Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 25 juillet 2006.
Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, 2e étage, Victoria (CB).
Chef d’accusation:
•Chef d’accusation 1 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats:
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

Référence : R. c. le Lieutenant de vaisseau C.B. Jollimore, 2006 CM 2016

 

Dossier : 200617

 

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

COLOMBIE-BRITANNIQUE

BASE DES FORCES CANADIENNES ESQUIMALT


 

Date : le 2 novembre 2006


 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.


 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

LE LIEUTENANT DE VAISSEAU C.B. JOLLIMORE

(Accusé)


 

DÉCISION PORTANT SUR UNE REQUÊTE DEMANDANT L'ARRÊT DES PROCÉDURES ALLÉGUANT UNE VIOLATION DES DROITS GUARANTIS PAR L'ARTICLE 7 ET LES ALINÉAS 11a) ET 11b) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS.

(Rendue de vive voix)


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

[1]                    À l’ouverture de son procès devant la cour martiale permanente, et avant d’enregistrer son plaidoyer, l’accusé a présenté, par écrit, un avis de requête afin d’obtenir l’arrêt des procédures en raison de ce qui constituerait, selon lui, une violation des droits que lui garantissent l’article 7 et les alinéas 11a) et 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le 19 septembre, à l’issue des plaidoiries sur cette demande, la cour a décidé de rejeter la demande, les motifs devant suivre. La cour va donc commencer par donner les motifs du rejet de cette requête préliminaire.

 

[2]                    L’alinéa 11a) de la Charte canadienne des droits et libertés est ainsi rédigée :

 

Tout inculpé a le droit :

 

a) d’être informé sans délai anormal de l’infraction précise qu’on lui reproche[...]

 

[3]                    En l’espèce, l’infraction aurait été commise le, ou vers le, 11 mai 2004. Le 20 avril 2005, un procès-verbal de procédure disciplinaire a été dressé, faisant état d’un certain nombre d’accusations portées contre le requérant, notamment, sous le cinquième chef d’accusation, d’avoir eu un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, dont les détails semblent se rapporter à la conduite reprochée au requérant dans l’acte d’accusation présentement devant la cour. Une autre accusation de conduite déshonorante a également été portée à la même occasion. Elle semble décrire les mêmes faits. Le requérant a reçu signification d’une copie du procès-verbal de procédure disciplinaire le 25 avril 2005, et, en novembre 2005, les accusations ont été modifiées pour en arriver à l’accusation dont la cour est saisie.

 

[4]                    Au paragraphe 10 de ses observations écrites (pièce M1-5), le demandeur fait valoir que la période de 14 mois qui s’est écoulée entre le moment où le Service national d’enquêtes a terminé son enquête, en août 2004, et le moment où l’accusation a été portée sous sa forme définitive en novembre 2005, constitue un délai déraisonnable.

 

[5]                    La cour estime que, pour les fins de l’article 11, le délai ne commence à courir qu’à partir du dépôt d’une accusation en bonne et due forme. C’est ce qui ressort de la disposition liminaire de l’article 11 selon l’interprétation qu’en donne la Cour suprême du Canada dans plusieurs de ses décisions traitant de l’alinéa 11 b). Les services d’enquête n’ont aucune obligation de porter des accusations dès qu’il est possible de dire qu’elles ont un motif raisonnable de croire qu’une infraction a été commise. Voir à ce sujet R. c. Cancor Software Corp., (1990), 58 C.C.C. (3d) 53 (C.A. Ont.).

 

[6]                    En l’espèce, des accusations en bonne et due forme ont été portées le 20 avril 2005. Le requérant ne prétend pas qu’il n’a pas été informé du dépôt des accusations dans un délai raisonnable. Il est vrai que le libellé exact de l’accusation a pu changer en cours de route, mais ce fait à lui seul ne constitue pas une violation de l’alinéa 11a). En conséquence, la cour estime que le requérant a été informé de l’accusation sans retard de l’infraction reprochée et qu’il ne s’agit donc pas d’un cas d’atteinte au droit garanti à l’alinéa 11a).

 

[7]                    L’alinéa 11b) de la Charte garantit à un inculpé « le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ». La cour a déjà eu l’occasion de déclarer ce qui suit dans l’affaire du Caporal Wolfe :

 

L’alinéa 11b) protège les intérêts des inculpés en garantissant leur droit à la liberté et à la sécurité de leur personne, ainsi que leur droit à une défense pleine et entière. L’ensemble de la société canadienne a elle aussi fortement intérêt à ce que les poursuites criminelles se fassent dans un délai raisonnable et justifié.

 

Dans l’arrêt R. c. MacDougall, [1998] 3 R.C.S. 45, la juge McLachlin, qui n’était pas encore juge en chef, a prononcé le jugement de la Cour suprême du Canada et a précisé au paragraphe 29 :

 

L’alinéa 11b) protège le droit à la sécurité de la personne en tentant de diminuer l’anxiété, la préoccupation et la stigmatisation qu’entraîne la participation à des procédures criminelles. Il protège le droit à la liberté parce qu’il cherche à réduire l’exposition aux restrictions de la liberté qui résulte de l’emprisonnement préalable au procès et des conditions restrictives de liberté sous caution. Pour ce qui est du droit à un procès équitable il est protégé par la tentative de faire en sorte que les procédures aient lieu pendant que la preuve est disponible et récente.

 

Elle ajoute ceci, au paragraphe 30, et je cite :

 

L’intérêt sociétal protégé par l’al. 11b) comporte deux aspects [...] Premièrement, le public a intérêt à faire en sorte que le procès ait lieu promptement, de façon que les criminels soient traduits en justice et que l’on décide de leur sort dès que possible, peut-être par leur mise à l’écart de la société. Deuxièmement, le public a intérêt à faire en sorte que les personnes appelées à subir leur procès soient traitées avec justice et équité. Cet intérêt sociétal correspond au «droit de l’accusé à un procès équitable ».

 

Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable prend naissance au moment du dépôt d’une accusation, mais il est évident qu’aucun procès ne peut avoir lieu immédiatement à ce moment-là. Les deux parties auront besoin de temps pour rassembler les preuves qu’elles déposeront devant la cour, pour établir leurs positions respectives et pour prendre les procédures antérieures à l’instruction qu’elles jugent nécessaires.

 

De plus, bien entendu, le système judiciaire doit être en mesure d’instruire le procès, avec les installations et le personnel nécessaires, notamment un juge. Toutes ces questions prennent du temps et, par conséquent, entraînent un délai. La Charte n’oblige pas à ce qu’il n’y ait pas de délai entre le moment où les accusations sont portées et le procès. Il faut seulement que ce délai soit raisonnable.

 

Qu’entendons-nous par « délai raisonnable » dans ce contexte? La Cour suprême du Canada a fixé un cadre d’analyse. Le tribunal doit examiner et prendre en considération quatre principaux facteurs pour établir si, dans un cas donné, le délai avant qu’une affaire soit entendue est raisonnable. [...] ces facteurs [...] sont :

 

1.             la longueur du délai entre le moment où les accusations sont portées et la fin du procès;

 

2.             la renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul;

 

3.             les raisons du délai;

 

4.             le préjudice subi par l’accusé.

 

En examinant les raisons du délai, le tribunal doit tenir compte des éléments suivants :

 

1.             les délais inhérents à la nature de l’affaire;

 

2.             les actes de l’accusé et du poursuivant;

 

3.             les limites aux ressources institutionnelles;

 

4.             les autres raisons du délai.

 

Ces facteurs guident le tribunal dans sa décision, mais ils ne sont pas appliqués de façon mécanique et ne devraient pas non plus être considérés comme immuables ou inflexibles; sinon, cette disposition de la Charte deviendrait simplement une loi sur la prescription des poursuites imposée par le pouvoir judiciaire.

 

Ce ne sont pas seulement les délais qui préoccupent le tribunal, mais plutôt leur effet sur les intérêts que l’alinéa 11b) est censé protéger. Dans l’évaluation des incidences du délai, il est important de se souvenir que la question à trancher en fin de compte est celle du caractère raisonnable du délai global qui s’est écoulé entre le dépôt de l’accusation et la conclusion du procès.

 

Ce sont là des principes qui ont été élaborés par les tribunaux civils canadiens, mais ils s’appliquent aussi bien aux affaires militaires entreprises en vertu du code de discipline militaire intégré à la Loi sur la défense nationale.

 

[8]                    La cour estime qu’en l’espèce, le délai commence à courir avec le dépôt des accusations initiales le 20 avril 2005, et qu’il continue de courir jusqu’à la date du procès, en juillet 2006, soit une période de 15 mois.

 

[9]                    Le requérant soutient que, selon la jurisprudence établie par l’arrêt Sa Majesté la Reine c. Adjudant-maître R. Perrier (CACM-434), la cour doit considérer que le délai commence à courir à partir du moment de l’application de la mesure administrative le consignant à terre le 11 mai 2004, cette procédure constituant l’équivalent d’une accusation. Dans l’affaire Perrier, la Cour d’appel de la cour martiale s’était interrogée sur la question de savoir si, dans le milieu spécifique des Forces armées canadiennes, le délai qui précède la mise en accusation pouvait, conjointement avec le délai postérieur à la mise en accusation, être considérée aux fins de déterminer s’il y a eu violation des droits garantis par l’article 7 et l’alinéa 11b) de la Charte. Dans cette affaire, l’accusé avait dû effectuer une procédure de « clairance », un mot qui, selon le juge militaire, est bien connu dans le monde militaire et ressemble fortement à une libération des forces armées.

 

[10]                  La cour estime, d’après les témoignages qu’elle a entendus dans le cadre de cette requête, que la procédure de consignation à terre ne ressemble pas au genre de mesure administrative prise dans l’affaire Perrier. La consignation à terre constitue une affectation à des tâches terrestres et, en ce qui concerne ses effets sur la personne qui en fait l’objet, elle est loin de ressembler aux mesures prises dans l’affaire Perrier. Par conséquent, en l’espèce, le délai commence à courir au dépôt de l’accusation, soit le 20 avril 2005.

 

[11]                  L’intimée, la poursuite dans le cadre de la présente requête, n’invoque aucune renonciation à un délai quelconque.

 

[12]                  En ce qui concerne les délais de l’espèce, il semblerait qu’ils soient principalement attribuables à la réaffectation d’un poursuivant, ce qui représente une période légèrement supérieure à 4 mois, et à l’absence de disponibilité d’un juge militaire pour le procès, d’abord du 14 novembre au 6 décembre 2005, puis ensuite du 19 au 31 janvier 2006. De plus, l’avocat de la défense a décliné l’offre que lui faisait le tribunal le 1er février de commencer le procès le 28 février, parce qu’il avait déjà des engagements prévus cette date-là.

 

[13]                  La cour ne tient pas rigueur à la défense d’avoir décliné l’offre de tenir le procès plus tôt en raison d’un conflit d’agenda. Le fait demeure néanmoins que le refus de la défense de procéder à une date antérieure a pesé dans l’évaluation du préjudice que le requérant prétend avoir subi.

 

[14]                  Dans la présente affaire, l’avocat du requérant ne prétend pas que les délais ont compromis son droit à la liberté ou à un procès juste et équitable. Il invoque cependant les effets de ces délais sur la sécurité de sa personne.

 

[15]                  Dans l’arrêt R. c. Kporwodu (2005), 195 C.C.C. (3d) 550, la Cour d’appel de l’Ontario énonce ce qui suit au paragraphe 172 :

 

[TRADUCTION]  Dans l’arrêt Mills c.R., [1986] 1 R.C.S. 863, (1986), aux p. 919-920, 26 C.C.C. (3d) 481, à la page 538, le juge Lamer retient la description suivante de ce qu’englobe la notion de « sécurité de la personne » dans le contexte de l’alinéa 11b) : « elle englobe aussi celle de protection contre un assujettissement trop long aux vexations et aux vicissitudes d’une accusation criminelle pendante ». La sécurité de la personne englobe la stigmatisation, la perte du droit à la vie privée, de même que le stress et l’anxiété occasionnés par des procédures pénales. (Voir à ce sujet l’arrêt Morin, précité, à la p.12). De la même façon, la sécurité d’une personne peut être compromise par toute action de l’État « qui porte gravement atteinte à [son] intégrité psychologique » et notamment une ingérence de l’État dans ses affaires familiales. (Voir à ce sujet l’arrêt Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, aux par. 60 et 61.) 

 

[16]                  Le requérant prétend avoir subi un préjudice en raison du retard à instruire son affaire. Il souligne plus particulièrement la perte d’une possibilité d’assignation à l’étranger et d’occasions de formation, un ralentissement de son avancement professionnel, la perte de l’indemnité de service en mer et les stigmates sociaux subis dans sa vie personnelle. La cour accepte la preuve du requérant quant aux effets que les accusations ont eus sur lui, mais elle n’accepte pas sa conclusion selon laquelle ces accusations ont gravement compromis son avancement professionnel. La cour se rend aux témoignages offerts par le Capitaine de corvette Learn et le Capitaine de vaisseau Adamson, et en vient à la conclusion que les répercussions de la consignation à terre sur l’évolution de la carrière du requérant sont bien moins graves et profondes que ne semble le penser le requérant.

 

[17]                  La cour estime que la preuve n’a pas été faite que le préjudice dont se plaint le requérant soit sensiblement plus important que celui auquel se trouve exposée toute personne appelée à répondre en justice à une accusation grave. Mais, et c’est encore plus important, les sources du préjudice dont il se plaint sont attribuables à l’accusation qui a été portée contre lui et non à un délai quelconque dans la tenue du procès.

 

[18]                  En fin de compte, la question de savoir si le droit du requérant à un procès dans un délai raisonnable a été violé est question d’appréciation. Dans l’ensemble, la cour ne peut conclure qu’il y a eu violation de ce droit en l’espèce.

 

[19]                  Bien que, dans son avis de requête, le requérant ait également fait état d’une violation de l’article 7 de la Charte, aucun argument n’a été présenté au soutien de cette allégation.

 

[20]                  Pour ces motifs, la demande d’arrêt des procédures a été rejetée.

 

 

 

                                                           LE CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M

 

 

 

Avocats :

 

Le Capitaine de corvette G.W. Thomson, Direction des poursuites militaires, Région du Centre

Le Major A.M. Tamburro, Direction des poursuites militaires, Région du Centre

Procureurs de Sa Majesté la Reine

Me Mel Hunt, avocat, Dinning, Hunter, Lambert et Jackson, avocats, 1192 Fort Street, Victoria, Colombie-Britannique

Avocat du Lieutenant de vaisseau Jollimore

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