Page 1 de 7 Citation : R. c. Ex-Matelot de 2 e classe C.R. Hoddinott, 2006 CM 24 Dossier : 200624 COUR MARTIALE PERMANENTE CANADA NOUVELLE-ÉCOSSE BASE DES FORCES CANADIENNES HALIFAX Date : 24 février 2006 SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M. SA MAJESTÉ LA REINE c. EX-MATELOT DE 2 e CLASSE C.R. HODDINOTT (Délinquant) SENTENCE (Prononcée de vive voix) TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE [1] Le but d'un système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de s'occuper des questions qui touchent directement à la discipline, à l'efficacité et au moral des troupes. La Cour suprême du Canada a reconnu que les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Cependant, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être la moindre possible dans les circonstances. [2] Pour déterminer la peine aujourd’hui, la cour a tenu compte des circonstances liées à la perpétration des infractions, telles qu’elles ressortent de la preuve entendue au procès, de la preuve documentaire qu’on lui a fournie et des témoignages entendus durant le processus de détermination de la peine. La cour a examiné la preuve à la lumière des principes applicables de détermination de la peine, y compris ceux énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel, dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec le régime de détermination de la peine prévu dans la Loi sur la défense nationale. La cour a également examiné les observations des avocats, ainsi que de la jurisprudence fournie.
Page 2 de 7 [3] L’ex-Matelot de 2 e classe Hoddinott a été reconnu coupable d’une accusation aux termes de la Loi sur la défense nationale. Cette accusation vise une infraction punissable aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour trafic de cannabis (marihuana) en contravention du paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. La nature du trafic en cause consistait dans le fait qu’un joint appartenant au délinquant a été passé à un agent d’infiltration, le 27 novembre 2004, dans l’appartement du délinquant à Halifax, en présence de plusieurs amis du délinquant. Ce type de trafic est souvent désigné comme étant un trafic entre amis et connaissances; autrement dit, l’infraction n’a aucun aspect commercial. La preuve ne permet pas de déduire que des militaires aient pu se trouver dans l’appartement au moment où l’infraction a été perpétrée. Il est aussi pertinent de noter, aux fins de la détermination de la peine, que le délinquant était un consommateur de drogue avéré, qui était plongé dans le monde de la drogue. La preuve reçue au procès le montre abondamment. De plus, selon la preuve entendue au procès, l’infraction n’a pas été perpétrée dans un établissement de défense ou à proximité, ou en présence d’autres militaires. [4] Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société « juste, paisible et sûre » par l’infliction de sanctions justes. Dans le contexte des tribunaux militaires, il faut maintenir un équilibre entre cet objectif et les exigences spéciales et essentielles de maintien et d’application d’une discipline militaire rigoureuse. La cour qui prononce la peine d’un délinquant relativement aux infractions qu’il a commises doit poursuivre certains objectifs en fonction des principes de la détermination de la peine qui s’appliquent. Il est aussi reconnu que ces principes et objectifs varient légèrement selon le cas, mais il faut toujours les adapter aux circonstances de l’espèce, ainsi qu’au délinquant. Pour contribuer à l’un des objectifs essentiels de la discipline militaire, soit le maintien d’une force armée professionnelle et disciplinée qui soit opérationnelle, efficace et efficiente, au sein d’une société libre et démocratique, les objectifs et principes de la détermination de la peine peuvent être formulés ainsi : Premièrement, la protection du public - et cela comprend les Forces canadiennes; Deuxièmement, la punition et la dénonciation de la conduite illégale; Troisièmement, la dissuasion du délinquant et d’autres de commettre des infractions similaires; Quatrièmement, l’isolement des délinquants du reste de la société, y compris des membres des Forces canadiennes lorsque cela est nécessaire; Cinquièmement, la réinsertion des délinquants;
Page 3 de 7 Sixièmement, la proportionnalité de la peine par rapport à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. La peine doit être proportionnelle au préjudice infligé et à la culpabilité morale du délinquant. C’est la manière dont la société affirme ses valeurs fondamentales, protège le public et dit clairement à ceux qui transgressent ces valeurs qu’ils sont responsables de leurs actes; Septièmement, l’infliction d’une peine similaire aux peines imposées à des délinquants du même genre pour des infractions comparables commises dans des circonstances similaires; Huitièmement, le fait qu’un délinquant ne devrait pas être privé de sa liberté si une peine ou une combinaison de peines moins restrictives sont indiquées dans les circonstances; Enfin, la Cour doit tenir compte de toute circonstance aggravante ou atténuante liée à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant. [5] En l’espèce, la protection du public doit être réalisée au moyen d’une peine qui mettra l’accent sur la dissuasion générale , mais aussi sur la réprobation du comportement du délinquant. La peine doit aussi permettre la réinsertion de M. Hoddinott, à la lumière de la preuve reçue à l’audience de détermination de la peine. [6] La gravité des infractions liées aux drogues va de la possession au trafic, le trafic lui-même allant du trafic entre amis et connaissances au trafic commercial en gros et le danger posé par la drogue, de la marihuana à l’héroïne. Il est clair, par conséquent, qu’il faut tenir compte des objectifs de dissuasion et de réinsertion quand on prononce une peine en matière de drogue et que l’importance accordée à la dissuasion et à la réinsertion variera en fonction du type d’infraction liée à la drogue pour lequel le tribunal impose une peine, ainsi que du délinquant qui a commis le crime. Le trafic de drogues est une infraction très grave, mais encore plus grave dans le contexte militaire, en raison des effets internes et préjudiciables liés au monde de la drogue. C’est la raison précise pour laquelle les Forces canadiennes ont adopté une politique rigoureuse en matière de drogues, énoncée au chapitre 20 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. [7] Les cours martiales ont établi depuis longtemps que la sous-culture associée aux drogues a une incidence sur le moral et la cohésion des unités. Cette sous-culture a une incidence directe sur l’efficacité des opérations, et il est impératif que le milieu de travail, ainsi que l’institution des Forces canadiennes, soient protégés contre les effets dévastateurs que les drogues illicites peuvent avoir sur leurs ressources. La création de l’Équipe de lutte antidrogue du SNE et les ressources affectées à la lutte contre les activités liées aux drogues illicites au sein des Forces canadiennes ces
Page 4 de 7 dernières années, comme l’indique la preuve présentée à la cour, montrent que cette question est prise très au sérieux et qu’elle est particulièrement préoccupante dans le contexte militaire actuel. [8] Toutefois, il est aussi important que les Forces canadiennes s’engagent sérieusement à promouvoir un environnement sans drogue, grâce à une sensibilisation dynamique et à l’organisation de programmes de réinsertion accessibles aux militaires qui ont des problèmes d’abus de drogues. Il est plus que jamais essentiel de promouvoir et de préserver une force armée moderne et disciplinée dans un environnement sans drogue. Il faudrait toujours considérer le trafic de drogues comme une affaire très grave, même lorsqu’il s’agit de cannabis (marihuana), quel que soit l’aspect en cause dans le vaste éventail que comporte cette infraction, ainsi que son mode de perpétration, notamment le fait de faire passer un simple joint entre amis. Peu importe la gravité de l’infraction de trafic dans le contexte militaire, il n’est pas impératif que dans tous les cas les délinquants soient privés de leur liberté lorsqu’une très petite quantité de drogue douce comme la marihuana est en cause et lorsque le trafic se fait dans un contexte social, plus précisément le fait de passer un joint. Cette situation ne peut être comparée au trafic de drogues dures comme la cocaïne, même s’il ne s’agit que de très petites quantités, ce qui nécessite des peines plus graves comprenant l’emprisonnement. Dans l’arrêt R. c. Dominie 1 , la Cour d’appel de la cour martiale a fourni les directives suivantes dans le contexte du trafic de crack : [4] Le premier argument de l'appelant porte que le Président a commis une erreur en concluant que la seule peine qu'il pouvait imposer était l'emprisonnement. Selon nous, le juge du procès n'a pas commis d'erreur en concluant que la seule peine prévue dans les circonstances était l'emprisonnement. [5] Le trafic répété du crack, même s'il est de nature non commerciale, doit généralement être sanctionné par l'emprisonnement, même pour les civils. Lorsqu'il s'agit de militaires, la dissuasion exige clairement la pleine conscience qu'ils seront emprisonnés s'ils font le trafic du crack sur une base militaire. On ne peut bénéficier d'une sentence suspendue, sauf dans les rares cas où il existe des circonstances atténuantes exceptionnelles. Ce n'est pas le cas ici. [9] La cour ne peut pas infliger une peine à un délinquant pour des infractions dont il n’a pas été déclaré coupable ou pour des infractions pour lesquelles il aurait pu devoir répondre à des accusations criminelles ou disciplinaires. Cela est particulièrement important en l’espèce, et la cour renvoie à ses motifs énoncés au cours de ses conclusions d’hier. La cour ajouterait aussi que le fait d’imposer des peines à des délinquants ne devrait pas être perçu ni utilisé comme une reconnaissance des efforts déployés par les autorités chargées de l’application de la loi, qui sont munies de 1 Référence neutre, 2002 CACM 8.
Page 5 de 7 ressources importantes afin d’empêcher les activités liées aux drogues illicites au sein des Forces canadiennes ces dernières années. Il ne s’agit pas d’un objectif ou d’un principe de détermination de la peine qui puisse guider la présente cour. La cour ajoute qu’il aurait été d’un certain intérêt d’être avisée, ne serait-ce que pour assurer la parité, des mesures prises par le Service national des enquêtes en l’espèce, en collaboration avec les autorités policières locales selon le cas, et des résultats de ces mesures, en ce qui concerne les renseignements fournis par son propre agent d’infiltration au sujet de la présence sur la table de salon du délinquant d’une importante quantité de substances qu’il croyait être des drogues illégales, au moment de la perpétration de l’infraction dont le délinquant a été reconnu coupable. Les éléments de preuve n’ont rien révélé à ce sujet. Toute personne qui s’inquiète de la question des activités liées aux drogues illicites menées par des membres des Forces canadiennes sait bien que ces activités ne se limitent pas aux établissements de défense et ne se déroulent pas seulement entre militaires. Le tableau est beaucoup plus large. [10] La cour a également examiné très attentivement la jurisprudence présentée par les avocats. Bien que ces décisions fournissent des directives générales, elles n’ont pas beaucoup servi parce que le trafic décrit dans chacune d’entres elles était invariablement plus grave que dans la présente affaire. Il ne faut pas oublier que la détermination de la peine est surtout un processus individualisé. Bien que chaque cas soit un cas d’espèce, la cour convient qu’un effet dissuasif général sera généralement obtenu en imposant une peine d’emprisonnement pour trafic de drogues. Toutefois, il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle une peine juste doit comprendre l’emprisonnement pour assurer le maintien de la discipline, car cela équivaudrait à infliger la peine de dernier recours, comme l’a récemment réitéré la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt R. c. Baptista, du 27 janvier 2005, numéro de référence neutre : 1. [11] Comme je l’ai mentionné, il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle une peine juste doit comprendre l’emprisonnement pour assurer le maintien de la discipline. La cour ne peut pas accepter la suggestion du poursuivant d’infliger une peine qui comprendrait une peine d’emprisonnement de 14 à 30 jours. Cela laisserait certainement entendre que tout narcotraficant au sein des Forces canadiennes sera emprisonné s’il est déclaré coupable, mais il s’agirait d’une erreur sur le plan juridique. Même dans le contexte militaire, une peine juste ne peut pas comprendre une peine d’emprisonnement obligatoire si les faits du crime de trafic de drogue font que ce crime se situe au plus bas échelon pour ce type de trafic et au plus bas échelon des drogues illicites dans le vaste éventail qui existe pour ce crime. Par ailleurs, la cour rejette la suggestion faite par l’avocat de la défense selon laquelle une amende d’environ 750 $ répondrait au besoin de dissuasion générale et constituerait une peine juste. En dépit du faible niveau où le crime est placé dans l’échelle du crime de trafic, il n’en demeure pas moins que c’est du trafic de cannabis (marihuana) dans le contexte militaire et que la punition doit être sévère. [12] Pour déterminer ce qu’elle considère comme une peine équitable et
Page 6 de 7 adaptée, la cour a tenu compte des circonstances atténuantes et aggravantes qui suivent : la gravité objective de l’infraction et la peine maximale dont elle est assortie. Il s’agit d’une infraction grave, qui est encore plus grave dans le contexte militaire. L’infraction de trafic d’une substance inscrite à l’annexe II, soit le cannabis (marihuana), pour une quantité n’excédant pas trois kilos, rend passible d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement. [13] La cour estime que d’autres éléments devraient être atténuants, à savoir : Premièrement, le fait que la quantité en cause dans le trafic ait été très petite, étant limitée au fait de faire passer un joint, qui a été rendu ou remis au délinquant après que l’agent d’infiltration eut fait semblant d’inhaler à deux reprises; Deuxièmement, le fait que, selon la cour, les états de service antérieurs et le rendement passé en tant qu’opérateur de sonar du délinquant, aient été décrits comme étant exceptionnels par ses anciens superviseurs; Troisièmement, le fait que le délinquant ait semblé souffrir d’alcoolisme et de toxicomanie au moment de l’infraction; Quatrièmement, le fait que le délinquant avait déjà été libéré des Forces canadiennes en raison de son comportement et d’activités liées aux drogues. Dans ce contexte, la cour estime que l’âge du délinquant, 25 ans aujourd’hui, devrait lui aussi être vu comme un facteur atténuant parce qu’elle tient compte du fait que le délinquant a de nombreuses années devant lui pour s’améliorer et contribuer positivement à la société de façon générale, si ce n’est aux Forces canadiennes; Cinquièmement, le fait que M. Hoddinott soit aujourd’hui inscrit à l’université comme étudiant à temps plein, pour entreprendre une nouvelle carrière; Sixièmement, le fait que le délinquant semble dorénavant sur la voie de la réinsertion positive, selon son ancien conseiller en toxicomanie; Enfin, le fait que M. Hoddinott n’ait pas eu de fiche de conduite ou de casier judiciaire pour des infractions similaires dans les circonstances. [14] M. Hoddinott, veuillez vous lever. Pour ces raisons, la cour vous condamne à la rétrogradation au grade de matelot de 3 e classe et à une amende de 1 000 $. Vous devrez payer l’amende au receveur général du Canada par chèque
Page 7 de 7 certifié ou par mandat à l’adresse qui vous sera communiquée par l’avocat du poursuivant. LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M. Avocats : Major J.J. Samson, Procureur militaire régional, Atlantique Procureur de Sa Majesté la Reine Major A. Appolloni, Direction du Service d’avocats de la défense Avocat de l’ex-Matelot de 2 e classe Hoddinott