc pas raisonnable d’exiger un système dans lequel les juges militaires seraient nommés jusqu’à l’âge de la retraite. (Voir, à cet égard, le jugement de la Cour d’appel de la cour martiale R. c. Ingebrigtson (1990), 61 C.C.C. (3d) 541, à la p. 555.) Les exigences de l’al. 11d) tiennent compte du contexte dans lequel la charge décisionnelle est exercée. La Charte n’impose pas, pas plus qu’il ne serait approprié de le faire, des normes institutionnelles uniformes qui seraient applicables à tous les tribunaux assujettis à l’al. 11d).

Il semble que le raisonnement de la majorité dans l’arrêt Généreux, fondé sur les dispositions législatives et réglementaires qui régissaient la constitution et les procédures de la cour martiale générale à l’époque, visait à protéger les chances d’avancement des juges-avocats puisque la Cour semblait penser que les dits juges-avocats désiraient poursuivre leur carrière au sein du Cabinet du Juge-avocat général. Si l’on considère le concept d’indépendance judiciaire tel qu’il existe en 2005, il convient de se demander si la simple possibilité qu’un juge militaire en fonction puisse songer à l’avancement de sa carrière au sein des Forces canadiennes à la fin de son mandat n’est pas déjà, en elle-même, contraire aux règles de base de l’éthique judiciaire et n’affecte pas irrémédiablement les exigences de l’indépendance et de l’impartialité.

[36] Dans l’arrêt Edwards, la Cour d’appel de la cour martiale s’est penchée sur la composition de la cour martiale disciplinaire à la lumière de l’alinéa 11d) de la Charte. D’entrée de jeu, cette Cour a précisé que les ORFC avaient été modifiés le 20 décembre 1990 pour y inclure certaines dispositions portant sur la sélection et la durée des fonctions des juges-avocats. La Cour suprême du Canada avait examiné ces modifications dans l’arrêt R. c. Généreux en indiquant qu’elles paraissaient corriger les principales lacunes de l’inamovibilité du juge-avocat. La Cour d’appel de la cour martiale a conclu que, bien que cette conclusion puisse être à strictement parler une opinion incidente, elle ne devrait pas s’en écarter. Par conséquent, le juge-avocat en l’espèce, ayant joui de l’inamovibilité prévue à l’article 4.09 des ORFC, avait une inamovibilité qui, dans le contexte de la cour martiale, respectait l’alinéa 11d) de la Charte. En ce qui a trait à l’inamovibilité du juge-avocat, l’ancien juge en chef Strayer affirmait, aux paragraphes 15 à 17 :

Page 20 of 45 15 Comme je l’ai indiqué précédemment, le juge-avocat doit être un juge militaire pour une période fixe allant de deux à quatre ans. Le juge militaire en chef désigne la personne qui fera office de juge-avocat à l’audience. À l’époque du procès Généreux, le juge-avocat général désignait les juges-avocats au cas par cas, et il avait aussi la responsabilité de nommer le procureur à charge et de superviser la procédure pénale. La Cour suprême, concluant que cette façon de faire ne donnait pas suffisamment de garanties quant à l’inamovibilité, a affirmé :

... Il reste, cependant, qu’une personne raisonnable aurait bien pu craindre que la personne nommée au poste de juge-avocat ait été choisie parce qu’elle avait satisfait aux intérêts de l’exécutif, ou du moins parce qu’elle n’avait pas sérieusement déçu les attentes de l’exécutif lors de procédures antérieures. Tout système de tribunaux militaires qui ne dissipe pas pareilles craintes est entaché d’un vice au regard de l’al. 11d). Par voie de conséquence, la condition essentielle de l’inamovibilité, dans ce contexte, exige à tout le moins la protection contre l’ingérence de l’exécutif pendant une période déterminée. La charge de juge militaire que remplit un officier ne doit pas, durant une certaine période, dépendre du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif.

En définitive, la Cour suprême a conclu que le régime d’alors, selon lequel la nomination des juges-avocats était faite au cas par cas, et en vertu duquel ces juges-avocats retournaient immédiatement par après à des fonctions non judiciaires, ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 11d).

16 Avant que l’arrêt Généreux de la Cour suprême n’ait été prononcé, les O.R.F.C. avaient déjà été modifiés de manière à incorporer l’actuel article 4.09, cité ci-dessus, qui prescrit que les juges-avocats doivent être choisis parmi les juges militaires, qui sont nommés, non pas au cas par cas, mais pour une période fixe allant de deux à quatre ans. Après avoir examiné cette modification, le juge en chef Lamer, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a affirmé :

Toutefois, je noterais que les modifications apportées récemment aux O.R.F.C., qui ont pris effet le 22 janvier 1991, soit après la fin du procès en l’espèce, semblent combler les principales lacunes de l’inamovibilité du juge-avocat. Selon le nouvel art. 4.09 O.R.F.C., l’officier habilité à occuper la charge de juge-avocat à une cour martiale générale est d’abord nommé au poste de juge militaire pour une période de deux à quatre ans. En outre, l’art. 111.22 O.R.F.C. stipule désormais que le juge militaire en chef, et non le juge-avocat général, est investi du pouvoir de nommer le juge-avocat à la cour martiale générale. Ces points ne sont pas soulevés devant nous et je ne les mentionne que pour compléter mon analyse.

En l’espèce, l’intimée appuie sur l’autorité de ces affirmations la validité des dispositions actuelles quant à l’inamovibilité des juges-avocats. L’appelant avance que ces affirmations de la Cour suprême n’étaient que l’expression d’une opinion incidente, étant donné que les dispositions de l’article 4.09 modifié n’étaient pas en cause dans l’arrêt Généreux. Bien que l’extrait cité ci-dessus puisse être à strictement parler une opinion incidente, je crois que nous ne devrions pas nous en écarter. La Cour suprême examinait alors essentiellement la même question, soit la nature de l’exigence constitutionnelle d’inamovibilité en contexte des fonctions de juge-avocat. La Cour suprême a affirmé qu’un juge-avocat ou un juge militaire « ne doit pas, durant une certaine période, dépendre du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif ». L’article 4.09 prescrit une période de deux à quatre ans au cours de laquelle le juge militaire peut

Page 21 of 45 exercer ses fonctions sans dépendre du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif. Je pense que nous devons considérer le commentaire du juge en chef selon lequel l’article 4.09 apparaît « combler les principales lacunes de l’inamovibilité du juge-avocat » comme une juste appréciation de ce que la Cour suprême considérerait comme étant une « certaine période ». Cela concorde certainement avec la raison déterminante de l’arrêt Généreux, tant dans les motifs des juges majoritaires que dans les motifs concordants des juges minoritaires.

17 Je conclus donc que le juge-avocat en l’espèce, ayant joui de l’inamovibilité prévue à l’article 4.09, avait une inamovibilité qui, dans le contexte de la cour martiale, respectait l’alinéa 11d) de la Charte.

[37] Dans l’arrêt R. c. Lauzon, la Cour d’appel de la cour martiale s’est penchée sur la prétention de l’appelant que la Cour martiale permanente n’était pas un tribunal indépendant au sens de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). Après avoir passé en revue les composantes essentielles de l’indépendance judiciaire, la Cour ajoutait au paragraphe 19 :

[19] Enfin, la protection offerte par l’article 11d) de la Charte à toute personne inculpée s’applique aux poursuites pénales intentées devant une Cour martiale. Nous nous empressons d’ajouter que, dans le cadre de l’exercice de cette compétence, les Cours martiales appliquent les droits et les garanties conférées par la Charte et utilisent les pouvoirs conférés par l’article 24 de ladite Charte. En d’autres termes, elles jouent un rôle important dans l’application des principes de la Constitution et la protection des valeurs qu’elle renferme.

S’appuyant sur l’arrêt Edwards, la Cour a traité de la question de l’inamovibilité des juges militaires et, pour la première fois, du renouvellement des mandats, aux paragraphes 26 et 27 :

[26] Comme notre Cour d’appel l’a décidé dans l’arrêt R. c. Edwards, [1995] A.C. A.C. no 10, l’affectation des membres à un poste de juge militaire pour une durée fixe, même si cette période n’est pas à vie, garantit l’indépendance institutionnelle. Il en va de même du processus par lequel la désignation des juges pour les causes à être entendues se fait maintenant par le juge militaire en chef et non plus par l’autorité convocatrice qui désignait aussi les procureurs à charge (R. c. Edwards, supra). Mais il s’agissaitdes seules questions soumises à la Cour. Ce à quoi l’appelant s’en prend dans la présente affaire, ce n’est pas, comme dans l’arrêt Edwards, à la durée des affectations au poste de juge militaire, mais au fait que ces affectations puissent être renouvelées. En d’autres termes, l’appelant soutient que la possibilité de renouvellement des affectations porte atteinte au principe de l’inamovibilité des juges militaires.

[27] À notre avis, le fait que l’affectation d’un officier à un poste de juge militaire soit renouvelable ne conduit pas nécessairement à une conclusion d’absence d’indépendance institutionnelle si ce processus de renouvellement est assorti de garanties importantes et suffisantes pour assurer que la Cour et le juge militaire en question soient à l’abri de pressions du pouvoir exécutif pouvant influer sur le sort des décisions à venir. Or, malheureusement dans le cas présent, le renouvellement de l’affectation se fait au simple niveau ministériel par le Ministre lui-même qui peut décider de ne pas renouveler le mandat d’un juge militaire qui a pris des positions peu

Page 22 of 45 prisées par son ministère ou plus généralement par l’Exécutif. La recommandation de renouveler le mandat d’un juge militaire émane du juge militaire en chef, il est vrai. Mais la réaffectation de ce même juge militaire en chef se fait elle aussi par le Ministre. Et il y a plus. Cette ré-affectation se fait sur recommandation du juge-avocat général qui, avec ses effectifs, plaide régulièrement pour le Ministre devant les juges militaires et le juge militaire en chef. Au surplus, alors que la destitution d’un juge militaire doit se faire pour cause, un refus de renouvellement de son affectation dépend de l’entière discrétion du Ministre, sans aucune norme ou balise protectrice, ce qui, à toute fin pratique, équivaut à mettre, sans cause, un terme à ses fonctions. En ce qui a trait aux nominations et au renouvellement des mandats des Présidents de la Cour martiale permanente proprement dite, l’article 113.54 des ORFC, plus précisément les paragraphes 3 et 4, est au même effet que l’article 4.09 et souffre en conséquence des mêmes lacunes. Comme ceux-ci statuent sur des causes de discipline militaire les intérêts du Ministre sont directement en jeu, l’absence de normes pour le renouvellement des mandats n’offre pas de garanties objectives suffisantes d’indépendance.

[38] Peu après, la Cour d’appel de la cour martiale, cette fois dans l’arrêt R. c. Bergeron, se prononçait sur la question de l’indépendance de la cour martiale permanente dans le contexte de la Cour martiale permanente et affirmait aux paragraphes 20 à 29 :

[20] L’intimée a souligné que, depuis l’instruction de l’affaire Lauzon mais avant le procès de l’appelant, le Décret ministériel d’organisation signé par le ministre de la Défense nationale le 27 septembre 1997 a réorganisé le Cabinet du juge militaire en chef comme une unité distincte des Forces canadiennes en vertu du paragraphe 17(1) de la LDN. Par conséquent, selon l’intimée, les liens institutionnels et organisationnels entre le ministre, le juge-avocat général et les juges militaires ont été modifiés de façon importante, ces derniers étant affectés comme membres du Cabinet du juge militaire en chef, une unité distincte qui ne fait pas partie du Cabinet du juge-avocat général.

[21] Nous reconnaissons la portée de ce changement mais nous ne sommes pas convaincus qu’il règle, à lui seul, les inquiétudes exprimées par la Cour dans l’affaire Lauzon relativement aux modes de renouvellement des affectations et de révocation des juges militaires ainsi que de fixation de leur solde, qui n’ont pas changé depuis le prononcé de cette décision, comme l’a reconnu l’intimée.

[22] Pour ce motif, nous ne sommes pas convaincus que nous devrions nous écarter du raisonnement énoncé dans Lauzon en raison du Décret ministériel d’organisation du 27 septembre 1997.

[23] L’intimée a également soutenu que nous devions appliquer la décision rendue par le juge en chef Strayer dans l’affaire Edwards. Si nous saisissons bien son argument, l’arrêt Lauzon serait incompatible avec l’arrêt Edwards dans lequel le juge en chef a rejeté un argument constitutionnel concernant une cour martiale disciplinaire. Il est important de noter que dans l’affaire Edwards la question à trancher était celle de savoir si une cour martiale disciplinaire constituait un tribunal indépendant compte tenu des règlements régissant sa composition. Selon la thèse avancée dans cette affaire, le juge-avocat n’était pas indépendant et les membres de la cour martiale disciplinaire, en raison du mode choisi pour leur nomination, n’étaient pas assez indépendants de l’autorité convocatrice. L’intimée s’est reportée en particulier au passage suivant de cet arrêt, figurant à la page 5 :

Page 23 of 45 L’appelant soutient que le juge-avocat nommé et exerçant ses fonctions conformément à ce régime ne jouit pas suffisamment de l’inamovibilité pour satisfaire à l’exigence de tribunal indépendant imposée par l’alinéa 11d). Plus particulièrement, il affirme que la durée des fonctions établie à une période variant entre deux et quatre ans peut être considérée comme rendant le juge avocat sujet à des pressions de l’extérieur, faisant l’hypothèse que ce dernier sera préoccupé, particulièrement vers la fin de son mandat, de se gagner la confiance des autorités militaires pour obtenir soit une nouvelle nomination à titre de juge militaire soit une promotion ailleurs dans les Forces armées.

[24] Bien que le juge en chef ait reconnu que l’argument de l’appelant visait non seulement la nomination du juge-avocat, mais aussi le renouvellement de son affectation, il a limité sa décision au processus de nomination et n’a tenu compte que de l’article 4.09 des ORFC dans le contexte de l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259. Il a conclu, à la page 11 :

En l’espèce, l’intimée appuie sur l’autorité de ces affirmations la validité des dispositions actuelles quant à l’inamovibilité des juges-avocats. L’appelant avance que ces affirmations de la Cour suprême n’étaient que l’expression d’une opinion incidente, étant donné que les dispositions de l’article 4.09 modifié n’étaient pas en cause dans l’arrêt Généreux. Bien que l’extrait cité ci-dessus puisse être à strictement parler une opinion incidente, je crois que nous ne devrions pas nous en écarter. La Cour suprême examinait alors essentiellement la même question, soit la nature de l’exigence constitutionnelle d’inamovibilité en contexte des fonctions de juge-avocat. La Cour suprême a affirmé qu’un juge-avocat ou un juge militaire "ne doit pas, durant une certaine période, dépendre du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif". L’article 4.09 prescrit une période de deux à quatre ans au cours de laquelle le juge militaire peut exercer ses fonctions sans dépendre du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif. Je pense que nous devons considérer le commentaire du juge en chef selon lequel l’article 4.09 apparaît "combler les principales lacunes de l’inamovibilité du juge-avocat" comme une juste appréciation de ce que la Cour suprême considérerait comme étant une "certaine période". Cela concorde certainement avec la raison déterminante de l’arrêt Généreux, tant dans les motifs des juges majoritaires que dans les motifs concordants des juges minoritaires.

Je conclus donc que le juge-avocat en l’espèce, ayant joui de l’inamovibilité prévue à l’article 4.09, avait une inamovibilité qui, dans le contexte de la cour martiale, respectait l’alinéa 11d) de la Charte.

[25] De plus, dans l’affaire Lauzon, la Cour a établi la distinction suivante avec l’arrêt Edwards, au paragraphes 25 et 26 :

[25] En vertu des articles 4.09(3) et (5) des ORFC, les affectations des membres à un poste de

Page 24 of 45 juge militaire sont d’une durée de 2 à 4 ans et ces affectations sont renouvelables :

4.09(3) La durée fixe prévue à l’alinéa (2) doit être normalement de quatre ans et ne doit pas être moins de deux ans.

4.09(5) Un officier peut être affecté de nouveau à l’un des postes mentionnés à l’alinéa (1) à l’expiration d’une durée fixe, soit initiale, soit subséquente :

a) sur recommandation du juge-avocat général dans le cas du juge militaire en chef;

b) sur recommandation du juge militaire en chef dans les autres cas.

[26] Comme notre Cour d’appel l’a décidé dans l’arrêt R. c. Edwards, [1995] A.C. A.C. no 10, l’affectation des membres à un poste de juge militaire pour une durée fixe, même si cette période n’est pas à vie, garantit l’indépendance institutionnelle. Il en va de même du processus par lequel la désignation des juges pour les causes à être entendues se fait maintenant par le juge militaire en chef et non plus par l’autorité convocatrice qui désignait aussi les procureurs à charge (R. c. Edwards, supra). Mais il s’agissaitdes seules questions soumises à la Cour. Ce à quoi l’appelant s’en prend dans la présente affaire, ce n’est pas, comme dans l’arrêt Edwards, à la durée des affectations au poste de juge militaire, mais au fait que ces affectations puissent être renouvelées. En d’autres termes, l’appelant soutient que la possibilité de renouvellement des affectations porte atteinte au principe de l’inamovibilité des juges militaires.

[26] Il faut également souligner que dans l’affaire Lauzon la Cour a limité sa déclaration d’invalidité à l’article 177 de la LDN qui prévoit la constitution des cours martiales permanentes, dont le président est "... nommé par le ministre ou sous son autorité..." et aux articles des ORFC qui traitent expressément du mode de renouvellement des affectations et de révocation des juges militaires ainsi que de la fixation de leur solde.

[27] Pour ces motifs, nous rejetons la prétention de l’intimée selon laquelle le jugement dans l’affaire Lauzon est incompatible avec l’arrêt Edwards. Pour les motifs exposés dans l’affaire Lauzon, qu’il est inutile de reproduire ici, nous sommes d’avis que l’appel doit être accueilli en partie et que l’article 177 de la LDN établissant le mode de nomination du président d’une cour martiale permanente, ainsi que les paragraphes 4.09(1), 4.09(5), 4.09(6), 101.14(2), 101.14(4), 101.16(10), 113.54(4) et l’article 204.22 des ORFC concernant le mode de renouvellement des affectations et de révocation des juges militaires et la fixation de leur solde, doivent être déclarés invalides et inopérants.

[28] En dernier lieu, puisque cette Cour ne peut s’écarter du raisonnement énoncé dans l’arrêt Lauzon, on nous demande d’ordonner la tenue d’un nouveau procès devant

Page 25 of 45 une cour provinciale. Étant donné que les accusations portées contre l’appelant relèvent non seulement du Code criminel mais également de certains articles de la Loi sur la Défense nationale, la Cour ne peut être convaincue qu’une cour provinciale possède la juridiction requise pour traiter de la question.

[29] Ayant conclu à l’absence d’une injustice réelle et substantielle pour écarter les condamnations rendues par le président de la cour martiale permanente, l’appel à l’encontre des condamnations sera donc rejeté. Cependant, la Cour étant affectée par la même lacune constitutionnelle que dans l’affaire Lauzon, tenant compte des projets de modifications de la structure organisationnelle des Cours martiales qui sont présentement devant le Parlement et de l’opportunité d’octroyer au Gouvernement un délai raisonnable pour apporter les correctifs appropriés, nous émettons une ordonnance suspendant jusqu’au 18 septembre 1999 la déclaration d’invalidité des articles 177 de la LDN et 4.09(1), 4.09(5), 4.09(6), 101.14(2), 101.14(4), 101.16(10), 113.54(4) et 204.22 des ORFC.

[39] Quoique la cour soit liée par la règle du stare decisis, elle doit déterminer si la cour possède les caractéristiques essentielles requises d’un tribunal indépendant et impartial à la lumière de son propre contexte et à celle des décisions antérieures en appel. La cour doit non seulement examiner objectivement le statut de cette institution, tel qu’il ressort de son régime législatif et réglementaire actuel, mais elle doit examiner aussi la structure de la cour martiale permanente en prenant en compte le concept de l’indépendance judiciaire qui continue d’évoluer dans le temps.

CONTEXTE ET HISTORIQUE DEPUIS LAUZON Le premier rapport Dickson [40] Durant l’année 1997, deux rapports spéciaux et une importante Commission d’enquête ont traité, entre autres sujets, des problèmes relatifs au système de justice militaire dans les Forces canadiennes. Le Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et sur les services d’enquête de la police militaire était présidé par le très honorable Brian Dickson, ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada. Le Groupe consultatif spécial avait pour mandat d’évaluer le Code de discipline militaire à la lumière de son objectif fondamental et de la nécessité de disposer de tribunaux militaires mobiles capables, grâce à des méthodes à la fois rapides et équitables, de fonctionner en temps de paix comme en temps de guerre, au Canada et à l’étranger. Le Groupe consultatif spécial a présenté son rapport le 14 mars 1997.

Commission d’enquête sur la Somalie [41] Une commission d’enquête, présidée par l’honorable juge Gilles Létourneau, a été constituée dans le but d’enquêter et de faire rapport sur le système de la chaîne de commandement, le leadership au sein de celle-ci, la discipline, les opérations, les actes et les décisions des Forces canadiennes, ainsi que sur les mesures et les décisions prises par le ministère de la Défense nationale, en ce qui a trait au

Page 26 of 45 déploiement des Forces canadiennes en Somalie. La Commission d’enquête a présenté son rapport au gouvernement le 30 juin 1997.

Second rapport du Groupe consultatif spécial Dickson [42] Le Groupe consultatif spécial a rédigé un autre rapport, à la demande de l’ancien ministre de la Défense nationale, Doug Young, sur les fonctions quasi-judiciaires qui incombent au ministre en vertu du Code de discipline militaire. Ce second rapport a été présenté au gouvernement le 25 juillet 1997. Le Groupe consultatif spécial a conclu dans son premier rapport qu’il fallait absolument conserver un système de justice militaire séparé et distinct, pouvant fonctionner en temps de paix et en temps de guerre, au Canada ou à l’étranger. Cependant, il recommandait d’importants changements concernant tous les aspects de la justice militaire et des services d’enquête de la police militaire. Le Ministère et les Forces canadiennes avaient déjà reconnu la nécessité d’apporter des changements au système de justice militaire et aux services d’enquête de la police militaire. L’examen effectué par le Groupe consultatif spécial est venu compléter et appuyer la réforme interne déjà en cours. Dans son rapport sur les fonctions quasi-judiciaires qui incombent au Ministre, le Groupe consultatif spécial a recommandé que le Ministre soit dégagé de la majorité de ces fonctions afin d’éviter les risques de conflit d’intérêts entre ces fonctions et les devoirs et les pouvoirs exécutifs du Ministre. Les modifications à la Loi sur la défense nationale visaient à permettre de rapprocher davantage le système de justice militaire des valeurs et des critères juridiques canadiens actuels tout en essayant de préserver les caractéristiques du système qui semblaient nécessaires pour répondre aux besoins militaires.

[43] Les dispositions du projet de loi C-25, devenu la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, chapitre 35 qui sont entrées en vigueur le 1 er septembre 1999 : 1) visaient à éclaircir les rôles et les responsabilités des principaux intervenants du système de justice militaire, dont le ministre de la Défense nationale et le juge-avocat général;

2) visaient à établir des normes claires séparant, sur le plan institutionnel, les fonctions relatives aux enquêtes, à la poursuite, à la défense et aux aspects judiciaires;

3) abolissaient la peine de mort figurant à l’échelle des peines et lui substituaient l’emprisonnement à perpétuité;

4) autorisaient un juge militaire à présider les cours martiales et à imposer les sentences de la cour;

Page 27 of 45 5) autorisaient la participation de militaires du rang, à titre de membres des comités de la cour martiale, dans le cadre de procès en cour martiale générale ou disciplinaire mettant en cause un militaire du rang;

6) créaient le Service des avocats de la défense dont le directeur est nommé par le ministre à titre inamovible pour un mandat maximal de quatre ans renouvelable pour diriger et superviser la prestation des services juridiques, prévus par règlement du gouverneur en conseil, aux personnes passibles de poursuites et justiciables du Code de discipline militaire et pour fournir de tels services. Le juge-avocat général peut, par écrit, établir des lignes directrices ou donner des instructions concernant les services d’avocats de la défense. (Articles 249.18 à 249.21 de la Loi sur la défense nationale);

7) créaient le poste de Directeur des poursuites militaires, lequel est chargé de prononcer toutes les mises en accusation des personnes jugées par les cours martiales et de mener les poursuites devant celle-ci. Il représente également le ministre dans les appels lorsqu’il reçoit des instructions à cette fin. Le Directeur est nommé par le ministre à titre inamovible pour un mandant maximal de quatre ans renouvelable. Il peut faire l’objet d’une révocation motivée que prononce le ministre sur recommandation d’un comité d’enquête établi par règlement du gouverneur en conseil. Le Directeur des poursuites militaires agit sous la supervision du juge-avocat général qui peut émettre par écrit des instructions générales et particulières à l’égard des poursuites. (Articles 165.1 à 165.17 de la Loi sur la défense nationale);

8) créaient le poste d’administrateur de la cour martiale qui convoque les cours martiales et qui, notamment, nomme les membres d’une cour martiale générale ou d’une cour martiale disciplinaire, et exerce toute autre fonction qui lui est conférée par la loi ou que lui confie par règlement le gouverneur en conseil. Comme on le sait, l’administrateur exerce ses fonctions sous la direction générale du juge militaire en chef. (Articles 165.18 à 165.2).

[44] Les modifications à la Loi sur la défense nationale ont eu une incidence importante sur la fonction de juge militaire. La cour ne fait pas référence à la fonction du juge militaire en chef, mais à celle du juge militaire. Le rôle et les fonctions du juge militaire sont semblables aux rôles et aux fonctions du juge d’une cour supérieure ou provinciale en matière pénale ou criminelle. Le cadre législatif des fonctions du juge militaire découle des articles 165.21 à 165.23 de la Loi sur la défense nationale. Les caractéristiques principales des fonctions du juge militaire en vertu de la Loi comprennent la nomination, la durée du mandat et le processus de révocation, le renouvellement du mandat, l’âge de la retraite, la rémunération et les fonctions.

Page 28 of 45 [45] La Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, chapitre 35, a apporté plusieurs changements importants à la charge de juge militaire. Les juges militaires sont maintenant nommés par le gouverneur en conseil parmi les avocats inscrits au barreau d’une province depuis au moins 10 ans pour un mandat de cinq ans, sous réserve de révocation motivée par le gouverneur en conseil sur recommandation d’un comité d’enquête établi par règlement du gouverneur en conseil. Ce mandat est renouvelable, à l’expiration du premier mandat ou d’un mandat subséquent, sur recommandation d’un comité d’examen établi également par règlement du gouverneur en conseil. Le juge militaire cesse d’occuper sa charge dès qu’il a atteint l’âge fixé par règlement du gouverneur en conseil pour la retraite. La rémunération des juges militaires est révisée régulièrement par un comité établi à cette fin par règlement du gouverneur en conseil. Les juges militaires président toutes les cours martiales et exercent les autres fonctions judiciaires qui leur sont conférées sous le régime de la loi. Ils peuvent exercer en outre toute autre fonction que leur confie le juge militaire en chef et qui n’est pas incompatible avec leurs fonctions judiciaires. Finalement, ils peuvent, avec l’agrément du juge militaire en chef, être nommés pour agir à titre de commission d’enquête. La cour est d’avis que ces mesures législatives ont eu pour effet de créer une véritable magistrature militaire moderne et que les fonctions du juge militaire sont maintenant très similaires à celles des juges qui remplissent leurs fonctions au sein des tribunaux judiciaires au Canada. Étant donné la compétence des cours martiales présidées par les juges militaires, notamment de juger les infractions criminelles les plus graves, ainsi que les fonctions de ces juges, il est impossible de comparer le rôle et les fonctions d’un juge militaire avec celles d’un juge présidant un tribunal administratif, peu importe un tel tribunal se situe dans le vaste éventail des tribunaux administratifs.

Considérations générales après Lauzon [46] Si l’on compare la charge du juge militaire aujourd’hui au régime législatif qui existait au moment des arrêts Généreux, Edwards, Lauzon et Bergeron, il appert que la notion d’« affectation » d’un officier à un poste de juge militaire pour une durée fixe, renouvelable, n’existe plus. L’« affectation » d’un militaire à un endroit ou à un emploi spécifique est une décision qui relève de l’exécutif militaire et qui ne représente pas nécessairement le premier choix du militaire. Il convient de noter que cette notion « d’affectation » existait sous le régime réglementaire qui régissait les juges militaires lorsque les décisions de la Cour d’appel de la cour martiale ont été rendues dans les affaires Edwards, Lauzon et Bergeron. Selon l’ancienne réglementation, la personne « affectée » à un poste de juge militaire devait être un avocat militaire qui était employé, avant cette affectation, au sein du Cabinet du juge-avocat général. Après avoir terminé son affectation judiciaire, cette personne aurait pu décider de poursuivre sa carrière militaire dans le Cabinet du juge-avocat général. Ces affectations étaient pour une durée fixe, quoique renouvelable, pouvant varier entre deux et quatre ans. Il ne pouvait y être mis fin qu’aux termes du paragraphe (6) de l’article 4.09 des ORFC, que voici :

Page 29 of 45 4.09 EXERCICE DES FONCTIONS JUDICIAIRES - COURS MARTIALES (6) On met fin avant terme à l’affectation d’un officier qui occupe un poste mentionné à l’alinéa (1) uniquement dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) à la demande écrite de celui-ci; b) suite à une promotion acceptée par celui-ci; c) dès le début du congé de fin de service précédant une libération en vertu du numéro 4 (sur demande) ou du numéro 5a (service terminé, âge de la retraite) du tableau ajouté à l’article 15.01 (Libération des officiers et militaires du rang);

d) suite à l’ordre du ministre en vertu de l’alinéa (10) de l’article 101.16 (Conduite de l’enquête), révoquant l’officier de tout poste comportant des fonctions judiciaires.

Cette réglementation était conforme aux propos de l’ancien juge en chef Lamer dans l’arrêt Généreux lorsqu’il affirmait, au paragraphe 86 :

86 Cependant, je ne considère pas que l’al. 11d) exige que les juges militaires occupent leur charge à titre inamovible jusqu’à l’âge de la retraite comme c’est le cas pour les juges des cours criminelles ordinaires. Les officiers qui occupent la charge de juge militaire font partie des Forces armées et ne voudront probablement pas voir compromises leurs chances d’avancement dans le service. Il ne serait donc pas raisonnable d’exiger un système dans lequel les juges militaires seraient nommés jusqu’à l’âge de la retraite. (Voir, à cet égard, le jugement de la Cour d’appel de la cour martiale R. c. Ingebrigtson (1990), 61 C.C.C. (3d) 541, à la p. 555.) Les exigences de l’al. 11d) tiennent compte du contexte dans lequel la charge décisionnelle est exercée. La Charte n’impose pas, pas plus qu’il ne serait approprié de le faire, des normes institutionnelles uniformes qui seraient applicables à tous les tribunaux assujettis à l’al. 11d).

[47] Selon le régime actuellement en vigueur, tout officier des Forces canadiennes est admissible à être nommé juge militaire s’il est membre en règle du barreau d’une province depuis au moins 10 ans. La personne apte à être nommée par le gouverneur en conseil peut pratiquer le droit dans les Forces canadiennes, le secteur public ou la pratique privée. Son statut d’officier peut être lié à son emploi à un titre non juridique dans la Force de réserve, par exemple officier d’infanterie ou de logistique. Dans l’optique de la cour, le candidat susceptible de devenir juge militaire ne se limite plus à l’avocat juridique mentionné par le juge en chef Lamer dans Généreux. Le nombre des candidats adéquats a été augmenté de manière significative pour attirer les meilleurs candidats et les militaires savent généralement que le processus de sélection des candidats adéquats pour la magistrature militaire est dorénavant semblable à celle qui s’applique pour d’autres nominations judiciaires fédérales, de manière que seules les officiers compétents et méritants soient considérés pour les nominations de juges militaires.

Page 30 of 45 [48] Les fonctions des juges militaires ont également augmenté de manière significative. Non seulement ceux-ci président-ils les cours martiales, mais ils doivent aussi s’acquitter d’autres fonctions judiciaires en vertu de la Loi sur la défense nationale. Outre leurs fonctions judiciaires, les juges militaires s’acquittent de toute autre fonction non incompatible avec celles-ci que le juge militaire en chef leur assignent. Finalement, ils peuvent, avec l’agrément du juge militaire en chef, être nommés pour agir à titre de commission d’enquête. Cette terminologie ressemble de manière frappante à celle qu’on utilise dans diverses lois fédérales et provinciales afin de définir les fonctions et les devoirs des juges de diverses juridictions.

[49] Il convient également de remarquer que les modifications apportées à la Loi sur la défense nationale par le projet de loi C-25 ont éliminé non seulement le mot, mais la notion même de juge-avocat. Il faut comprendre qu’avant l’entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, chapitre 35, les Cours martiales générales et disciplinaires étaient présidées par un officier autre que le juge-avocat. Le juge-avocat ne s’acquittait pas de la totalité des fonctions requises des juges qui président aux procès criminels. Par exemple, le juge-avocat ne remplissait par les mêmes fonctions qu’un juge d’une cour supérieure qui préside un procès avec jury. Contrairement au juge d’une cour supérieure, le juge-avocat nommé pour arbitrer, et non pour présider, pour arbitrer à la cour martiale pouvait statuer sur les questions de droit ou sur les questions mixtes de droit et de fait soulevées avant ou après le commencement du procès (ancien paragraphe 192(3)). Cela implique qu’un président d’une cour martiale générale pouvait théoriquement refuser de suivre les avis du juge-avocat. Il convient également de souligner que le président, non le juge-avocat, décidait de plusieurs questions relatives à gestion de l’instruction. Pour illustrer ce point, la cour fera référence seulement à certains articles antérieurs de la Loi sur la défense nationale tels que l’ancien article 186 (Visite des lieux), l’article 189 (Ajournements), l’article 191 (Modifications des accusations). La modernisation de la Loi sur la défense nationale a rapproché ces questions du système de justice civile. Il appartient désormais à la charge du juge militaire qui préside à toutes les cours martiales de statuer sur les questions de droit ou sur les questions mixtes de droit et de fait survenant avant ou après l’ouverture du procès (article 191). Le juge militaire qui préside à toutes les cours martiales est aussi dorénavant seul responsable de la conduite et de la gestion de l’instruction. Il est possible de soutenir que le changement le plus significatif en ce qui a trait au rôle et à la fonction du juge militaire depuis l’adoption du projet de loi C-25 concerne la détermination de la peine. Selon le cadre législatif en vigueur aujourd’hui, c’est dorénavant le juge militaire qui détermine la sentence (article 193) de la même manière qu’un juge d’une cour supérieure qui préside un procès devant jury contrairement à ce qui était le cas antérieurement au projet de loi C-25 alors que cette fonction judiciaire était confiée aux membres d’une cour martiale générale ou disciplinaire.

[50] Au surplus, l’article 177 de la Loi sur la défense nationale, en vigueur au moment de la décision rendue par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt

Page 31 of 45 Lauzon, n’exigeait du juge militaire qui préside la cour martiale permanente qu’il soit ou qu’il ait été avocat pendant au moins trois ans. Tel qu’illustré plus tôt, les juges militaires seront dorénavant nommés à titre inamovible par le gouverneur en conseil parmi les avocats inscrits au barreau d’une province pendant au moins 10 ans.

Évolution de la charge de juge militaire après Lauzon [51] Il est incontestable que le rôle et les fonctions du juge militaire ont beaucoup évolué depuis l’adoption et l’entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, ch. 35. J’en donnerai quelques exemples. Premièrement, la section 3 (Arrestation et détention avant procès) à la partie III de la Loi sur la défense nationale (le Code de discipline militaire) a remplacé l’ancienne partie VI de la Loi. Cette nouvelle section représente un régime complet qui couvre la période de l’arrestation d’un individu, sa détention préventive et sa remise en liberté. Le législateur a modernisé la Loi sur la défense nationale en dotant le Code de discipline militaire d’un mécanisme de mise en liberté provisoire par voie judiciaire qui s’apparente à celui du Code criminel aux articles 515 à 522. En vertu du nouveau régime, un officier réviseur qui n’ordonne pas la mise en liberté d’une personne doit, dès que possible, faire conduire celle-ci devant un juge militaire afin que ce dernier tienne une audience et détermine s’il y a lieu de maintenir la personne en détention (articles 159 à 159.6). Un juge de la Cour d’appel de la cour martiale peut réviser toute décision d’un juge militaire à cet égard (article 159.9). Quoique ce régime tienne compte de l’environnement militaire, il semble que le rôle du juge militaire dans ce mécanisme de mise en liberté provisoire s’apparente davantage au rôle du juge qu’à celui du juge de paix en vertu du Code criminel.

[52] Deuxièmement, les articles 173 et 174 de la Loi sur la défense nationale prévoit désormais qu’une cour martiale permanente est autorisée - en ce qui concerne la cour martiale permanente, la Loi précise maintenant que tout juge militaire est autorisé à présider une cour martiale permanente et un juge militaire qui le fait constitue la cour martiale permanente, la Loi prévoit qu’une cour martiale permanente peut juger tout officier ou militaire du rang qui est susceptible d’être accusé, poursuivi et jugé pour une infraction d’ordre militaire. Tels sont maintenant les deux éléments de ces articles. En d’autres termes, tout officier ou militaire du rang peut maintenant être jugé par une cour martiale permanente présidée par un juge militaire et ce, sans aucune restriction liée au grade de l’accusé ou à sa fonction au sein des Forces canadiennes. Telle est la substance des articles 173 et 174 de la Loi sur la défense nationale. Il s’agit d’une différence importante par rapport à la situation qui prévalait avant que l’article 177 de la Loi sur la défense nationale ne soit invalidé par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt Lauzon. L’ancien article 177 était d’ailleurs ainsi rédigé :

177. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des cours martiales permanentes, composées d’un seul membre nommé par le ministre ou sous son autorité et appelé le président. Celui-ci est un officier inscrit au barreau depuis plus de trois ans.

Page 32 of 45 (2) Sous réserve de toute restriction réglementaire, la cour martiale permanente a compétence en matière d’infractions d’ordre militaire prévues à la partie IV; la peine maximale qu’elle peut infliger dans sa sentence est l’emprisonnement de moins de deux ans.

C’est aux termes de l’ancien article 177 de la Loi sur la défense nationale que le gouverneur en conseil avait établi l’article 113.52 des ORFC. Le chapitre 113 (Cours martiales générales spéciales et Cours martiales permanentes) des ORFC a été abrogé par le C.P. 1999-1305 du 8 juillet 1999 en vigueur le 1 er septembre 1999; et les réglementations ministérielles abolies évidemment le 1 er septembre 1999. ; (M) 1 er septembre 1999 et (C) 1 er septembre 1999). L’article 113.52 des ORFC limitait la compétence de la cour martiale permanente de plusieurs manières. Voici cet article :

113.52 - COMPÉTENCE DE LA COUR MARTIALE PERMANENTE (1) La cour martiale permanente ne juge aucun civil. (2) La cour martiale permanente ne juge aucun officier titulaire du grade de colonel ou d’un grade supérieur.

(3) Le président de la cour martiale permanente doit être un officier titulaire d’un grade supérieur à celui de l’accusé.

Le législateur a décidé que tout officier ou militaire du rang peut dorénavant être jugé par une cour martiale permanente présidée par un juge militaire sans égard au grade de l’accusé ou à celui du juge militaire saisi. Relativement au passé, il s’agit d’une nette différence qui se traduit par une augmentation importante de la compétence de la cour martiale permanente présidée par un juge militaire. La cour croit fermement que cette évolution vers la pleine reconnaissance du statut judiciaire du juge militaire requiert le plus haut degré d’indépendance judiciaire envers l’exécutif et la chaîne de commandement. Elle soulève l’importance de reconnaître que le titulaire de la charge de juge militaire doit être à l’abri de toute interférence directe ou indirecte qui pourrait raisonnablement émaner des personnes occupant les plus hautes fonctions militaires, y compris les officiers généraux, qui sont toutes justiciables du Code de discipline militaire.

[53] Troisièmement, le législateur a créé - en adoptant la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, chapitre 35 - un régime similaire à celui qui existe au Code criminel, aux articles 487.04 et suivants, en matière d’analyse génétique effectuée à des fins médico-légales. La section 6.1 de la Loi sur la défense nationale permet au juge militaire de délivrer un mandat ou un télémandat autorisant le prélèvement sur une personne justiciable du Code de discipline militaire, pour analyse génétique, du nombre d’échantillons de substances corporelles raisonnablement requis à cette fin. Elle permet également à la cour martiale présidée par le juge militaire de rendre une ordonnance similaire lorsqu’elle déclare une personne coupable d’une infraction désignée.

Page 33 of 45 [54] Quatrièmement, la cour martiale présidée par un juge militaire peut, en la forme prescrite, délivrer un mandat pour l’arrestation de l’accusé qui, étant régulièrement convoqué ou ayant dûment reçu l’ordre de comparaître devant elle, ne s’y présente pas, ou qui, ayant comparu devant la cour martiale, ne se présente pas devant la cour martial comme il en est requis (article 249.23).

[55] Cinquièmement, le législateur a accru de manière significative les pouvoirs de la cour martiale présidée par un juge militaire ainsi que les pouvoirs du juge militaire dans l’exercice de toute fonction judiciaire en vertu de la Loi sur la défense nationale autre que celle de présider une cour martiale. Aux termes de ‘article 179 de la Loi :

179. (1) La cour martiale a, pour la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses ordonnances et toutes autres questions relevant de sa compétence, les mêmes attributions qu’une cour supérieure de juridiction criminelle, notamment le pouvoir de punir l’outrage au tribunal.

(2) Chaque juge militaire a ces mêmes attributions pour l’exercice des fonctions judiciaires que lui confie la présente loi, sauf lorsqu’il préside une cour martiale.

[56] Comme l’indiquait l’ancien juge en chef Lamer en 1992 dans l’arrêt Généreux, il est vrai que la Constitution n’exige pas d’accorder aux juges militaires l’inamovibilité jusqu’à la retraite équivalente à celle dont bénéficient les juges des cours criminelles ordinaires. Il est tout aussi vrai que la nomination des juges militaires pour un mandat fixe et renouvelable n’est pas en soi inconstitutionnelle, ce que la Cour d’appel de la cour martiale a clairement indiqué. Cette question complexe peut exister ailleurs dans d’autres contextes. Par exemple, la question de la nomination de juges à temps partiel, choisis parmi les juges à la retraite, pour des mandats fixes et renouvelables a été examinée par d’autres cours et cette situation, quoique différente, n’est pas non plus en elle-même inconstitutionnelle.

[57] L’examen de ces questions doit toutefois prendre en compte les dispositions législatives et réglementaires précises qui régissent la constitution et les procédures de la cour ou du tribunal au moment du procès. Cet examen doit aussi prendre en compte le contexte de l’indépendance judiciaire lequel évolue dans le temps.

[58] La nature des fonctions et le rôle accru du juge militaire dans le système de justice militaire depuis l’arrêt Lauzon est, selon la Cour, la pierre angulaire de la modernisation ou de l’évolution de ce système tel qu’il ressort de la Loi sur la défense nationale après l’adoption du projet de loi C-25. Selon la cour, cet élément ne fait pas seulement partie du contexte moderne des tribunaux militaires et de leur historique au Canada. La Cour croit qu’ils témoignent de la volonté manifeste du législateur de rapprocher davantage le système de justice militaire non seulement des tribunaux civils mais aussi des valeurs et des critères juridiques canadiens fondamentaux actuels tout en essayant de préserver les caractéristiques du système qui semblaient nécessaires dans le

Page 34 of 45 contexte singulier de l’armée. Les propos de l’ancien juge en chef Lamer, au paragraphe 31 de l’arrêt Généreux, sont toujours pertinents. Les voici en partie :

31. ... Certes, le Code de discipline militaire porte avant tout sur le maintien de la discipline et de l’intégrité au sein des Forces armées canadiennes, mais il ne sert pas simplement à réglementer la conduite qui compromet pareilles discipline et intégrité. Le Code joue aussi un rôle de nature publique, du fait qu’il vise à punir une conduite précise qui menace l’ordre et le bien-être publics. Nombre des infractions dont une personne peut être accusée en vertu du Code de discipline militaire, qui constitue les parties IV à IX de la Loi sur la défense nationale, se rapportent à des affaires de nature publique. Par exemple, toute action ou omission punissable en vertu du Code criminel ou d’une autre loi du Parlement est également une infraction au Code de discipline militaire. En fait, trois des accusations portées contre l’appelant en l’espèce concernaient une conduite interdite par la Loi sur les stupéfiants. Les tribunaux militaires jouent donc le même rôle que les cours criminelles ordinaires, soit punir les infractions qui sont commises par des militaires ou par d’autres personnes assujetties au Code de discipline militaire.

[59] Le système canadien de justice militaire fait partie intégrante du système canadien plus large de justice. Les membres de la magistrature militaire sont des juges professionnels qui statuent sur les affaires les plus graves dans le contexte des Forces armées. Pour déterminer ce qui est requis pour atteindre à un niveau suffisant d’indépendance judiciaire pour les juges militaires qui président aux cours martiales, il faut tenir compte du contexte dans lequel ces juges s’acquittent de leurs fonctions judiciaires. Par analogie, la taille des Forces canadiennes est présentement inférieure à une ville de 100 000 habitants. L’omniprésence de la chaîne de commandement et la proximité d’anciens collègues avocats, selon le cas, qui continuent de pratiquer le droit au sein des Forces canadiennes, mettent en évidence les difficultés inhérentes qui existent lorsqu’il s’agit de maintenir une séparation appropriée et nécessaire entre avocats, juges et notables comme c’est souvent le cas dans de petites collectivités.

[60] La distance ou la séparation nécessaire que la cour vient de décrire contribue à préserver l’indépendance judiciaire. Il ne s’ensuit pas, toutefois, que les avocats et les juges ne devraient pas avoir de rapport hors de la salle d’audience. Le perfectionnement professionnel est un bon exemple d’une interaction appropriée. Il est certes souhaitable que les avocats, les professeurs de droit et les juges partagent leurs connaissances et leurs expériences communes avec l’ensemble de la collectivité juridique. Tous les juristes et, finalement, toute la population canadienne en bénéficient. Cependant, la charge de juge comporte ses propres exigences et contraintes inhérentes. Il est essentiel que les juges militaires puissent échanger entre eux sur leurs problèmes et préoccupations communes, relativement à des affaires individuelles, dans le cadre de séminaires officiels d’éducation permanente. Pour ce faire, les juges doivent être perçus en cette qualité par leurs collègues dans le cadre de programmes de formation destinés aux juges fédéraux, provinciaux. Vouloir protéger les juges militaires contre les interventions de l’exécutif ne doit pas avoir pour effet de provoquer leur isolement professionnel en marge de l’ensemble de la magistrature, car les juges militaires ont besoin de la même éducation initiale et permanente que tous les autres juges. Cela est

Page 35 of 45 essentiel pour toute magistrature compétente et les juges militaires ne peuvent atteindre au même niveau de compétence que l’on s’attend de tous les juges que si on leur permet d’atteindre et de maintenir le même niveau de compétence que leurs collègues civils avec la collectivité juridique dans son ensemble.

[61] Malgré la création d’une véritable magistrature militaire grâce à l’accroissement du rôle et des fonctions des juges militaires, on peut voir que le législateur a choisi de faire nommer ces juges par le gouverneur en conseil, mais seulement pour un mandat de cinq ans renouvelable. En comparaison avec le régime existant au moment de la décision de la Cour d’appel de la cour martiale dans Lauzon, le mandat du juge militaire a été augmenté d’un an. Or, les remarques faites par le juge en chef Lamer au paragraphe 66 de l’arrêt Généreux demeurent pertinentes. Les voici :

66 ... Pour déterminer si la cour martiale générale possède les caractéristiques essentielles d’un tribunal indépendant et impartial, il faut examiner objectivement le statut de cette institution, tel qu’il ressort des dispositions législatives et réglementaires qui régissaient sa constitution et ses procédures au moment du procès de l’appelant. Cet examen doit être fait en ayant à l’esprit le critère qu’il convient d’appliquer en vertu de l’al. 11d), savoir: une personne raisonnable, bien au fait de la constitution et de l’organisation de la cour martiale générale, conclurait-elle que le tribunal jouit des protections nécessaires à l’indépendance judiciaire?

[62] Cet examen soulève des questions sérieuses sur l’importance et le caractère suffisant des garanties, en matière d’inamovibilité, accordées aux juges militaires qui président toutes les cours martiales. La cour posera donc la question suivante et y répondra : Est-ce que la nomination d’un juge militaire en vertu du paragraphe 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale contrevient à l’alinéa 11d) de la Charte? Si oui, cette violation est-elle justifiée au regard de l’article premier?

[63] La cour doit répondre « oui » à la première question. La nomination d’un juge militaire en vertu de l’article 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale contrevient à l’article 11d) de la Charte.

[64] Après l’analyse en profondeur de la preuve, du contexte, de l’historique et des dispositions législatives et réglementaires pertinentes, la cour est d’avis que la preuve n’a pas été faite que cette violation est justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique, à la lumière de l’article premier de la Charte.

[65] La nature des fonctions et le rôle accru du juge militaire, tels qu’ils ressortent clairement des dispositions législatives et réglementaires régissant actuellement la constitution et les procédures de cette cour martiale permanente, sont tels que la nomination d’un juge pour un mandat fixe ne satisfait plus aux exigences minimales de l’article 11d) de la Charte, dans le contexte de la justice militaire et de l’évolution du droit en matière d’indépendance judiciaire. La cour croit qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de

Page 36 of 45 leur contexte historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique et après l’avoir étudiée en profondeur, conclurait qu’un juge militaire nommé pour un mandat fixe de cinq ans présidant à une cour martiale ne possède pas l’inamovibilité suffisante pour lui permettre de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision. La preuve n’a pas été faite que cette situation est justifiée à la lumière de l’article premier.

[66] Il est bien reconnu que les violations à l’article 11d) de la Charte ne peuvent guère être justifiées lorsqu’elles affectent l’indépendance judiciaire. La Cour suprême a d’ailleurs traité de cette question dans l’arrêt Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405, dans lequel le juge Gonthier affirmait aux paragraphes 71 et 72 :

71 Comme je le mentionne en début d’analyse, l’indépendance judiciaire est protégée à la fois par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et par l’al. 11d) de la Charte. Ainsi, non seulement s’agit-il d’un droit conféré à un justiciable visé par des poursuites pénales, mais elle constitue au surplus un élément fondamental qui sous-tend le fonctionnement même de l’administration de la justice. Autrement dit, l’indépendance judiciaire est une condition préalable à la mise en œuvre des droits du justiciable dont, notamment, les droits fondamentaux garantis par la Charte.

72 Vu le rôle vital de l’indépendance judiciaire au sein de la structure constitutionnelle canadienne, l’application usuelle de l’article premier de la Charte ne saurait à elle seule en justifier l’atteinte. Un fardeau plus contraignant s’impose au gouvernement. Ainsi, le Renvoi : Juges de la Cour provinciale précise que les éléments de la dimension institutionnelle de la sécurité financière n’avaient pas à être suivis en cas de crise financière exceptionnellement grave provoquée par des circonstances extraordinaires, telles que le déclenchement d’une guerre ou une faillite imminente (par. 137). Or, en l’espèce, il est manifeste que de telles circonstances n’existaient pas au Nouveau-Brunswick à l’époque de l’adoption de la Loi 7. Aucune argumentation n’a d’ailleurs été présentée par l’appelante à cet égard.

Tout comme dans l’arrêt Mackin, l’intimée n’a présenté aucune argumentation susceptible de justifier les violations à l’indépendance judiciaire de la cour martiale permanente. Lors de sa plaidoirie orale, le procureur de l’intimée déclarait ce qui suit :

[TRADUCTION] Deuxièmement, l’intimée ne présente aucune argumentation fondée sur l’article premier de la Charte lui-même. J’aurai quelque chose à ajouter sur les objets pressants et réels du système de justice militaire, en ce qui concerne la question des réparations, mais au-delà de cela, il n’entre pas dans l’intention de l’intimée de présenter des éléments de preuve relativement à l’article premier et l’intimée n’en a pas présentés. Et il n’entre pas dans l’intention de l’intimée de présenter une argumentation selon laquelle toute limitation prima facie des droits de l’accusé serait justifiée.

[67] La cour n’a pas l’intention de citer à nouveau les propos de l’ancien juge en chef Lamer, aux paragraphes 60 à 65 de l’arrêt Généreux, qui portaient non seulement sur le caractère unique du système de justice militaire, mais aussi sur le fait que tout tel système parallèle est lui-même assujetti à un examen fondé sur la Charte, et

Page 37 of 45 que si son organisation mine les principes fondamentaux de l’alinéa 11d), il ne peut survivre à moins que les atteintes soient justifiables en vertu de l’article premier. La cour est d’avis que le système des tribunaux militaires au Canada doit se conformer à l’évolution du concept de l’indépendance judiciaire, lequel continue à évoluer. Si, comme le soutient l’avocat de l’intimée, la cour martiale joue un tel rôle vital pour la protection des droits constitutionnels de l’accusé à la différence du procès par voie sommaire, il s’ensuit que le fardeau imposé au gouvernement en vertu de l’article premier est aujourd’hui plus contraignant qu’il ne l’était avant l’arrêt Mackin.

[68] Il faut reconnaître que le cadre législatif des tribunaux militaires, et particulièrement des cours martiales présidés par des juges militaires, a été sensiblement modifié par la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, chapitre 35, ainsi que par les modifications apportées aux ORFC. Il est incontestable que la nécessité de maintenir un haut niveau de discipline dans les conditions spéciales de la vie militaire constitue toujours une préoccupation suffisamment importante de la société pour satisfaire au premier volet du critère de la proportionnalité en vertu de l’analyse de l’article premier. Cependant, une cour martiale permanente présidée par un juge militaire nommé aux termes du paragraphe 165.21(2) ne constitue pas un tribunal indépendant et impartial selon l’alinéa 11d) de la Charte et ne satisfait pas, dans ce contexte, au deuxième volet du critère de la proportionnalité. Cette cour est d’avis que la nomination des juges militaires pour un mandat de cinq ans renouvelable, ne constitue pas une atteinte minimale du droit garanti par la Charte d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial dans le contexte de la justice militaire et de la législation actuelle. Dans le contexte la cour estime parfaitement acceptable que les juges militaires puissent être des officiers qui n’accomplissent que des fonctions judiciaires ou des fonctions qui ne sont pas incompatibles avec de telles fonctions, la justification d’un système de tribunaux militaires composés d’une part du procès par voie sommaire pour les infractions mineures présidé par un officier dans la chaîne de commandement et, d’autre part, de cours martiales présidées seulement par des juges qui jouent un rôle constitutionnel important, ne peut se faire aujourd’hui qu’en exigeant de la cour martiale qu’elle satisfasse aux normes d’indépendance judiciaire les plus rigoureuses possibles. De telles normes protègent le rôle de la cour martiale dans le système de justice militaire ainsi que le rôle du juge qui la préside, mais en dernière analyse et de façon plus importante la personne jugée, c’est-à-dire la personne qui est justiciable du Code de discipline militaire. La nomination du juge militaire pour un mandat d’une durée fixe renouvelable ne tient pas suffisamment compte de l’évolution de la charge du juge militaire ou de l’accroissement de son rôle et de ses fonctions sous le régime législatif actuel et dans le cadre de la société canadienne moderne. Ce régime et l’évolution récente du concept d’indépendance judiciaire requiert que les juges militaires soient nommés jusqu’à l’âge de la retraite. En conséquence, la cour est d’avis que le paragraphe 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale ne saurait être justifié au regard de l’article premier de la Charte.

Page 38 of 45 [69] Il n’existe aucune exigence juridique contraignante selon laquelle un juge militaire nommé à titre inamovible devrait avoir un âge de la retraite similaire à ceux des autres juges nommés par le gouvernement fédéral ou aux juges des cours provinciales. Dans le contexte du système de justice militaire dans lequel les juges militaires qui président les cours martiales sont des membres actifs des Forces canadiennes, la cour croit que les exigences du service militaire et la nécessité que le système de tribunaux militaires soit transférable et efficace justifient que les juges militaires ait un âge de retraite similaire à celui des autres officiers. Il faut garder à l’esprit que les cours martiales imposent la primauté du droit et les valeurs de notre Constitution partout sur la planète pour s’assurer du respect de la discipline au profit de toute personne justiciable du Code de discipline militaire en service au Canada ou à l’étranger dans une opération de maintien de la paix ou humanitaire ou dans un conflit. La Cour n’est d’ailleurs pas convaincue que l’âge de la retraite des juges militaires devrait figurer à la loi. La Constitution ne l’exige pas. Mais, elle devrait être la même pour tous les juges militaires, peu importe leur grade. D’ailleurs, le rang des juges militaires n’est pas un facteur pertinent dont il est tenu compte pour leur nomination ou leur rémunération. Ce n’est pas non plus un facteur pertinent en ce qui a trait aux pouvoirs d’un juge en vertu de la Loi sur la défense nationale ou les Ordonnances et Règlements royaux. Cette question soulève une question d’égalité entre les juges, mais elle n’a aucune incidence sur le statut indépendance d’un tribunal au regard de l’alinéa 11d) de la Charte.

[70] En ce qui concerne les observations du requérant à propos de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, la cour dira seulement qu’elles sont très hypothétiques et qu’elles ne sont fondées sur aucun élément de preuve.

[71] La cour partage l’opinion exprimée par les procureurs que l’article 19.75 des ORFC n’est pas compatible avec le cadre législatif relatif à la révocation motivée des juges militaires tel qu’il est énoncé à l’article 165.23 de la Loi sur la défense nationale. Ni le chef d’état-major de la Défense, ni le juge militaire en chef en tant qu’officier commandant un commandement n’ont le pouvoir de retirer un juge militaire de ses fonctions militaires qui remplit seulement des fonctions judiciaires ou des fonctions qui ne sont pas incompatibles avec ces fonctions judiciaires. Un tel pouvoir empiéterait sur la compétence exclusive du comité d’enquête. Elle minerait aussi les deux conditions de l’indépendance judiciaire : l’inamovibilité et l’indépendance institutionnelle. En conséquence, l’article 19.75 tel que rédigé viole l’alinéa 11d) de la Charte et il n’a pas été justifié dans le cadre de l’examen fondé sur l’article premier. Cela n’empêcherait toutefois pas le juge militaire en chef es qualité de s’acquitter de ses fonctions et de ses responsabilités d’assigner les fonctions judiciaires ou les autres fonctions qui ne sont pas incompatibles avec les fonctions judiciaires, ce qui fait partie de l’indépendance institutionnelle ou administrative. Quoique les avocats n’aient pas soulevé ce point, la cour est aussi d’avis que l’article 101.08 (Retrait des fonctions militaires - Avant et après le procès) des ORFC souffrent des mêmes lacunes. Par conséquent, toute mesure correctrice retenue par la cour à l’égard de l’article 19.75 des

Page 39 of 45 ORFC devrait être adaptée pour s’assurer que l’article 101.08 des ORFC soit conforme à la Charte.

[72] En ce qui a trait au cadre législatif et réglementaire du processus de révocation des juges militaires, la cour est d’avis que le requérant n’a pas démontré selon la prépondérance de la preuve qu’il contrevient à l’alinéa 11d) de la Charte. La Constitution n’exige pas qu’il soit prévu dans une loi. De plus, la procédure à suivre par le comité d’enquête n’a pas besoin d’être aussi précise que c’est le cas, par exemple, aux termes de la Loi sur les juges. Le juge militaire sujet à révocation motivée après une enquête du comité d’enquête a droit en vertu de la loi aux mêmes normes rigoureuses d’équité procédurale comme la Cour suprême du Canada l’a reconnu dans l’arrêt Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249.

Processus de renouvellement de mandat : composition du Comité d’examen et liste de facteurs

[73] En ce qui a trait aux questions relatives au processus de renouvellement de mandat, la cour n’a pas à répondre aux observations du requérant puisqu’elle a déterminé qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur contexte historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique - et après l’avoir étudiée en profondeur - conclurait qu’un juge militaire président à une cour martiale ne jouit pas d’une inamovibilité suffisante à lui permettre de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision, sauf si le juge est nommé jusqu’à l’âge de la retraite.

Indépendance administrative ou institutionnelle - Organisation du Cabinet du juge militaire en chef

[74] Le requérant soutient que les documents d’ordre organisationnel qui créent le cabinet du juge militaire en chef, émis par le ministre sous l’autorité du chef de l’état-major de la Défense, sape l’indépendance institutionnelle du juge militaire en chef et celle des juges militaires. D’après la preuve présentée à la cour, cet argument est sans fondement. Ces documents ne visent que des fins organisationnelles. Premièrement, la création de ce bureau et le fait qu’il constitue une unité de la Force régulière ne mine aucune composante de l’indépendance judiciaire. Si le ministre et le chef d’état-major de la Défense devaient annuler ces ordonnances, cela n’affecterait nullement le rôle, la juridiction et les pouvoirs des juges militaires et ceux du juge militaire en chef, qui sont énoncés dans la Loi sur la défense nationale. En l’absence de toute preuve, il ne resterait plus à la cour qu’à se fonder sur des suppositions et des conjectures pour déterminer l’existence d’une probabilité réelle ou raisonnable de contravention à la troisième condition de l’indépendance judiciaire.

Page 40 of 45 [75] Le requérant a fait valoir que la procédure de grief actuel porte atteinte à l’indépendance judiciaire, surtout parce que le chef d’état-major de la Défense, l’officier chargé du contrôle et de l’administration des Forces canadiennes en vertu de l’article 18 de la Loi sur la défense nationale, constitue l’autorité en dernier ressort pour tous les griefs, y compris les griefs éventuellement déposés par un juge militaire. Pour statuer sur cette question, la cour doit garder à l’esprit sa propre conclusion que les juges militaires doivent être nommés jusqu’à l’âge de la retraite. Dans ces circonstances, l’existence d’un processus de griefs applicable à tous les membres des Forces canadiennes, y compris aux juges militaires, ne pose en soi pas de problème. Certains pourraient prétendre que ce processus ne protège pas suffisamment les juges militaires des ingérences éventuelles de l’exécutif parce qu’un juge militaire pendant qu’il exerce sa fonction de juge militaire devrait se reposer sur l’exécutif pour corriger une situation dans laquelle le juge estime qu’il a été lésé. Ce n’est certes pas une situation idéale pour préserver ou protéger l’indépendance judiciaire, mais la cour n’est pas convaincue qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur contexte historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique - et après l’avoir étudiée en profondeur - conclurait qu’un juge militaire qui jouit de l’inamovibilité jusqu’à l’âge de la retraite serait influencé dans la prise de ses décisions du fait que le chef de l’état-major constitue l’autorité finale en matière de grief. De l’avis de la cour, le processus de grief prévu par les articles 29 à 29.28 de la Loi sur la défense nationale comporte des garanties suffisantes, importantes et objectives, notamment l’existence du Comité des griefs des Forces canadiennes, qui est un organisme indépendant des Forces canadiennes, ainsi que le contrôle judiciaire par la Cour fédérale, pour satisfaire aux normes minimales des dimensions personnelles et institutionnelles de l’indépendance judiciaire du juge militaire de façon que ses décisions soient rendues strictement sur le fond.

Remèdes appropriés - déclaration d’invalidité et arrêt des procédures [76] La cour déterminera maintenant la réparation juste et convenable dans la présente affaire. Le requérant demande à la cour de déclarer invalides certaines dispositions législatives et réglementaires, en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, et d’ordonner l’arrêt des procédures, en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

[77] L’intimée soutient que toute déclaration d’invalidité devrait non seulement être formulée en pesant soigneusement les mots, mais que son effet devrait être suspendu afin que le Parlement puisse apporter les corrections nécessaires pour s’assurer que les droits et libertés des accusés comparaissant devant les cours martiales soient respectées. Cette suspension serait nécessaire pour assurer la primauté du droit au sein des Forces canadiennes et pour protéger le public. L’intimée soutient qu’en l’absence d’un système de cours martiales fonctionnel, l’ensemble du régime de discipline des Forces canadiennes serait vulnérable à un chaos juridique qui aurait des

Page 41 of 45 répercussions préjudiciables sur la capacité du gouvernement du Canada à mettre en oeuvre ses politiques en matière d’affaires étrangères, de défense et de sécurité au profit de toute la population canadienne.

[78] Il convient de noter que dans l’arrêt Lauzon, la Cour d’appel de la cour martiale avait conclu qu’elle devait déclarer invalide l’article 177 de la Loi sur la défense nationale qui prévoyait la constitution des cours martiales permanentes, dont le président est « ... nommé par le ministre ou sous son autorité... ». La Cour d’appel de la cour martiale est parvenue à la même conclusion quant à l’invalidité des règlements régissant le processus renouvellement de mandat, la révocation des juges de procès militaires et la détermination de leurs salaires. La Cour d’appel de la cour martiale a déterminé que toute la cour était affectée par cette lacune constitutionnelle et qu’il n’existait plus de cour martiale permanente et de juges indépendants de ce niveau pour la remplacer et assurer la discipline militaire et elle a donc décidé d’appliquer la doctrine de la nécessité. Une cour martiale permanente existe en vertu des articles 173 à 175 de la Loi sur la défense nationale, dans son libellé actuel, et il n’est pas nécessaire de l’établir. Le juge militaire qui est autorisé à présider constitue la cour martiale permanente. En ce qui concerne l’autorisation à laquelle la cour vient de faire référence, la seule interprétation qui peut lui en être donnée est que le juge militaire en chef a le pouvoir exclusif de nommer les juges militaires pour qu’ils président aux cours martiales en vertu de l’article 165.25 de la Loi.

[79] Selon cette Cour, il ressort du libellé des articles 173 et 174 de la Loi sur la défense nationale qu’aucune ordonnance de réparation n’est requise en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982. La constitutionnalité de la cour martiale permanente ne saurait être entachée que si le juge militaire qui la constitue ne possède pas les garanties importantes et suffisantes destinées à préserver son indépendance. Dans ce contexte, la doctrine de la nécessité ne s’applique pas parce que la cour est convaincue que, après l’analyse des intérêts en jeu, la suspension d’une déclaration quelconque d’invalidité n’est pas requise. La réparation accordée par la cour n’entraînera pas l’effondrement de tout le régime disciplinaire des Forces canadiennes ni un chaos juridique dangereux qui nuirait à la capacité du gouvernement canadien de mettre en oeuvre ses politiques relativement aux affaires étrangères, de défense et de sécurité au profit de toute la population canadienne.

[80] Les réparations fondées sur le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, quoiqu’elles ne constituent pas des réparations réelles dans quelque sens véritable que ce soit, sont différentes de celles qui peuvent être accordées aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte parce qu’elles reposent sur des assises différentes. Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que :

52 (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Alors que l’article 24(1) de la Charte est ainsi rédigé :

Page 42 of 45 24 (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

Le principe de la primauté de la Constitution du Canada énoncé à l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 lie l’État dans son action législative, tandis que le paragraphe 24(1) de la Charte, qui fait partie de la Constitution, prévoit une réparation individuelle pour les mesures prises en vertu de la loi qui violent les droits de la personne en vertu de la Charte. Ainsi, il est possible qu’une disposition législative ne soit pas inconstitutionnelle en soi, mais que la mesure prise contrevienne à certains droits qui sont, eux, garantis par la Charte. Il y aura rarement lieu à un remède aux termes de l’article 24(1) de la Charte en même temps qu’une mesure prise en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Généralement, lorsqu’une disposition est déclarée inconstitutionnelle et immédiatement rendue inopérante en vertu de l’article 52, cela met fin à l’affaire, celle-ci étant la question de la constitutionnalité. Aucune réparation rétroactive n’est disponible en vertu de l’article 24.

[81] Dans le contexte des causes fondées sur la Charte, les tribunaux ont mis au point divers moyens, dont ils disposent en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, pour résoudre les difficultés posées par une loi invalide. L’ancien juge en chef Lamer en a traité abondamment dans l’arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, aux pages 695 à 719. La règle de base énoncée dans Schachter requiert que les tribunaux déterminent les mesures à prendre en prenant compte la nature de la violation et le contexte de la loi particulière considérée.

[82] Au volume 2 de son ouvrage intitulé Constitutional Law in Canada, Carswell, 1997, (édition en feuilles mobiles) le professeur Peter W. Hogg énumère les choix qui s’offrent aux tribunaux aux termes du paragraphe 52(1) , à la page 37-3 et la cour cite :

[TRADUCTION] 1. Annulation, c’est-à-dire le fait de déclarer inopérant (invalide) une loi incompatible avec la Constitution;

2. Validité temporaire, c’est-à-dire le fait de déclarer inopérante une loi qui est incompatible avec la Constitution, tout en suspendant temporairement l’entrée en vigueur de la déclaration d’invalidité;

3. Dissociation, c’est-à-dire le fait de statuer que seulement une partie de la loi est incompatible avec la Constitution, de ne rendre inopérante que cette partie de la loi et de dissocier la partie valide restante;

4. Interprétation large, c’est-à-dire le fait d’ajouter des mots à la loi qui est incompatible avec la Constitution afin de la rendre compatible avec la Constitution et valide;

Page 43 of 45 5. Interprétation atténuée, c’est-à-dire le fait d’interpréter une loi qui pourrait être interprétée comme incompatible avec la Constitution de façon qu’elle soit compatible avec la Constitution;

6. Exemption constitutionnelle, c’est-à-dire la création d’une exemption à l’égard d’une loi qui est en partie incompatible avec la Constitution de manière à exclure de la loi l’application qui serait incompatible avec la Constitution.

[83] La cour a déjà conclu que la nomination d’un juge militaire pour un mandat de cinq ans contrevient à l’alinéa 11d) de la Charte, dans le contexte de la justice militaire et de l’évolution du droit en matière d’indépendance judiciaire. Elle a aussi conclu que les articles 19.75 et 101.08 des ORFC contreviennent à l’article 165.23 de Loi sur la défense nationale ainsi qu’à l’alinéa 11d) de la Charte.

[84] La cour doit faire preuve de retenue judiciaire à la lumière des incompatibilités des dispositions déficientes dans les circonstances. L’évolution du rôle et des fonctions du juge militaire dans le système de justice militaire ressort si clairement des modifications à la Loi sur la défense nationale apportées par la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, ch. 35, que la cour est convaincue, selon l’ensemble de la preuve, que le Parlement a voulu que le système de justice militaire, par le biais de son Code de discipline militaire, reflète l’importance de la place que doivent occuper des cours martiales indépendantes et impartiales présidées par des juges militaires dans la perspective du système des tribunaux militaires dans son ensemble. Ces cours martiales présidées par des juges militaires jouent le rôle essentiel et exclusif de faire respecter la primauté du droit et de protéger les droits constitutionnels des justiciables du Code de discipline militaire au sein du système de justice militaire. Par conséquent, la cour considère que les exigences constitutionnelles minimales d’indépendance judiciaire impliquent que le juge militaire soit nommé à titre inamovible jusqu’à l’âge de la retraite. En ce qui concerne les personnes qui sont d’un autre avis, la cour croit fermement que toute approche autre qu’une nomination jusqu’à l’âge de la retraite se révélerait non seulement insuffisante quant au statut d’indépendance de la cour martiale, mais irréaliste et impraticable et risquerait de compromettre les normes de professionnalisme qui sont requis d’une magistrature canadienne moderne qui s’appliquent aux juges militaires.

[85] En s’appuyant sur l’approche adoptée par le juge en chef Lamer dans l’arrêt Schachter, aux pages 718 et 719, la cour est d’avis que la méthode de dissociation doit être utilisée pour retrancher la portion du paragraphe 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale , soit « pour un mandat de cinq ans », qui est contraire à la Constitution. Cela ne porterait pas atteinte à l’objectif du texte de loi qui est de s’assurer qu’une cour martiale présidée par un juge militaire soit indépendante et impartiale. La cour est d’avis que cela ne pourrait que servir cet objectif. L’interprétation du paragraphe 165.21(2) de la Loi révèle que choix du moyen utilisé par le législateur pour atteindre cet objectif, c’est-à-dire la nomination de juges

Page 44 of 45 militaires à titre inamovible pour un mandat renouvelable de cinq ans, n’est pas assez incontestable pour que la dissociation constitue un empiétement inacceptable sur le domaine du législatif. La dissociation ne comporte pas, dans les circonstances, un empiétement tel sur les décisions du législateur qu’elle modifierait la nature du régime législatif en question dont l’objet est de doter le système de justice militaire de cours martiales indépendantes et impartiales. De plus, l’utilisation de la dissociation n’aurait pas de répercussions budgétaires significatives.

[86] Pour ces mêmes motifs, la cour est d’avis que les articles 19.75 et 101.08 des ORFC requièrent une interprétation large afin de les rendre compatibles avec la Constitution relativement à l’indépendance judiciaire et qu’ils puissent ainsi s’appliquer aux juges militaires.

[87] En ce qui a trait à la réparation demandée aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte relativement à l’arrêt des procédures, la cour s’appuie sur les décisions de la Cour suprême dans les affaires Schachter précité et R. c. Demers, [2004] 2 R.C.S. 489 pour affirmer que le requérant n’a pas droit en l’espèce à une réparation rétroactive fondée sur le paragraphe 24(1). Il ne s’agit pas non plus d’une situation qui ouvre la voie à une réparation prospective sous la forme d’un arrêt des procédures selon les principes élaborés par la Cour suprême dans l’arrêt Demers.

CONCLUSION ET DISPOSITIF [88] Pour ces raisons, la cour accueille en partie la requête et elle déclare qu’aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 :

(1) Le paragraphe 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, viole en partie l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Les mots « pour un mandat de cinq ans» violent l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. La justification de cette violation à titre de limite raisonnable n’a pas été démontrée à la lumière de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés.

(2) Considérant la décision de la présente cour sur la constitutionnalité du paragraphe 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, viole l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, la cour conclut que le paragraphe 165.21(3) de la Loi contrevient à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il n’a pas été démontré que cette violation était justifiée à titre de limite raisonnable conformément à l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés. En conséquence, la cour déclare inopérant le paragraphe 165.21(3) de la Loi sur la défense nationale. L’effet de la présente déclaration suffit et il n’est pas nécessaire de traiter des règlements pris sous l’autorité du paragraphe inopérant.

Page 45 of 45 (3) L’article 19.75 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes contrevient en partie à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il n’a pas été démontré que cette violation était justifiée à titre de limite raisonnable conformément à l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés. Afin de remédier à l’inconstitutionnalité de l’article 19.75 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, la cour déclare que le paragraphe 19.75 (1) des ORFC comprend les mots « aux juges militaires et » insérés après « Le présent article ne s’applique pas ».

(4) L’article 101.08 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes contrevient à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il n’a pas été démontré que cette violation était justifiée à titre de limite raisonnable conformément à l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés. Afin de remédier à l’inconstitutionnalité de l’article 101.08 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, la cour déclare que le paragraphe 101.08(1) des ORFC comprend les mots « sauf un juge militaire » insérés entre virgules après le mot « officier ».

LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M. Avocats : Major A.M. Tamburro, Procureur militaire régional, Ottawa Major R.F. Holman, Procureur militaire régional, Ottawa Procureurs de Sa Majesté la Reine Major A. Appolloni, Direction du Service d’avocats de la défense, Ottawa Avocat du caporal R.P. Joseph

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.