Page 3 de 14 , ainsi que la feuille de repas et veillé à ce que chacun se rende bien à sa chambre. Tous les membres du peloton ont aussi été convoqués à une séance d’information prévue pour 18 h dans la salle de télévision. [8] Au cours de la séance tenue par le Sergent Hughes devant tous les membres du peloton, ce dernier a communiqué l’horaire de la soirée et du lendemain, précisé la tenue que devaient porter les membres du peloton, remis les pièces d’identité pour le Tattoo et désigné le Caporal Kennedy à titre de chauffeur de fonction. Au cours de cette réunion, le Sergent Hughes a expressément dit au Caporal Kennedy, devant tous les autres membres du peloton, qu’il ne devait pas consommer d’alcool parce qu’il devrait effectuer quelques allers-retours entre le lieu d’hébergement et le centre-ville de Halifax et rester à disposition pour toute autre tâche pouvant nécessiter l’utilisation du véhicule. [9] Le Caporal Kennedy a bien reçu l’ordre donné et la tâche attribuée, quoiqu’il n’était pas très contente de ne pas pouvoir faire ce dont il avait envie au cours de la soirée, comme les autres membres du peloton. Puis, le Caporal Kennedy a fait ce qu’il avait à faire et effectué deux trajets avec les membres du peloton, au début de la soirée, entre le lieu d’hébergement et le centre-ville de Halifax.
Page 4 de 14 CONSOMMATION D’ALCOOL [10] Après avoir fait les trajets avec les membres du peloton, le Caporal Kennedy a stationné le véhicule près du lieu où il avait conduit les membres du peloton, soit le « Cheers Bar and Grill ». Il s’agit d’un pub situé près du Dome, une boîte de nuit. Le Sergent Hughes aurait, semble t-il, accepté que le Caporal Kennedy demeure au centre-ville pour la soirée et y reste disponible en tout temps pour les autres membres du peloton qui désireraient retourner au lieu d’hébergement. [11] Le Caporal Kennedy a passé une partie de la soirée avec un de ses amis, Dereck MacDonald, à jouer sur les appareils de loterie vidéo qui se trouvaient dans le fumoir, entre le Cheers et le Dome. Ils ont tous deux gagnés ensemble quelque 300 $ qu’ils se sont partagés moitié-moitié. Le Caporal Kennedy s’est dirigé vers le bar afin d’échanger le billet donné par l’appareil et encaissé l’argent. En même temps, il s’est acheté une bouteille d’eau et a commandé une bière pour son ami. Il s’agissait d’une bière de marque Keith. [12] Lorsqu’il est revenu, le Caporal Kennedy a continué avec M. MacDonald à jouer à la loterie vidéo, et ils ont fait encore quelques gains. M. MacDonald s’est rendu au bar pour y échanger, à nouveau, le billet contre de l’argent. Quelques minutes après son départ vers le bar, M. MacDonald a demandé au Caporal Kennedy, en pointant son propre verre de bière, s’il voulait quelque chose à boire. Selon ce qu’il a déclaré, le Caporal Kennedy aurait répondu à son ami, en pointant la bouteille d’eau qu’il tenait, qu’il en voulait une autre. [13] Le Caporal Kennedy s’est rendu aux toilettes. En revenant, il a parlé à des amis qui se trouvaient au fumoir et, peu de temps après, il a recommencé à jouer à la loterie vidéo. C’est à cet endroit qu’il a rencontré la vendeuse de pousses-cafés. Selon son témoignage, le Caporal Kennedy aurait dragué la jeune femme. [14] Conformément au témoignage entendue, une vendeuse de pousses-cafés est une serveuse qui transporte un plateau chargé de petits verres d’alcool qu’elle doit vendre aux clients du bar. Il y a différentes sortes de pousses-cafés, mais tous contiennent une once d’alcool. Selon le type d’alcool qu’ils contiennent, les pousses-cafés peuvent porter le nom de « Sex on the beach », d’« Orgasm » ou de « B52 ». [15] Le Caporal Kennedy et la vendeuse de pousses-cafés ont commencé à flirter. Le Caporal Kennedy a décidé de payer une tournée de pousses-cafés et a offert un verre à tous ceux qui en voulaient un, notamment à mademoiselle Watson, ainsi qu’à son grand ami, le Caporal Arseneau. Mademoiselle Watson n’a pas bu son verre, et personne n’a dit qui l’avait bu. Selon son témoignage, le Caporal Kennedy aurait simplement bu de l’eau et n’aurait consommé aucun pousse-café. Il a remis lui-même
Page 5 de 14 tous les verres vides sur le plateau de la serveuse. Il a commencé à discuter avec elle et, à un certain moment, il s’est assis sur elle. [16] D’après le Caporal King, le Caporal Kennedy aurait bu un pousse-café en même temps que la serveuse. Le Caporal Kennedy a confirmé, au cours de son témoignage, que le Caporal King était présent à ce moment-là; toutefois, les deux hommes ne s’entendent pas sur la question de la consommation d’alcool par le Caporal Kennedy. D’après ce qu’il a déclaré, le Caporal King aurait vu, quand il se trouvait dans le fumoir en train de fumer une cigarette, le Caporal Kennedy boire un pousse-café et en aurait informé le caporal occupant le rang le plus élevé qui se trouvait sur les lieux, soit le Caporal Bowmaster. [17] Après avoir discuté pendant un moment avec la vendeuse de pousses-cafés, le Caporal Kennedy s’est rendu compte que M. MacDonald avait recommencé à jouer à la loterie vidéo et il l’a rejoint. Il aurait alors dit à M. MacDonald qu’il allait au bar se chercher une autre bouteille d’eau, et M. MacDonald lui aurait précisément demandé de lui acheter, en même temps, deux autres bières. Le Caporal Kennedy se serait rendu au bar et serait revenu au fumoir avec les deux bières de M. MacDonald. [18] Selon le Caporal Bowmaster, peu de temps après avoir été informé par le Caporal King du fait que le Caporal Kennedy avait bu un pousse-café, le Caporal Bow-master serait sorti du fumoir et aurait vu à travers la vitre le Caporal Kennedy boire la moitié d’une bière. Il a présumé que c’était de la Keith car la mousse et le liquide était de la même couleur que celle de la bière qu’il avait consommée ce soir-là. [19] Après avoir donné ses deux bières à M. MacDonald, le Caporal Kennedy est allé passer un moment au Dome, où il a rencontré brièvement la Caporale Richardson. Peu de temps après, il a réuni certaines personnes et fait un premier trajet avec mademoiselle Watson et le Caporal Arseneau, entre autres passagers. Il est retourné au centre-ville et est ensuite revenu à l’Université de Dalhousie, puis il s’est rendu compte que plus personne n’avait besoin de ses services. Il est alors allé se coucher. [20] À leur retour, soit vers 3 h, le Caporal Bowmaster et le Caporal King sont allés voir le Sergent Heagle pour lui dire qu’ils avaient vu le Caporal Kennedy consommer de l’alcool au cours de la soirée. [21] Le lendemain matin, le Caporal Kennedy s’est fait réveiller par le Sergent- Hughes, qui lui demandé de se mettre au garde-à-vous et qui l’a senti. Il lui a posé des questions sur sa consommation d’alcool et a senti son haleine. Le Caporal Kennedy a catégoriquement nié avoir consommé de l’alcool. Le Sergent Hughes est sorti de la chambre et, plus tard au cours de cette même journée, il a informé le Caporal Kennedy qu’il était le chauffeur de fonction pour toute la durée du Royal Nova Scotia International Tattoo, soit deux semaines.
Page 6 de 14 LE DROIT APPLICABLE ET LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DES ACCUSA-TIONS [22] L’article 83 de la Loi sur la défense nationale prévoit ce qui suit : 83. Quiconque désobéit à un ordre légitime d’un supérieur commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale l’emprisonnement à perpétuité. [23] Pour le premier chef d’accusation, la poursuite devait prouver, hors de tout doute raisonnable, les éléments essentiels suivants : l’identité de l’accusé, la date et le lieu, tels qu’ils sont allégués dans l’acte d’accusation, le fait qu’un ordre a été donné au Caporal Kennedy et que cet ordre était légitime, le fait que le Caporal Kennedy a reçu cet ordre ou en avait connaissance, le fait que le Caporal Kennedy a reçu un ordre d’un supérieur et qu’il en connaissait le rang, le fait que le Caporal Kennedy a désobéi à l’ordre et, en dernier lieu, l’état d’esprit blâmable du Caporal Kennedy. [24] L’article 129 de la Loi sur la défense nationale prévoit, en partie, ce qui suit : 129. (2) Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline tout acte ou omission constituant une des infractions prévues à l’article 72, ou le fait de contrevenir à : a) une disposition de la présente loi, b) des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes; c) des ordres généraux, de garnison, d’unité, de station, permanents, locaux ou autres. [25] Pour cette infraction subsidiaire, la poursuite devait prouver, hors de tout doute raisonnable, les éléments essentiels suivants : l’identité de l’accusé, la date et le lieu, tels qu’ils sont allégués dans l’acte d’accusation. Elle devait également prouver les éléments supplémentaires suivants : le fait qu’il y a eu un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline par la preuve de l’existence d’une directive, le fait que la directive était publiée et affichée conformément à l’article pertinent des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, le fait que l’acte commis par le Caporal Kennedy constituait une infraction à la directive, le fait que l’acte présumé dans l’acte d’accusation a bien été commis et, en dernier lieu, l’état d’esprit blâmable du Caporal Kennedy. [26] Avant que la cour n’expose son analyse juridique, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable; il s’agit d’une norme qui est inextricablement lié à des principes
Page 7 de 14 fondamentaux applicables à tous les procès en matière pénale. Ces principes sont évidemment très bien connus des avocats, mais d’autres personnes dans la salle d’audience peuvent ne pas les connaître aussi bien. [27] Il est juste de dire que la présomption d’innocence est peut-être le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d’innocence. Pour les questions qui relèvent du Code de discipline militaire, tout comme pour celles qui relèvent du droit criminel, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente jusqu’à ce que la partie poursuivante prouve qu’elle est coupable hors de tout doute raisonnable. Une personne accusée n’a pas à prouver son innocence. C’est à la partie poursuivante qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction. [28] La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve, ou à chacune des preuves séparées, présentés à l’appui de la thèse défendue par la partie poursuivante, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière se fonde pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité d’une personne accusée incombe à la partie poursuivante, jamais à la personne accusée. [29] Le tribunal doit déclarer la personne non coupable si, après avoir examiné toutes les preuves, il subsiste un doute raisonnable quant à sa culpabilité. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est utilisée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions de notre système de justice. [30] Dans R. c. Lifchus (1997) 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes décrits dans l’affaire Lifchus ont été appliqués dans de nombreuses autres décisions de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute exagéré ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne ait été inculpée n’est pas une indication qu’elle est coupable, et j’ajouterai que les seules accusations dont une personne accusée doit répondre sont celles qui apparaissent sur l’acte d’accusation présenté à la cour. [31] Au paragraphe 242 de R. c. Starr, (2000) 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué que : [...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.
Page 8 de 14 Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La partie poursuivante n’a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. La partie poursuivante n’a que le fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le Caporal Kennedy, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit acquitter l’accusé car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable. [32] Mais qu’entend-on par élément de preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles de personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. La preuve peut consister en documents, en photographies, en cartes ou en d’autres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, en témoignages de témoins-experts, en aveux judiciaires quant aux faits par la partie poursuivante ou la défenderesse et en des éléments dont la cour prend connaissance d’office. [33] Il n’est pas rare que des preuves présentées devant la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un événement. La cour se doit de déterminer quelle preuve est crédible. [34] La crédibilité n’est pas synonyme de dire la vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mentir. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte dans l’évaluation par la cour de la crédibilité du témoignage d’un témoin. Par exemple, un tribunal évaluera l’occasion qu’a eu un témoin d’observer, les raisons d’un témoin de se souvenir. Il se demandera, par exemple, si les événements valaient la peine d’être notés, s’ils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus facile à oublier. Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès, autrement dit, a-t-il une raison pour favoriser la partie poursuivante ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé ait intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner. [35] Un autre élément dans la détermination de la crédibilité d’un témoin est son apparente capacité à se souvenir. Le comportement du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumente-t-il sans cesse? Finalement, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contestés?
Page 9 de 14 [36] De légères contradictions peuvent se produire, et cela arrive, en toute innocence et elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Cependant, il en est autrement dans le cas d’un mensonge délibéré. Cela est toujours grave et peut vicier le témoignage en tout ou en partie. [37] La cour n’est tenue d’accepter le témoignage de personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins de ne pas avoir de raison, ou plutôt, d’avoir une raison de ne pas y croire. [38] Comme la règle du doute raisonnable s’applique aussi à la question de la crédibilité, la cour n’a pas à décider, en l’espèce, de manière définitive de la crédibilité de l’accusé, et elle n’est pas tenue de croire que tout ce que l’accusé dit est vrai ni que tout est faux. Il est sûr que cette affaire soulève des questions importantes de crédibilité, mais il ne s’agit pas d’un cas où l’approche en matière d’évaluation de la crédibilité exprimée par la Cour suprême du Canada dans R. c. W.(D.), [1991] 1 RCS 742 peut être appliquée de façon stricte, parce que l’accusé, le Caporal Kennedy, a témoigné. Voici ce que la Cour a établi à la page 758 de cette décision : Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement. Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement. Troisièmement, même si n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé. [39] Ayant procédé à cet exposé sur la charge de la preuve et sur la norme de la preuve, j’examinerai maintenant la question en litige soumise au présent tribunal et traiterai des principes juridiques. ANALYSE [40] Les deux parties ont convenu que la principale question en litige pour les deux chefs d’accusation, compte tenu de la preuve présentée à la cour, consiste à savoir si le Caporal Kennedy a respecté l’ordre ou la directive sur la non-consommation d’alcool quand il a été nommé chauffeur de fonction du peloton du Corps de cornemuses du 2 e Bataillon du Royal Canadian Regiment pour la soirée et la nuit du 26 au 27 juin 2005. Tous les autres éléments essentiels, notamment le caractère licite de l’ordre (pour ce qui est de la première accusation) et le comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline (pour ce qui est de la deuxième accusation), ont été prouvés hors de tout doute raisonnable par la poursuite.
Page 10 de 14 [41] En l’espèce, comme je l’ai déjà souligné, la cour doit d’abord déterminer si elle doit croire ou non le témoignage de l’accusé. La nature de la preuve en l’espèce impose au présent tribunal de tirer certaines conclusions sur la crédibilité des témoins afin d’évaluer adéquatement la crédibilité de l’accusé à la lumière de la preuve présentée. [42] L’Adjudant Hughes a témoigné de façon calme et franche. Son témoignage était cohérent et empreint de respect, et l’Adjudant avait un très bon souvenir des événements. La cour garde surtout en mémoire l’ordre légitime de l’Adjudant Hughes au Caporal Kennedy sur sa consommation d’alcool pendant qu’il était le chauffeur de fonction au cours de la nuit du 26 juin 2005. Compte tenu des événements qui se sont produits dans la vie du Caporal Kennedy dans la matinée du 27 juin 2005, la cour estime qu’il n’a pas été établi que l’Adjudant Hughes avait une mauvaise réputation au point de rendre son témoignage non crédible. Toutefois, la pertinence du fait que le Caporal Kennedy dégageait une odeur d’alcool ce matin-là doit être démontrée parce que ce fait, en soi, qu’il soit accepté ou non, ne prouve rien. La cour croit comprendre, selon le témoignage de l’Adjudant Hughes, que ce dernier a mené une enquête et que certaines mesures ont été prises contre le Caporal Kennedy. [43] Le Caporal King a témoigné de façon honnête, calme et franche. Il ne s’est pas montré évasif ou belliqueux. Il a clairement répondu aux questions qui lui ont été posées par les avocats des deux parties. Il s’agit d’un témoin crédible et fiable. Son témoignage était cohérent et compatible avec les faits avérés. Le fait qu’il ait clairement vu le Caporal Kennedy boire un pousse-café constituait, pour lui, un événement mémorable, inhabituel et frappant, sachant que, quelques heures plus tôt, il avait personnellement entendu ordonner au Caporal Kennedy de ne pas consommer d’alcool parce que le Caporal Kennedy était le chauffeur de fonction. Au moment du contre-interrogatoire, il a décrit à la cour, de manière désintéressée, ce qu’il avait vu, et il a déclaré se souvenir clairement de l’incident. En ce qui concerne sa propre consommation d’alcool au moment où il a été témoin de l’incident, la cour ne voit aucune raison de discréditer ce qu’il a vu et ce qu’il pense s’être produit. Il a raconté l’incident à un ami de l’accusé, le Caporal Arseneau, ainsi qu’à un supérieur qui se trouvait sur place, soit le Caporal Bowmaster, et peu de temps après, au Sergent Hughes. Il a simplement rapporté à l’autorité compétente la désobéissance à un ordre, comme il devait le faire. [44] Le Caporal Bowmaster a témoigné de la même façon que le Caporal King, bien s’il s’agisse d’un incident différent. Tout comme pour le Caporal King, le fait que le Caporal Kennedy ait bu une bière constituait, pour lui, un événement mémorable, inhabituel et frappant cette nuit-là, sachant que, quelques heures plus tôt, il avait personnellement entendu ordonner au Caporal Kennedy de ne pas consommer d’alcool parce que le Caporal Kennedy était le chauffeur de fonction, et également parce qu’il avait été informé de la situation par le Caporal King. Au moment d’être contre-
Page 11 de 14 interrogé par l’avocat de la défense, il a décrit ce dont il avait été témoin et l’a confirmé avec fermeté et de manière désintéressée. [45] La cour voudrait ajouter qu’il n’a nullement été démontré, au cours du procès, que le Caporal King ou le Caporal Bowmaster ont agi par quelque esprit de vengeance ou par un genre de collusion. Les deux témoins ont comparu devant la cour de manière totalement désintéressée, et il semble qu’ils ne faisaient qu’accomplir leur devoir après ce dont ils avaient été témoins cette nuit-là. [46] L’Adjudant Fudge a témoigné de façon franche. Il a clairement expliqué à la cour ce que signifiaient la publication et la notification de la directive invoquée dans la deuxième accusation. Il s’agit d’un témoin crédible et fiable. [47] Mademoiselle Watson a témoigné de façon honnête et franche, mais son témoignage n’est ni fiable ni très déterminant pour ce qui est des faits cruciaux, même si elle n’a pas consommé d’alcool cette nuit-là. Tout comme les autres témoins cités par l’accusé, mademoiselle Watson n’a pas pu dire de manière irréfutable que le Caporal Kennedy n’avait pas consommé d’alcool au cours de la nuit du 26 au 27 juin 2005 parce qu’elle n’avait, bien entendu, pas passé la soirée à l’observer. Elle était là surtout pour passer du temps avec sa camarade de chambre et le Caporal Arseneau. Selon sa version des faits, le Caporal Kennedy a passé presque toute la soirée du 26 juin 2005 pas très loin d’elle, mais elle ne s’était pas rendu compte qu’il avait quitté le fumoir pour aller au bar ou aux toilettes. De plus, il n’y avait aucune raison particulière pour elle de se rendre compte que le Caporal Kennedy consommait de l’alcool ce soir-là. [48] Le Caporal Arseneau a témoigné de façon franche. Il semble toutefois, selon la cour, qu’il a apporté plus de confusion qu’autre chose. Il a contredit le témoignage de sa fiancée, mademoiselle Watson, lorsqu’il a déclaré être arrivé au Cheers après elle, au début de la nuit. Même s’il a passé le plus clair de son temps dans le fumoir, il n’a pas été en mesure d’affirmer de façon catégorique si le Caporal Kennedy avait ou non consommé de l’alcool. En ce qui concerne l’incident relatif au pousse-café, il a déclaré, sans que rien ne lui soit demandé à ce sujet, qu’un verre de pousse-café avait été donné à sa fiancée, mais qu’elle ne l’avait pas bu. Il n’a pas pu dire qui a bu le verre acheté par le Caporal Kennedy et laissé sur la table par sa fiancée. Comme il l’a déclaré par la suite dans son témoignage, le Caporal Arseneau était, logiquement, plus intéressé par mademoiselle Watson que par le Caporal Kennedy cette nuit-là. Il était plus inquiet pour la sécurité de sa fiancée que pour sa propre sécurité au moment où le Caporal Kennedy les a reconduits au lieu d’hébergement à la fin de la soirée. De plus, la cour ne comprend pas pourquoi le Caporal Arseneau a déclaré que le Caporal King et le Caporal Bowmaster lui avaient dit, avant l’incident relatif au pousse-café, que le Caporal Kennedy avait consommé de l’alcool, alors que le témoignage non contredit prouve clairement que c’était ce premier incident qui avait attiré l’attention des deux
Page 12 de 14 caporaux sur la consommation d’alcool du Caporal Kennedy. De plus, la cour n’accorde que peu de foi au fait que le Caporal Arseneau a senti l’haleine du Caporal -Kennedy avant que ce dernier ne se mette au volant. Compte tenu de sa propre consommation d’alcool, il n’était pas en mesure de déceler si une autre personne avait une haleine alcoolisée le soir en question. Il est également raisonnable de conclure que sa version des événements et sa compréhension générale de l’incident sont quelque peu altérées par le fait que le Caporal Kennedy était l’un de ses bons amis à l’époque. [49] La Caporale Richardson a témoigné de façon honnête et franche, mais son témoignage ne permet nullement d’établir si le Caporal Kennedy a ou non consommé de l’alcool, sachant qu’elle ne l’a vu que très brièvement, deux fois ce soir-là, pendant sept minutes en tout. [50] Le Caporal Kennedy a témoigné de façon hâtive et avec une certaine franchise. Il a fourni, sans que rien ne lui soit demandé à ce sujet, de nombreux détails sur ce qu’il a fait dans le fumoir, mais sans en préciser l’horaire. Curieusement, sur cette question en particulier, il n’a pas été en mesure de fournir à la cour son emploi du temps pour la soirée en cause, bien qu’il ait été contre-interrogé à ce sujet. Il a paru surexcité lorsqu’il a raconté avoir remporté, à deux reprises, de l’argent en jouant à un terminal de loterie vidéo. Il l’a été encore davantage lorsqu’il a parlé de son histoire avec la vendeuse de pousses-cafés. Son témoignage était, d’une certaine manière, assez compatible avec les faits non contredits, sauf sur la question très précise de sa consommation d’alcool. Il a fourni beaucoup de détails sur le fait qu’il a acheté et distribué des verres de pousses-cafés et de la bière dans le fumoir. Il s’est montré très hargneux au sujet de ce qui a été déclaré par les témoins de la poursuite, surtout les caporaux King et Bowmaster et de l’Adjudant Hughes. Il ressort clairement de son témoignage qu’il n’était vraiment pas content d’avoir été nommé chauffeur de fonction et qu’il avait prévu autre chose pour la soirée. [51] En tant que compagnon de chambre du Caporal Kennedy, le Caporal Hilson n’a pas permis d’éclaircir les événements par son témoignage. Au cours du contre-interrogatoire, il a clairement indiqué qu’il n’était pas en mesure de dire si le Caporal -Kennedy sentait ou non l’alcool, le 27 juin 2005 au matin. [52] Le Caporal Firth a témoigné de façon franche. Toutefois, il n’a pas donné beaucoup de détails pour justifier le fait que l’Adjudant Hughes avait une mauvaise réputation au point de rendre son témoignage non crédible. [53] Enfin, le Caporal Pierce a témoigné de façon calme et franche. Toutefois, au cours du contre-interrogatoire, il est devenu manifeste que son témoignage sur la réputation de l’Adjudant Hughes n’était pas crédible.
Page 13 de 14 [54] En appliquant les critères énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. W.(D.) cités ci-dessus et compte tenu de la totalité de la preuve présentée à la cour, la cour a des motifs pour ne pas croire l’accusé et son témoignage, surtout pour ce qui est de sa consommation d’alcool durant la nuit du 26 au 27 juin 2005, alors qu’il avait reçu l’ordre de ne pas consommer d’alcool parce qu’il était le chauffeur de fonction du peloton du Corps de cornemuses du 2 e Bataillon du Royal Canadian Regiment . Par conséquent, la cour estime que la preuve présentée par le Caporal Kennedy n’est pas crédible. [55] La cour examine maintenant le deuxième volet du critère énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. W.(D.) cités ci-dessus. Après avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, la présente Cour n’a aucun doute raisonnable au sujet du témoignage du Caporal Kennedy sur tous les éléments essentiels de l’infraction de désobéissance à un ordre légitime. Au contraire, le témoignage du Caporal Kennedy confirme bon nombre de faits non contredits, notamment ceux exposés par les caporaux King et Bowmaster. [56] En dernier lieu, quant au dernier volet de ce même critère, compte tenu de la preuve présentée, la présente Cour est convaincue, hors de tout doute raisonnable, de la preuve de la culpabilité de l’accusé en ce qui concerne l’infraction de désobéissance à un ordre légitime d’un supérieur. En réalité, il est manifeste pour la présente Cour, compte tenu de la preuve qui lui a été présentée, que le Caporal Kennedy a désobéi à l’ordre qu’il avait reçu. [57] Par conséquent, à la lumière de l’ensemble de la preuve, la poursuite a prouvé, hors de tout doute raisonnable, tous les éléments essentiels de l’infraction de désobéissance à un ordre légitime d’un supérieur. [58] De plus, tenant compte des conclusions de cette cour sur les éléments essentiels de l’article 83 de la Loi sur la défense nationale et leur application aux faits de la présente cause, la cour est convaincue que la poursuite s'est acquittée de son fardeau de preuve en établissant, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé avait désobéi à l’ordre donné par le Sergent Hughes. DISPOSITIF [59] Caporal Kennedy, veuillez vous lever. Caporal Kennedy, la présente Cour vous déclare coupable de la première accusation. Par conséquent, la présente Cour ordonne une suspension de l’instance pour ce qui est de la deuxième accusation.
Page 14 de 14 LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, JUGE MILITAIRE Avocats : Major S.D. Richards, Poursuites militaires régionales, Région de l’Atlantique Procureur de Sa Majesté la Reine Capitaine de corvette, M. Reeskink, Direction du service d’avocats de la défense Avocat du Caporal J. Kennedy