Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 1 décembre 2014.

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC).

Chef d’accusation
• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultats :

• VERDICT : Chef d'accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Thibeault, 2014 CM 3022

 

Date : 20141127

Dossier : 201407

 

Cour martiale permanente

 

Salle d’audience du Centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Capitaine J.R.N.J. Thibeault, requérant

 

 

En présence du :  Lieutenant‑colonel L.‑V. dAuteuil, J.M.


[traduction française officielle]

 

MOTIFS DE LA DÉCISION RELATIVE À LA LANGUE DU PROCÈS

 

(Oralement)

 

[1]              Le capitaine Thibeault est accusé d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, au motif qu’il aurait commis une agression sexuelle, contrairement à l’article 271 du Code criminel. La Cour a été convoquée le 30 octobre 2014 et invitée à entamer les procédures le 1er décembre 2014.

 

[2]              À titre de juge chargé de présider le procès devant la présente cour martiale permanente, j’ai reçu la requête présentée par le capitaine Thibeault en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant la tenue d’un procès bilingue. L’audition de cette requête a eu lieu le 7 novembre 2014. J’ai ajourné l’audience au 12 novembre 2014 et de nouveau à ce jour, le 27 novembre 2014.

 

[3]              Ce qui a été déposé devant moi en preuve est l’avis de requête, l’affidavit de Danielle Lever, l’adjointe de Me Brown, et l’ordre de convocation.

 

[4]              Pour l’essentiel, la langue du procès choisie par le capitaine Thibeault pour la présente instance est l’anglais. En fait, il s’agit d’un nouveau procès ordonné récemment par la Cour d’appel de la cour martiale au sujet d’un procès complet qui s’est déroulé en français. Je n’ai pas présidé ledit procès, mais j’ai été informé que ce fut le cas.

 

[5]              La langue maternelle du capitaine Thibeault est le français. Il a une bonne compréhension de l’anglais, mais, selon son avocat, il démontre une faible capacité de communiquer oralement dans cette langue; il éprouve de la difficulté à s’exprimer clairement en anglais. Me Brown, l’avocat de la défense, est unilingue anglophone; il ne parle ni ne comprend le français.

 

[6]              À la suite d’une question que j’ai formulée à l’audience, j’ai confirmé ces faits, notamment que le capitaine Thibeault comprend effectivement l’anglais, pouvant suivre le déroulement de l’instance, mais qu’il a beaucoup de difficulté à s’exprimer dans cette langue. En fait, les échanges que j’ai eus avec le capitaine Thibeault se sont déroulés surtout en français, avec le consentement de son avocat.

 

[7]              En outre, lorsque j’ai soulevé la question de l’interprétation simultanée, l’accusé, le capitaine Thibeault, m’a dit qu’il aimerait bénéficier de ce service, si possible. Pour l’essentiel, il s’agissait de savoir s’il pouvait comprendre les dépositions des différents témoins, dont ses propres témoins qui livreraient leurs témoignages en anglais. Je crois comprendre que le capitaine Thibeault aimerait obtenir l’aide d’un interprète de langue française pour comprendre mieux les témoignages.

 

[8]              Le juge et le procureur de la poursuite peuvent comprendre et s’exprimer dans les deux langues officielles. Ils ont participé à de nombreux procès bilingues au cours des trois ou quatre dernières années; dans mon cas, plus que ça. J’ai été informé que les témoins de la poursuite livreraient leurs témoignages en anglais, tout comme les témoins de la défense, à l’exception de l’accusé. Pour l’essentiel, tous les témoignages seront livrés en anglais, sauf dans le cas de l’accusé, le capitaine Thibeault, s’il décide de témoigner. Dans l’affirmative, il aimerait livrer son témoignage en français.

 

[9]              Les questions soulevées par la requête sont donc:

 

a)                  si la Cour peut ordonner que le procès se déroule dans les deux langues officielles;

 

b)                  ordonner la tenue d’un procès bilingue afin de permettre au capitaine Thibeault de témoigner en français et d’être ainsi entendu directement par le juge sur les faits;

 

c)                  qu’un interprète, dans ce contexte, soit fourni à l’avocat de la défense.

 

[10]          Tout au long des l’instance concernant la présente demande, j’ai souvent exprimé des réserves dans des situations qui ont donné lieu à de nombreux échanges avec les deux avocats qui avaient des différentes perspectives et idées sur cette question fondamentale en matière de procédure. Tout d’abord, le capitaine Thibeault a suggéré dans sa requête que l’article 530 du Code criminel s’appliquait aux procédures de la cour martiale. Je ne vois pas que cette disposition ni d’autres dispositions du Code criminel concernant la langue du procès comme s’appliquant en l’espèce.

 

[11]           À mon avis, c’est la Loi sur les langues officielles qui s’applique en l’espèce, loi fédérale qui régit les procédures du présent tribunal, soit une cour martiale, parce qu’il s’agit d’un office fédéral, au sens d’une cour fédérale établie en vertu d’une loi fédérale. Par conséquent, la cour martiale est régie par les dispositions de la Loi sur les langues officielles auxquelles s’ajoutent celles de la Constitution, notamment les articles 19, 14 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[12]           J’ai examiné soigneusement différents scénarios applicables à la présente affaire.

 

a)                  Tout d’abord, regardant le contexte d’un procès bilingue, le juge et le procureur de la poursuite seraient en mesure de s’exprimer dans l’une ou l’autre des deux langues officielles, étant donné qu’ils sont bilingues, et les témoins seraient en mesure de faire des dépositions dans leur propre langue, sans qu’il soit nécessaire de recourir aux services d’un interprète. L’avocat de la défense serait unilingue anglophone, les témoins livreraient leurs témoignages en anglais et, s’il décide de témoigner, l’accusé le fera en français.

 

b)                  Ensuite, il y la question de la nécessité de recourir aux services d’un interprète, non pas pour assister l’accusé qui témoignera en français, mais plutôt pour permettre à l’avocat de la défense de comprendre le témoignage de son propre client. Cette situation se rapporte à l’interprétation de l’article 14 de la Charte. Cette disposition s’applique‑t‑elle dans le cas de l’avocat de la défense qui représente l’accusé? Je m’appuie principalement sur la décision Cormier c. Fournier, rendue le 23 mai 1986 par le juge Godin (1986 CanLII 92 (NB BR)), à la page 6 : « [l]’article 14 ne s’applique pas à l’avocat. » La protection conférée par l’article 14 vise essentiellement l’accusé; sa portée ne saurait être élargie de manière à s’appliquer à l’avocat qui représente l’accusé. Par conséquent, si j’ordonne la tenue d’un procès bilingue dans les circonstances, il ne serait pas possible, à mon avis, de fournir un interprète à Me Brown, l’avocat de la défense.

 

c)                  Si nous devions tenir un procès en français, comme ce fut le cas du procès initial, le juge peut parler et comprendre le français, tout comme le procureur de la poursuite, mais l’avocat de la défense ne serait pas en mesure de comprendre ni de parler le français; les témoins livreraient leurs dépositions en anglais et un interprète fournirait ses services conformément à l’article 14 de la Charte; l’accusé serait en mesure de témoigner dans sa propre langue, qui est le français. Là encore, il s’agirait de l’obligation de fournir un interprète à l’avocat de la défense. La Cour répondrait probablement de la même manière que dans le cas d’un procès bilingue, à savoir que le droit à l’assistance d’un interprète ne s’applique pas à un officier de justice, comme l’avocat de la défense.

 

d)                  En ce qui concerne le troisième scénario possible, qui correspond effectivement à la présente affaire, j’estime que, dans le système de justice militaire, l’accusé doit indiquer la langue de préférence pour le déroulement de son procès devant un tribunal militaire. En l’espèce, le capitaine Thibeault a indiqué que sa langue de préférence pour subir son procès est l’anglais. Tenir un procès en anglais signifierait là encore que le juge et les deux avocats peuvent parler et comprendre l’anglais, tout comme les témoins. L’accusé se retrouverait toutefois dans une position différente. Il s’agit de savoir, au regard de l’affaire dont je suis saisi, si l’accusé peut bénéficier de l’assistance d’un interprète, alors qu’il est présumé comprendre et parler la langue dans laquelle se déroule l’instance. En l’espèce, je dois conclure que l’accusé n’est pas présumé comprendre ni parler l’anglais, qui est la langue du procès.

 

[13]           J’adopterai une approche pratique à l’égard de cette question. Je dois faire en sorte que, tout au long du déroulement de l’instance, l’accusé bénéficie d’un procès équitable ainsi que de la capacité de préparer une défense pleine et entière en vertu de son droit garanti par l’article 7 de la Charte. Pour comprendre la signification de ce droit, j’ai examiné l’arrêt R. c. Tran, [19942 R.C.S. 951, de la Cour suprême du Canada, qui repose sur des faits différents (dans l’affaire Tran, l’accusé ne parlait ni français ni anglais), mais qui donne à la Cour des indications permettant de trouver une solution dans la présente affaire. L’accusé a choisi de subir son procès en anglais, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, les témoignages, sauf celui de l’accusé, sont livrés en anglais. Deuxièmement, l’accusé a choisi d’être représenté par un avocat unilingue anglophone, ce qui soulève la question du choix de l’avocat. Ces droits (l’équité du procès et le choix de l’avocat) sont des droits garantis par l’article 7 de la Charte. En d’autres mots, cette situation particulière se résume comme suit : l’accusé parle français, mais éprouve des difficultés à comprendre et à parler l’anglais. Je déduis que le choix de son avocat s’explique par la langue des témoignages. Enfin, l’accusé souhaite témoigner en français, alors qu’il est représenté par un avocat anglophone.

 

[14]           Les droits garantis par l’article 7 de la Charte, tels qu’ils ont été interprétés dans l’arrêt Tran, entrent en ligne de compte en l’espèce. Le droit à l’assistance d’un interprète se rapporte à la notion d’équité du procès et réfère au droit de l’accusé d’avoir un interprète. À cet égard, si je conclus que, dans le cadre d’un procès en anglais, l’accusé a le droit à un interprète lors de son témoignage, j’estime que, dans les circonstances particulières de l’affaire, il ne se verra pas accorder davantage de droits, du fait qu’il s’agit d’un nouveau procès, fondé sur les réserves exprimées par la Cour d’appel de la cour martiale quant à la capacité de l’accusé de témoigner.

 

[15]           Il m’apparaît donc raisonnable que le capitaine Thibeault choisisse de subir son procès en anglais, qu’il soit représenté par un avocat qui parle et qui comprend l’anglais et que les témoignages soient présentés dans cette même langue. Le capitaine Thibeault a le droit, le cas échéant, de s’exprimer en français, mais il témoignera au moyen d’un interprète, de sorte que les éléments de preuve que la Cour entendra et examinera seront fournis par l’intermédiaire d’un interprète. La Cour peut à tout moment remettre en question la qualité de l’interprétation. Par conséquent, je pourrais éventuellement exprimer des réserves à cet égard.

 

[16]          Cela étant dit, j’estime que les services d’un interprète d’expérience, dûment qualifié, auront pour effet de dissiper tout doute à ce sujet. Plus précisément, le témoignage de l’accusé sera livré en français et traduit en anglais. Le juge des faits devra par la suite examiner ce témoignage, tel qu’il sera traduit en anglais. Je crois comprendre qu’après avoir examiné de nombreuses possibilités avec son avocat, l’accusé serait à l’aise avec ce processus. Je suis d’avis que Me Brown a été pleinement informé par son client de la langue du procès et de la volonté de son client de procéder de cette manière, à savoir que le juge des faits entendra et examinera son témoignage traduit.

 

[17]          Le procès se déroulera en anglais, soit la langue choisie par l’accusé, ce qui donnera effet au droit de l’accusé à une défense pleine et entière, y compris au droit d’être représenté par l’avocat de son choix. En outre, cette démarche aura pour effet de répondre à l’une des préoccupations que j’ai soulevées, quant au fait qu’afin de pouvoir donner un témoignage suffisant, le cas échéant, l’accusé comprendra bien les dépositions des autres témoins.

 

[18]          Ce que j’aimerais, c’est que l’accusé bénéficie de l’assistance d’un interprète, non seulement pour faire traduire son propre témoignage, mais aussi, par souci d’équité, pour lui traduire, au besoin, les déclarations des témoins. Je comprends qu’il ne s’agit que de deux témoins en l’espèce, ce qui fait en sorte que l’instruction ne soit pas longue à cet égard. J’estime qu’en matière d’équité, la présence d’un interprète aux côtés du capitaine Thibeault pendant le déroulement du procès répondra à mes réserves quant à savoir si celui‑ci comprend bien ce qui se passe au cours de l’instance. De plus, le capitaine Thibeault bénéficiera des services d’un interprète lors de son témoignage, s’il décide de le faire.

 

[19]          En choisissant de traiter de la question de la langue de cette manière, j’ai répondu ainsi à la question de l’équité du procès, du droit de l’accusé d’être représenté par l’avocat de son choix et de choisir la langue du procès. J’estime donc que l’accusé n’aura pas davantage de droits. Cela ne veut pas dire que, dans d’autres circonstances, j’arriverais à la même conclusion.

 

[20]          Alors, ma décision concernant la requête est de ne pas accueillir la demande pour un procès bilingue. La présente instance se déroulera en anglais, à la demande du capitaine Thibeault. L’accusé bénéficiera des services d’un interprète tout au long de l’instance, dès le commencement de l’instruction. L’interprète sera présent aux côtés du capitaine Thibeault, pour fournir ses services à la demande de celui‑ci. Il n’y aura pas d’interprétation simultanée en raison des frais élevés, comme l’a souligné l’avocat de la défense, le coût dépasse le besoin. Le capitaine Thibeault est rassuré de pouvoir comprendre pleinement ce qui se passe au cours de l’instance, et l’interprète lui fournira à tout moment une traduction sur demande. Le déroulement de l’instance sera particulier en quelque sorte. Le capitaine Thibeault pourra m’interrompre pour demander à l’interprète de traduire ce qui a été dit. Ce sera à moi de gérer convenablement le déroulement de l’instance, mais le capitaine Thibeault pourra m’interrompre à tout moment afin de pouvoir comprendre pleinement ce qui a été dit.

 

[21]           Étant donné que l’interprète est un officier de justice, j’ai l’intention de suivre la procédure habituelle et lui demander de prêter serment ou de faire une déclaration solennelle avant de commencer l’instruction. Les compétences et l’expérience de l’interprète seront authentifiées, pour permettre une interprétation officielle si le capitaine Thibeault décide de témoigner au procès. À mon avis, c’est la meilleure façon de bénéficier d’un procès équitable dans la présente affaire et de répondre en même temps aux préoccupations soulevées par le capitaine Thibeault quant à la langue du procès. Voilà ma décision. L’administration de la cour se chargera de ces exigences opérationnelles. Le procès débutera lundi par l’examen de la demande concernant le type de cour martiale. Lorsque j’aurai rendu ma décision sur la demande, à moins qu’il n’existe d’autres demandes, l’audience sera ajournée au 15 février, quel que soit le type de cour martiale décidé.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[22]           REJETTE la requête d’ordonnance enjoignant la tenue d’un procès bilingue.

 

[23]           ORDONNE qu’un interprète soit mis à la disposition du capitaine Thibeault pendant la durée de l’instance.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, représenté par le major J.E. Carrier

 

Me T. Brown, Greenspon, Brown and Associates, avocat du capitaine J.R.N.J. Thibeault

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