Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 1 novembre 2005.
Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC) et BFC Esquimalt, édifice 30-N, 2e étage, Victoria (CB).
Chefs d’accusation:
• Chef d’accusation 1 : Art. 85 LDN, a insulté verbalement un supérieur.
• Chef d’accusation 2 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d’accusation 3 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre d’un supérieur.
• Chef d’accusation 4 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.
• Chef d’accusation 5 : Art. 130 LDN, proférer des menaces (art. 264.1 C. cr.).
• Chef d’accusation 6 : Art. 85 LDN, a menacé verbalement un supérieur.
• Chef d’accusation 7 : Art. 84 LDN, a montré de la violence envers un supérieur.
• Chef d’accusation 8 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
• Chef d’accusation 9 : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.
Résultats:
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 6, 9 : Coupable. Chefs d’accusation 4, 5, 7, 8 : Retirés.
• SENTENCE : Une rétrogradation au grade de soldat.

Contenu de la décision

Page 1 de 46 Référence: R. c. Ex-Matelot de 1 re classe Lasalle, 2005 CM 46 Dossier: C200546

COUR MARTIALE PERMANENTE CANADA COLOMBIE-BRITANNIQUE CENTRE D'ANALYSE DE DONNÉES ACOUSTIQUES PACIFIQUE

Date: 21 décembre 2005 SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, JUGE MILITAIRE

SA MAJESTÉ LA REINE (Poursuivante-intimée) c. EX-MATELOT DE 1 RE CLASSE J.R.J. LASALLE (Accusé-requérant))

DÉCISION RELATIVEMENT À UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE AUX TERMES DU PARAGRAPHE 11d) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS (Rendue oralement)

INTRODUCTION [1] Il s'agit d'une requête présentée, comme je disais, par la défense aux termes du sous-alinéa 112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes au motif que cette cour martiale permanente n'est pas un tribunal indépendant et impartial en violation de l'article 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, et ce parce que les juges militaires qui président ces cours martiales ne jouissent pas des garanties suffisantes d'indépendance judiciaire. Cette requête est l'une de trois requêtes fondamentalement similaires qui ont été présentées devant une cour martiale permanente constituée par ce même juge militaire. Ces autres causes sont celles de la cour martiale permanente du caporal J.B. Joseph qui a débuté à North Bay, Ontario, le 4 octobre 2005 et celle du caporal H.P. Nguyen qui a débuté le 12 octobre 2005 à Sherbrooke, Québec, et la décision dans la cour martiale permanente du caporal Nguyen a été rendue plus tôt cette semaine, c'est-à-dire, le 19 décembre 2005. Donc, hormis quelques différences mineures, la preuve et les arguments soulevés dans cette cause sont similaires à ceux qui ont été présentés dans la cause du caporal Nguyen.

Page 2 de 46 [2] Ces requêtes soulèvent, pour la première fois depuis les arrêts R. c. Lauzon [1998] A.C.A.C. no 5 et R. c. Bergeron [1999] A.C.A.C. no 3, la question de l’indépendance des cours martiales à la lumière de l'article 11d) de la Charte cana­dienne des droits et libertés (Charte)depuis les modifications apportées à la Loi sur la défense nationale et ses règlements d’application depuis 1998. Dans l’arrêt récent Assoc. des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick c. Nouveau-Brunswick (Ministre de la Justice); Assoc. des juges de l’Ontario c. Ontario (Conseil de gestion); Bodner c. Alberta; Conférence des juges du Québec c. Québec (Procureur général); Minc c. Québec (Procureur général) 2005, CSC 44, au paragraphe 4, la Cour suprême nous rappelait que :

[l]e principe de l’indépendance de la magistrature tire ses origines à la fois de la common law et de la Constitution canadienne; voir Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, p. 70-73; Ell c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 857, 2003 CSC 35, par. 18-23. On a qualifié l’indépendance de la magistrature d’« élément vital du caractère constitu­tionnel des sociétés démocratiques » (Beauregard, p. 70) qui « existe au profit de la personne jugée et non des juges » (Ell, par. 29). L’indépendance est essentielle en raison du rôle des juges en tant que protecteurs de la Constitution et des valeurs fondamentales qui s’y trouvent, notamment la primauté du droit, la justice fondamen-tale, l’égalité et la préservation du processus démocratique (Beauregard, p. 70).

Cette Cour est convaincue que ces principes s’appliquent aux cours martiales au Canada. Malgré qu’ils soient investis de fonctions importantes, les juges militaires ont une compétence plus limitée que celle des juges des cours supérieures et même des juges des cours provinciales. Les juges militaires qui président aux cours martiales n’ont compétence qu’en matière pénale à l’égard des personnes qui sont justiciables du code de discipline militaire SS qu’elles soient civiles ou militaires SS au Canada ou à l’étranger. La Cour reconnaît que le rôle de protecteur de la Constitution des juges militaires a donc une portée plus restreinte que celle des juges des cours supérieures et des cours provinciales. Par conséquent, des conditions moins rigoureuses sont vraisemblablement suffisantes pour respecter leur indépendance judiciaire. Toutefois, l’examen de la structure de la cour martiale doit non seulement prendre en compte le contexte législatif et historique propres aux tribunaux militaires, mais il doit reconnaître sa relation avec les autres cours et tribunaux du pays.

[3] Cette question de l’indépendance des tribunaux a fait l’objet de décisions importantes depuis l’arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673. D’ailleurs, le juge Le Dain affirmait déjà, à la page 692 dudit arrêt :

Les idées ont évolué au cours des années sur ce qui idéalement peut être requis, sur le plan du fond comme sur celui de la procédure, pour assurer une indépen­dance judiciaire [...] Les opinions diffèrent sur ce qui est nécessaire ou souhaitable, ou encore réalisable....

[4] Force est de constater que cette notion d’indépendance a évolué tant du point de vue de ses caractéristiques essentielles soit l’inamovibilité, la sécurité finan­cière et l’indépendance administrativeSS que du niveau d’indépendance requis à

Page 3 de 46 l’intérieur du spectrum de l’ensemble des tribunaux. L’indépendance de la magistrature comporte deux dimensions : l’indépendance individuelle d’un juge et l’indépendance institutionnelle de la cour qu’il préside. Ces deux dimensions sont tributaires de l’existence des normes objectives qui préservent le rôle des juges (Valente, p. 687; Beauregard, p. 70; Ell, par. 28) et la Cour suprême a réitéré le contenu et les conditions de l’indépendance judiciaire dans cet arrêt Ell c. Alberta,[2003] 1 R.C.S. 857, aux paragraphes 28 à 31 le juge Major affirmait, au nom de la Cour :

28 Comme nous l'avons vu, l'indépendance judiciaire comporte à la fois un aspect individuel et un aspect institutionnel. Le premier aspect concerne l'indépendance du juge lui-même, et le deuxième, l'indépendance du tribunal judiciaire il siège. Chacun de ces aspects est tributaire de l'existence de conditions ou garanties objectives desti­nées à soustraire le pouvoir judiciaire à toute influence ou à toute intervention exté­rieure : voir Valente, précité, p. 685. Les garanties nécessaires sont l'inamovibilité, la sécurité financière et l'indépendance administrative : voir le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, par. 115.

29 La principale question qui se pose en l'espèce est de savoir si la destitution des intimés par la législature portait atteinte à leur inamovibilité. En examinant cette question, il faut considérer que les conditions d'indépendance sont censées protéger les intérêts du public. L'indépendance judiciaire est non pas une fin en soi, mais un moyen de préserver notre ordre constitutionnel et de maintenir la confiance du public dans l'administration de la justice : voir le Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale, précité, par. 9. Ce principe existe au profit de la personne jugée et non des juges. Si les conditions d'indépendance ne sont pas "interprété[e]s en fonction des intérêts d'ordre public qu'[elles] visent à servir, il y a danger que leur application compromette la confiance du public dans les tribunaux, au lieu de l'accroître" : voir l'arrêt Mackin, précité, par. 116, le juge Binnie dissident.

30 La manière de remplir les conditions essentielles de l'indépendance varie selon la nature du tribunal judiciaire ou administratif et les intérêts en jeu. Voir les arrêts Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, par. 83, le juge en chef Lamer, et Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, 2001 CSC 35, par. 65, la Cour a préconisé une approche contextuelle en matière d'indépendance judiciaire :

... bien que ce puisse être souhaitable, il n'est pas raisonnable de poser comme exigences constitutionnelles les conditions les plus rigoureuses et élaborées de l'indépendance judiciaire parce que l'al. 11d) de la Charte canadienne est susceptible de s'appliquer à une grande diversité de tribunaux. Ces conditions essentielles devront plutôt respecter cette diversité et être interprétées de façon souple. Ainsi, il ne saurait être question d'imposer une norme uniforme ou de dicter une formule législative particulière qui devrait prévaloir. Il suffira que l'essence de ces conditions soit respectée ...

[5] Le concept d’indépendance judiciaire constitue un pré-requis à l’impartialité du juge et il doit donc s’évaluer de manière objective. La Cour doit se demander si une personne raisonnable, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique, conclurait que cette cour martiale permanente est un tribunal indépendant. Mais il y a plus. Il faut que l’accent soit sur l’existence d’un

Page 4 de 46 statut indépendant. Au surplus, la Cour martiale permanente doit être perçue comme telle. Dans l’arrêt Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405, le juge Gonthier, pour la majorité, ajoutait au pragraphes 38 à 40 :

38 [...] L'accent est mis sur l'existence d'un statut indépendant, car non seulement faut-il qu'un tribunal soit effectivement indépendant, il faut aussi qu'on puisse raisonnablement le percevoir comme l'étant. L'indépendance de la magistrature est essentielle au maintien de la confiance du justiciable dans l'administration de la justice. Sans cette confiance, le système judiciaire canadien ne peut véritablement prétendre à la légitimité, ni commander le respect et l'acceptation qui lui sont essentiels. Afin que cette confiance soit établie et assurée, il importe que l'indépendance des tribunaux soit notoirement « communiquée » au public. Par conséquent, pour qu'il y ait indépendance au sens constitutionnel, il faut qu'une personne raisonnable et bien informée puisse conclure non seulement à l'existence de l'indépendance dans les faits, mais également constater l'existence de conditions suscitant une perception raisonnable d'indépendance. Seules des garanties juridiques objectives sont en mesure de satisfaire à cette double exigence.

39 Comme l'expliquent l'arrêt Valente, p. 687, et le Renvoi : Juges de la Cour provinciale, par. 118 et suiv., l'indépendance d'un tribunal donné comprend une dimension individuelle et une dimension institutionnelle. La première s'attache plus particulièrement à la personne du juge et intéresse son indépendance vis-à-vis de toute autre entité, alors que la seconde s'attache au tribunal auquel il appartient et intéresse son indépendance vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif du gouvernement. Les règles attachées à ces deux dimensions découlent d'ailleurs d'impératifs quelque peu différents. L'indépendance individuelle s'attache aux fonctions purement juridictionnelles des juges, car le tribunal doit être indépendant pour trancher un litige donné de façon juste et équitable, alors que l'indépendance institutionnelle s'attache davantage au statut du judiciaire en tant qu'institution gardienne de la Constitution et reflète par le fait même un profond engagement envers la théorie constitutionnelle de la séparation des pouvoirs. Néanmoins, dans chacune de ses dimensions, l'indépendance vise à empêcher toute ingérence indue dans le processus de décision judiciaire, lequel ne doit être inspiré que par les exigences du droit et de la justice.

40 Au sein de ces deux dimensions s'inscrivent les trois caractéristiques essentielles à l'indépendance judiciaire énoncées dans Valente, soit la sécurité financière, l'inamovibilité et l'indépendance administrative. Ensemble, elles établissent la relation d'indépendance qui doit exister entre un tribunal et toute autre entité. Leur maintien conforte également la perception générale d'indépendance du tribunal. D'ailleurs, ces trois caractéristiques doivent elles aussi être perçues comme étant garanties. En somme, la protection constitutionnelle de l'indépendance judiciaire requiert à la fois l'existence en fait de ces caractéristiques essentielles et le maintien de la perception qu'elles existent. Ainsi chacune d'elles doit être institutionnalisée au travers de mécanismes juridiques appropriés.

Cela dit, l’analyse doit être faite en tenant compte de la nature de la Cour martiale permanente et des intérêts en jeu, comme l’a rappelé la Cour suprême au paragraphe 30 de l’arrêt Ell précité.

LA PREUVE

Page 5 de 46 [6] La preuve devant cette cour est constituée des éléments suivants : 1) les questions du domaine de la connaissance judiciaire aux termes de la règle 15 des règles militaires de la preuve;

2) les questions du domaine de la connaissance judiciaire aux termes de la règle 16 des règles militaires de la preuve ;

3) les pièces déposées devant la Cour du consentement des procureurs et pour les seules fins exprimées du consentement des procureurs;

4) la soumission conjointe des faits déposée devant la Cour, Pièce VD1-2.

LA POSITION DES PARTIES Le requérant [7] Le requérant allègue que certaines dispositions de la Loi sur la défense nationale et des ORFC n’offrent pas les garanties nécessaires pour assurer l’indépendance et l’impartialité d’une cour martiale permanente. Plus précisément, le requérant soutient qu’un juge militaire, nommé aux termes de la législation actuelle, ne jouit pas de garanties importantes et suffisantes en matière d’inamovibilité, de la sécurité financière et de l’indépendance institutionnelle. D’entrée de jeu, le requérant soutient que cette cour doit s’écarter des arrêts R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259; R. c. Ingebritson [1990] 5 C.A.C.M. 87; R. c. Edwards, [1995] A.C.A.C. no 10; et R. c. Lauzon, [1998] A.C.A.C. no 5 qui ont traité de l’indépendance et de l’impartialité des cours martiales et ce, avant les modifications à la Loi sur la défense nationale par la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, ch. 35, sanctionnée le 10 décembre 1998, en vigueur le 1 er septembre 1999, parce qu’elles ne correspondent plus à l’état du droit en matière d’indépendance judiciaire. Il ajoute que l’état du droit au Canada a évolué à un tel point, depuis la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Ell c. Alberta,[2003] 1 R.C.S. 857, que même le nouveau cadre législatif et réglementaire adopté à la suite des modifications apportées à la Loi sur la défense nationale ne procure pas de telles garanties importantes et suffisantes. Le requérant soutient que tenir un procès dans de telles circonstances violerait le droit de l’accusé à un procès impartial et indépendant et ne pourrait se justifier sous l’angle de l’article premier de la Charte.

[8] Le requérant demande donc à cette Cour de déclarer invalides et inopérantes SS aux termes de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 SS les

Page 6 de 46 dispositions législatives et réglementaires suivantes relativement au processus de nominations des juges militaires, leur révocation, leur renouvellement, la détermination de leur rémunération ainsi que les taux et les conditions de versements de leur solde :

1) l’article 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale et les articles 101.13 et 101.14 des ORFC ;

2) l’article 165.21(3) de la Loi sur la défense nationale et les articles 101.15, 101.16, et 101.17 des ORFC;

3) l’article 165.21(4) de la Loi sur la défense nationale et l’article 101.175 des ORFC;

4) l’article 12(3)(a) de la Loi sur la Défense nationale et les articles 204.22, 204.23, 204.24, 204.25, 204.26 et 204.27 des ORFC;

5) l’article 19.75 des ORFC. Finalement le requérant demande à la Cour, en sus de la déclaration d’invalidité, de prononcer l’arrêt des procédures à l’égard du requérant en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés compte tenu évidemment de la longueur de ma décision, et avant d'aller plus loin, je demanderais aux procureurs, s'ils le désirent, de pouvoir retirer leur coiffure. Donc, je poursuis.

Inamovibilité Mandat fixe pour une durée de cinq ans [9] Le requérant soumet que les juges militaires qui président les Cours martiales permanentes ne jouissent pas de l’inamovibilité suffisante tant du point de vue de la dimension individuelle que de la dimension institutionnelle. Selon les prétentions du requérant, le mandat pour un terme fixe, tel que l’entendait la Cour suprême dans l’arrêt Généreux n’est pas inconstitutionnel en soi. La difficulté réside dans la possibilité qu’un ancien juge militaire puisse retourner à la pratique du droit au sein des Forces canadiennes et qu’à ce titre il devienne conseiller juridique de l’exécutif ou membre de cet exécutif, et ce en dépit des restrictions imposées à cet ancien juge par les règles de déontologie du barreau d’une province qui s’appliqueraient à lui. Le requérant prétend qu’un juge militaire devrait jouir d’une inamovibilité comparable à celle des juges des cours supérieures des provinces ou des juges des cours provinciales, c’est à dire jusqu’à l’âge de la retraite. Il s’appuie principalement sur l’arrêt Ell c. Alberta,[2003] 1 R.C.S. 857, en particulier aux paragraphes 31-32 :

31 Le degré d'inamovibilité constitutionnellement requis dépend du contexte particulier du tribunal judiciaire ou administratif. Les juges des cours supérieures ne peuvent être destitués que sur adresse conjointe de la Chambre des communes et du

Page 7 de 46 Sénat, comme le prévoit l'art. 99 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce degré d'inamovibilité reflète la position traditionnelle et contemporaine que les cours supérieures occupent en leur qualité de composante fondamentale de la structure judiciaire canadienne et de principales gardiennes de la primauté du droit. Des conditions moins rigoureuses s'appliquent dans le cas des cours provinciales, qui sont constituées par des lois, mais qui accomplissent néanmoins des tâches constitutionnelles importantes. Voir l'arrêt Mackin, précité, par. 52 :

.. la magistrature provinciale est investie d'importantes fonctions constitutionnelles, notamment en ce qu'elle est habilitée à faire : respecter la primauté de la Constitution en application de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982; accorder réparation pour violation de la Charte, en vertu de l'art. 24; appliquer les art. 2, et 7 à 14 de la Charte; veiller au respect du partage des pouvoirs au sein de la fédération en vertu des art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867; et rendre des décisions relatives aux droits des peuples autochtones protégés par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Bien que les intimés soient investis de fonctions importantes, leur compétence est beaucoup plus limitée que celle des juges des cours provinciales. Leur rôle de protecteur de la Constitution a une portée plus restreinte. Par conséquent, des conditions moins rigoureuses sont nécessaires pour respecter leur inamovibilité.

32 Dans chaque cas, il faut se demander, en définitive, si en examinant les dispositions législatives pertinentes dans leur contexte historique complet, [page875] une personne raisonnable et renseignée conclurait que le tribunal judiciaire ou administratif en question est indépendant : Valente, précité, p. 689. Il y a perception d'indépendance lorsque chaque condition est remplie pour l'essentiel. L'inamovibilité vise essentiellement à empêcher que les membres d'un tribunal fassent l'objet d'une destitution arbitraire ou discrétionnaire. Voir l'arrêt Valente, précité, p. 698 :

L'essence de l'inamovibilité pour les fins de l'al. 11d), que ce soit jusqu'à l'âge de la retraite, pour une durée fixe, ou pour une charge ad hoc, est que la charge soit à l'abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l'exécutif ou de l'autorité responsable des nominations.

Révocation [10] En ce qui a trait à la révocation, il soumet à la Cour qu’une question aussi importante devrait être dans la loi plutôt que dans les règlements et qu’il devrait être aussi détaillé que celui qui existe aux articles 64 et 65 de la Loi sur les juges, L.R.C. 1985, ch. J-1. Selon le requérant, le comité d’enquête n’est pas protégé contre toute ingérence de l’exécutif, du moins en apparence et le juge militaire bénéficie d’une protection inférieure que celle d’un juge d’une autre cour.

Retrait des fonctions [11] L’inamovibilité du juge militaire serait également affectée par la possibilité que le chef d’état-major de la défense et le juge militaire en chef, en tant qu’officier commandant un commandement, en vertu de l’article 4.091 (Pouvoirs et

Page 8 de 46 compétence du juge militaire en chef), puissent théoriquement retirer un juge militaire de ses fonctions militaires aux termes de l’article 19.75 (Retrait des fonctions militaires) des ORFC.

Âge de la retraite [12] Finalement, il prétend SS du point de vue de l’inamovibilité ou de la sécurité financière SS que l’âge de la retraite d’un juge militaire, peu importe lequel, devrait être prévu à la Loi sur la défense nationale plutôt que dans les ORFC parce que cette question ne pourrait plus être l’objet d’influence par l’exécutif.

Le mandat renouvelable [13] Le requérant soumet également que si la Cour conclut que la cour martiale permanente SS présidée par un juge militaire nommé pour un mandat de cinq ans SS satisfait aux normes minimales de constitutionnalité, il en va autrement du processus de renouvellement. Premièrement, toutes les dispositions relatives au renouvellement devraient être contenues dans la loi uniquement. Deuxièmement, il soutient que le simple fait pour un juge d’avoir à solliciter un renouvellement crée chez la personne raisonnable et bien renseignée une apparence de dépendance.

[14] Il ajoute que le comité d’examen établi sous l’article 101.15 (Comité d’examen) permet à l’exécutif de nommer la majorité des membres. Au surplus, ces personnes pourraient être très proches de l’exécutif. La possibilité qu’une telle situation puisse exister n’offre pas les garanties nécessaires à l’indépendance requise des juges militaires parce que ce comité n’est pas indépendant du pouvoir exécutif. Le simple fait que l’exécutif puisse nommer des personnes qui n’auraient aucun lien avec ledit exécutif ne peut, selon les prétentions du requérant, valider une disposition réglementaire inconstitutionnelle. Le requérant s’appuie notamment sur l’arrêt Barreau de Montréal c. Québec (Procureure générale), R.J.Q.2058, un jugement donc de la Cour d'appel du Québec, ladite Cour s’est prononcée sur la procédure de renouvellement des membres du Tribunal administratif du Québec (T.A.Q.) à la lumière de l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12. Elle a jugé qu’une personne sensée et bien renseignée, ayant analysé la situation en profondeur, éprouverait des craintes raisonnables que les membres du TAQ, singulièrement durant la dernière année de leur mandat, n'aient pas l'indépendance d'esprit requise pour juger de manière entièrement objective. Plus particulièrement, cette personne pourrait raisonnablement croire qu'il serait plus probable que ceux-ci soient influencés dans leurs décisions par la présence, au comité chargé de recommander le renouvellement de leur mandat, de représentants du gouvernement et du président du TAQ qui y siégeaient d’office. Le requérant soutient que les normes minimales de constitutionnalité relativement à la composition du comité d’examen chargé de recommander le renouvellement des juges militaires ne sauraient être en deçà de ce qu’est la norme constitutionnelle minimale applicable à un tribunal administratif.

Page 9 de 46 [15] Le requérant s’attaque également aux facteurs qui doivent être pris en compte par le comité d’examen aux termes de l’article 101.17 (Recommandation du comité d’examen) des ORFC. D’une part, il prétend que la liste des facteurs doit être exhaustive. D’autre part, le requérant soutient que les facteurs prévus à l’article 101.17 sont généralement vagues, imprécis ou qu’ils ne sont tout simplement pas pertinents dans le contexte du renouvellement des mandats, sauf le sous-paragraphe 101.17 (2)(a)(i). En ce qui a trait au facteur qui traite des exigences relatives aux langues officielles, le requérant soutient qu’il n’est pertinent qu’au moment de la nomination des juges. Cette question serait également du ressort exclusif du Juge militaire en chef et la considération de ce facteur par le comité violerait son indépendance administrative.

Sécurité financière [16] En ce qui a trait à la caractéristique essentielle de l’indépendance judiciaire qu’est la sécurité financière, le requérant soutient que le degré d’indépendance du comité d’examen de la rémunération des juges militaires établi à l’article 204.23 des ORFC en vertu de l’article 165.22 de la Loi sur la défense nationale n’est pas suffisant, du moins en apparence. Il reconnaît que les termes employés dans les ORFC ne posent pas de problème en soi puisqu’ils reprennent en substance les dispositions de la Loi sur les juges en la matière sauf qu’ils sont prévus dans la loi. C’est davantage le fait que les dispositions soient soumises au pouvoir réglementaire de l’exécutif qui fait craindre, selon le requérant, une apparence de dépendance. En comparaison, les dispositions applicables aux juges fédéraux portant sur les mêmes sujets découlent d’une loi et par conséquent du pouvoir du Parlement du Canada. Le requérant soutient que si l’on compare les procédures d’adoption, de modification, de publication, et de contrôle, un règlement est plus aisément soumis à l’ascendance du pouvoir exécutif qu’une loi. L’indépendance judiciaire exigerait que ces questions soient régies par la législation principale.

Indépendance institutionnelle [17] La question de l’indépendance institutionnelle de la cour martiale permanente et celle des juges militaires est également insuffisante selon le requérant. Son raisonnement repose sur la nature et la teneur du document d’organisation du Cabinet du juge militaire en chef, soit l’Ordonnance d’organisation des Forces canadiennes ( OOFC) 3763 émise sous l’autorité du chef d’état major de la défense en février 2002 et sur la nature et la teneur de l’arrêté de constitution 2000007 du 7 février 2002, par le ministre de la Défense nationale, autorisant la constitution du Cabinet du juge militaire en chef aux termes du paragraphe 17(1) de la Loi sur la défense nationale. Le requérant soutient que l’indépendance des juges militaires est menacée parce que la loi ne fait que créer la fonction d’administrateur de la cour martiale, de juge militaire et de juge militaire en chef. Il n’existe aucune institution judiciaire réelle, c’est-à-dire une cour qui serait une entité administrative réelle et séparée de l’exécutif. Le requérant

Page 10 de 46 soutient que le fait que le Cabinet du juge militaire en chef est organisé selon un arrêté ministériel et une OOFC du chef d’état-major de la défense peut affecter l’inamovibilité des juges militaires et l’indépendance institutionnelle parce que la seule organisation à laquelle appartiennent les juges militaires est le Cabinet du juge militaire en chef, constitué par un représentant de l’exécutif, le ministre de la Défense via le chef d’état-major de la défense. Il allègue que l’exécutif pourrait modifier ou neutraliser l’organisation ou le fonctionnement du Cabinet de juge militaire en chef par un simple changement à ces documents. Un exemple du manque d’indépendance institutionnelle des juges s’illustrerait par le fait que le chef d'état-major de la défense constitue l’autorité finale en matière de grief déposé par un juge. Le requérant allègue de plus qu’en vertu du chapitre 21, Enquêtes sommaires et commissions d’enquête, des ORFC, le chef d'état-major de la défense ou le ministre pourraient utiliser leurs pouvoirs d’ordonner une enquête sommaire ou une commission d’enquête pour amener un juge militaire, même bénéficiant de l’immunité quant aux poursuites, à expliquer les motifs d’une décision. Le fait que de telles situations ne se soient pas produites n’est pas pertinent, selon les prétentions du requérant, aux fins de savoir si une personne raisonnable et au courant de ces questions pourrait objectivement induire que le pouvoir conférer à l’exécutif fait craindre une situation de dépendance. Par conséquent, le requérant soutient qu’une personne raisonnablement informée et familière avec la constitution et la structure des cours martiales sous la Loi sur la défense nationale peut conclure que la fonction de juge militaire n’a pas l’inamovibilité, la sécurité financière, ni l’indépendance institutionnelle requises pour que la cour martiale permanente soit considérée un tribunal indépendant et impartial au sens de l’alinéa 11d) de la Charte. Le requérant a soulevé également très brièvement et accessoirement la question que la procédure de grief applicable aux Forces canadiennes porte atteinte à l’indépendance judiciaire, et je traiterai de cette question plus loin dans cette décision.

Re : Réparation demandée par le requérant [18] Le requérant demande donc à cette Cour, en sus de la ou des déclarations d’invalidité, de prononcer l’arrêt des procédures en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il insiste également pour que la Cour ne suspende pas temporairement toute déclaration d’invalidité. Selon lui, une telle suspension n’est pas requise puisque rien n’empêche un tribunal civil SS soit un tribunal de juridiction pénale au Canada SS de juger un militaire pour une infraction purement militaire aux termes de la Loi sur la défense nationale. Le requérant fait valoir que la lecture des articles 71, 165.2, et 165.11 de la Loi sur la défense nationale, les articles 468 et 469 du Code criminel ainsi que l’article 34 de la Loi d’interprétation, permet de conclure qu’une infraction comme celle qui est créée à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale pour une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline peut être jugée devant une cour supérieure. Cela résume les prétentions du requérant dans cette requête.

L’intimée

Page 11 de 46 [19] L’intimée soutient au contraire que la Cour martiale permanente est un tribunal indépendant et impartial parce que :

1) Le juge militaire qui préside une cour martiale est inamovible; 2) Le juge militaire qui préside une cour martiale jouit d’une sécurité financière; et

3) Le juge militaire qui préside une cour martiale jouit d’une indépendance administrative institutionnelle.

L’intimée soutient également que si cette Cour concluait que la Cour martiale permanente n’est pas un tribunal indépendant et impartial, toute réparation ordonnée devrait consister en des déclarations d’invalidités suspendues ou en une interprétation large aménageant des garanties additionnelles propres à faire en sorte que les juges militaires et les cours martiales permanentes puissent continuer d’exercer leur juridiction en attendant que le Parlement édicte des mesures appropriées pour assurer le respect des droits et libertés du requérant.

Inamovibilité Mandat fixe pour une durée de cinq ans [20] L’intimée soutient que le demandeur, ou le requérant, n’a pas réussi à démontrer qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique et après l’avoir étudiée en profondeur conclurait qu’un juge militaire présidant une cour martiale ne jouit pas d’une inamovibilité propre à lui permettre de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision.

[21] L’alinéa 11d) de la Charte ne garantit pas, selon l’intimée, un degré idéal d’indépendance. Le critère à appliquer pour déterminer si un tribunal donné possède les caractéristiques de l’indépendance doit plutôt être appliqué d’une manière souple et contextuelle qui tient compte des circonstances particulières entourant le tribunal. L’intimée soutient qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique SS et après l’avoir étudiée en profondeur SS conclurait qu’un juge militaire présidant une cour martiale jouit d’une inamovibilité propre à lui permettre de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision. S’appuyant sur les décisions de la Cour suprême dans

Page 12 de 46 l’arrêt R. c. Généreux et de la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt R. c. Lauzon, l’intimée soutient que l’inamovibilité n’exige pas qu’un juge militaire soit nommé jusqu’à un âge de retraite préétabli. Il suffit que le juge militaire soit nommé pour un mandat à durée déterminée pendant lequel il ne peut être révoqué que pour un motif valable. L’intimée prétend qu’un juge militaire pourrait retourner à la pratique du droit théoriquement au sein des Forces canadiennes sans que cela ne pose problème, même si ses conditions financières risquaient d’être inférieures à celles qui existaient au moment il occupait exclusivement des fonctions judiciaires. Selon l’intimée, l’ancien juge redevenu avocat serait régi par son code de déontologie et les règles objectives d’avancement des Forces canadiennes en matière de promotion sont suffisantes à cet égard pour que la personne jugée n’ait pas à craindre que le juge militaire n’agira pas de façon indépendante et impartiale pendant la durée de son mandat. Au surplus, ceci n’affecterait pas la sécurité financière requise parce que ce qui est important, selon l’intimée, c’est que le salaire du juge militaire soit établit de façon indépendante pendant la durée de son mandat.

Révocation [22] En matière de révocation, l’intimée soutient que la disposition réglementaire énonçant les raisons spécifiques sur lesquelles le comité d’enquête peut s’appuyer pour conclure à l’existence d’un motif de révocation est pratiquement identique à celle énoncée dans la Loi sur les juges. L’intimée reconnaît cependant que la procédure du comité d’enquête n’est pas aussi détaillée que celle qui apparaît à l’article 64 de la Loi sur les juges, notamment en ce qui a trait à la tenue d’une audition orale, mais elle soutient qu’une telle audition orale serait obligatoire à la lumière de la common law et en particulier des règles du droit administratif relativement à l’obligation d’agir équitablement.

Âge de la retraite [23] En ce qui concerne la question de l’âge de la retraite des juges militaires, l’intimée soutient que l’indépendance judiciaire requiert que les juges militaires soient traités de la même façon. En d’autres mots, l’âge de la retraite d’un juge militaire ne peut être que celle qui figure au tableau qui figure à l’article 15.17 des ORFC qui s’applique à son grade. Il serait contraire aux principes applicables en matière d’inamovibilité et de sécurité financière que l’exécutif puisse offrir à un juge militaire de pouvoir se voir appliquer le tableau « H » de l'article 15.17, LIBÉRATION DES OFFICIERS - ÂGE ET TEMPS DE SERVICE, de manière discrétionnaire. L’intimée soutient que rien n’oblige le législateur à prévoir expressément l’âge de la retraite des juges militaires dans la Loi sur la défense nationale.

Le mandat renouvelable

Page 13 de 46 [24] Sur la question du mandat renouvelable, l’intimée prétend que si l’on accepte que le renouvellement du mandat d’un juge militaire est acceptable au niveau constitutionnel, ce qui est accepté en théorie, selon elle, par la Cour d’appel de la cour martiale, cela implique que cette constitutionnalité sera satisfaite s’il existe des garanties importantes et suffisantes. L’intimée soutient que les facteurs pris en compte par un comité d’examen pourront être différents de ceux qui seront évalués par un comité d’enquête chargé de formuler une recommandation en matière de révocation de mandat. Elle prétend que les garanties importantes et suffisantes exigent que le comité d’examen du renouvellement soit indépendant entre le juge visé et le gouverneur en conseil dont la composition, la procédure et les facteurs à considérer ne soulèvent pas une crainte raisonnable que le juge militaire sera influencé dans l’exercice de ses fonctions judiciaires. L’intimée soutient que les prétentions du requérant SS à l’effet que le comité pourrait être contrôlé par l’exécutif parce qu’il y nomme deux membres SS ne sont pas fondées en droit parce qu’une telle situation serait impossible en vertu de la common law. Selon ses prétentions, la common law empêcherait le Ministre de la justice ou le ministre de la Défense nationale de nommer des personnes si près de l’exécutif qu’elles en viendraient à contrôler le comité d’examen. En matière de procédure, l’intimée soutient que, encore, la common law et les règles du droit administratif en matière d’obligation d’agir équitablement font partie intégrante du processus de renouvellement, même si les règlements sont silencieux à cet effet.

[25] L’intimée a répondu aux nombreuses questions de la Cour relativement aux facteurs qui doivent être pris en compte par le comité d’examen aux termes de l’article 101.17, RECOMMANDATION DU COMITÉ D'EXAMEN, des ORFC. Selon ses prétentions, ils sont suffisamment précis et le droit n’exige pas que la liste soit exhaustive, car le comité peut prendre en compte tout facteur ou sous-facteur qui serait pertinent. Chacun des facteurs dont le comité doit tenir compte est suffisamment précis et objectif et ils se rapportent, selon l’intimée, à la nécessité d’un système de justice militaire équitable et efficace au sein des Forces canadiennes. L’intimée soutient que ces exigences imposent des restrictions suffisantes SS en particulier à la lumière de l’interdiction de tenir compte des décisions rendues par le juge militaire SS au pouvoir discrétionnaire du comité pour éliminer toute crainte raisonnable que celui-ci puisse formuler ses recommandations en s’appuyant sur des facteurs qui pourraient amener un juge militaire à juger les affaires qui lui sont soumises en s’appuyant sur quelque considération non-pertinente que ce soit.

[26] Au niveau des facteurs spécifiques, l’intimée soutient que le facteur relié aux exigences en matière de langues officielles est pertinent et qu’il n’empiète pas sur l’indépendance administrative du Juge militaire en chef. Quant au facteur de continuité, l’intimée prétend que ce facteur doit s’interpréter positivement, c’est-à-dire en faveur du renouvellement des mandats. Le facteur relatif aux exigences militaires impérieuses en serait un d’exception. L’intimée soutient que son application serait très rare, mais que l’existence même de ce facteur ne soulève pas de crainte raisonnable d’un manque d’indépendance des juges militaires. Finalement, l’intimée soutient que le critère qui

Page 14 de 46 porte sur la condition physique requise des juges militaires est pertinent. Selon ses prétentions, le fait qu’il soit lié à la condition physique des avocats militaires n’est pas problématique. Les juges militaires doivent pouvoir être déployés au même endroit que les avocats militaires qui plaident devant eux lors des cours martiales. Il s’agirait d’une norme d’enrôlement, à son avis, et non d’une norme médicale qui pourrait être exigée d’un avocat militaire dans un contexte particulier. Elle ajoute qu’il s’agit d’un critère différent de celui qui existe pour le comité d’enquête responsable de la révocation. L’intimée reconnaît que les dispositions législatives et réglementaires en matière de renouvellement et de révocation ne sont pas idéales, mais qu' une personne raisonnable, sensée, et bien informée n'aurait pas à craindre qu’un juge militaire sera influencé dans la façon dont il exerce ses fonctions judiciaires.

Sécurité financière [27] En ce qui a trait à la caractéristique essentielle de l’indépendance judiciaire qu’est la sécurité financière, l’intimée soutient qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique SS et après l’avoir étudié en profondeur SS conclurait qu’un juge militaire présidant une cour martiale jouit d’une sécurité financière propre à lui permettre de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision.

[28] L’intimée note que le principe de la sécurité financière en est un qui s’applique aux juges militaires pendant la période au cours de laquelle ils rendent des décisions judiciaires. Le fait qu’un ancien juge militaire puisse toucher un traitement inférieur à celui qu’il touchait lorsqu’il agissait à titre de juge militaire n’est pas pertinent, selon elle, aux fins de savoir s’il jouissait ou non d’une sécurité financière en tant que juge militaire. La sécurité financière consiste essentiellement en ce que le droit au traitement et à la pension soit prévu par une loi ou un règlement et ne soit pas sujet aux ingérences arbitraires de l'exécutif d'une manière qui pourrait affecter l'indépendance judiciaire. L’intimée soutient que le demandeur, ou le requérant, n’a pas réussi à démontrer qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique SS et après l’avoir étudiée en profondeur SS conclurait qu’un juge militaire présidant une cour martiale ne jouit pas d’une sécurité financière propre à lui permettre de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision.

Indépendance institutionnelle

Page 15 de 46 [29] En ce qui a trait à la question de l’indépendance institutionnelle de la cour martiale permanente et celle des juges militaires, l’intimée soutient que cette prétention repose sur une interprétation erronée des arrêtés ministériels d’organisation et des ordonnances d’organisation des Forces canadiennes, qui [traduction] « sont des documents d’ordre organisationnel [qui] ne doivent servir à aucun autre but ». Ces arrêtés et ordonnances prévoient la mise à disposition par les Forces canadiennes et la supervision par le juge militaire en chef d’employés de soutien et d’une infrastructure logistique pour permettre aux juges militaires d’exercer leurs fonctions judiciaires. L’intimée soutient que le juge militaire en chef SS de même que l’administrateur de la cour martiale, qui exerce ses fonctions sous sa direction générale SS tirent leur autorité administrative non pas d’une ordonnance d’organisation des Forces canadiennes mais de la Loi sur la défense nationale et des ORFC. L’exercice de cette autorité administrative est facilité par l’existence des arrêtés et ordonnances. Cependant, même si ceux-ci étaient abrogés, il n’y aurait aucun motif raisonnable de craindre qu’un juge militaire puisse être influencé dans l’exercice de ses fonctions judiciaires selon l’intimée.

Re : Réparation demandée par le requérant [30] En ce qui a trait à la réparation demandée, l’intimée soumet qu’aucune réparation n’est requise parce que le requérant ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve, mais elle ajoute que si la Cour en venait à la conclusion que la requête est fondée, en tout ou en partie, et qu’elle déclare invalide certaines dispositions de la Loi sur la défense nationale ou de ses règlements, celle-ci ne devrait pas prononcer un arrêt des procédures à la lumière des arrêts Schachter et Demers de la Cour suprême. Elle soutient que le requérant n’a pas réussi à établir une atteinte individuelle à ses droits qui justifierait une telle réparation. Elle prétend que si la Cour juge qu’il est nécessaire d’accorder une réparation en vertu du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, la réparation individuelle additionnelle recherchée par le demandeur, dans ces circonstances, est superflue. L’intimée soutient d’une part que le requérant n’a pas établi que son cas est un des cas extrêmes auxquels faisaient allusion la Cour suprême dans l’arrêt O’Connor; d’autre part, toute réparation devrait être formulée de manière chirurgicale et toute déclaration d’invalidité devrait être suspendue afin que le Parlement puisse apporter les corrections nécessaires et que les Forces canadiennes puissent continuer d’opérer de façon efficace en maintenant, entre autres, la discipline. Cette suspension serait nécessaire pour assurer la primauté du droit au sein des Forces canadiennes et pour protéger le public. L’intimée soutient qu’en l’absence d’un système de cours martiales fonctionnel, l’ensemble du régime de discipline des Forces canadiennes serait vulnérable à un chaos juridique qui aurait des répercussions préjudiciables sur la capacité du gouvernement du Canada à mettre en œuvre ses politiques en matière d’affaires étrangères, de défense et de sécurité au profit de tous les Canadiens.

Page 16 de 46 DÉCISION L’analyse du droit à la lumière des faits [31] D'entrée de jeu, l’article 2 de la Loi sur la défense nationale définit « cour martiale » comme suit :

« cour martiale » La cour martiale pouvant siéger sous les différentes appellations de cour martiale générale, cour martiale générale spéciale, cour martiale disciplinaire ou cour martiale permanente.

Les modifications apportées à la Loi sur la défense nationale par la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, ch. 35, ont entraîné des changements dans le système de justice militaire, modernisé le Code de discipline militaire, et elles ont contribué à améliorer l'intégrité et l'impartialité du système. Il est opportun de souligner que les arrêts importants qui ont porté sur l’indépendance des cours martiales en vertu de la Charte SS soit R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, dans le cas d'une cour martiale générale; R. c. Ingebrigtson [1990] 5 C.A.C.M. 87 dans le cas d'une cour martiale permanente; R. c. Edwards, [1995] A.C.A.C. no 10, dans le cas d'une cour martiale disciplinaire; R. c. Lauzon, [1998] A.C.A.C. no 5, dans le cas d'une cour martiale permanente également; et R. c. Bergeron, [1999] A.C.A.C. no 3, également dans le cas d'une cour martiale permanente, les quatre dernières décisions étant les décisions de la Cour d'appel de la cour martiale SS ces décisions ont été rendus sur la foi de la législation existante avant l’entrée en vigueur de cette réforme de la justice militaire en 1998. La Cour va faire un bref survol de ces décisions importantes.

[32] Dans l’arrêt R c. Généreux, la Cour suprême avait déjà indiqué que les exigences relatives à l’indépendance judiciaire pouvaient être modulées dans le cas de circonstances particulières, comme dans le cas de la justice militaire. Évidemment, l’examen portait sur la Cour martiale générale telle qu'elle existait à l'époque. L’ancien juge en chef Lamer s’exprimait ainsi, aux paragraphes 62 à 66 :

62 Cela n'est pas suffisant en soi pour constituer une violation de l'al. 11d) de la Charte. À mon avis, la Charte ne vise pas à miner l'existence d'organismes qui veillent eux-mêmes au maintien d'une discipline, comme, par exemple, les Forces armées canadiennes et la Gendarmerie royale du Canada. L'existence d'un système parallèle de droit et de tribunaux militaires, pour le maintien de la discipline dans les Forces armées, est profondément enracinée dans notre histoire et elle est justifiée par les principes impérieux analysés plus haut. C'est dans ce contexte qu'il faut interpréter le droit d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial que garantit à l'accusé l'al. 11d) de la Charte.

63 À cet égard, je souscris à la conclusion tirée par James B. Fay dans la partie IV de son étude approfondie du droit militaire canadienCanadian Military Criminal Law: An Examination Of Military Justice » (1975), 23 Chitty's L.J. 228, à la p. 248): et c'est le juge Lamer qui cite :

Page 17 de 46 [TRADUCTION] Dans une organisation militaire, comme les Forces canadiennes, il ne peut jamais y avoir de justice militaire vraiment indépendante, et ce, parce que les officiers des Forces doivent participer à l'administration de la discipline à tous les échelons. L'un des points forts du système actuel de justice militaire réside dans le fait que la fonction judiciaire au sein des cours martiales est confiée à des officiers spécialement formés, qui sont aussi des avocats. Si ce lien devait être rompu (et si l'indépendance véritable ne pouvait être atteinte que grâce à cette rupture), l'avantage que représente l'indépendance du juge qui pourrait être ainsi obtenue serait plus que contrebalancée par l'inconvénient [page296] de la perte éventuelle des connaissances et de l'expérience militaires du juge qui aident ce dernier à l'heure actuelle à s'acquitter de sa tâche efficacement. Ni les Forces, ni l'accusé ne bénéficieraient d'une telle dissociation.

et le juge Lamer poursuit au paragraphe 64 : 64 À mon avis, toute interprétation de l'al. 11d) doit se faire dans le contexte des autres dispositions de la Charte. Sous ce rapport, j'estime qu'il est approprié que l'al. 11f) de la Charte indique que le contenu de certaines garanties juridiques pourra varier selon l'institution en cause:

et il cite l'alinéa 11 f) de la Charte qui dit : 11 Tout inculpé a le droit: ...

f) sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave;

65 L'alinéa 11f) révèle, à mon sens, que la Charte prévoit l'existence d'un système de tribunaux militaires ayant compétence sur les affaires régies par le droit militaire. C'est donc en ayant cela à l'esprit qu'il faut interpréter les garanties de l'al. 11d). Le contenu de la garantie constitutionnelle d'un tribunal indépendant et impartial peut très bien différer selon qu'il s'agit du contexte militaire ou de celui d'un procès criminel ordinaire. Toutefois, un tel système parallèle est lui-même assujetti à un examen fondé sur la Charte et, si son organisation mine les principes fondamentaux de l'al. 11d), il ne peut survivre à moins que les atteintes soient justifiables en vertu de l'article premier.

66 Par conséquent, la première étape de notre examen doit consister à déterminer si les procédures de la cour martiale générale ont porté atteinte aux droits garantis à l'appelant par l'al. 11d) de la Charte. Pour déterminer si la cour martiale générale possède les caractéristiques essentielles d'un tribunal indépendant et impartial, il faut examiner objectivement le statut de cette institution, tel qu'il ressort des dispositions législatives et réglementaires qui régissaient sa constitution et ses procédures au moment du procès de l'appelant. Cet examen doit être fait en ayant à l'esprit le critère qu'il convient d'appliquer en vertu de l'al. 11d), savoir: une personne raisonnable, bien au fait de la constitution et de l'organisation de la cour martiale générale, conclurait-elle que le tribunal jouit des protections nécessaires à l'indépendance judiciaire?

Et le juge Lamer ajoutait au paragraphe 86 :

Page 18 de 46 86 Cependant, je ne considère pas que l'al. 11d) exige que les juges militaires occupent leur charge à titre inamovible jusqu'à l'âge de la retraite comme c'est le cas pour les juges des cours criminelles ordinaires. Les officiers qui occupent la charge de juge militaire font partie des Forces armées et ne voudront probablement pas voir compromises leurs chances d'avancement dans le service. Il ne serait donc pas raisonnable d'exiger un système dans lequel les juges militaires seraient nommés jusqu'à l'âge de la retraite. (Voir, à cet égard, le jugement de la Cour d'appel de la cour martiale R. c. Ingebrigtson (1990), 61 C.C.C. (3d) 541, à la p. 555.) Les exigences de l'al. 11d) tiennent compte du contexte dans lequel la charge décisionnelle est exercée. La Charte n'impose pas, pas plus qu'il ne serait approprié de le faire, des normes institutionnelles uniformes qui seraient applicables à tous les tribunaux assujettis à l'al. 11d).

Il semble évident que le raisonnement de la majorité dans l’arrêt R. c. Généreux, en fonction des dispositions législatives et réglementaires qui régissaient la constitution de la cour martiale générale à l’époque , visait à préserver les chances d’avancement des juges militaires dans leur carrière au sein du Cabinet du Juge-avocat général. Si l’on considère le concept d’indépendance judiciaire applicable en 2005, on peut sans doute se demander s’il serait même possible d’envisager qu’un juge militaire puisse même songer à ses chances d’avancement au sein des Forces canadiennes à la suite de ses fonctions judiciaires, alors qu’il occupe sa charge de juge, sans que cela ne soit profondément contraires aux règles minimales de l’éthique et sans que cela n’affecte irrémédiablement les exigences requises d’indépendance et d’impartialité.

[33] Dans l’arrêt Edwards, la Cour d’appel de la cour martiale s’est penchée sur la composition de la cour martiale disciplinaire à la lumière des exigences de l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. D’entrée de jeu, la Cour précisait, que les O.R.F.C. avaient été modifiés le 20 décembre 1990 de manière à ce qu'ils incluent certaines dispositions portant sur la sélection et la durée des fonctions des juges-avocats. La Cour suprême du Canada avait examiné ces modifications dans l'arrêt R. c. Généreux en indiquant qu'elles paraissaient corriger les principales lacunes de l'inamovibilité du juge-avocat. La Cour d’appel de la cour martiale conclut, dans l’affaire Edwards, que bien que cette conclusion puisse être à strictement parler une opinion incidente, elle jugea qu’elle ne devrait pas s'en écarter. Par conséquent, la Cour d’appel de la cour martiale arriva à la conclusion que le juge-avocat en l'espèce, ayant joui de l'inamovibilité prévue à l'article 4.09 des ORFC avait une inamovibilité qui, dans le contexte de la cour martiale, respectait l'alinéa 11d) de la Charte. En ce qui a trait à l’inamovibilité du juge-avocat, l’ancien juge en chef Strayer de la Cour d'appel de la cour martiale affirmait, aux paragraphes 15 à 17 :

15 Comme je l'ai indiqué précédemment, le juge-avocat doit être un juge militaire nommé pour une période fixe allant de deux à quatre ans. Le juge militaire en chef désigne la personne qui fera office de juge-avocat à l'audience. À l'époque du procès Généreux, le juge-avocat général désignait les juges-avocats au cas par cas, et il avait aussi la responsabilité de nommer le procureur à charge et de superviser la procédure pénale. La Cour suprême, concluant que cette façon de faire ne donnait pas suffisamment de garanties quant à l'inamovibilité, a affirmé :

Page 19 de 46 ... Il reste, cependant, qu'une personne raisonnable aurait bien pu craindre que la personne nommée au poste de juge-avocat ait été choisie parce qu'elle avait satisfait aux intérêts de l'exécutif, ou du moins parce qu'elle n'avait pas sérieusement déçu les attentes de l'exécutif lors de procédures antérieures. Tout système de tribunaux militaires qui ne dissipe pas pareilles craintes est entaché d'un vice au regard de l'al. 11d). Par voie de conséquence, la condition essentielle de l'inamovibilité, dans ce contexte, exige à tout le moins la protection contre l'ingérence de l'exécutif pendant une période déterminée. La charge de juge militaire que remplit un officier ne doit pas, durant une certaine période, dépendre du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif....

En définitive, la Cour suprême a conclu que le régime d'alors, selon lequel la nomination des juges-avocats était faite au cas par cas, et en vertu duquel ces juges-avocats retournaient immédiatement par après à des fonctions non judiciaires, ne satisfaisait pas aux exigences de l'alinéa 11d).

16 Avant que l'arrêt Généreux de la Cour suprême n'ait été prononcé, les O.R.F.C. avaient déjà été modifiés de manière à incorporer l'actuel article 4.09, cité ci-dessus, qui prescrit que les juges-avocats doivent être choisis parmi les juges militaires, qui sont nommés, non pas au cas par cas, mais pour une période fixe allant de deux à quatre ans. Après avoir examiné cette modification, le juge en chef Lamer, s'exprimant au nom des juges majoritaires, a affirmé :

Toutefois, je noterais que les modifications apportées récemment aux O.R.F.C., qui ont pris effet le 22 janvier 1991, soit après la fin du procès en l'espèce, semblent combler les principales lacunes de l'inamovibilité du juge-avocat. Selon le nouvel art. 4.09 O.R.F.C., l'officier habilité à occuper la charge de juge-avocat à une cour martiale générale est d'abord nommé au poste de juge militaire pour une période de deux à quatre ans. En outre, l'art. 111.22 O.R.F.C. stipule désormais que le juge militaire en chef, et non le juge-avocat général, est investi du pouvoir de nommer le juge-avocat à la cour martiale générale. Ces points ne sont pas soulevés devant nous et je ne les mentionne que pour compléter mon analyse.

En l'espèce, l'intimée appuie sur l'autorité de ces affirmations la validité des dispositions actuelles quant à l'inamovibilité des juges-avocats. L'appelant avance que ces affirmations de la Cour suprême n'étaient que l'expression d'une opinion incidente, étant donné que les dispositions de l'article 4.09 modifié n'étaient pas en cause dans l'arrêt Généreux. Bien que l'extrait cité ci-dessus puisse être à strictement parler une opinion incidente, je crois que nous ne devrions pas nous en écarter. La Cour suprême examinait alors essentiellement la même question, soit la nature de l'exigence constitutionnelle d'inamovibilité en contexte des fonctions de juge-avocat. La Cour suprême a affirmé qu'un juge-avocat ou un juge militaire "ne doit pas, durant une certaine période, dépendre du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif". L'article 4.09 prescrit une période de deux à quatre ans au cours de laquelle le juge militaire peut exercer ses fonctions sans dépendre du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif. Je pense que nous devons considérer le commentaire du juge en chef selon lequel l'article 4.09 apparaît "combler les principales lacunes de l'inamovibilité du juge-avocat" comme une juste appréciation de ce que la Cour suprême considérerait comme étant une "certaine période". Cela concorde certainement avec la raison déterminante de l'arrêt Généreux, tant dans les motifs des juges majoritaires que dans les motifs concordants des juges minoritaires.

Page 20 de 46 17 Je conclus donc que le juge-avocat en l'espèce, ayant joui de l'inamovibilité prévue à l'article 4.09, avait une inamovibilité qui, dans le contexte de la cour martiale, respectait l'alinéa 11d) de la Charte.

[34] Dans l’arrêt R. c. Lauzon , la Cour d’appel de la cour martiale s’est penchée sur la prétention de l'appelant que la Cour martiale permanente n’était pas un tribunal indépendant au sens de l'article 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Après avoir énuméré les composantes essentielles de l’indépendance judiciaire, le juge Létourneau, au nom de la Cour, ajoutait au paragraphe 19 :

19 Enfin, la protection offerte par l'article 11 d) de la Charte à toute personne inculpée s'applique aux poursuites pénales intentées devant une Cour martiale. Nous nous empressons d'ajouter que, dans le cadre de l'exercice de cette compétence, les Cours martiales appliquent les droits et les garanties conférées par la Charte et utilisent les pouvoirs conférés par l'article 24 de ladite Charte. En d'autres termes, elles jouent un rôle important dans l'application des principes de la Constitution et la protection des valeurs qu'elle renferme.

S’appuyant sur l’arrêt Edwards, la Cour abordait la question de l’inamovibilité des juges militaires et pour la première fois du renouvellement des mandats, aux paragraphes 26 et 27 :

26 Comme notre Cour d'appel l'a décidé dans l'arrêt R. c. Edwards, [1995] A.C. A.C. no. 10, l'affectation des membres à un poste de juge militaire pour une durée fixe, même si cette période n'est pas à vie, garantit l'indépendance institutionnelle. Il en va de même du processus par lequel la désignation des juges pour les causes à être entendues se fait maintenant par le juge militaire en chef et non plus par l'autorité convocatrice qui désignait aussi les procureurs à charge (R. c. Edwards, supra). Mais il s'agissaitdes seules questions soumises à la Cour. Ce à quoi l'appelant s'en prend dans la présente affaire, ce n'est pas, comme dans l'arrêt Edwards, à la durée des affectations au poste de juge militaire, mais au fait que ces affectations puissent être renouvelées. En d'autres termes, l'appelant soutient que la possibilité de renouvellement des affectations porte atteinte au principe de l'inamovibilité des juges militaires.

27 À notre avis, le fait que l'affectation d'un officier à un poste de juge militaire soit renouvelable ne conduit pas nécessairement à une conclusion d'absence d'indépendance institutionnelle si ce processus de renouvellement est assorti de garanties importantes et suffisantes pour assurer que la Cour et le juge militaire en question soient à l'abri de pressions du pouvoir exécutif pouvant influer sur le sort des décisions à venir. Or, malheureusement dans le cas présent, le renouvellement de l'affectation se fait au simple niveau ministériel par le Ministre lui-même qui peut décider de ne pas renouveler le mandat d'un juge militaire qui a pris des positions peu prisées par son ministère ou plus généralement par l'Exécutif. La recommandation de renouveler le mandat d'un juge militaire émane du juge militaire en chef, il est vrai. Mais la ré-affectation de ce même juge militaire en chef se fait elle aussi par le Ministre. Et il y a plus. Cette ré-affectation se fait sur recommandation du juge-avocat général qui, avec ses effectifs, plaide régulièrement pour le Ministre devant les juges militaires et le juge militaire en chef. Au surplus, alors que la destitution d'un juge militaire doit se faire pour cause, un refus de renouvellement de son affectation dépend de l'entière discrétion du Ministre, sans aucune norme ou balise protectrice, ce qui, à toute fin pratique, équivaut à mettre, sans cause, un terme à ses fonctions. En ce qui a

Page 21 de 46 trait aux nominations et au renouvellement des mandats des Présidents de la Cour martiale permanente proprement dite, l'article 113.54 des ORFC, plus précisément les paragraphes 3 et 4, est au même effet que l'article 4.09 et souffre en conséquence des mêmes lacunes. Comme ceux-ci statuent sur des causes de discipline militaire les intérêts du Ministre sont directement en jeu, l'absence de normes pour le renouvellement des mandats n'offre pas de garanties objectives suffisantes d'indépendance.

[35] La Cour d’appel de la cour martiale se prononçait peu après sur la question de l’indépendance de la cour martiale permanente dans l’arrêt R. c. Bergeron et affirmait aux paragraphes 20-29 :

20 L'intimée a souligné que, depuis l'instruction de l'affaire Lauzon mais avant le procès de l'appelant, le Décret ministériel d'organisation signé par le ministre de la Défense nationale le 27 septembre 1997 a réorganisé le Cabinet du juge militaire en chef comme une unité distincte des Forces canadiennes en vertu du paragraphe 17(1) de la LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE. Par conséquent, selon l'intimée, les liens institutionnels et organisationnels entre le ministre, le juge-avocat général et les juges militaires ont été modifiés de façon importante, ces derniers étant affectés comme membres du Cabinet du juge militaire en chef, une unité distincte qui ne fait pas partie du Cabinet du juge-avocat général.

21 Nous reconnaissons la portée de ce changement mais nous ne sommes pas convaincus qu'il règle, à lui seul, les inquiétudes exprimées par la Cour dans l'affaire Lauzon relativement aux modes de renouvellement des affectations et de révocation des juges militaires ainsi que de fixation de leur solde, qui n'ont pas changé depuis le prononcé de cette décision, comme l'a reconnu l'intimée.

22 Pour ce motif, nous ne sommes pas convaincus que nous devrions nous écarter du raisonnement énoncé dans Lauzon en raison du Décret ministériel d'organisation du 27 septembre 1997.

23 L'intimée a également soutenu que nous devions appliquer la décision rendue par le juge en chef Strayer dans l'affaire Edwards. Si nous saisissons bien son argument, l'arrêt Lauzon serait incompatible avec l'arrêt Edwards dans lequel le juge en chef a rejeté un argument constitutionnel concernant une cour martiale disciplinaire. Il est important de noter que dans l'affaire Edwards la question à trancher était celle de savoir si une cour martiale disciplinaire constituait un tribunal indépendant compte tenu des règlements régissant sa composition. Selon la thèse avancée dans cette affaire, le juge-avocat n'était pas indépendant et les membres de la cour martiale disciplinaire, en raison du mode choisi pour leur nomination, n'étaient pas assez indépendants de l'autorité convocatrice. L'intimée s'est reportée en particulier au passage suivant de cet arrêt, figurant à la page 5, et il cite :

L'appelant soutient que le juge-avocat nommé et exerçant ses fonctions conformément à ce régime ne jouit pas suffisamment de l'inamovibilité pour satisfaire à l'exigence de tribunal indépendant imposée par l'alinéa 11d). Plus particulièrement, il affirme que la durée des fonctions établie à une période variant entre deux et quatre ans peut être considérée comme rendant le juge-avocat sujet à des pressions de l'extérieur, faisant l'hypothèse que ce dernier sera préoccupé, particulièrement vers la fin de son mandat, de se gagner la

Page 22 de 46 confiance des autorités militaires pour obtenir soit une nouvelle nomination à titre de juge militaire soit une promotion ailleurs dans les Forces armées.

24 Bien que le juge en chef ait reconnu que l'argument de l'appelant visait non seulement la nomination du juge-avocat, mais aussi le renouvellement de son affectation, il a limité sa décision au processus de nomination et n'a tenu compte que de l'article 4.09 des ORFC dans le contexte de l'arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259. Il a conclu, à la page 11:

En l'espèce, l'intimée appuie sur l'autorité de ces affirmations la validité des dispositions actuelles quant à l'inamovibilité des juges-avocats. L'appelant avance que ces affirmations de la Cour suprême n'étaient que l'expression d'une opinion incidente, étant donné que les dispositions de l'article 4.09 modifié n'étaient pas en cause dans l'arrêt Généreux. bien que l'extrait cité ci-dessus puisse être à strictement parler une opinion incidente, je crois que nous ne devrions pas nous en écarter. La Cour suprême examinait alors essentiellement la même question, soit la nature de l'exigence constitutionnelle d'inamovibilité en contexte des fonctions de juge-avocat. La Cour suprême a affirmé qu'un juge-avocat ou un juge militaire "ne doit pas, durant une certaine période, dépendre du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif". L'article 4.09 prescrit une période de deux à quatre ans au cours de laquelle le juge militaire peut exercer ses fonctions sans dépendre du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif. Je pense que nous devons considérer le commentaire du juge en chef selon lequel l'article 4.09 apparaît "combler les principales lacunes de l'inamovibilité du juge-avocat" comme une juste appréciation de ce que la Cour suprême considérerait comme étant une "certaine période". Cela concorde certainement avec la raison déterminante de l'arrêt Généreux, tant dans les motifs des juges majoritaires que dans les motifs concordants des juges minoritaires.

Je conclus donc que le juge-avocat en l'espèce, ayant joui de l'inamovibilité prévue à l'article 4.09, avait une inamovibilité qui, dans le contexte de la cour martiale, respectait l'alinéa 11d) de la Charte.

25 De plus, dans l'affaire Lauzon, la Cour a établi la distinction suivante avec l'arrêt Edwards, aux paragraphes 25 et 26:

[25] En vertu des articles 4.09(3) et (5) des ORFC, les affectations des membres à un poste de juge militaire sont d'une durée de 2 à 4 ans et ces affectations sont renouvelables:

4.09(3) La durée fixe prévue à l'alinéa (2) doit être normalement de quatre ans et ne doit pas être moins de deux ans.

4.09(5) Un officier peut être affecté de nouveau à l'un des postes mentionnés à l'alinéa (1) à l'expiration d'une durée fixe, soit initiale, soit subséquente:

a) sur recommandation du juge-avocat général dans le cas du juge militaire en chef,

b) sur recommandation du juge militaire en chef dans les autres cas.

Page 23 de 46 [26] Comme note Cour d'appel l'a décédé dans l'arrêt R. c. Edwards [1995] A.C. A.C. no 10, l'affectation des membres à un poste de juge militaire pour une durée fixe, même si cette période n'est pas à vie, garantit l'indépendance institutionnelle. Il en va de même du processus par lequel la désignation des juges pour les causes à être entendues se fait maintenant par le juge militaire en chef et non plus par l'autorité convocatrice qui désignait aussi les procureurs à charge (R. c. Edwards, supra). Mais il s'agissaitdes seules questions soumises à la Cour. Ce à quoi l'appelant s'en prend dans la présente affaire, ce n'est pas, comme dans l'arrêt Edwards, à la durée des affectations au poste de juge militaire, mais au fait que ces affectations puissent être renouvelées. En d'autres termes, l'appelant soutient que la possibilité de renouvellement des affectations porte atteinte au principe de l'inamovibilité des juges militaires.

26 Il faut également souligner que dans l'affaire Lauzon la Cour a limité sa déclaration d'invalidité à l'article 177 de la LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE qui prévoit la constitution des cours martiales permanentes, dont le président est "... nommé par le ministre ou sous son autorité ..." et aux articles des ORFC qui traitent expressément du mode de renouvellement des affectations et de révocation des juges militaires ainsi que de la fixation de leur solde.

27 Pour ces motifs, nous rejetons la prétention de l'intimée selon laquelle le jugement dans l'affaire Lauzon est incompatible avec l'arrêt Edwards. Pour les motifs exposés dans l'affaire Lauzon, qu'il est inutile de reproduire ici, nous sommes d'avis que l'appel doit être accueilli en partie et que l'article 177 de la LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE établissant le mode de nomination du président d'une cour martiale permanente, ainsi que les paragraphes 4.09(1), 4.09(5), 4.09(6), 101.14(2), 101.14(4), 101.16(10), 113.54(4) et l'article 204.22 des ORFC concernant le mode de renouvellement des affectations et de révocation des juges militaires et la fixation de leur solde, doivent être déclarés invalides et inopérants.

28 En dernier lieu, puisque cette Cour ne peut s'écarter du raisonnement énoncé dans l'arrêt Lauzon, on nous demande d'ordonner la tenue d'un nouveau procès devant une cour provinciale. Étant donné que les accusations portées contre l'appelant relèvent non seulement du Code criminel mais également de certains articles de la Loi sur la Défense nationale, la Cour ne peut être convaincue qu'une cour provinciale possède la juridiction requise pour traiter de la question.

29 Ayant conclu à l'absence d'une injustice réelle et substantielle pour écarter les condamnations rendues par le président de la cour martiale permanente, l'appel à l'encontre des condamnations sera donc rejeté. Cependant, la Cour étant affectée par la même lacune constitutionnelle que dans l'affaire Lauzon, tenant compte des projets de modifications de la structure organisationnelle des Cours martiales qui sont présentement devant le Parlement et de l'opportunité d'octroyer au Gouvernement un délai raisonnable pour apporter les correctifs appropriés, nous émettons une ordonnance suspendant jusqu'au 18 septembre 1999 la déclaration d'invalidité des articles 177 de la LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE et 4.09(1), 4.09(5), 4.09(6), 101.14(2), 101.14(4), 101.16(10), 113.54(4) et 204.22 des ORFC.

[36] Cette cour est liée par la règle du stare decisis. Cela dit, elle doit déterminer si la cour martiale permanente possède les caractéristiques essentielles d'un tribunal indépendant et impartial à la lumière du contexte particulier de cette cause par rapport aux décisions antérieures. Il faut non seulement examiner objectivement le

Page 24 de 46 statut de cette institution, tel qu'il ressort des dispositions législatives et réglementaires qui régissent sa constitution et ses procédures au moment du procès, mais il faut l’examiner dans le contexte du concept de l’indépendance judiciaire qui continue d’évoluer avec le temps.

La Cour va maintenant border un peu l'historique depuis Lauzon. Qu'est-ce qui c'est passé depuis l'arrêt Lauzon?

BACKGROUND ET HISTORIQUE DEPUIS LAUZON Le premier rapport Dickson [37] Durant l’année 1997, deux rapports spéciaux et une importante enquête ont traité, entre autres, de questions liées au système de justice militaire. Le Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et sur les services d’enquête de la police militaire était présidé par le très honorable Brian Dickson, ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada. Le Groupe consultatif spécial avait pour mandat d’évaluer le Code de discipline militaire à la lumière de son objectif fondamental et de la nécessité de disposer de tribunaux militaires mobiles capables, grâce à des méthodes à la fois rapides et équitables, de fonctionner en temps de paix comme en temps de guerre, au Canada et à l’étranger. Le Groupe consultatif spécial a présenté son rapport le 14 mars 1997.

Commission d’enquête sur la Somalie [38] Une commission d’enquête, présidée par l’honorable juge Gilles Létourneau, a été constituée dans le but d’enquêter et de faire rapport sur le système de la chaîne de commandement, le leadership au sein de celle-ci, la discipline, les opérations, les actes et les décisions des Forces canadiennes, ainsi que sur les mesures et les décisions prises par le ministère de la Défense nationale, en ce qui a trait au déploiement des Forces canadiennes en Somalie. La Commission d’enquête a présenté son rapport au gouvernement le 30 juin 1997

Le second rapport Dickson [39] Le Groupe consultatif spécial a rédigé un autre rapport, à la demande de l’ancien ministre de la Défense nationale, sur les fonctions quasi-judiciaires qui incombent au ministre en vertu du Code de discipline militaire. Le rapport en question a été présenté au gouvernement le 25 juillet 1997. Le Groupe consultatif spécial a conclu dans son premier rapport qu’il fallait absolument conserver un système de justice militaire séparé et distinct, pouvant fonctionner en temps de paix et en temps de guerre, au Canada ou à l’étranger. Cependant, il a recommandé d’importants changements concernant tous les aspects de la justice militaire et des services d’enquête

Page 25 de 46 de la police militaire. Le ministère et les Forces canadiennes avaient déjà reconnu la nécessité d’apporter des changements au système de justice militaire et aux services d’enquête de la police militaire. L’examen effectué par le Groupe consultatif spécial est venu compléter et appuyer la réforme interne déjà en cours. Dans son rapport sur les fonctions quasi-judiciaires qui incombent au ministre, le Groupe consultatif spécial a recommandé que le ministre soit dégagé de la majorité de ces fonctions afin d’éviter les risques de conflit d’intérêts entre ces fonctions et les devoirs et les pouvoirs exécutifs du ministre. Les modifications à la Loi sur la défense nationale visaient à permettre de rapprocher davantage le système de justice militaire des valeurs et des critères juridiques canadiens actuels tout en essayant de préserver les caractéristiques du système qui semblaient nécessaires pour répondre aux besoins militaires.

[40] Les dispositions du projet de loi C-25, devenu la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, ch. 35, qui sont entrées en vigueur le 1 er septembre 1999 : 1) visaient à éclaircir les rôles et les responsabilités des principaux intervenants du système de justice militaire, dont le ministre de la Défense nationale et le juge-avocat général;

2) visaient à établir des normes claires séparant, sur le plan institu-tionnel, les fonctions relatives aux enquêtes, à la poursuite, à la défense et aux aspects judiciaires;

3) abolissaient la peine de mort figurant à l’échelle des peines et lui substituent l’emprisonnement à perpétuité;

4) autorisaient un juge militaire à présider les cours martiales et à imposer les sentences de la cour;

5) autorisaient la participation de militaires du rang, à titre de mem­bres des comités de la cour martiale, dans le cadre de procès en cour martiale générale ou disciplinaire mettant en cause un militaire du rang;

6) créait le poste de Directeur du Service d’avocats de la défense nommé par le ministre à titre inamovible pour un mandat maximal de 4 ans renouvelable pour diriger la prestation des services juridiques prévus par règlement du gouverneur en conseil aux justiciables du code de discipline militaire et pour fournir de tels services. Le directeur du service d’avocats de la défense exerce ses fonctions sous la direction générale du juge-avocat général qui peut, par écrit, établir des lignes directrices ou lui donner des instructions concernant les service d’avocats de la

Page 26 de 46 défense. Ceci qrenvoie aux articles 249.18 à 249.21 de la Loi sur la défense nationale;

7) créait le poste de Directeur de poursuites militaires nommé par le ministre pour un mandat maximal de 4 ans renouvelable sous réserve de révocation motivée que prononce le ministre sur recommandation d’un comité d’enquête établi par règlement du gouverneur en conseil. Le directeur des poursuites militaires prononce les mises en accusation des personnes jugées par les cours martiales et mène les poursuites devant celles-ci. Il représente également le ministre dans les appels lorsqu’il reçoit des instructions à cette fin. Ceci nous renvoie aux articles 165.1 à 165.17 de la Loi;

8) créait le poste d’administrateur de la cour martiale qui convoque la cour martiale sélectionnée par le directeur des poursuites militaires et, dans le cas d'une cour martiale générale ou d'une cour martiale disciplinaire, en nomme les membres. L’administrateur de la cour martiale exerce toute autre fonction qui lui est conférée par la loi ou que lui confie par règlement le gouverneur en conseil. Il exerce ses fonctions sous la direction générale du juge militaire en chef. Et ceci nous amène aux articles 165.18 à 165.2 de la Loi.

[41] Les modifications apportées à la Loi sur la défense nationale ont eu un impact important sur la fonction de juge militaire. La nature intrinsèque du rôle et des fonctions de juge militaire s’apparente dorénavant à celles d’un juge qui siège exclusivement en matière pénale devant une cour supérieure ou une cour provinciale. Les articles 165.21 à 165.23 de la Loi sur la défense nationale constituent le cadre législatif de la fonction de juge militaire. Les principales caractéristiques de la fonction de juge militaire aux termes de la loi ont trait à leur nomination, la durée de leur mandat et de leur révocation, l’âge de la retraite, la rémunération, et leurs fonctions.

[42] La Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, ch. 35, a donc apporté plusieurs changements à la charge de juge militaire. Les juges militaires sont nommés à titre inamovible par le gouverneur en conseil parmi les avocats inscrits au barreau d’une province depuis au moins 10 ans pour un mandat de cinq ans, sous réserve de révocation motivée par le gouverneur en conseil sur recommandation d’un comité d’enquête établi par règlement du gouverneur en conseil. Ce mandant est renouvelable sur recommandation d'un comité d'examen établi également par règlement du gouverneur en conseil. Le juge militaire cesse d'occuper sa charge dès qu'il a atteint l'âge fixé par règlement du gouverneur en conseil pour la retraite. La rémunération des juges militaires est révisée régulièrement par un comité établi à cette fin par règlement du gouverneur en conseil. Les juges militaires

Page 27 de 46 président toutes les cours martiales et exercent les autres fonctions judiciaires qui leur sont conférées sous le régime de la présente loi. Ils peuvent exercer en outre toute autre fonction que leur confie le juge militaire en chef et qui n'est pas incompatible avec leurs fonctions judiciaires. Finalement, ils peuvent, avec l'agrément du juge militaire en chef, être nommés pour agir à titre de commission d'enquête. Cette cour est d’avis que ces mesures législatives ont eu pour effet de créer une véritable magistrature militaire moderne et que la fonction de juge militaire est similaire à celles des juges qui remplissent leurs fonctions au sein des tribunaux judiciaires au Canada. La charge de juge militaire jumelée à la compétence des cours martiales de juger les personnes justiciables du code de disciplinaire militaire pour les infractions les plus sérieuses ne permet pas de pouvoir soutenir une comparaison avec celle du juge ou des membres d’un tribunal administratif peu importe un tel tribunal se situe dans le vaste éventail des tribunaux administratifs.

Après Lauzon-considérations générales [43] Je vais maintenant aborder certaines considérations générales depuis l'arrêt Lauzon. Si l’on compare la situation qui prévaut aujourd’hui à celle qui existait au moment des arrêts Généreux, Edwards, Lauzon, et Bergeron, la fonction de juge militaire ne laisse dorénavant aucune place à la notion d’affectation d’un officier, à un poste de juge militaire pour une durée fixe, renouvelable. L’affectation d’un militaire à un endroit ou à un emploi spécifique est une décision qui relève de l’exécutif militaire sans qu’il ne représente nécessairement le premier choix du militaire. Cette notion « d’affectation » ou de « posting » dans la version anglaise existait à l’époque de la réglementation en vigueur lorsque les décisions de la Cour d’appel de la cour martiale ont été rendues dans les affaires Edwards, Lauzon, et Bergeron. L’ancienne réglementation sous-tendait que les personnes affectées à des postes de juges militaires étaient des avocats militaires qui oeuvraient au sein du Cabinet du juge-avocat général, avant ladite affectation, et qui auraient pu choisir de poursuivre l’avancement de leur carrière militaire avec ledit Cabinet du juge-avocat général après coup. Leur affectation était pour une durée fixe et variable quoique renouvelable et il ne pouvait y être mis fin qu’au termes de l’alinéa (6) de l’article 4.09 des ORFC qui se lisait comme suit :

4.09(6) On met fin avant terme à l’affectation d’un officier qui occupe un poste mentionné à l’alinéa (1) uniquement dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) à la demande écrite de celui-ci; b) suite à une promotion acceptée par celui-ci; c) dès le début du congé de fin de service précédant une libération en vertu du numéro 4 (sur demande) ou du numéro 5a) (service terminé, âge de la retraite) du tableau ajouté à l’article 15.01 (Libération des officiers et militaires du rang);

Page 28 de 46 d) suite à l’ordre du ministre en vertu de l’alinéa (10) de l’article 101.16 (Conduite de l’enquête), révoquant l’officier de tout poste comportant des fonctions judiciaires.

Cette ancienne réglementation était conforme aux propos de l’ancien Juge en chef Lamer dans l’arrêt Généreux lorsqu’il affirmait, au paragraphe 86 :

86 Cependant, je ne considère pas que l'al. 11d) exige que les juges militaires occupent leur charge à titre inamovible jusqu'à l'âge de la retraite comme c'est le cas pour les juges des cours criminelles ordinaires. Les officiers qui occupent la charge de juge militaire font partie des Forces armées et ne voudront probablement pas voir compromises leurs chances d'avancement dans le service. Il ne serait donc pas raisonnable d'exiger un système dans lequel les juges militaires seraient nommés jusqu'à l'âge de la retraite. (Voir, à cet égard, le jugement de la Cour d'appel de la cour martiale R. c. Ingebrigtson (1990), 61 C.C.C. (3d) 541, à la p. 555.) Les exigences de l'al. 11d) tiennent compte du contexte dans lequel la charge décisionnelle est exercée. La Charte n'impose pas, pas plus qu'il ne serait approprié de le faire, des normes institutionnelles uniformes qui seraient applicables à tous les tribunaux assujettis à l'al. 11d).

[44] Selon le régime actuellement en vigueur, tout officier des Forces canadiennes est éligible à être nommé juge militaire s’il est membre en règle du barreau d’une province depuis au moins 10 ans. La personne apte à être nommée juge militaire par le gouverneur en conseil peut dorénavant. et à toutes fins pratiques, être un officier d’infanterie dans la Force de réserve et pratiquer le droit en cabinet privé ou être un substitut du procureur général. Il est difficilement concevable qu’un tel officier puisse être aujourd’hui celui que décrivait l’ancien juge en chef Lamer dans l’arrêt Généreux. Le bassin des candidats aptes à être nommé juge militaire a été grandement élargi.

[45] Le processus de sélection des personnes aptes à être nommées juge militaire s’apparente désormais à celui qui existe pour les juges de nomination fédérale. Dans son rapport annuel au ministre de la défense nationale sur l’administration de la justice militaire au sein des Forces canadiennes, portant sur la période du 1 er avril 2004 jusqu’au 31 mars 2005, le juge-avocat général affirmait aux paragraphes 4.1 et 4.2 de son rapport :

4.1 Juges militaires Le gouverneur en conseil peut nommer à la magistrature militaire un officier qui est un avocat inscrit au barreau d’une province depuis au moins 10 ans. Un processus semblable à celui pour d’autres nominations à la magistrature fédérale permet de veiller à ce que seuls des officiers compétents et méritants soient considérés aux fins d’une nomination à des postes de juge militaire.

4.2 Processus de sélection des juges militaires Le comité de sélection des juges militaires (CSJM) a la responsabilité de préparer une liste de candidats susceptibles de devenir juge militaire. Les membres de ce comité sont nommés par le ministre de la Défense nationale et représente la magistrature, le barreau et la collectivité militaire 2 SS note 2 : Le comité est constitué d’un avocat ou d’un juge

Page 29 de 46 nommé par le juge-avocat général, d’un avocat civil nommé par l’Association du Barreau canadien, d’un juge civil nommé par le juge militaire en chef, d’un officier détenant le grade de major-général ou d’un grade supérieur et d’un adjudant-chef ou premier maître de 1 re classe nommé par le chef d'état-major de la défense SS Les candidats sont évalués suivant leurs compétences et expériences professionnelles, leurs qualités personnelles et leur conscience sociale. On tien compte également de tout empêchement possible à leur nomination.

Toutes les procédures et consultations du comité sont confidentielles. Lorsque l’évaluation d’un candidat est complétée, on demande au CJSM d’attribuer à ce dernier l’une ou l’autre des remarques suivantes : « recommandé », « hautement recommandé » ou « impossible de faire une recommandation ». Cette évaluation est ensuite envoyée au ministre de la Défense nationale qui a la responsabilité de recommander au besoin les candidats au gouverneur en conseil.

Les évaluations ainsi complétées sont en vigueur pour une période de trois ans. À ce jour, la liste d’évaluations n’est plus valide. Le CJSM s’affaire à la préparation d’une nouvelle liste.

[46] La fonction des juges militaires a aussi été grandement élargie. Bien sûr, ils président les cours martiales et exercent les autres fonctions judiciaires qui leur sont conférées sous le régime de la loi. Ils peuvent exercer en outre toute autre fonction que leur confie le juge militaire en chef et qui n'est pas incompatible avec leurs fonctions judiciaires. Finalement, comme je l'ai dit plus tôt, ils peuvent, avec l'agrément du juge militaire en chef, être nommés pour agir à titre de commission d'enquête. Cette terminologie s’apparente d’ailleurs à celle qui existe pour les fonctions judiciaires et ce, peu importe la juridiction et la compétence de l’ensemble des tribunaux judiciaires.

[47] Il est opportun de noter que les modifications à la Loi sur la défense nationale par le projet de loi C-25 ont éliminé la notion même de juge-avocat. Il faut comprendre qu’avant l'adoption de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, ch. 35, les Cours martiales générales et disciplinaires étaient présidées par un officier autre que le juge-avocat. Ce juge-avocat ne remplissait pas les fonctions similaires à un juge qui préside un procès par jury. D’une part, le juge-avocat pouvait statuer sur les questions de droit ou sur les questions mixtes de droit de fait. Cela implique que le président de la Cour martiale générale ou disciplinaire pouvait refuser de suivre les avis exprimés par le juge-avocat. Cette situation a été corrigée pour faire en sorte que c’est dorénavant le juge militaire qui préside la cour martiale générale ou disciplinaire qui statue sur les questions de droit ou sur les questions mixtes de droit et de fait survenant avant ou après l’ouverture du procès (art. 191 de la Loi sur la défense nationale). Cette modification a eu pour effet de refléter la situation qui prévaut lors des procès devant jury au Canada. D’autre part, il était du ressort des membres de ces cours martiales de déterminer la sentence du contrevenant, le cas échéant. Selon le cadre législatif en vigueur aujourd’hui, seul le juge militaire, qui préside à toutes les cours martiales, détermine la sentence de la même manière qu’un juge d’une cour supérieure qui préside un procès devant jury ou d’un juge qui siège seul en matière pénale (art. 193 de la Loi la défense nationale).

Page 30 de 46 [48] Au surplus, l’article 177 de Loi sur la défense nationale, en vigueur avant la décision de la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt Lauzon, n’exigeait du juge militaire qui préside la cour martiale permanente qu’il soit un officier inscrit au barreau depuis plus de trois ou qu’il ait été pendant plus de trois ans. Tel qu’illustré plus tôt, les juges militaires sont dorénavant nommés à titre inamovible par le gouverneur en conseil parmi les avocats inscrits au barreau d’une province depuis au moins 10 ans.

Après Lauzon-considérations particulières et évolution de la charge de juge militaire [49] Je vais maintenant traiter de certaines considérations particulières et de l'évolution de la charge de juge militaire depuis l'arrêt Lauzon. Le juge militaire a vu sa charge évoluer depuis l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, ch. 35. Il est opportun de décrire, à titre d’exemples, certaines situations qui témoignent de cette évolution. Premièrement, la section 3 (Arrestation et détention avant procès) à la partie III de la Loi sur la défense nationale, soit le code de discipline militaire, a remplacé l’ancienne partie VI (Arrestation) de la loi. Cette nouvelle section représente un régime complet qui couvre la période de l’arrestation d’un individu, sa détention préventive et sa remise en liberté. Le législateur a modernisé la loi en dotant le code de discipline militaire d’un mécanisme de mise en liberté provisoire par voie judiciaire qui s’apparente à celui du Code criminel, soit les articles 515 à 522 du Code criminel. Dorénavant, le juge militaire doit tenir une audition pour réviser la décision d’un officier réviseur de maintenir une personne en détention préventive (articles 159 à 159.6 de la Loi sur la défense nationale). La décision du juge militaire peut être révisée à son tour par un juge de la Cour d’appel de la cour martiale. Quoique ce régime tienne compte de l’environnement militaire, il semble que le rôle du juge militaire s’apparente davantage à la fonction du juge que de celle du juge de paix sous le régime du Code criminel.

[50] Deuxièmement, l’article 173 de la Loi sur la défense nationale prévoit que le juge militaire qui préside la cour martiale permanente SS un procès devant juge seul SS a maintenant compétence pour juger en matière d’infractions d’ordre militaire imputées aux officiers et militaires du rang justiciables du code de discipline militaire. En d’autres termes, tout officier ou militaire du rang peut maintenant être jugé par une cour martiale permanente présidée par un juge militaire et ce, sans aucune restriction liée au grade de l’accusé ou à sa fonction au sein des Forces canadiennes. Il s’agit d’une différence importante par rapport à la situation qui prévalait avant que l’article 177 de la Loi sur la défense nationale ne soit invalidé par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt Lauzon. Ledit article se lisait d’ailleurs comme suit :

177 (1) Le gouverneur en conseil peut établir des cours martiales permanentes, composées d’un seul membre nommé par le ministre ou sous son autorité et appelé le président. Celui-ci est un officier inscrit au barreau depuis plus de trois ans.

Page 31 de 46 (2) Sous réserve de toute restriction réglementaire, la cour martiale permanente a compétence en matière d’infractions d’ordre militaire prévues à la partie IV; la peine maximale qu’elle peut infliger dans sa sentence est l’emprisonnement de moins de deux ans.

C’est d’ailleurs aux termes de l’ancien article 177 de la Loi sur la défense nationale que le gouverneur en conseil avait pris l’article 113.52 des ORFC, et ce chapitre 113 qui s'intitulait « Cours martiales générales spéciales et Cours martiales permanentes » a été abrogé par le C.P. 1999-1305 du 8 juillet 1999 en vigueur le 1 er septembre 1999; (M) 1 er septembre 1999 et (C) 1 er septembre 1999. L’article 113.52 des ORFC avait pour objet de limiter la compétence de la cour martiale permanente et se lisait comme suit :

(1) La cour martiale permanente ne juge aucun civil. (2) La cour martiale permanente ne juge aucun officier titulaire du grade de colonel ou d’un grade supérieur.

(3) Le président de la cour martiale permanente doit être un officier titulaire d’un grade supérieur à celui de l’accusé

Le législateur a donc choisi que tout justiciable du code de discipline militaire peut dorénavant être jugé par une cour martiale permanente présidée par un juge militaire siégeant seul, et ce, peu importe le grade de l’accusé ou celui du juge militaire. Il s’agit d’une nette démarcation relativement à la charge de juge militaire aux termes de la présente loi. Cette situation requiert, selon cette cour, un degré d’indépendance particulièrement élevé envers l’exécutif et la chaîne de commandement. Elle soulève l’importance de reconnaître que le titulaire de la charge de juge militaire doit être à l’abri de toute interférence directe ou indirecte qui pourrait raisonnablement émaner des personnes occupant les plus hautes fonctions militaires, y compris les officiers généraux, qui sont toutes justiciables du code de discipline militaire.

[51] Troisièmement, le législateur a créé SS en adoptant la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, ch. 35 SS un régime similaire à celui qui existe au Code criminel, aux articles 487.04 et suivants, en matière d’analyse génétique effectuée à des fins médicolégales. La section 6.1 intitulée « Analyse génétique à des fins médicolégales » de la Loi sur la défense nationale permet notamment au juge militaire de délivrer un mandat ou un télémandat autorisant le prélèvement sur une personne justiciable du code de discipline militaire, pour analyse génétique, du nombre d'échantillons de substances corporelles jugé nécessaire à cette fin aux termes de l’article 196.12. La Cour martiale présidée par le juge militaire peut également rendre une ordonnance similaire lors qu’elle déclare une personne coupable d’une infraction désignée. (art. 196.14 de la Loi sur la défense nationale).

[52] Quatrièmement, la cour martiale présidée par un juge militaire peut, en la forme prescrite par règlement du gouverneur en conseil, délivrer un mandat pour l'arrestation de l'accusé qui, étant régulièrement convoqué ou ayant dûment reçu l'ordre

Page 32 de 46 de comparaître devant elle, ne s'y présente pas (art. 249.23). Cette fonction est dévolue à un juge de paix en vertu de l’article 524 du Code criminel.

[53] Cinquièmement, le législateur a accru le pouvoir du juge militaire de manière significative, et ce lorsqu’il préside une cour martiale ou qu’il soit dans l’exercice de toute autre fonction judiciaire que lui confie la loi. L’article 179 de la Loi sur la défense nationale se lit comme suit :

179. (1) La cour martiale a, pour la comparution, la prestation de serment et l'interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production et l'examen des pièces, l'exécution de ses ordonnances et toutes autres questions relevant de sa compétence, les mêmes attributions qu'une cour supérieure de juridiction criminelle, notamment le pouvoir de punir l'outrage au tribunal.

(2) Chaque juge militaire a ces mêmes attributions pour l'exercice des fonctions judiciaires que lui confie la présente loi, sauf lorsqu'il préside une cour martiale.

[54] Comme l’indiquait l’ancien Juge en chef Lamer en 1992 dans l’arrêt Généreux, la Constitution n’exige pas nécessairement que l’inamovibilité des juges militaires équivaille à celle dont bénéficient les juges des cours criminelles ordinaires. Il est tout aussi vrai que la nomination des juges militaires pour un terme fixe et renouvelable n’est pas en soi inconstitutionnelle tel qu’il en a été décidé par la Cour d’appel de la cour martiale. Or, cette situation existe au même titre dans le contexte de la nomination de juges à la retraite pour des périodes déterminées pour agir à titre de juges suppléants et, aussi, cela n’est pas en soi inconstitutionnel.

[55] Tout examen portant sur ces questions doit toutefois reposer sur le statut de l’institution, tel qu'il ressort des dispositions législatives et réglementaires qui régissent sa constitution et ses procédures au moment du procès. Cet examen doit prendre en compte le contexte de l’évolution de la notion même de l’indépendance judiciaire qui continue d’évoluer avec le temps.

[56] La nature des fonctions et le rôle accru du juge militaire depuis l’arrêt Lauzon est la pierre angulaire de cette évolution législative et réglementaire. Cet élément ne fait pas seulement partie du contexte moderne des tribunaux militaires et de leur historique. Ils témoignent de la volonté du législateur de rapprocher davantage le système de justice militaire des valeurs et des critères juridiques canadiens actuels tout en essayant de préserver les caractéristiques du système qui semblaient nécessaires pour répondre aux besoins uniques militaires. Ces propos de l’ancien juge en chef Lamer, à partir de la deuxième phrase du paragraphe 31 de l’arrêt Généreux, sont d’ailleurs toujours aussi pertinents, et je cite :

31. […] Certes, le Code de discipline militaire porte avant tout sur le maintien de la discipline et de l'intégrité au sein des Forces armées canadiennes, mais il ne sert pas simplement à réglementer la conduite qui compromet pareilles discipline et

Page 33 de 46 intégrité. Le Code joue aussi un rôle de nature publique, du fait qu'il vise à punir une conduite précise qui menace l'ordre et le bien-être publics. Nombre des infractions dont une personne peut être accusée en vertu du Code de discipline militaire, qui constitue les parties IV à IX de la Loi sur la défense nationale, se rapportent à des affaires de nature publique. Par exemple, toute action ou omission punissable en vertu du Code criminel ou d'une autre loi du Parlement est également une infraction au Code de discipline militaire. En fait, trois des accusations portées contre l'appelant en l'espèce concernaient une conduite interdite par la Loi sur les stupéfiants. Les tribunaux militaires jouent donc le même rôle que les cours criminelles ordinaires, soit punir les infractions qui sont commises par des militaires ou par d'autres personnes assujetties au Code de discipline militaire.

[57] Le système canadien de justice militaire fait partie du système canadien de justice. Les membres de la magistrature militaire sont des juges professionnels qui connaissent des affaires touchant les Forces canadiennes. La manière d’assurer leur indépendance vis-à-vis l’exécutif et la chaîne de commandement peut prendre différentes formes. L’importance des mesures nécessaires à préserver chacune des caractéristiques essentielles de l’indépendance judiciaire des cours martiales présidées par les juges militaires SS l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative SS peut également varier. Ces mesures doivent tenir compte du contexte dans lequel ces juges professionnels remplissent leurs fonctions. Les juges militaires accomplissent leurs fonctions judiciaires à l’intérieur d’une communauté militaire de la taille d’une ville de moins de 100,000 habitants. L’omniprésence de l’exécutif et de la chaîne de commandement, et la proximité d’anciens collègues avocats qui continuent d’œuvrer au sein des Forces canadiennes, mettent en évidence les difficultés inhérentes qui existent lorsqu’il s’agit de maintenir une séparation appropriée et nécessaire entre avocats, juges et notables comme c’est souvent le cas dans de petites communautés.

[58] La séparation nécessaire des juges et des avocats contribue certes à préserver l’indépendance judiciaire, mais elle n’est pas absolue. En matière de perfectionnement professionnel, il est tout à fait souhaitable, d’une part, que l’ensemble des acteurs de la profession juridique SS les professeurs de droit, les juges et les avocats SS s’unissent pour partager leur expérience et leur compétence afin d’en faire bénéficier l’ensemble de la communauté des juristes. D’autre part, la nature même de la charge de juge comporte ses propres exigences et ses contraintes en matière de perfectionnement. Il est impératif que les juges militaires puissent partager les préoccupations propres à leurs fonctions judiciaires avec d’autres juges SS et d’être perçu comme tel SS que ce soit dans le cadre de programmes de formation destinés aux juges fédéraux, provinciaux ou territoriaux, ou par des échanges informels avec d’autres collègues juges. Vouloir protéger l’indépendance des cours martiales et des juges militaires ne doit pas avoir pour effet de provoquer leur isolement professionnel en marge de l’ensemble de la magistrature. Il serait tout aussi inacceptable d’isoler les avocats militaires des activités professionnelles qui sont destinées à l’ensemble des membres de leurs collègues civils qui sont membres en règle de leur barreau respectif. L’indépendance des juges militaires doit avoir pour corollaire l’opportunité de participer pleinement aux activités de l’ensemble de la magistrature en matière de

Page 34 de 46 perfectionnement professionnel pour maintenir ainsi le même niveau d’excellence que les juges fédéraux, provinciaux ou territoriaux.

[59] Malgré la création d’une véritable magistrature militaire, il semble toutefois paradoxal qu’en dépit de l’accroissement du rôle et des fonctions du juge militaire, le législateur ait jugé qu’un mandat renouvelable d’une durée fixe de cinq ans, c’est-à-dire une seule année supplémentaire par rapport à l’ancien régime, était suffisant. Or, il faut se rappeler que le très honorable juge en chef Lamer précisait au paragraphe 66 de l'arrêt Généreux que, et je le cite encore une fois :

66 […] Pour déterminer si la cour martiale générale possède les caractéristiques essentielles d'un tribunal indépendant et impartial, il faut examiner objectivement le statut de cette institution, tel qu'il ressort des dispositions législatives et réglementaires qui régissaient sa constitution et ses procédures au moment du procès de l'appelant. Cet examen doit être fait en ayant à l'esprit le critère qu'il convient d'appliquer en vertu de l'al. 11d), savoir: une personne raisonnable, bien au fait de la constitution et de l'organisation de la cour martiale générale, conclurait-elle que le tribunal jouit des protections nécessaires à l'indépendance judiciaire?

[60] Or, un tel examen soulève des questions sérieuses sur l’importance et la suffisance des garanties, en matière d’inamovibilité, accordées aux juges militaires qui président toutes les cours martiales. La Cour croit que la première question doit-être la suivante : Est-ce que la nomination d’un juge militaire, à titre inamovible pour un mandat de cinq ans, sous réserve de révocation motivée par le gouverneur en conseil sur recommandation d'un comité d'enquête établi par règlement du gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale viole l’article 11d) de la Charte? Si oui, cette violation est-elle justifiée en vertu de l’article premier de cette même Charte?

[61] La Cour doit répondre oui à la première question. La nomination d’un juge militaire à titre inamovible pour un mandat de cinq ans, sous réserve de révocation motivée par le gouverneur en conseil sur recommandation d'un comité d'enquête établi par règlement du gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale viole l’article 11d) de la Charte.

[62] Après l’analyse en profondeur de la preuve déposée devant cette cour, du contexte, de l’historique, et de l’ensemble des dispositions législatives pertinentes, la Cour est d’avis que la justification de cette violation n’a pas été démontrée dans le cadre d'une société libre et démocratique, conformément à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés.

[63] La nature des fonctions et le rôle accru du juge militaire tel qu’il ressort clairement des dispositions législatives et réglementaires en vigueur font en sorte qu’un mandat fixe ne respecte plus les exigences minimales de l’article 11 d) de la Charte, dans le contexte de la justice militaire et de l’évolution du droit en matière

Page 35 de 46 d’indépendance judiciaire. Cette Cour est convaincue qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique, et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique SS et après l’avoir étudiée en profondeur SS conclurait qu’un juge militaire nommé à titre inamovible pour un mandat de cinq ans et qui préside une cour martiale permanente SS ou toute autre cour martiale SS ne jouit pas d’une inamovibilité suffisante à lui permettre de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision. La Cour conclut sur la foi de l’ensemble de la preuve déposée devant cette cour que cette violation n’a pas été justifiée dans le cadre de l’examen fondé sur l’article premier de la Charte.

[64] Les violations à l’article 11 d ) de la Charte lorsqu’elles visent l’indépendance judiciaire sont difficiles à justifier. Cette question a d’ailleurs été abordée avec vigueur par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances;Rice c. Nouveau-Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405, le juge Gonthier affirmait aux paragraphes 71-72 :

71 Comme je le mentionne en début d'analyse, l'indépendance judiciaire est protégée à la fois par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et par l'al. 11d) de la Charte. Ainsi, non seulement s'agit-il d'un droit conféré à un justiciable visé par des poursuites pénales, mais elle constitue au surplus un élément fondamental qui sous-tend le fonctionnement même de l'administration de la justice. Autrement dit, l'indépendance judiciaire est une condition préalable à la mise en oeuvre des droits du justiciable dont, notamment, les droits fondamentaux garantis par la Charte.

72 Vu le rôle vital de l'indépendance judiciaire au sein de la structure constitutionnelle canadienne, l'application usuelle de l'article premier de la Charte ne saurait à elle seule en justifier l'atteinte. Un fardeau plus contraignant s'impose au gouvernement. Ainsi, le Renvoi : Juges de la Cour provinciale précise que les éléments de la dimension institutionnelle de la sécurité financière n'avaient pas à être suivis en cas de crise financière exceptionnellement grave provoquée par des circonstances extraordinaires, telles que le déclenchement d'une guerre ou une faillite imminente (par. 137). Or, en l'espèce, il est manifeste que de telles circonstances n'existaient pas au Nouveau-Brunswick à l'époque de l'adoption de la Loi 7. Aucune argumentation n'a d'ailleurs été présentée par l'appelante à cet égard.

Tout comme dans l’arrêt Mackin, l’intimée n'a présenté aucune preuve tendant à justifier ses manquements constitutionnels. Lors de sa plaidoirie orale, l’intimée affirmait « Deuxièmement, comme c’est clair de la plaidoirie écrite, l’intimée ne soumet aucun argument au niveau de l’article premier de la Charte. Sûrement, les objectifs urgents et réels d’un système de justice militaire qui ont été reconnus par la Cour suprême dans l’arrêt Généreux font partie de mon argumentation au niveau de la réparation si la cour doit se rendre à cette étape, et mes soumissions n’iront pas plus loin que ça. »

Page 36 de 46 [65] La Cour n’a pas l’intention de citer à nouveau les paragraphes 60 à 65 de l’arrêt Généreux qui portaient, d’une part sur le caractère unique du système de justice militaire, mais aussi, d’autre part, sur le fait que ce système était lui-même assujetti à un examen fondé sur la Charte. Il ajoutait que si son organisation minait les principes fondamentaux de l'alinéa. 11d), il ne pouvait survivre à moins que les atteintes soient justifiables en vertu de l'article premier. La Cour est d’avis que l’évolution du rôle vital de l’indépendance judiciaire jusqu’à aujourd’hui, un concept en évolution constante, s’applique au système des tribunaux militaires au Canada. Si, comme le soutient l’intimée, la cour martiale joue ce rôle vital pour la protection des droits garantis par la Charte à la différence du procès par voie sommaire, force est de reconnaître que le rôle vital de l'indépendance judiciaire au sein de la structure de la cour martiale impose aujourd’hui un fardeau plus contraignant au gouvernement sous l’angle de l’article premier qu’il ne l’était avant l’arrêt Mackin.

[66] Force est de constater que le maintien de l'ordre et de la discipline au sein des Forces armées canadiennes est un objectif toujours aussi important. Cette préoccupation sociale satisfait au premier volet d’une analyse fondée sous l’article premier. Malheureusement, comme je l’ai indiqué plus tôt, la cour martiale permanente présidée par un juge militaire nommé aux termes du paragraphe 165.21(2) ne constitue pas un tribunal indépendant et impartial selon l’alinéa. 11d) de la Charte et cela ne peut satisfaire le critère de la proportionnalité. Cette cour est d’avis que la nomination des juges militaires, à titre inamovible pour un mandat de cinq ans renouvelable, ne constitue pas une atteinte minimale du droit garanti par la Charte d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial dans le contexte de la justice militaire et de la législation actuelle. Dans le contexte la Cour accepte que les juges militaires puissent être des officiers qui n’accomplissent que des fonctions judiciaires ou des fonctions qui ne sont pas incompatibles avec lesdites fonctions, la justification d’un système de tribunaux militaires composé d’une part du procès par voie sommaire et, d’autre part, de la cour martiale présidée par des juges militaires qui jouent un rôle constitutionnel important, ne peut se faire aujourd’hui qu’en exigeant de la cour martiale qu’elle jouisse des plus hauts standards possibles d’indépendance judiciaire. Ces standards sont intrinsèquement liés au rôle véritable de la cour et des juges qui la préside. Ils se fondent aussi sur l’évolution du droit en matière d’indépendance judiciaire qui transcendent le système de justice militaire. La nomination d’un juge militaire pour un mandat d’une durée fixe renouvelable ne tient pas suffisamment compte de l’accroissement du statut et des pouvoirs conférés aux juges militaires sous la législation actuelle et dans le cadre d’une société canadienne moderne. En conséquence, le paragraphe 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale ne saurait être justifié sous l’article premier de la Charte.

[67] Une telle nomination n’a toutefois pas à être à vie ou jusqu’à un âge de retraite comparable aux juges des tribunaux judiciaires au Canada. La Cour croit que les exigences particulières d’un système de tribunaux militaires les juges qui président aux cours martiales proviennent des Forces armées SS qu’ils soient de la

Page 37 de 46 Force régulière ou de la Force de réserve SS justifient que les juges militaires doivent cesser d’occuper leur charge dès qu’ils atteignent un âge de la retraite comparable à celui qui est exigé à l’ensemble des officiers des Forces canadiennes, et ce en raison des exigences du service militaire et de la raison d’être d’un système de tribunaux militaires qui doit être portable et efficace dans toutes les régions du globe pour assurer le maintien de la discipline au sein des Forces canadiennes, mais aussi pour protéger la primauté du droit, y compris la Charte, pour le bénéfice de tous les militaires canadiens et l’ensemble des justiciables du code de discipline militaire peu importe ils se trouvent que ce soit en théâtre de guerre ou lors de missions humanitaires. La Cour n’est pas convaincue que l’âge de la retraite des juges militaires doit figurer à la loi. Mais, elle devrait être la même pour tous les juges militaires, peu importe leur grade. D’ailleurs, ni la nomination, ni la rémunération, ni les pouvoirs des juges militaires ne tiennent compte de leur grade aux termes de la loi ou des règlements. La Cour est d’avis que cette question ne vise pas l’article 11d) de la Charte, mais plutôt celle de l’égalité de traitement des juges militaires.

[68] Au-delà de l’objectif législatif décrit dans l’arrêt Généreux, il faut reconnaître que le cadre législatif des tribunaux militaires, particulièrement de la cour martiale, a été modifié de façon importante par l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, ch. 35 et des modifications aux ORFC. Or, ce n’est pas l’existence des tribunaux militaires qui est mis en doute ici, ni les dispositions législatives et réglementaires qui étaient applicables au moment de l’arrêt Généreux.

[69] Cela dit, cette Cour croit qu’il serait tout à fait envisageable qu’un juge militaire soit nommé à titre inamovible pour un mandat fixe et renouvelable lorsque la magistrature militaire actuelle jouira de cette garantie minimale d’inamovibilité jusqu’à l’âge de la retraite. Cette possibilité permettrait de répondre aux besoins sporadiques lorsque la demande de ressources judiciaires nécessite une augmentation du nombre de juges pour une période déterminée ou variable. La question des juges militaires à temps partiel comporte toutefois ses propres difficultés et elle nécessiterait à son tour des mesures de protections importantes et suffisantes pour préserver l’indépendance judiciaire. Ces exigences devraient bien sûr prendre en compte les règles énoncées dans l’arrêt Lippé rendu par la Cour suprême du Canada, mais aussi des décisions de l’ensemble des tribunaux qui ont eu à examiner la question des juges à temps partiel depuis Lippé. Le législateur pourrait confier ces fonctions judiciaires de plusieurs manières. Par exemple, il pourrait nommer des juges militaires à titre inamovible pour un mandat fixe à même les juges civils qui jouissent déjà de l’indépendance judiciaire. Il pourrait tout aussi bien nommer d’anciens juges militaires à la retraite. Il existe une multitude de possibilités et ce n’est pas le rôle de cette Cour de s’immiscer dans le processus d’élaboration des lois. Mais l’approche retenue devra respecter les conditions minimales visant à assurer l’indépendance judiciaire de ces juges, le cas échéant. D’ailleurs, la Cour trouve fort pertinent et instructif les propos de Vertes J. dans l’arrêt Reference re: Territorial Court Act (N.W.T.), S. 6(2), [1997] N.W.T.J. No. 66.

Page 38 de 46 (N.T.S.C.) et ceux du juge en chef associé de la Cour supérieure du Québec, le juge Robert Pidgeon, dans l’arrêt Williamson c. Mercier, [2004] J.Q. no 4222, sur la question de l’exercice de fonctions judiciaires à temps partiel ou sur l’utilisation de juges à la retraite pour des durées déterminées.

[70] La Cour partage l’opinion exprimée par les procureurs relativement au retrait des fonctions militaires d’un juge militaire aux termes de l’article 19.75 des ORFC. Cette disposition réglementaire est incompatible avec l’article 165.23 de la Loi sur la défense nationale. Ni le chef d'état-major de la défense, ni le juge militaire en chef en tant qu’officier commandant un commandement n’ont le pouvoir de retirer un juge militaire de ses fonctions militaires qui sont exclusivement prévues à l’article 165.23. Cela empiète sur les fonctions du comité d’enquête et elle mine les caractéristiques essentielles de l’indépendance judiciaire relativement à l’inamovibilité et l’indépendance institutionnelle. En conséquence, l’article 19.75 tel que rédigé viole l’article 11d) de la Charte et il n’a pas été justifié dans le cadre de l’examen fondé sur l’article premier. Cela n’empêcherait toutefois pas le juge militaire en chef es qualité de s’acquitter de ses fonctions et de ses responsabilités dans le respect de sa propre indépendance administrative relativement à son pouvoir discrétionnaire d’assigner les fonctions judiciaires ou celles qui ne sont pas incompatibles avec lesdites fonctions judiciaires. La Cour est aussi d’avis que l’article 101.08 (Retrait des fonctions militaires - Avant et après le procès) des ORFC souffrent des mêmes lacunes que l’article 19.75. Toute mesure correctrice à l’endroit de l’article 19.75, le cas échéant, devrait être appliquée à l’endroit de l’article 101.08.

[71] En ce qui a trait au cadre législatif et réglementaire du processus de révocation des juges militaires, cette Cour n’est pas convaincue que l’ensemble du régime de la révocation doit être prévu à la loi comme c’est le cas aux termes de la Loi sur les juges. Je partage le commentaire du procureur de la poursuite que cela représente un idéal qui n’est pas requis pour assurer l’inamovibilité des juges militaires en dépit d’une procédure moins détaillée que celle prévue à Loi sur les juges. Il ne fait aucun doute que les règles et les principes qui ont été élaborés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249 s’appliquent à la procédure de révocation d’un juge militaire. La nature de ces procédures de révocation impose au Comité d’enquête établi par le gouverneur en conseil aux termes du paragraphe 165.21 (2) de la Loi sur la défense nationale une stricte obligation d'agir équitablement.

Le renouvellement : la composition du comité d’enquête et les facteurs [72] Considérant la conclusion de cette Cour à l’effet qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique SS et après l’avoir étudiée en profondeur SS conclurait que le juge militaire nommé aux termes de l’article 165.21 de la Loi sur la défense nationale ne

Page 39 de 46 jouit pas de garanties importantes et suffisantes en matière d’inamovibilité, si elles sont en deçà d’une nomination à titre inamovible jusqu’à l’âge de la retraite, afin de lui permettre de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision; il n’est pas nécessaire d’analyser la composition dudit comité d’examen relatif au renouvellement du mandat du juge militaire, ni des facteurs qu’il doit prendre en compte pour s’acquitter de sa tâche.

Indépendance Administrative SS Organisation du Cabinet du Juge militaire en chef et le chapitre 21 (Commissions d’enquête et Enquêtes sommaires) des ORFC

[73] Le requérant a soutenu qu’en raison du fait que le Cabinet du juge militaire en chef est organisé selon un Arrêté ministériel et une OOFC du chef d’état-major de la défense SS c'est à dire une unité constituée par un représentant de l’exécutif, le ministre de la Défense via le chef d’état-major de la défense SS cela peut affecter l’inamovibilité et l’indépendance institutionnelle des juges militaires parce qu’il s’agit de la seule organisation à laquelle ils appartiennent. Il allègue que l’exécutif pourrait modifier ou neutraliser l’organisation ou le fonctionnement du Cabinet du juge militaire en chef par un simple changement à ces documents. Un exemple du manque d’indépendance institutionnelle des juges s’illustrerait par le fait que le chef d'état-major de la défense constitue l’autorité finale en matière de grief déposé par un juge. D’une part, l’organisation du Cabinet du Juge militaire en chef comme unité de la Force régulière ne mine pas, en soi, l’indépendance administrative des juges militaires et du juge militaire en chef. L’abolition ou la modification de documents purement organisationnels et leur remplacement par d’autres n’a pas d’impact en soi sur les composantes de l’inamovibilité des juges qui sont prévues à la loi. En l’absence de preuve, il faudrait que cette cour se fonde sur des hypothèses et des conjectures du domaine de la spéculation pour accepter les prétentions du requérant su ces questions.

[74] Le requérant allègue de plus qu’en vertu du chapitre 21 (Enquêtes sommaires et commissions d’enquête), le chef d'état-major de la défense ou le ministre de la Défense pourrait utiliser leurs pouvoirs d’ordonner une enquête sommaire ou une commission d’enquête pour amener un juge militaire, même bénéficiant de l’immunité quant aux poursuites, à expliquer les motifs d’une décision. Une telle affirmation est erronée. Cette question a été réglée par la Cour suprême dans l’arrêt Mackeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796 qui a même affirmé que la jurisprudence et les principes généraux de l'indépendance judiciaire établissent clairement que même un juge de la Cour suprême qui entend une affaire civile n'a pas le pouvoir de contraindre un autre juge à témoigner quant à savoir comment et pourquoi il est arrivé à ses conclusions. Il s'agit d'une question de privilège qui touche à l'impartialité judiciaire dans la prise de décisions et au rôle du pouvoir judiciaire en tant qu'arbitre et protecteur de la Constitution. De même, un juge ne peut pas contraindre un autre juge à témoigner sur les raisons pour lesquelles un juge particulier a siégé dans une affaire donnée. Cette question touche l'aspect administratif ou institutionnel de l'indépendance judiciaire.

Page 40 de 46 L’analyse du chapitre 21 des ORFC doit prendre en compte les règles énoncées par la Cour suprême sur ces questions et le langage utilisé n'est pas assez spécifique pour écarter le principe fondamental selon lequel les juges sont exemptés de l'obligation de témoigner relativement au processus décisionnel ou aux motifs de la composition de la cour dans un cas donné.

[75] Le requérant a soulevé très brièvement la question que la procédure de grief applicable aux Forces canadiennes porte atteinte à l’indépendance judiciaire. La Cour croit que cette question doit prendre en compte sa propre conclusion à l’effet que les juges militaires doivent être nommés à titre inamovible jusqu’à l’âge de la retraite. Dans un tel contexte, l’existence d’un tel mécanisme applicable à l’ensemble des Forces canadiennes, y compris les juges militaires, n’est pas en soi problématique, même si certains peuvent lui reprocher de ne pas mettre le juge militaire suffisamment à l’abri de l’exécutif parce qu’un tel juge se voit dans l’obligation de demander à l’exécutif de réparer un grief lorsqu’il accomplit ses fonctions judiciaires. Certes, il ne s’agit pas de la mesure idéale pour préserver l’indépendance judiciaire, mais la Cour n’est pas satisfaite qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique SS et après l’avoir étudiée en profondeur SS conclurait que le juge militaire nommé jusqu’à l’âge de la retraite se laisserait influencer dans ses décisions parce que le chef d'état-major de la défense pourrait agir comme autorité adjudicatrice de grief à son endroit. Le mécanisme de griefs des Forces canadiennes prévu aux articles 29 à 29.28 de la Loi sur la défense nationale possède des garanties objectives suffisantes, importantes et efficaces, selon cette Cour SS notamment l’existence du Comité des griefs des Forces canadiennes et le contrôle judiciaire prévu par Loi sur la Cour fédérale SS pour respecter les normes minimales d’indépendance judiciaire et permettre au juge militaire de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision. La Cour n’est toutefois pas satisfaite qu’un tel mécanisme serait adéquat si elle avait accepté la validité des mandats fixes renouvelables.

Remèdes appropriés SS Déclaration d’invalidité et arrêt des procédures [76] Il revient maintenant à cette cour de déterminer la réparation juste et convenable dans les circonstances de la présente affaire. Le requérant demande à cette Cour, en sus de la (des) déclaration(s) d’invalidité, de prononcer l’arrêt des procédures en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[77] L’intimée soutient que toute déclaration d’invalidité à l’égard d’une ou plusieurs dispositions de la Loi sur la défense nationale ou de ses règlements devrait être formulée de manière chirurgicale dont l’effet serait suspendu afin que le Parlement puisse apporter les corrections nécessaires et que les Forces canadiennes puissent

Page 41 de 46 continuer d’opérer de façon efficace en maintenant, entre autres, la discipline. Cette suspension serait nécessaire, selon l'intimée, pour assurer la primauté du droit au sein des Forces canadiennes et pour protéger le public. L’intimée soutient qu’en l’absence d’un système de cours martiales fonctionnel, l’ensemble du régime de discipline des Forces canadiennes serait vulnérable à un chaos juridique qui aurait des répercussions préjudiciables sur la capacité du gouvernement du Canada à mettre en œuvre ses politiques en matière d’affaires étrangères, de défense et de sécurité au profit de tous les Canadiens. Elle ajoute que cette cour ne doit pas prononcer un arrêt des procédures à la lumière des arrêts Schachter et Demers de la Cour suprême.

[78] Il est opportun de souligner que dans l’arrêt Lauzon, la Cour d’appel de la cour martiale avait conclu qu’elle devait déclarer invalide l'article 177 de la Loi sur la défense nationale qui prévoyait la constitution des cours martiales permanentes, dont le président est « ...nommé par le ministre ou sous son autorité... » et aux articles des ORFC qui traitait expressément du mode de renouvellement des affectations et de révocation des juges militaires ainsi que de la fixation de leur solde. Selon la Cour d’appel de la cour martiale, cette déclaration d’invalidité de l’article 177 avait pour effet qu'il n’existait plus de cour martiale permanente et de juges indépendants de ce niveau pour la remplacer et assurer la discipline militaire. Elle décida, à l'instar de ce que mentionne la Cour suprême dans la seconde affaire du Renvoi, [1998] 1 R.C.S. 3, appliquer la doctrine de la nécessité. L’article 177 de la Loi sur la défense nationale a bien sûr été modifié depuis l’arrêt Lauzon de telle sorte que les cours martiales permanentes ne sont plus établies par l’exécutif et composées d’un officier nommé par le ministre. La Cour martiale permanente existe dorénavant aux termes de la loi et elle est constituée par un seul juge militaire. Les articles 173 et 174 se lisent comme suit :

173. La cour martiale permanente a compétence en matière d'infractions d'ordre militaire imputées aux officiers et militaires du rang justiciables du code de discipline militaire.

174. La cour martiale permanente est constituée par un seul juge militaire. Selon cette Cour, il ressort du libellé des articles 173 et 174 que la constitutionnalité de la cour martiale permanente ne saurait être entachée que si le juge militaire qui la constitue ne possède pas les garanties importantes et suffisantes destinées à préserver son indépendance. L’application de la doctrine de nécessité à la présente cause doit donc tenir compte de la différence fondamentale qui existe aux termes de la loi en vigueur par rapport à l’ancien article 177 de la Loi sur la défense nationale et cette cour est satisfaite, après l’analyse de l’ensemble des intérêts en jeu, qu’une telle suspension n’est pas nécessaire dans les circonstances. La réparation accordée par cette cour n’aura pas pour effet de priver les Canadiens d’un système de cours martiales fonctionnel, ni de rendre vulnérable l’ensemble du régime de discipline des Forces canadiennes à un chaos juridique qui aurait des répercussions préjudiciables sur la capacité du gouvernement du Canada à mettre en œuvre ses politiques en matière d’affaires étrangères, de défense et de sécurité au profit de tous les Canadiens.

Page 42 de 46 [79] Les réparations fondées sur le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 sont différentes de celles qui peuvent être accordées aux termes de l’articles 24(1) de la Charte parce que ces recours reposent sur des assises différentes. Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que :

52(1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Alors que l’article 24(1) de la Charte se lit comme suit : 24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

Le principe de la primauté de la Constitution du Canada énoncé à l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 lie l’État dans son action législative. Le droit d’un individu sera violé dans un tel cas si l’État agit en vertu d’une règle de droit qui est inconstitutionnelle. Dans les cas la violation résulte plutôt de l’acte posé par un préposé de l’État, c’est l’article 24(1) de la Charte qui entre en jeu. Ainsi, il est possible qu’une disposition législative ne soit pas inconstitutionnelle, mais que la mesure prise contrevienne à certains droits qui sont, eux, garantis par la Charte. Il y aura rarement lieu à un remède aux termes de l’article 24(1) de la Charte en même temps qu’une mesure prise en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Généralement, la disposition déclarée inconstitutionnelle et immédiatement rendue inopérante mettra fin à l’affaire, l’affaire étant la question constitutionnelle. Dans ces circonstances, il y aura rarement lieu à une rétroaction ou à une mesure rétroactive en vertu de l’article 24 (1) de la Charte.

[80] Dans le contexte de violations de la Charte, les tribunaux ont développé et utilisé au cours des années une variété de critères et de manières pour répondre adéquatement aux exigences du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. L’ancien juge en chef Lamer en a traité abondamment dans l’arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, aux pages 695 à 719. La règle de base énoncée dans Schachter veut que les tribunaux soient guidés par l’objet de la loi et de la Charte. Le caractère inopérant des dispositions législatives incompatibles à la Charte ouvre la porte à un certain nombre de réparations telles que la déclaration d’invalidité, la déclaration différée d’invalidité, la dissociation, l’inclusion par interprétation (l’interprétation large), l’interprétation restreignante (l’interprétation atténuée) et l’exemption constitutionnelle. Au volume 2 de son ouvrage intitulé Constitutional Law in Canada, Carswell, 1997, (Looseleaf Edition) le professeur Peter W. Hogg énumère les choix qui s’offrent aux tribunaux aux termes du paragraphe 52(1), et ce à la page 37-3:

1. Nullification, that is, striking down (declaring invalid) the statute that is inconsistent with the Constitution;

Page 43 de 46 2. Temporary validity, that is, striking down the statute that is inconsistent with the Constitution but temporarily suspending the coming into force of the declaration of invalidity;

3. Severance, that is, holding that only part of the statute is inconsistent with the Constitution, striking down only that part and severing it from the valid remainder;

4. Reading in, that is, adding words to the statute that is inconsistent with the Constitution so as to make it consistent with the Constitution and valid;

5. Reading down, that is, interpreting a statute that could be interpreted as inconsistent with the Constitution so that it is consistent with the Constitution; and,

6. Constitutional exemption, that is, creating an exemption from a statute that is partly inconsistent with the Constitution so as to exclude from the statute the application that would be inconsistent with the Constitution.

[81] La Cour a déjà conclu que la nomination d’un juge militaire à titre inamovible pour un mandat de cinq ans porte atteinte à l’article 11 d) de la Charte, dans le contexte de la justice militaire et de l’évolution du droit en matière d’indépendance judiciaire. Comme je l’ai déjà dit, cette Cour est convaincue qu’une personne raisonnable et sensée, informée des dispositions législatives pertinentes, de leur historique et des traditions les entourant, après avoir envisagé la question de façon réaliste et pratique SS et après l’avoir étudiée en profondeur SS conclurait qu’un juge militaire nommé à titre inamovible pour un mandat de cinq ans et qui préside une cour martiale permanente SS ou toute autre cour martiale SS ne jouit pas d’une inamovibilité suffisante à lui permettre de juger les affaires qui lui sont soumises sur le fond sans intervention d’aucune personne de l’extérieur dans la façon dont le juge mène l’affaire et rend sa décision.

[82] Elle a aussi conclu que l’article 19.75 des ORFC qui porte sur le retrait des fonctions militaires est incompatible avec l’article 165.23 de la Loi sur la défense nationale et que l’application de l’article 19.75 à l’endroit des juges militaires est incompatible avec l’article 11d) de la Charte parce qu’elle porte atteinte aux caractéristiques essentielles de l’indépendance judiciaire relativement à l’inamovibilité et l’indépendance administrative. La Cour a appliqué le même raisonnement relativement à l’article 101.08 des ORFC. Ces dispositions n’ont pas été justifiées sous l’angle de l’article premier de la Charte.

[83] La Cour doit faire preuve de retenue judiciaire à la lumière des atteintes à la Charte dans le contexte de cette affaire. L’évolution des fonctions et l’accroissement du rôle du juge militaire dans le système de justice militaire ressortent si clairement des dispositions législatives et réglementaires qui ont été adoptées à la suite de l’adoption de la Loi sur la défense nationale par la Loi modifiant la Loi sur la

Page 44 de 46 défense nationale et d’autres lois en conséquence, 1998, ch. 35, que cette Cour est convaincue, selon l‘ensemble de la preuve, que le législateur a voulu que le système de justice militaire, notamment son code de discipline militaire, reflète l’importance du rôle de cours martiales indépendantes et impartiales présidées par des juges militaires dans l’ensemble de ce système de justice. Ces cours martiales présidées par des juges militaires agissent entre autres à titre de protecteur des droits des justiciables de ce code de discipline militaire y compris le rôle de protecteur de la Constitution au sein du système de justice militaire. Or, la norme constitutionnelle applicable à la lumière de l’ensemble des circonstances ne peut être atteinte que si le juge militaire est nommé à titre inamovible jusqu’à l’âge de la retraite. En s’appuyant sur les facteurs énoncés par l’ancien juge en chef Lamer dans l’arrêt Schachter, aux pages 718 –719, la Cour est d’avis que l’utilisation de la méthode de dissociation pour retrancher la portion du paragraphe 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale, soit « pour un mandat de cinq ans » ne porterait pas atteinte à l'objectif du texte de loi. La Cour est même d'avis qu'elle ne pourrait que servir cet objectif. La Cour ayant conclu que seul le juge militaire nommé jusqu’à l’âge de la retraite rencontre la norme minimale d’inamovibilité, constitutionnellement requise pour présider les cours martiales créées aux termes de la Loi sur la défense nationale, elle considère que le moyen utilisé par le législateur pour atteindre l’objectif de maintenir une cour martiale indépendante et impartiale SS cet objectif étant . la nomination de juges militaires à titre inamovible pour un mandat renouvelable de cinq ans SS cet objectif ou le moyen utilisé par le législateur n’est pas assez incontestable pour que la dissociation constitue un empiètement inacceptable sur le domaine du législatif. Cette dissociation ne comporte pas un empiètement si important sur les décisions du législateur de doter le système de justice militaire de cours martiales indépendantes et impartiales dans le contexte des tribunaux militaires SS c’est-à-dire les procès sommaires et les cours martiales, y compris leur rôle respectif SS et l’ensemble du régime applicable aux cours martiales présidées par les juges militaires aux termes de la Loi sur la défense nationale.

[84] Pour ces mêmes raisons, les articles 19.75 et 101.08 des ORFC requièrent une interprétation large afin d’y soustraire les juges militaires et satisfaire aux exigences de la Charte en matière d’indépendance judiciaire.

[85] En ce qui a trait au remède demandé par le requérant aux termes de l’article 24(1) de la Charte, la Cour s’appuie sur les décisions de la Cour suprême dans les affaires Schachter précité et R. c. Demers, [2004] 2 R.C.S. 489 pour affirmer qu’il n’a pas droit à une réparation rétroactive fondée sur ledit article 24(1). Il ne s’agit pas non plus d’une situation qui ouvre la voie à une réparation prospective selon les principes élaborés par la Cour suprême dans l’arrêt Demers. L’arrêt des procédures tel que demandé par le requérant n’est pas disponible en raison des conclusions de cette Cour et de la réparation accordée en vertu de l’article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 qui règle la question.

Page 45 de 46 Dispositif Pour ces raisons, la Cour accueille en partie la requête et elle déclare qu’aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982:

1 Le paragraphe 165.21(2) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, viole en partie l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Les mots « pour un mandat de cinq ans » violent l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. La justification de cette violation n’a pas été démontrée dans le cadre d'une société libre et démocratique, conformément à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés.

2 Considérant la décision de cette cour sur la constitutionnalité du paragraphe 165.21(2), le paragraphe 165.21(3) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, viole l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. La justification de cette violation n’a pas été démontrée dans le cadre d'une société libre et démocratique, conformément à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés. En conséquence, la Cour déclare inopérant le paragraphe 165.21(3) de la Loi sur la défense nationale. L’effet de cette déclaration suffit sans qu’il ne soit nécessaire de traiter des règlements pris sous l’autorité dudit paragraphe.

3 L’article 19.75 des ORFC viole l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. La justification de cette violation n’a pas été démontrée dans le cadre d'une société libre et démocratique, conformément à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés. Afin de corriger cette situation, et de remédier à l’inconstitutionnalité de l’article 19.75, la Cour déclare que l’alinéa 19.75 (1) des ORFC comprend les mots « aux juges militaires et » insérés après « Le présent article ne s’applique pas », et ce en vertu d’une interprétation large de celui-ci.

4 L’article 101.08 des ORFC viole l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. La justification de cette violation n’a pas été démontrée dans le cadre d'une société libre et démocratique, conformément à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés. Afin de corriger cette situation, et de remédier à l’inconstitutionnalité de l’article 101.08, la Cour

Page 46 de 46 déclare que l’alinéa 101.08(1) des ORFC comprend les mots « sauf un juge militaire » insérés entre virgules après le mot officier au début dudit alinéa, et ce, en vertu d’une interprétation large de celui-ci.

LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M. Avocats : Major R.F. Holman et Major J-B. Cloutier, La direction des poursuites militaires Avocats de la poursuivante-intimée Capitaine de corvette P. Lévesque, La direction du service d'avocats de la défense Avocat de l’Ex-Matelot de 1 re classe Lasalle

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