Cour martiale
Informations sur la décision
Résumé :
Date de l’ouverture du procès : 4 octobre 2005.
Endroit : 22e Escadre North Bay, édifice 33, 33 rue Manston, Hornell Heights (ON).
Chef d’accusation:
• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
Résultats:
• VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
• SENTENCE : Une amende au montant de 200$.
Contenu de la décision
Page 1 de 15 Citation : R. c. Caporal R.P. Joseph, 2005 CM 41 Dossier : S200541 COUR MARTIALE PERMANENTE CANADA ONTARIO BASE DES FORCES CANADIENNES NORTH BAY Date :12 janvier 2006 SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M. SA MAJESTÉ LA REINE c. CAPORAL R.P. JOSEPH (Contrevenant) VERDICT (Prononcé de vive voix) TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE INTRODUCTION [1] Caporal-chef Joseph, la présente Cour vous déclare coupable de la première accusation. Vous pouvez rompre et aller vous asseoir près votre avocat. [2] Le Caporal Joseph, comme il était alors, a été accusé d’une infraction punissable aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale plus précisément celle d’avoir commis des voies de fait en contravention de l’article 266 du Code criminel. [3] La présente accusation découle d’une série de faits qui se sont produits en fin d’après-midi ou en début de soirée, le 19 juin 2004, à la résidence du Caporal Joseph située au 30, Royal Crescent, à North Bay. LA PREUVE [4] La preuve présentée à la cour comprend ce qui suit :
Page 2 de 15 a) les témoignages entendus au procès, c’est-à-dire le témoignage de M. Michael Sime, de M me Jennifer Parker, du Caporal Panke et du Caporal-chef Joseph; b) la connaissance d’office par la cour des faits et questions énumérés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve; c) une copie imprimée de la page Web de commande en ligne de Topper’s Pizza déposée devant la cour comme pièce 3. LES FAITS [5] Les faits qui entourent cette affaire commencent dans l’après-midi du 19 juin 2004, à la résidence du Caporal Joseph, située au 30, Royal Crescent, Base des Forces canadiennes de North Bay. Le Caporal Joseph est dans sa maison en compagnie d’invités, savoir le Caporal Bertrand et ses deux enfants et un certain M. Jason Powers. Les enfants jouent dehors avec les deux filles du caporal Joseph, âgées de quatre et de huit ans respectivement. Comme il est bientôt l’heure du souper, le caporal Joseph décide de commander une pizza au Topper’s Pizza en utilisant le site Web de cet établissement pour faire une commande en ligne. D’après son témoignage, le Caporal Joseph a l’habitude de commander de la pizza en ligne, à partir de ce site Web, et de le faire aussi par téléphone. [6] Comme il ressort de la pièce 3, chaque pizza Topper est livrée avec une trempette maison gratuite, que la commande ait été faite par téléphone ou par Internet. Toutefois, le Caporal Joseph a compris que la trempette accompagnait automatiquement les commandes faites par Internet parce que ce choix n’était pas offert sur le site Web. Cette idée est compatible avec la pièce 3. Après avoir passé commande, le Caporal Joseph vaque à ses affaires courantes dans la maison. Quelque 40 minutes plus tard, il se rend compte que la commande n’est pas encore arrivée. Ce type de commande arrive habituellement dans les 30 ou 40 minutes. Le Caporal Joseph décide de s’informer par téléphone auprès de Topper’s Pizza pour savoir où en est sa commande parce qu’elle avait été faite en ligne. Un employé de Topper’s Pizza lui dit que la commande a été reçue et que la pizza est en route. Le Caporal Joseph retourne à ses affaires pendant 10 à 15 minutes jusqu’à ce qu’il décide de rappeler Topper’s Pizza. La deuxième fois, quelqu’un lui dit que la commande a été reçue et que la pizza est en route, le livreur venant juste de partir. Le Caporal Joseph commence à s’énerver parce qu’on lui avait dit 15 minutes plus tôt que la pizza était déjà partie. [7] De 10 à 15 minutes plus tard, le Caporal Joseph est sur le point d’appeler une troisième fois, lorsque la pizza arrive enfin, après plus ou moins le double du temps qu’il faut normalement pour des commandes similaires. Le livreur de Topper’s Pizza, M. Sime, livre la pizza. M. Sime arrive dans son véhicule qu’il stationne devant l’allée
Page 3 de 15 de la maison située au 30, Royal Crescent. Il est accompagné de sa fiancée, M me Parker, qui est assise à l’avant sur le siège du passager. M. Sime sort de son véhicule avec deux boîtes de pizza et se dirige vers la porte d’entrée. Il rencontre le Caporal Joseph à la porte. Le Caporal Joseph est dans la maison et M. Sime se trouve sur le pas de la porte. M. Sime lui tend les deux boîtes de pizza. D’après le Caporal Joseph, M. Sime demande à être payé plus ou moins 30 dollars. Le Caporal Joseph prend les deux boîtes de pizza qu’il place sur une petite table à sa gauche. Comme la commande est arrivée en retard, le Caporal Joseph ouvre la boîte du dessus pour vérifier si la pizza est encore chaude. Il remarque qu’une garniture manque et qu’il n’y a pas de trempette, laquelle est habituellement placée dans un coin de la boîte de pizza dans une tasse en plastique. Quelque peu énervé, le Caporal Joseph dit à M. Sime qu’il manque la trempette. À son tour, M. Sime lui demande de payer les pizzas. Le Caporal Joseph lui répète qu’il n’y a pas la sauce, ce à quoi M. Sime lui répond à peu près qu’il n’a pas la sauce parce qu’il ne l’a pas commandée. Le caporal se dit surpris par la réponse. Il déclare à M. Sime que la trempette est habituellement fournie avec toutes les commandes faites par Internet, mais cela ne semble avoir aucun effet sur M. Sime, au contraire. [8] D’après le Caporal Joseph, M. Sime agit tout comme s’il blâmait JosephSS le Caporal Joseph, et comme si ce problème ne le concernait pas. Le Caporal Joseph se déclare offusqué par cette remarque. Il répète à M. Sime que la trempette est incluse lorsque les commandes sont faites par Internet, ce à quoi l’employé de Topper’s Pizza rétorque que ce n’est pas son site Web à lui. À ce moment-là, la situation tourne au choc de deux égos, avec des échanges de mots entre eux deux. Le Caporal Joseph dit en témoignage que M. Sime ne l’écoute pas et qu’il n’admet pas de faute ou de responsabilité pour le fait que la trempette et la garniture pour la pizza ne soient pas là. M. Sime déclare, dans son témoignage, que le Caporal Joseph lui dit avoir toujours reçu la trempette chaque fois, mais il ajoute que le Caporal Joseph lui dit ne pas avoir commandé la pizza par Internet. M. Sime dit qu’il lui offre de commander la sauce pour le client, bien que le Caporal Joseph soutienne avoir fait cette suggestion lui-même. [9] Quoi qu’il en soit, M. Sime appelle Topper’s Pizza en utilisant le téléphone du Caporal Joseph et il est alors établi qu’un autre livreur déposerait la trempette parce qu’il est en train de livrer une pizza dans les environs. Cette solution semble assez satisfaisante pour le Caporal Joseph. Mais, d’après lui, M. Sime lui répète, après avoir terminé l’appel, que la commande faite par le Caporal Joseph n’incluait pas de trempette puisque cet article ne figurait pas dans la commande au bureau. Par conséquent, M. Sime continue à ergoter avec le client. Le Caporal Joseph est alors tout à fait exaspéré, mais M. Sime est aussi très contrarié. Le Caporal Joseph déclare à M. Sime qu’il paiera la pizza, mais au livreur suivant, ce qu’il veut dire qu’il paiera lorsqu’il aura la trempette. Selon le Caporal Joseph, il en avait assez de traiter avec M. Sime qui agissait comme si c’était la faute du client et il estimait que la première livraison était arrivée si tard qu’il ne devrait payer qu’au deuxième livreur, c’est-à-dire
Page 4 de 15 lorsque la livraison serait faite à sa satisfaction. M. Sime, non seulement rejette cette proposition, mais exige un paiement intégral immédiatement. [10] À ce stade, le Caporal Joseph en a assez de toute cette situation et il dit à M. Sime qu’il ne veut plus de la pizza. Selon le Caporal Joseph, M. Sime est maintenant très fâché et il dit à son client qu’il doit lui payer la pizza. Selon le témoignage de M. Sime, c’est le Caporal Joseph qui était fâché et, si le Caporal Joseph lui avait dit qu’il ne voulait plus de la pizza, M. Sime l’aurait tout simplement rapportée chez Topper’s Pizza, là où le personnel se serait partagé la ou les pizzas. C’est alors que le Caporal Joseph attrape la boîte du dessus, qui n’était pas tout à fait fermée, et la passe ou la tend à M. Sime qui refuse de la prendre et continue à exiger le paiement. Le Caporal Joseph déclare que M. Sime, à ce moment-là, met ses mains en l’air, de chaque côté, au niveau de la poitrine et des épaules, pour indiquer qu’il ne la prendrait pas. Malgré ce signe très net que le livreur ne veut pas reprendre la pizza, le Caporal Joseph tourne alors la boîte de pizza vers le haut et s’arrange pour la placer entre les mains de M. Sime avec une telle force ou pression que M. Sime est contraint de la tenir pour qu’elle ne tombe pas par terre. Autrement dit, M. Sime a été forcé d’attraper la pizza. [11] M. Sime décrit la scène de façon différente. D’après lui, le Caporal Joseph a attrapé la première pizza et l’a poussée vers lui avec tant de force qu’il a dû lui-même reculer, bien qu’il ait adouci son témoignage en contre-interrogatoire et déclaré avoir fait un pas en arrière parce qu’il ne s’attendait pas à ce que le client lui rende la pizza. M. Sime a déclaré qu’à cause du geste du Caporal Joseph, il avait reçu la boîte sur le menton, bien que M. Sime n’ait pas révélé ce détail à la police au cours des entrevues antérieures. Une fois que M. Sime a la première boîte de pizza en main, le Caporal Joseph se tourne sur la gauche et attrape la deuxième boîte. Il la pose alors sur la première boîte, maintenant tenue à l’horizontale par M. Sime qui a les mains devant lui. Le Caporal Joseph décrit avoir agi avec délicatesse alors que M. Sime déclare que la boîte lui a été jetée à plat dans les mains, qui tenaient déjà la première boîte. Le Caporal Joseph demande à M. Sime de s’en aller. Lorsque M. Sime se tourne pour partir, dit-il, le Caporal Joseph lui crie quelque chose. Il se retourne et voit qu’une part ou un morceau de pizza est jeté dans sa direction. M. Sime déclare dans son témoignage qu’il a été capable d’attraper la pizza avec la main gauche et qu’il l’a mise sur la boîte du dessus. [12] En contre-interrogatoire, M. Sime a déclaré que le morceau de pizza lui arrivait droit sur lui, mais sur le côté, bien qu’il ait maintenu que le morceau ne lui ait pas été tendu. En contre-interrogatoire, M me Parker a déclaré le contraire et elle corrobore les dires du Caporal Joseph selon lequel il a pris un morceau de pizza par terre et l’a tendu à M. Sime, bien que dans un geste brutal. En interrogatoire principal, elle a déclaré que le morceau de pizza avait été lancé contre M. Sime. Le Caporal Joseph déclare aussi que M. Sime a attrapé le morceau de pizza de la main gauche et l’a serré. Le Caporal Joseph se tourne alors pour rentrer chez lui, là où il s’entend alors avec son ami Bertrand pour emmener les enfants chez MacDonald. Dans
Page 5 de 15 l’intervalle, M. Sime appelle Topper’s Pizza avec le téléphone cellulaire de M me Parker et il demande à quelqu’un de communiquer avec la police. Bien qu’elle n’ait pas vu de contacts ou entendu de conversation entre M. Sime et le Caporal Joseph, M me Parker déclare qu’elle a pu voir qu’ils étaient tous les deux en colère. L’affaire se poursuit lorsque le Caporal Joseph, son ami et les quatre enfants sortent de la maison pour prendre la fourgonnette et aller au restaurant. Le véhicule de M. Sime bloque alors l’allée. M me Parker a déclaré qu’un homme leur avait dit de partir parce qu’ils allaient sortir de l’allée. Sa fiancée lui aurait répondu qu’ils ne bougeraient pas. [13] Un patrouilleur de la police militaire, le Caporal Panke, arrive aussitôt après ou presque SS quelques minutes plus tard ou à peu près au moment où cet échange a lieu. M. Sime remarque que le Caporal Joseph s’adresse à la police en appelant l’officier de police par son prénom et que ce dernier l’autorise à partir pour revenir 25 minutes plus tard seulement, ou qu’ils s’entendent sur ce point. M. Sime est encore plus énervé de ce fait et il est maintenant très fâché à cause de la situation; il déclare qu’il lui aurait donné un coup de poing dans la figure, faisant référence au Caporal Joseph. Le Caporal Joseph quitte sa résidence et M. Sime se rend à la section de police militaire dans son véhicule conduit par M me Parker. Elle a déclaré, dans son témoignage, qu’elle-même et M. Sime avaient eu une conversation animée à propos de l’incident, tandis qu’elle conduisait vers le poste de police pour y faire des déclarations. Au cours de l’entrevue avec la police militaire, M me Parker et M Sime n’ont pas été séparés l’un de l’autre pour éviter que leur version des faits soit altérée. M. Sime n’a pas été blessé pendant l’échange. LA LOI ET LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE L’ACCUSATION La première accusation (article 130 de la Loi sur la défense nationale – article 266 du Code criminel) [14] La première accusation allègue une contravention à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale en violation de l’article 266 du Code criminel. Il est allégué que le Caporal Joseph, le 19 juin 2004 ou vers cette date, à la base des Forces canadiennes de North Bay, en Ontario, ou près de celle-ci, a effectivement commis des voies de fait sur la personne de M. Michael Sime. En plus des éléments d’infraction concernant l’identité du contrevenant, ainsi que de la date et du lieu où l’infraction alléguée a été commise, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable : a) que le Caporal Joseph a employé la force d’une manière intentionnelle contre M. Michael Sime; b) que M. Michael Sime n’a pas consenti à l’emploi de la force d’une manière intentionnelle contre lui par le Caporal Joseph; et
Page 6 de 15 c) que le Caporal Joseph savait que M. Michael Sime n’avait pas consenti à l’emploi de la force d’une manière intentionnelle contre lui. PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET DOUTE RAISONNABLE [15] Avant que la cour n’expose son analyse juridique, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable; il s’agit d’une norme qui est inextricablement liée à ce principe fondamental à tous les procès criminels. Ces principes sont évidemment très bien connus des avocats, mais d’autres personnes dans la salle d’audience peuvent ne pas les connaître aussi bien. [16] Il est juste de dire que la présomption d’innocence est peut-être le principe le plus fondamental de notre droit criminel, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d’innocence. Dans les questions qui relèvent du Code de discipline militaire, tout comme pour celles qui relèvent du droit criminel, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente jusqu’à ce que la partie poursuivante prouve qu’elle est coupable hors de tout doute raisonnable. Une personne accusée n’a pas à prouver son innocence. C’est à la partie poursuivante qu’il incombe de prouver chacun des éléments de l’infraction hors de tout doute raisonnable. [17] La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve, ou à chacune des preuves séparées, à l’appui de la thèse défendue par la partie poursuivante, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière se fonde pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver la culpabilité d’une personne accusée hors de tout doute raisonnable incombe à la partie poursuivante, jamais à la personne accusée. [18] Le tribunal doit déclarer la personne non coupable si, après avoir examiné toutes les preuves, il subsiste un doute raisonnable quant à sa culpabilité. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est utilisée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions de justice. Dans R. C. Lifchus (1997) 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes décrits dans l’affaire Lifchus ont été appliqués dans de nombreuses autres décisions de la Cour suprême et des cours d’appel. En substance, un doute raisonnable n’est pas un doute exagéré ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne ait été inculpée n’est pas une indication qu’elle est coupable, et j’ajouterai que les seules accusations dont une personne accusée doit répondre sont celles qui apparaissent sur l’acte d’accusation présenté à la cour.
Page 7 de 15 [19] Au paragraphe 242 de R. c. Starr, (2000) 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué que : [...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités. Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La partie poursuivante n’a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. La partie poursuivante n’a que le fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le Caporal-chef Joseph, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit acquitter l’accusé car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable. [20] Mais qu’entend-on par élément de preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles de personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. La preuve peut consister en documents, en photographies, en cartes ou en d’autres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, en témoignages de témoins-experts, en aveux judiciaires quant aux faits par la partie poursuivante ou la défenderesse et en des éléments dont la cour prend connaissance d’office. [21] Il n’est pas rare que des preuves présentées devant la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un événement. La cour se doit de déterminer quelle preuve est crédible. [22] La crédibilité n’est pas synonyme de dire la vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mentir. Plusieurs facteurs influencent l’évaluation par la cour de la crédibilité du témoignage d’un témoin. Par exemple, un tribunal évaluera l’opportunité qu’a eu un témoin d’observer, les raisons d’un témoin de se souvenir. Il se demandera, par exemple, si les événements valaient la peine d’être notés, s’ils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus facile à oublier. Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès, autrement dit, a-t-il une raison pour favoriser la partie poursuivante ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé ait intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsque l’accusé décide de témoigner. [23] Un autre élément dans la détermination de la crédibilité d’un témoin est son apparente capacité à se souvenir. Le comportement du témoin quand il témoigne est
Page 8 de 15 un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumente-t-il sans cesse? Finalement, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contredits? [24] De légères divergences peuvent se produire, et cela arrive, en toute innocence et elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Cependant, il en est autrement dans le cas d’un mensonge délibéré. Cela est toujours grave et peut vicier le témoignage du témoin en tout ou en partie. [25] La cour n’est tenue d’accepter le témoignage de personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera une preuve digne de foi à moins de ne pas avoir de raison, ou plutôt, d’avoir une raison de ne pas y croire. [26] Comme la règle du doute raisonnable s’applique aussi à la question de la crédibilité, la cour n’a pas à décider de manière définitive de la crédibilité d’un témoin ou d’un groupe de témoins et elle n’est pas tenue de croire que tout ce que dit un témoin ou groupe de témoins est vrai ni que tout est faux. Il est sûr que cette affaire soulève des questions importantes de crédibilité, mais il ne s’agit pas d’un cas où l’approche en matière d’évaluation de la crédibilité exprimée par la Cour suprême du Canada dans R. c. W.(D). peut être appliquée de façon stricte, car le Caporal Joseph a reconnu avoir employé la force. Il s’agit de savoir si l’emploi de la force était fautif dans les circonstances, comme l’a fait remarquer l’avocat de la défense. [27] Ayant procédé à cet exposé sur la charge de la preuve et sur la norme de la preuve, la cour examinera maintenant la question en litige soumise au présent tribunal et traitera des principes juridiques. QUESTIONS EN LITIGE [28] L’avocat de la défense prétend que la seule question en litige devant la cour consiste à savoir si le fait d’avoir rendu la première boîte de pizza de la façon décrite par le Caporal Joseph, ce qui est la seule version crédible et fiable d’après la défense, constitue ou non un emploi illégal ou fautif de la force. La défense soutient que la cour devrait avoir un doute raisonnable sur ce point. À titre subsidiaire, elle laisse entendre que, si le tribunal conclut à l’emploi illégal de la force, les faits et le contexte de la présente affaire sont tels que la cour devrait acquitter l’accusé parce que l’affaire est de nature si insignifiante qu’elle donne lieu à l’application du principe de minimis non curat lex (la loi ne s’occupe pas de choses insignifiantes). QUESTIONS DE CRÉDIBILITÉ [29] La nature de la preuve en l’espèce impose à la présente cour de tirer certaines conclusions sur la crédibilité des différents témoins.
Page 9 de 15 M. Sime [30] La cour ne juge pas son témoignage très crédible ou fiable. M. Sime a témoigné au mieux de ses connaissances dans la plupart des cas, sauf lorsqu’il était question de son propre comportement et de son attitude agressive envers le Caporal Joseph. Il a essayé de décrire sa participation en se donnant le beau rôle la plupart du temps. Il était clair qu’il était très en colère et fâché de toute la situation. En contre-interrogatoire, il a dû reconnaître que la manière et le degré de force utilisé par le Caporal Joseph étaient beaucoup moins graves que ce qu’il avait décrit. En contre-interrogatoire, il a reconnu que certains détails donnés dans l’interrogatoire principal n’avaient pas été révélés pendant les entrevues précédentes avec la police ou étaient tout simplement incorrects. La cour est convaincue que sa perception et son souvenir des événements dans l’interrogatoire principal étaient quelque peu exagérés, ce qui n’est probablement pas parce qu’il a cherché à mentir de façon consciente et délibérée, mais parce que son souvenir des faits a probablement été touché par son état émotif au moment de l’incident. M me Parker [31] M me Parker a témoigné de façon honnête et franche, mais son témoignage n’est pas très concluant en ce qui concerne les faits essentiels. Il est raisonnable de conclure que sa version des faits ou sa compréhension générale de tout l’incident ont été viciées par les discussions qu’elle a eues avec son fiancé, M. Sime, quand ils se rendaient au poste de police ou lorsqu’ils attendaient ensemble que la police arrive à la résidence du Caporal Joseph. La cour retient de son témoignage que les deux hommes étaient en colère l’un après l’autre et que la colère de M. Sime avait empiré lorsqu’il avait compris que l’officier de police et le Caporal Joseph se connaissaient et lorsque l’officier de police avait laissé le Caporal Joseph se rendre chez McDonald pour ne revenir que 25 minutes plus tard. Caporal Panke [32] Le Caporal Panke a témoigné avec franchise. C’est lui l’officier de police qui s’est présenté à la résidence du Caporal Joseph. Il est crédible et fiable. Il a reconnu, en accord avec l’avocat, qu’il n’aurait pas dû interroger M. Sime et M me Parker en posant des questions suggestives car ce n’est pas une technique d’enquête appropriée à cause du risque de vice et qu’il n’a pas séparé le plaignant de sa fiancée, comme il aurait dû le faire. La cour croit son témoignage quand il décrit la poussée de colère de M. Sime lorsqu’il a permis au Caporal Joseph de s’en aller et mentionne son commentaire, savoir que si M. Sime avait su, il aurait envoyé un coup de poing au visage du Caporal Joseph, ou des mots de ce genre. Caporal-chef Joseph
Page 10 de 15 [33] Le Caporal-chef Joseph a témoigné de façon calme et franche. Il n’a pas cherché à éviter les questions ou à argumenter. Il n’a pas cherché à embellir sa version, sauf quand il a dit avoir placé avec délicatesse la deuxième boîte de pizza au-dessus de la première, que M. Sime tenait en main. Dans le contexte où il était alors très en colère, comme il l’est reconnu, et où les deux personnes étaient fâchées l’une contre l’autre, la cour n’estime pas que cette partie de sa version soit fiable. Cela ne veut pas dire qu’il ait effectivement placé la deuxième boîte au-dessus de la première d’une façon agressive ou brutale. La cour accepte son témoignage lorsqu’il déclare qu’il en avait assez de traiter avec M. Sime qui agissait comme si c’était de la faute du client et qu’il estimait que la première livraison avait été si tardive qu’il devait payer le second livreur lorsque la livraison serait faite à sa satisfaction. La cour accepte le témoignage du Caporal Joseph en ce qui concerne sa description de l’état émotif de M. Sime qui a conduit le Caporal Joseph à s’emparer de la boîte du dessus, qui n’était pas complètement fermée, et lorsqu’il l’a passée ou tendue à M. Sime qui a refusé de la prendre et exigeait encore d’être payé. La cour accepte le témoignage du Caporal Joseph lorsqu’il déclare que M. Sime a alors mis ses mains en l’air, de chaque côté au niveau de la poitrine et des épaules pour indiquer qu’il ne prendrait pas la boîte. Néanmoins, le Caporal Joseph a alors tourné la boîte vers le haut et s’est arrangé pour la poser entre les mains de M. Sime en employant suffisamment de force ou de pression pour que M. Sime doive la tenir sous peine de la voir tomber par terre. Autrement dit, M. Sime a été contraint d’attraper la pizza. DÉCISION [34] La Cour répond ainsi aux questions suivantes : a) Le caporal Joseph a-t-il employé la force d’une manière intentionnelle contre M. Michael Sime? Dans le contexte d’une attaque illégale, il faut dire que l’emploi de la force peut être direct ou indirect. La force employée peut être violente, ou même légère. Pour qu’il y ait voies de fait, toutefois, le Caporal Joseph doit avoir employé la force d’une manière intentionnelle et contre la volonté de M. Sime. Le fait de toucher quelqu’un accidentellement ne constitue pas un emploi de la force d’une manière intentionnelle. L’expression « d’une manière intentionnelle » vise l’état d’esprit du Caporal Joseph lorsqu’il emploie la force. C’est une expression qui veut dire « délibérément », autrement dit, pas par accident. La cour doit tenir compte de toutes les circonstances de l’emploi de la force. La cour doit tenir compte de la nature du contact, et de tous les gestes ou mots qui peuvent l’avoir accompagné, ainsi que de toute autre chose qui révèle
Page 11 de 15 l’attitude ou l’état d’esprit du Caporal Joseph au moment où il a employé la force contre M. Sime. Selon les éléments de preuve admis par le tribunal, la situation avait tourné à un choc des égos entre l’accusé et M. Sime. M. Sime n’écoutait pas le Caporal Joseph et il n’acceptait pas non plus de blâme ou de responsabilité pour l’absence de la trempette ou de la garniture pour pizza. M. Sime a téléphoné à Topper’s Pizza en utilisant le téléphone du Caporal Joseph, ce qui a alors permis de confirmer qu’un autre livreur apporterait la trempette parce que cette personne livrait une pizza dans les environs, et cette solution était assez satisfaisante pour le Caporal Joseph. Mais M. Sime a continué d’ergoter avec son client. Le Caporal Joseph était alors tout à fait exaspéré tandis que M. Sime était aussi très contrarié. Les discussions se sont envenimées lorsque le Caporal Joseph a refusé de payer M. Sime, déclarant préférer payer le second chauffeur lorsqu’il lui apporterait la trempette. M. Sime a non seulement rejeté cette proposition mais il a exigé le paiement intégral immédiatement. À ce moment-là, le Caporal Joseph en a eu assez de toute la situation et a dit à M. Sime qu’il ne voulait plus de la pizza. M. Sime était alors très en colère et il a dit à son client qu’il devait lui payer la pizza. Le Caporal Joseph a alors attrapé la boîte de pizza du dessus, qui n’était pas entièrement fermée, et il l’a passée ou tendue à M. Sime qui a refusé de la prendre, continuant d’exiger le paiement. M. Sime a alors mis ses mains en l’air, de chaque côté au niveau de la poitrine et des épaules, pour indiquer qu’il ne prendrait pas la boîte. Malgré ce signe évident que le livreur ne voulait pas reprendre la boîte de pizza, le Caporal Joseph a tourné la boîte vers le haut et il s’est arrangé pour la poser entre les mains de M. Sime en employant suffisamment de force ou de pression pour que M. Sime doive la tenir sous peine de la voir tomber par terre. Autrement dit, M. Sime a été contraint d’attraper la pizza, comme je l’ai dit précédemment. M. Sime décrit ce moment de façon différente, mais la cour croit la réponse donnée par M. Sime en contre-interrogatoire lorsqu’il déclare avoir fait un pas en arrière parce qu’il a été pris par surprise lorsque le Caporal Joseph lui a tendu la pizza. L’histoire dit ensuite que, tandis que M. Sime tenait la première boîte de pizza, le Caporal Joseph s’est tourné sur la gauche et a attrapé la deuxième boîte. Il l’a alors placée sur la première boîte que M. Sime tenait à l’horizontale, les mains levées devant lui, et il a alors demandé à M. Sime de s’en aller. Et cet incident s’est aggravé avec l’arrivée de la police militaire.
Page 12 de 15 Ayant tenu compte de ces faits, et des circonstances dans lesquels ils se sont produits, la cour est convaincue que la poursuite a établi hors de tout doute raisonnable que le Caporal Joseph a employé la force d’une manière intentionnelle contre M. Sime, lorsque le Caporal Joseph a tourné la boîte vers le haut et s’est arrangé pour la placer entre les mains de M. Sime en exerçant suffisamment de force ou de pression pour que M. Sime doive la tenir sous peine de la voir tomber par terre. b) M. Sime avait-t-il consenti à l’emploi de la force d’une manière intentionnelle contre lui par le Caporal Joseph? La cour est convaincue que, compte tenu des mêmes éléments de preuve, M. Sime n’avait pas consenti à l’emploi de la force. c) Le Caporal Joseph savait-il que M. Michael Sime n’avait pas consenti pas à l’emploi de la force d’une manière intentionnelle contre lui? La preuve établit hors de tout doute raisonnable que le Caporal Joseph était si exaspéré par son expérience en tant que client qu’il avait poursuivi de toute façon, sans se demander si M. Sime était d’accord ou pas. Par conséquent, la cour est convaincue que le caporal Joseph avait la connaissance suffisante. Il ne s’agit pas d’un cas où la poursuite pourrait invoquer un aveuglement délibéré parce que, lorsque M. Sime a mis ses mains en l’air, de chaque côté, au niveau de la poitrine et des épaules, il a ainsi fait clairement savoir qu’il ne prendrait pas la boîte de pizza. C’était là un signe clair que le livreur ne voulait pas reprendre la boîte de pizza. [35] L’avocat de la défense soutient que, si la cour conclut à un emploi fautif de la force, il s’agit là d’un cas de nature tellement insignifiante que la doctrine de minimis non curat lex devrait s’appliquer. La défense s’appuie sur plusieurs décisions à l’appui de cette position, mais surtout sur les affaires R. c. Lepage (C.B.R.Sask.), [1989] S.J. N° 579 et R. c. Starratt (1971), 5 C.C.C. (2d) 32, un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario. D’après la preuve que la cour reconnaît comme fiable et qui se trouve surtout dans le témoignage même du Caporal Joseph, la cour a conclu que l’acte du Caporal Joseph constitue des voies de fait au sens technique du Code criminel. [36] De grandes discussions ont eu lieu entre juristes sur la doctrine de minimis non curat lex, quant à savoir si le système de justice pénale devrait ou non s’occuper de questions de nature insignifiante. Bien que ce principe ait été appliqué dans bon nombre d’affaires, la question de la simple reconnaissance de l’existence d’un tel moyen de défense n’a pas été réglée. À titre d’exemple, je renvoie au récent arrêt
Page 13 de 15 R. c. Kubassek (2004), 188 C.C.C. (3d) 307, de la Cour d’appel de l’Ontario où le juge d’appel Cutzman a déclaré, au paragraphe 17 et suivants : [TRADUCTION] [17] La position du ministère public dans cet appel se réduit à deux arguments fondamentaux, le premier étant que le principe de minimis non curat lex ne trouve pas d’application en tant que moyen de défense en droit pénal, et le second, que même s’il peut être soulevé à titre de moyen de défense dans une affaire pénale, ce principe ne pouvait pas être invoqué dans les circonstances de l’espèce. [18] J’accepte le deuxième argument du ministère public et ne juge pas nécessaire de me prononcer sur le premier. [19] Le principe de minimis non curat lex est très ancien. La première mention de ce principe, dans les recueils de jurisprudence, remonte à l’affaire Taverner v. Dominum Cromwell (1594), 78 E.R. 601. Plus de deux siècles plus tard, le sens de l’expression a été étendu dans une affaire de saisie d’un navire britannique pour violation des lois fiscales britanniques par l’exportation de bois de campêche de la Jamaïque vers les États-Unis, pays qui en interdisait l’importation : The Reward (1818), 2 Dods. 265, 165 E.R. 1482. En rejetant une invitation faite par les propriétaires du navire à infirmer cette condamnation à cause de l’insignifiance relative du montant de bois de campêche en cause, sir Walter Scott (devenu plus tard lord Stowell) a déclaré, dans 269-270 Dods., 1484 E.R. : La cour n’est pas tenue à une sévérité à la fois dure et pédantesque dans l’application des lois. La loi permet la qualification qui est implicite dans l’ancien adage De minimis non curat lex. — En présence d’irrégularités entraînant de très légères conséquences, elle ne vise pas à infliger des peines inéluctablement sévères. Si l’écart est une vétille qui, advenant qu’elle se poursuive, n’aurait que peu ou pas d’incidence sur l’intérêt public, on pourrait légitimement l’ignorer. [20] Au cours de la dernière décennie, la Cour suprême du Canada a traité, mais sans la régler, la question de savoir si le principe de minimis pouvait servir de moyen de défense dans une accusation pénale. Dans l’affaire R. c. Hinchey (1996), 111 C.C.C. (3d) 353 (C.S.C), qui portait sur une accusation de corruption de fonctionnaire, la juge L'Heureux-Dubé, s’exprimant pour la majorité de la Cour, a reconnu la possibilité que le principe de minimis soit un moyen de défense permettant de repousser la responsabilité criminelle, mais elle a précisément laissé la question en suspens. Elle a déclaré, en remarque incidente, au par. 69 : [E]n supposant qu’il puisse y avoir encore des cas qui ne justifient pas une sanction pénale, il y a peut-être une autre méthode permettant d’éviter qu’une déclaration de culpabilité soit prononcée : le principe de minimis non curat lex, soit que « la loi ne s’occupe pas de choses insignifiantes ». Cette solution pour les cas où un accusé a, « strictement parlant », violé un article du Code a été proposée par l’Association du Barreau canadien, dans Principes de responsabilité pénale : Proposition de nouvelles dispositions générales du Code criminel du Canada (1992), et par d’autres : voir le professeur Stuart,
Page 14 de 15 Canadian Criminal Law: A Treatise (3 e éd. 1995), aux pp. 542 à 546. Je sais, toutefois, que notre Cour ne s’est pas encore prononcée sur l’application éventuelle de ce principe comme moyen de défense permettant de repousser la responsabilité criminelle, et que cette question fait l’objet de certains débats devant les instances inférieures. Comme il n’est pas strictement nécessaire de trancher cette question pour résoudre l’affaire dont nous sommes saisis, il y a lieu de laisser la question en suspens. [21] Dans l’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (procureur général) (2004), 180 C.C.C. (3d) 353, la Cour suprême a maintenu la constitutionnalité de l’art. 43 du Code criminel qui prévoie que tout instituteur, père ou mère, ou toute personne qui remplace le père ou la mère, est fondé à employer la force pour corriger un élève ou un enfant, selon le cas, confié à ses soins, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances. La décision de la majorité a été prononcée par la juge en chef McLachlin, les juges Binnie, Arbour et Deschamps ayant chacun rédigé des motifs dissidents. Dans sa dissidence, la juge Arbour a déclaré que le principe de minimis non curat lex existe bien comme moyen de défense en common law : voir les par. 200-208. Mais tout ce que la juge en chef McLachlin a déclaré, s'exprimant au nom de la majorité de la Cour sur ce sujet au par. 44, est ce qui suit : [L]a juge Arbour affirme que les parents qui feront l’objet d’accusations criminelles après avoir employé la force pour infliger une correction pourront invoquer les moyens de défense fondés sur la nécessité et le principe de minimis. Je conviens qu’il est possible d’invoquer la nécessité comme moyen de défense, mais seulement dans des cas où il n’est pas question de force employée pour infliger une correction, notamment dans celui où il s’agissait de protéger un enfant contre un danger imminent. Quant au moyen de défense fondé sur le principe de minimis, il est aussi, sinon plus, imprécis et difficile à appliquer que le moyen de défense fondé sur le caractère raisonnable que prévoit l’art. 43. [22] Tout comme la juge L’Heureux-Dubé dans l’affaire Hinchey et la juge en chef McLachlin dans l’affaire Canadian Foundation, je n’estime pas nécessaire de déterminer en l’espèce si le principe de minimis sert de moyen de défense au pénal. Je m’exprime ainsi parce que, même à supposer que, pour le règlement du présent appel, ce principe soit un moyen de défense, le fait de qualifier la conduite de M me Kubassek d’« insignifiante » a constitué une erreur de droit qui peut être corrigée par le présent tribunal. [37] En l’espèce, il ne fait pas de doute que, lorsque le Caporal Joseph a placé la boîte de pizza sur les mains tendues de M. Sime, malgré le geste très clair de celui-ci montrant qu’il ne voulait pas la reprendre, cet emploi de la force était délibéré. Le Caporal Joseph avait décidé de régler cette question ainsi, mais il aurait pu gérer cet incident de façon différente, par exemple, en parlant lui-même à un responsable de chez Topper’s Pizza ou en essayant de calmer le jeu. Il aurait pu rester sur sa position de ne pas payer la livraison et même prendre la pizza et la sortir de sa maison sans forcer
Page 15 de 15 M. Sime à la prendre. Avec le recul, il faut comprendre qu’il avait toute raison d’être exaspéré et mécontent. Toutefois, il ne s’agit pas là d’un moyen de défense dans les circonstances. Bien qu’il n’ait pas subi de dommages, M. Sime a été pris par surprise, en dépit des gestes clairs qu’il avait faits pour ne pas reprendre la pizza. Le Caporal Joseph a décidé de ne pas en tenir compte du tout et plutôt de régler la question lui-même en utilisant la force de manière intentionnelle. Dans le contexte de l’espèce, la cour estime que de réduire l’importance de ces voies de fait en appliquant une qualification comme « insignifiantes » ou « banales » amène à faire fi de ce qui s’est réellement produit entre M. Sime et le Caporal Joseph, même si, de l’avis de la cour, M. Sime était très agressif et n’a pas cherché à comprendre son client. En conséquence, je conclus que les faits de l’espèce ne peuvent pas être considérés comme étant visés par le moyen de défense, à supposer qu’il s’agisse véritablement d’un moyen de défense en droit. La cour conclut que les faits de l’espèce ne peuvent pas être considérés comme étant visés par le principe de minimis non curat lex. [38] Il faut comprendre que, lorsque les affaires se placent à l’échelon le plus bas de la responsabilité pénale ou du blâme, la poursuite joue un rôle important dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministère public. Toutefois, lorsque les tribunaux sont saisis de ces affaires très mineures, ils doivent les traiter conformément au droit. Cela ne veut pas dire que le contrevenant doive subir une punition qui ait des conséquences irréparables du fait de cette condamnation compte tenu des circonstances. LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M. Avocats : Major A.M. Tamburro, Procureur militaire régional, Ottawa Procureur de Sa Majesté la Reine Major A. Appolloni, Direction du Service d’avocats de la défense, Ottawa Avocat du Caporal R.P. Joseph
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