Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 25 juillet 2006.
Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, 2e étage, Victoria (CB).
Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

Référence : R. c. le Lieutenant de vaisseau C.B. Jollimore, 2006 CM 2017

 

Dossier : 200617

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

COLOMBIE-BRITANNIQUE

BASE DES FORCES CANADIENNES ESQUIMALT

 


Date : le 2 novembre 2006


SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.


SA MAJESTÉ LA REINE

c.

LE LIEUTENANT DE VAISSEAU C.B. JOLLIMORE

(Accusé)


VERDICT

(Rendu de vive voix)

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

[1]                    Lieutenant de vaisseau Jollimore, la cour vous déclare non coupable de l’accusation portée contre vous. Vous pouvez rompre et prendre place à côté de votre avocat.

 

[2]                    Le Lieutenant de vaisseau Jollimore est accusé d’une infraction à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, soit d’avoir eu un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline en conseillant au premier maître de 2e classe Williams de mentir pour le compte de l’accusé.

 

[3]                    Les faits mis en preuve se rapportent à la tenue d’un Comité d’évaluation des officiers de marine (NOAB) constitué en mai 2004 dans le but d’initier un certain nombre de jeunes hommes et de jeunes femmes à la Marine et d’évaluer leur potentiel comme officiers.

 

[4]                    L’accusé et le PM de 2e cl. Williams s’étaient vu confier la responsabilité d’accompagner un groupe de candidats pendant plusieurs jours, d’évaluer leur potentiel et de rendre compte de leurs observations.

 

[5]                    Selon la poursuite, l’accusé aurait eu un comportement déplacé à l’endroit d’une ou de plusieurs des candidates sous sa responsabilité et, lorsque ses supérieurs se sont mis à le soupçonner, il aurait tenté de convaincre le PM de 2e cl. Williams de mentir sur la séquence des événements pour lui permettre à lui, l’accusé, d’éviter d’avoir à assumer la responsabilité de ses actes.

 

[6]                    Dans une poursuite devant la cour martiale, comme dans toute poursuite pénale devant un tribunal canadien, il incombe au poursuivant de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Dans un contexte juridique, il s’agit d’une expression au sens consacré. Si la preuve ne permet pas de conclure à la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, celui-ci ne peut être déclaré coupable de l’infraction reprochée. Ce fardeau incombe toujours au poursuivant, et il ne se déplace jamais. L’accusé n’a jamais le fardeau de prouver son innocence. En fait, l’accusé est présumé innocent à toutes les étapes d’une poursuite jusqu’à ce que le poursuivant ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable au moyen d’une preuve acceptée par la cour.

 

[7]                    Doute raisonnable n’est pas certitude absolue, mais il ne suffit pas que la preuve établisse une probabilité de culpabilité. Si la cour est seulement convaincue que l’accusé est plus vraisemblablement coupable que non coupable, cela ne suffit pas pour le déclarer coupable hors de tout doute raisonnable, et l’accusé doit en conséquence être acquitté. En effet, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable se rapproche bien plus de la certitude absolue que de la norme de la culpabilité probable.

 

[8]                    Cependant, le doute raisonnable n’est pas un doute futile ou imaginaire. Il ne se fonde pas sur la sympathie ou les préjugés. C’est un doute fondé sur la raison et le bon sens, qui découle de la preuve présentée ou de l’absence de preuve.

 

[9]                    La preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments de l’infraction reprochée. En d’autres termes, si la preuve ne permet pas de prouver chacun des éléments de l’infraction hors de tout doute raisonnable, l’accusé doit être acquitté.

 

[10]                  La règle du doute raisonnable s’applique à la crédibilité des témoins dans une affaire, comme la présente, où la preuve révèle différentes versions des faits essentiels qui ont une incidence directe sur les questions en cause. Parvenir à une conclusion sur les faits ne se résume pas à préférer la version d’un témoin à celle d’un autre. La cour peut accepter pour vrai tout ce que dit un témoin, ou ne rien accepter du tout. Il peut aussi en tenir seulement une partie pour vraie et exacte.

 

[11]                  Si la cour accepte le témoignage d’un accusé sur les aspects les plus essentiels d’une affaire, ce dernier ne peut être déclaré coupable de l’accusation qui pèse contre lui. De même, si son témoignage n’est pas accepté, mais qu’il demeure un doute raisonnable, il doit être déclaré non coupable. Et si la preuve de l’accusé ne laisse aucun doute raisonnable à la cour, celle-ci doit quand même examiner toute la preuve qu’elle tient pour crédible et fiable afin de décider si la culpabilité de l’accusé est établie hors de tout doute raisonnable.

 

[12]                  La preuve présentée par la poursuite se résume à l’exposé des faits sur lesquels les parties se sont entendues, dûment consigné par écrit et portant la cote P-3, et au témoignage du PM de 2e cl. Williams.

 

[13]                  Selon ce témoignage, on lui aurait demandé de faire équipe avec l’accusé du 3 au 7 mai 2004 pour accompagner un groupe de candidats sous évaluation. À ce titre, ils devaient accompagner les candidats aux conférences et aux présentations, répondre à leurs questions sur la vie dans la Marine et leur faire comprendre en quoi consistait une carrière dans la Marine. Ils devaient également accompagner les candidats lors de certaines activités sociales organisées dans le but de voir comment ces derniers se comportaient dans de telles occasions. À la suite de l’une de ces activités, le barbecue du jeudi soir, l’accusé, le PM de 2e cl. Williams et un certain nombre de candidats se rendirent au bar Halfway House à Esquimalt. C’est là que le PM de 2e cl. Williams devait observer l’accusé en train de danser avec certaines des candidates d’une manière que lui, Williams, jugeait déplacée, vu les responsabilités de l’accusé en tant qu’accompagnateur.

 

[14]                  Le lendemain matin suivant, vendredi le 7 mai 2004, le témoin a eu une conversation avec l’accusé au cours de laquelle ce dernier lui a raconté avoir ramené chez lui une des candidates la nuit précédente, qu’elle s’était retrouvée sur son lit en sous-vêtements, qu’il lui avait retiré son soutien-gorge et qu’ils avaient eu des rapports sexuels que le témoin Williams a décrits. Selon le témoin, il aurait déclaré à l’accusé qu’il ne voulait pas en savoir davantage sur ces événements.

 

[15]                  Le mardi suivant, le 11 mai 2004, la date qui figure sur l’acte d’accusation, l’accusé aurait invité le PM de 2e cl. Williams à s’isoler avec lui dans un atelier pour une conversation privée. L’accusé lui aurait alors expliqué qu’il avait des problèmes avec ses supérieurs à cause de son comportement avec l’une des candidates et il lui aurait demandé de déclarer, si on l’interrogeait à ce sujet, que quoique ce soit qui avait pu se produire s’était produit le vendredi après la fin de la session et non le jeudi soir. Williams aurait répondu qu’il ne pouvait mentir et qu’il devrait dire la vérité si on l’interrogeait au sujet des événements.

 

[16]                  Le PM de 2e cl. Williams aurait alors immédiatement rendu compte à ses supérieurs de ses conversations avec l’accusé.

 

[17]                  Le Lieutenant de vaisseau Jollimore a témoigné pour sa défense. Il a reconnu qu’il avait demandé à Williams d’avoir une conversation privée avec lui dans l’atelier le 11 mai 2004. À ce moment-là, Jollimore s’était fait interroger par ses supérieurs sur toute inconduite sexuelle qu’il aurait pu avoir avec les candidates sous évaluation devant le NOAB, et il avait nié que cela ait pu être le cas. Jollimore avait reçu une mise en garde et avait été placé en surveillance au motif de « perception de comportement déplacé » en plus de se faire dire de garder le silence sur les événements et de « se résigner à son sort ». En rentrant à bord de son navire le matin du 11 mai, Jollimore aurait entendu des remarques de jeunes membres de l’équipage qui l’auraient amené à croire que Williams faisait circuler des rumeurs sur son comportement avec les candidates. Selon le témoignage de Jollimore, c’est cette raison qui l’a amené, lors de leur entretien privé dans l’atelier, à demander à Williams de se taire. Jollimore nie avoir raconté quoique ce soit à Williams sur ce qui s’était passé chez lui avec une des candidates. Il prétend en avoir parlé au Lieutenant de vaisseau Simpson, et que Williams peut avoir assisté à une partie de cette conversation. Il nie avoir demandé à qui que ce soit, y compris à Williams, de modifier sa version des faits et prétend qu’il n’a jamais voulu demander à Williams de raconter des histoires pour l’exonérer.

 

[18]                  Il est clair et évident que les deux versions fournies par les témoins Williams et Jollimore sur ce qu’ils se sont dits au cours de leur échange dans l’atelier le 11 mai 2004 sont irréconciliables. Elles sont pleines de contradictions. Mais, comme la cour l’a précisé, son devoir n’est pas de décider à laquelle de ces deux versions elle croit. La question à laquelle elle doit répondre est celle de savoir si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable que l’échange entre les deux hommes s’est bien produit de la façon dont l’a déclaré le PM de 2e cl. Williams.

 

[19]                  La cour a soigneusement examiné le témoignage rendu par le PM de 2e cl. William. Elle est convaincue que ce dernier croit sincèrement avoir été encouragé par l’accusé à mentir au besoin, pour l’aider à se défendre contre toute allégation de comportement déplacé à l’endroit d’une candidate sous évaluation devant le NOAB. Mais la cour est incapable d’adopter tout bonnement la conclusion du témoin sur le sens à donner aux propos échangés au cours de l’échange survenu dans l’atelier. Le rôle de la cour est de déterminer hors de tout doute raisonnable si Jollimore a bien tenu les propos que Williams lui attribue.

 

[20]                  La cour retient l’argument de l’avocat de l’accusé voulant qu’il existe des incohérences entre la déclaration faite par le PM de 2e cl. Williams à l’enquêteur du SNE et le témoignage qu’il a rendu devant la cour relativement à la question de savoir si la candidate sous évaluation par le NOAB en était rendue à ses sous-vêtements ou si elle était « nue comme un ver ». La cour retient également le témoignage du PM de 2e cl. Williams selon lequel l’accusé lui aurait dit expressément qu’il ne lui demandait pas de mentir. Et la cour accepte l’argument selon lequel le PM de 2e cl. Williams doit être dans l’erreur relativement au contenu des échanges qu’il aurait eus avec l’accusé à bord de leur navire après le débarquement de l’accusé le 11 mai.

 

[21]                  La cour rejette la prétention de l’avocat de l’accusé selon laquelle le témoin, le PM de 2e cl. Williams, aurait été motivé par un ressentiment quelconque à l’endroit de l’accusé pour fabriquer ou embellir son témoignage contre lui. La cour se déclare plutôt favorablement impressionnée par ce qui lui semble avoir été un effort sincère du PM de 2e cl. Williams de relater aussi fidèlement que possible le souvenir qu’il a maintenant d’événements survenus il y a déjà un bon moment. Mais, considérant l’ensemble du témoignage rendu par le PM de 2e cl. Williams, la cour ne peut écarter tout doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé.

 

[22]                  L’accusé a droit au bénéfice du doute. La cour le déclare non coupable.

 

 

 

                                                           LE CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M

 

 

 

Avocats :

 

Le Capitaine de corvette G.W. Thomson, Direction des poursuites militaires, Région du Centre

Le Major A.M. Tamburro, Direction des poursuites militaires, Région du Centre

Procureurs de Sa Majesté la Reine

 

Me Mel Hunt, Dinning, Hunter, Lambert et Jackson, Avocats, 1192 Fort Street, Victoria, Colombie-Britannique

Avocat du Lieutenant de vaisseau Jollimore

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